Comité des droits de l'homme
Soixante-cinquième session
ANNEXE*
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Soixante-cinquième session -
Communication No 739/1997
Présentée par : Larry Salvador Tovar Acuña
Au nom de : L'auteur
État partie : Venezuela
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 mars 1999,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Larry Salvador Tovar Acuña, ressortissant
vénézuélien né en 1958, ingénieur des méthodes. Au moment où il a présenté
sa communication, il était détenu dans le centre d'internement judiciaire
"El Rodeo", à Guatire, État de Miranda (Venezuela). Il affirme
être victime de violations du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques par le Venezuela. Si l'auteur n'invoque aucun article en
particulier, il semblerait que les dispositions en cause soient celles
de l'article 7, des paragraphes 3 et 4 de l'article 9, du paragraphe 1
de l'article 10, des paragraphes 1, 2, 3 c) et 7 de l'article 14 et du
paragraphe 1 de l'article 17 du Pacte.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 31 mars 1989, l'auteur a été arrêté chez lui par cinq policiers
munis d'un mandat de perquisition. Ils ont fouillé la maison en disant
qu'il recherchaient de la drogue. La fouille s'est effectuée en présence
du Procureur général et de deux témoins.
2.2 Le 2 avril 1989, une deuxième perquisition a eu lieu, cette fois-ci
sans mandat, en présence du Procureur général mais sans témoin. La police
affirme avoir trouvé 200 000 dollars des États-Unis, enveloppés dans des
emballages semblables à ceux utilisés pour transporter de la drogue.
2.3 L'auteur affirme avoir été victime d'un coup monté par la police
(Policia Tecnica Judicial). Il prétend que la police lui a volé
ses biens (maison, voiture, argent, etc.) et a tenté de faire croire qu'il
avait partie liée avec deux ou trois trafiquants de drogue qui avaient
été arrêtés à l'aéroport international de Caracas avec 20 kg de cocaïne.
M. Tovar déclare avoir été pris comme victime à cause de l'échec de la
lutte menée par le Venezuela contre le trafic de drogue. Il fait remarquer
à cet égard qu'aucun des barons de la drogue n'est en prison, alors qu'à
la date de la communication, il avait déjà purgé une peine de sept ans
sans qu'aucune preuve ait été produite contre lui.
2.4 L'auteur allègue en outre que tous ses biens et ceux de sa famille,
son père et une tante, ont été confisqués par des policiers corrompus
qui les ont vendus. Les produits de la vente ont été empochés par la mafia
policière et judiciaire. Selon lui, les policiers impliqués dans le vol
de ses biens et de ceux de sa famille ont été exclus de la PTJ (Policia
Tecnica Judicial). À ce sujet, l'auteur joint un rapport présenté
par la Commission sur l'abus des drogues (Comisión Permanente Contra el
uso indebido de las Drogas) du Congrès vénézuélien au tribunal de première
instance, qui contient plusieurs allégations de fautes professionnelles
commises par certains policiers, qui ont ensuite été destitués.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur se plaint d'être resté en prison pendant plus de six ans
sans être jugé / Toutefois, il affirme aussi que les autorités judiciaires
(qu'il appelle les "mafias judiciaires") "prolongent à
plaisir l'examen" des jugements rendus en première instance et que
la juridiction supérieure n'a pas encore statué sur son cas. Il semblerait,
par conséquent, que l'auteur a été condamné, mais qu'il n'a pas pu faire
appel de sa condamnation./.
3.2 L'auteur affirme en outre que les conditions de détention au Venezuela
sont extrêmement dures, qu'il a été torturé et maltraité. Il déclare à
ce sujet qu'il a été battu par la garde nationale, que la PTJ l'a torturé
à l'électricité et a essayé de l'étouffer avec un sac en plastique. On
lui a mis des menottes et on l'a suspendu par les poignets. Les coups
qu'il a reçus ont entraîné des lésions permanentes aux genoux et aux reins.
L'auteur affirme avoir été détenu en isolement cellulaire, avec la lumière
allumée 24 heures sur 24, ce qui l'empêchait de dormir.
3.3 Il affirme que sa vie est menacée car les "mafias judiciaires"
veulent sa mort afin qu'il ne puisse plus dénoncer leurs agissements.
À ce sujet, l'auteur cite plusieurs articles parus dans les journaux dans
lesquels on annonçait qu'il était décédé en prison. Il affirme en outre
avoir envoyé au Président de la République une copie de son dossier, en
1991, afin de prouver son innocence. Il attribue à cette démarche la grâce
présidentielle dont il a bénéficié.
3.4 Le 21 octobre 1993, l'auteur a bénéficié d'une grâce présidentielle,
qui a été publiée au Journal Officiel (Gaceta Oficial de la República
de Venezuela) en tant que décret présidentiel No 35322. Le 27 octobre
1993, par le décret No 35326, le Président a révoqué la grâce accordée
six jours auparavant. La libération de l'auteur s'est effectuée dans le
respect de toutes les formalités requises, y compris la notification au
juge chargé de l'affaire. Un nouveau mandat d'arrêt a été décerné contre
lui, il a été appréhendé et remis en prison. Il déclare à ce sujet que
l'annulation de la grâce présidentielle était un acte illégal étant donné
que le Président ne peut révoquer une grâce. Une grâce ne peut être révoquée
que si la Cour suprême est saisie de la question ce qui, selon l'auteur,
n'a jamais été fait dans son cas. En outre, l'auteur affirme que l'annulation
de sa grâce est contraire à la loi car elle implique l'application rétroactive
d'une loi qui n'est pas favorable à l'accusé.
