Comité des droits de l'homme
Soixante-treizième session
15 octobre - 2 novembre 2001
Annexe
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques
- Soixante-treizième session
-
Communication n 747/1997
Présentée par: M. Karel Des Fours Walderode (décédé en février 2000) et
son épouse survivante, Mme Johanna Kammerlander (le représentant en qualité
de conseil)
Au nom de: L'auteur et son épouse survivante
État partie: République tchèque
Date de la communication: 21 novembre 1996
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 30 octobre 2001,
Ayant achevé l'examen de la communication n 747/1997 présentée au Comité
au nom de feu Karel Des Fours Walderode et d'elle-même par Mme Johanna Kammerlander
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été
communiquées par l'auteur de la communication et par l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif
1. L'auteur initial de la communication était M. Karel Des Fours Walderode,
citoyen tchèque et autrichien résidant à Prague (République tchèque). Son
épouse, Mme Johanna Kammerlander, le représentait en qualité de conseil. Il
se déclarait victime de violations par la République tchèque du paragraphe
1 de l'article 14 et de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques. La Tchécoslovaquie a ratifié le Pacte en décembre 1975
et le Protocole facultatif en mars 1991 (1). L'auteur est décédé le
6 février 2000 et son épouse maintient la communication devant le Comité.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 D'origine franco-allemande, M. Des Fours Walderode est né à Vienne
le 4 mai 1904, dans ce qui était alors l'empire austro-hongrois. Sa famille
s'était établie en Bohême dès le XVIIe siècle. À la fin de la Première Guerre
mondiale, en 1918, il résidait en Bohême, un royaume de l'ancien empire,
et il est devenu citoyen de la toute nouvelle Tchécoslovaquie. Comme l'allemand
était sa langue maternelle, en 1939 il est automatiquement devenu citoyen
allemand en vertu du décret d'Hitler du 16 mars 1939, qui portait création
du protectorat de Bohême-Moravie. À la mort de son père, le 5 mars 1941,
l'auteur a hérité de la propriété de Hruby Rohozec.
2.2 Le 6 août 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, sa propriété
a été confisquée en application du décret Benes 12/1945, en vertu duquel
les biens fonciers des Allemands et des Hongrois étaient confisqués sans
aucune indemnisation. Toutefois, étant resté loyal envers la République
tchécoslovaque pendant l'occupation nazie, il a conservé la nationalité
tchèque conformément au paragraphe 2 du décret constitutionnel 33/1945.
Après l'arrivée au pouvoir des communistes en 1948, il a dû quitter le pays
en 1949 pour des raisons politiques et économiques. En 1991, à l'issue de
la «révolution de velours» de 1989, il s'est définitivement installé à Prague.
Le 16 avril 1991, le Ministère tchèque de l'intérieur l'a informé qu'il
était toujours citoyen tchèque. Néanmoins, le 20 août 1992, l'État lui a
octroyé de nouveau la nationalité tchèque au motif qu'on avait retrouvé
un document établissant qu'il avait perdu sa nationalité en quittant le
pays en 1949.
2.3 Entrée en vigueur le 15 avril 1992, la loi 243/1992 prévoit la restitution
des propriétés agricoles et forestières qui avaient été confisquées en application
du décret 12/1945. Pour pouvoir prétendre à la restitution des biens confisqués,
le demandeur devait satisfaire aux conditions prévues en matière de nationalité
par le décret 33/1945 (ou par la loi 245/1948, 194/1949 ou 34/1953), résider
de manière permanente en République tchèque, avoir été loyal envers la République
tchécoslovaque pendant l'occupation allemande et avoir la nationalité tchèque
au moment du dépôt de la demande de restitution. L'auteur a déposé une demande
portant sur la restitution de la propriété de Hruby Rohozec dans les délais
prescrits et a conclu avec les propriétaires le 24 novembre 1992 un contrat
de restitution qui a reçu l'aval du Bureau foncier le 10 mars 1993 (PU-R
806/93). Le recours formé par la ville de Turnov a été rejeté par le Bureau
foncier central (décision 1391/93-50 du 30 juillet 1993). L'auteur est donc
entré en possession de ses biens le 29 septembre 1993.
2.4 L'auteur fait valoir que l'État est intervenu auprès de l'appareil judiciaire
et a fait constamment pression sur les autorités administratives et cite
à l'appui de ses dires une lettre, datée du 29 avril 1993, adressée aux
autorités de Semily et aux ministères compétents, par le Premier Ministre
tchèque de l'époque, Vaclav Klaus, qui joignait un avis juridique selon
lequel la restitution des biens confisqués avant le 25 février 1948 était
«licite» mais néanmoins «inacceptable». L'auteur dit que cette déclaration
politique a par la suite été utilisée au cours de l'instruction. Il indique
en outre qu'à la fin de 1993, des pressions politiques croissantes ont amené
le Ministère de l'intérieur à revenir sur la question de sa nationalité.