3.5 Le père de l'auteur, qui est âgé de 80 ans, et le secrétaire du Président
de la République ont été emprisonnés parce qu'ils auraient incité le Président,
par des manoeuvres frauduleuses, à signer la grâce de l'auteur. M. Tovar
déclare que par leurs pressions, les "mafias judiciaires" ont
forcé le Président à révoquer sa grâce et à faire arrêter deux innocents.
Il ajoute qu'en droit vénézuélien, un père ne peut être poursuivi pour
les crimes de son fils, et que c'est exactement ce qui est arrivé à son
père.
3.6 Lorsqu'il a présenté sa communication, l'auteur était en prison depuis
sept ans et neuf mois. Il prétend que, pendant son séjour en prison, il
a accumulé cinq ans et deux mois qui doivent être portés à son crédit
pour avoir accompli un travail de remise de peine. Ce qui fait que la
durée de son emprisonnement atteint au total 12 ans et 11 mois, alors
que la peine maximale pouvant lui être infligée serait de 10 ans et 6
mois. L'auteur estime avoir passé en prison deux ans de plus que la peine
qu'il encourait ce qui, selon lui, constitue une violation du droit international.
En outre, l'auteur affirme que les poursuites pénales engagées contre
lui sont prescrites et que, par conséquent, son affaire devrait être classée.
À ce sujet, l'auteur mentionne la loi vénézuélienne relative aux stupéfiants
(Ley Orgánica de Sustancias Estupefacientes y Psicotropicas), qui
stipule, selon lui, que lorsqu'un procès dure plus de cinq ans sans aboutir
à une condamnation l'action pénale est prescrite et l'affaire doit être
classée.
3.7 Le 27 février 1996, un recours en habeas corpus a été présenté
à la Cour suprême au nom de l'auteur; aucune réponse n'a été reçue à ce
jour.
3.8 L'auteur affirme qu'il aurait dû bénéficier d'une libération sous
caution, conformément au droit vénézuélien. À ce sujet, la loi dispose
qu'une personne bénéficiera d'une libération sous caution si, dans un
délai d'un an après le prononcé du jugement, la juridiction supérieure
ne confirme pas la condamnation. L'auteur affirme être victime d'une discrimination
dans l'application de cette loi.
3.9 L'auteur se plaint de ne pas avoir bénéficié de l'assistance judiciaire
prévue par la loi pour présenter un recours devant la Cour suprême afin
de contester l'annulation de la grâce présidentielle qui lui avait été
accordée.
3.10 L'auteur affirme qu'en formant recours devant la Cour suprême pour
demander sa libération sous caution et en présentant une demande d'habeas
corpus, il a épuisé les recours internes s'agissant de toutes les
poursuites pénales engagées contre lui, dans le cadre de ce qu'il appelle
sa défense normale. En outre, il estime que toute action pénale qui pourrait
être engagée contre lui serait prescrite.
Renseignements communiqués par l'État partie
4.1 Dans la réponse écrite datée du 13 mai 1997 qu'il a envoyée en application
de l'article 91 du règlement intérieur, l'État partie informe le Comité
que l'auteur de la communication a présenté la même plainte à la Commission
interaméricaine des droits de l'homme le 1er avril 1996 et que cette affaire
est enregistrée sous le numéro 11611. L'État partie demande par conséquent
que le Comité déclare la communication irrecevable en vertu du paragraphe
2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, étant donné que l'affaire
est actuellement examinée par une autre instance internationale d'enquête.
4.2 Aucune observation n'a été reçue de l'auteur concernant la réponse
écrite de l'État partie qui lui a été communiquée le 15 septembre 1997,
puis de nouveau le 16 décembre 1997 / Le secrétariat de la Commission
interaméricaine des droits de l'homme a fait savoir au secrétariat du
Haut-Commissariat aux droits de l'homme que cette affaire est effectivement
en instance devant la Commission et que l'auteur a été libéré./.
Délibérations du Comité
5.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2 Le Comité a vérifié que la même question est effectivement examinée
par la Commission interaméricaine des droits de l'homme et note par conséquent
qu'il ne peut examiner la communication tant que celle-ci est à l'examen
dans une autre instance internationale.
6. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de
l'article 5 du Protocole facultatif;
b) Que, étant donné qu'en vertu du paragraphe 2 de l'article 92 du règlement
intérieur, le Comité peut reconsidérer sa décision s'il est saisi par
l'auteur, ou en son nom, d'une demande écrite contenant des renseignements
d'où il ressort que les motifs d'irrecevabilité ont cessé d'exister, l'auteur
peut demander au Comité de réexaminer les présentes décisions;
c) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur
de la communication.
______________
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
N. Bhagwati, M. Thomas Buergenthal, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt,
Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer
Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Martin Scheinin,
M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski et M. Maxwell Yalden.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport
annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]