Par ailleurs, les anciens propriétaires de Hruby Rohozec se sont laissé
persuader de retirer leur consentement relatif à la restitution des terres.
2.5 Le 22 décembre 1994, le Bureau du Procureur général du district de Semily
a déposé une requête auprès du tribunal de district au titre du paragraphe
42 de la loi 283/1993, qui visait à faire déclarer nulle et non avenue la
décision prise par le Bureau foncier le 10 mars 1993. Le tribunal de district
a rejeté cette requête le 29 décembre 1994. En appel, l'affaire a été renvoyée
à l'organe de première instance.
2.6 Le 7 août 1995, un collectif de citoyens a demandé la révision de la
décision rendue le 10 mars 1993 par le Bureau foncier de Semily. Le Bureau
foncier central a examiné la décision du point de vue de sa licéité et a
rejeté la demande de révision le 17 octobre 1995. Nonobstant ce rejet, le
2 novembre 1995, il informait l'auteur qu'il allait malgré tout entamer
la révision de la décision. Le 23 novembre 1995, le Ministère de l'agriculture
annulait la décision du Bureau foncier de Semily en date du 10 mars 1993
au motif qu'il subsistait des doutes quant à la question de savoir si l'auteur
avait la qualité de résident permanent et renvoyait l'affaire devant les
tribunaux. Le 22 janvier 1996, l'auteur a formé un recours contre la décision
du Ministère auprès de la Cour d'appel, à Prague.
2.7 Le 9 février 1996, la loi 243/1992 était modifiée. La condition relative
à la qualité de résident permanent était levée (en application de l'arrêt
de la Cour constitutionnelle, en date du 12 décembre 1995, qui déclarait
la condition de résidence inconstitutionnelle) pour être remplacée par une
nouvelle condition qui faisait obligation aux demandeurs d'avoir eu sans
interruption la nationalité tchécoslovaque ou tchèque de la fin de la guerre
jusqu'au 1er janvier 1990. L'auteur affirme que cette loi le visait spécifiquement:
il joint des pièces montrant que les médias et les autorités tchèques avaient
utilisé l'expression «Lex Walderode». Le 3 mars 1996, le Bureau foncier
de Semily a appliqué à l'auteur la loi modifiée de façon à casser l'accord
de restitution du 24 novembre 1992, puisque M. Des Fours ne remplissait
pas la nouvelle condition de la possession ininterrompue de la nationalité.
Le 4 avril 1996, l'auteur a fait appel de la décision du Bureau foncier
auprès du tribunal municipal de Prague.
2.8 En ce qui concerne l'épuisement des recours internes, l'auteur (aujourd'hui
décédé) faisait valoir que l'on prolongeait délibérément la procédure en
raison de son âge et qu'il ne faisait par ailleurs aucun doute qu'il serait
débouté. Il demandait donc au Comité de bien vouloir considérer sa communication
comme recevable au motif des atermoiements de procédure et des aléas qui
entouraient l'efficacité des recours internes.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur, aujourd'hui décédé, et son épouse font valoir que l'acte de
restitution de la propriété a été annulé pour des motifs politiques et économiques
et que l'amendement apporté à la législation visait à lui ôter toute possibilité
d'obtenir réparation pour la confiscation de ses biens. D'après eux, il
s'agit d'une violation de l'article 26 du Pacte et du paragraphe 1 de l'article
14 du Pacte parce que des ingérences politiques (comme la décision ministérielle
du 23 novembre 1995) ont marqué la procédure judiciaire. Dans ce contexte,
l'auteur fait aussi état des retards qui ont jalonné l'instruction de l'affaire.
3.2 Il affirme en outre que subordonner la restitution des biens à la possession
ininterrompue de la nationalité du pays considéré constitue une violation
de l'article 26 du Pacte et il renvoie à la jurisprudence du Comité sur
ce point. Il estime aussi que les conditions concernant la restitution de
ses biens sont discriminatoires si on les compare à celles applicables à
la restitution des biens confisqués après 1948.
Observations de l'État partie
4.1 Dans ses observations du 13 juin 1997, l'État partie note que l'auteur
a introduit un recours auprès du tribunal municipal de Prague contre la
décision prise par le Bureau foncier du district de Semily le 8 mars 1996.
En juin 1997, l'affaire n'avait pas encore été instruite, car les dossiers
y relatifs étaient en possession de la Cour d'appel et le Bureau foncier
n'était donc pas en mesure de les faire tenir au tribunal municipal.
4.2 Considérant que l'auteur a engagé une procédure auprès de la Cour d'appel
en janvier 1996 contre la décision d'annulation de l'acte de restitution
prononcée par le Ministère de l'agriculture et que l'étape préparatoire
consistant à réunir toutes les pièces justificatives a pris fin en décembre
1996, l'État partie nie qu'il ait fait traîner l'affaire en longueur.
4.3 L'État partie indique que l'auteur n'est pas dénué de recours s'il estime
avoir été victime de mesures dilatoires. L'auteur aurait pu s'adresser au
Président de la Cour d'appel, qui a autorité pour entamer une procédure
de révision auprès du Ministère de la justice. Il aurait eu aussi la possibilité
de déposer une plainte constitutionnelle, qui pouvait être déclarée recevable,
alors même que les recours internes n'avaient pas été épuisés, si les recours
déjà introduits faisaient l'objet de retards excessifs qui avaient porté
un sérieux préjudice à l'intéressé.
4.4 D'après l'État partie, l'auteur est fondé à faire valoir les droits
qu'il invoque par l'introduction d'une plainte constitutionnelle, les traités
internationaux relatifs aux droits de l'homme étant directement applicables
et transcendant la loi.
4.5 L'État partie rejette les allégations de l'auteur selon lesquelles toute
tentative de faire valoir ses droits par la voie judiciaire serait vouée
à l'échec du fait que des considérations politiques ont entravé le cours
de la justice. En ce qui concerne la lettre du Premier Ministre relative
à l'interprétation de la loi no 243/1992, l'État partie nie qu'il se soit
agi d'une injonction politique adressée aux tribunaux. Il relève que la
lettre n'était adressée à aucun tribunal, qu'il s'agissait simplement d'une
réponse à une demande d'information présentée par le Président de la branche
locale du parti du Premier Ministre et que la teneur avait un caractère
général. Toutefois, si l'auteur craint qu'elle ne nuise à l'impartialité
du tribunal, il peut demander à ce qu'elle soit retirée du dossier au motif
qu'il s'agit d'un acte d'ingérence de la part des autorités publiques qui
contrevient à son droit de faire entendre sa cause équitablement.
4.6 L'État partie fait valoir que la différence d'interprétation qui existe
entre la loi no 243/1992 relative aux restitutions et les lois ayant trait
aux confiscations intervenues après 1948 ne constitue pas une discrimination.
Les objectifs poursuivis étant en effet différents, ces lois ne peuvent
pas être comparées.
4.7 L'État partie conclut que l'auteur n'a pas épuisé tous les recours internes
et que la communication est donc irrecevable au titre de l'article 5, paragraphe
2 b) du Protocole facultatif. Il fait également valoir que les allégations
de l'auteur n'étant pas justifiées et ne faisant pas apparaître une violation
de l'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte, la communication est
irrecevable rationae materiae.
Commentaires de l'auteur
5.1 Dans ses commentaires, l'auteur se réfère à la communication d'origine
et fait valoir que l'État partie n'a pour l'essentiel réfuté aucun de ses
arguments.
5.2 Il souligne qu'il a conservé la nationalité tchèque en application du
décret Benes no 33/1945 et que par conséquent, il satisfaisait à toutes
les conditions de la loi initiale 243/1992 au moment où le Bureau foncier
avait approuvé la restitution de ses biens. L'auteur note que l'État partie
n'a fait aucun commentaire au sujet de l'amendement 30/1996 qui introduisait
l'obligation d'avoir eu la nationalité tchèque sans interruption, condition
supplémentaire qui n'était pas en vigueur lorsque le contrat de restitution
avait été approuvé en 1993. D'après l'auteur, cet amendement a permis de
l'exproprier de nouveau.
5.3 D'après l'auteur, les enjeux politiques sont tels que de nouveaux recours
internes sont voués à l'échec. Il souligne également les retards, délibérés
ou non, pris pour traiter l'affaire.
5.4 L'auteur rejette la tentative d'explication de l'État partie selon laquelle
la lettre du Premier Ministre serait une simple expression d'opinion et
maintient que l'avis du Premier Ministre équivaut à une interprétation de
la loi; il fait valoir que l'interaction de plusieurs éléments met en évidence
le caractère politique de sa procédure de restitution.
5.5 En ce qui concerne la requête adressée par des résidents locaux au Ministère
de l'agriculture, l'auteur fait observer que la décision du Bureau foncier
de Semily a été prise le 10 mars 1993 et que la requête contre cette décision
a été déposée le 7 août 1995, soit deux ans et cinq mois plus tard. L'ordre
du Ministère de l'agriculture annulant la décision du Bureau foncier de
Semily date du 23 novembre 1995, trois mois et demi après la requête. Il
est donc évident que le délai de 30 jours fixé par la loi 85/1990 pour l'exercice
du droit de pétitions n'a pas été respecté.
5.6 Dans de nouveaux commentaires, l'auteur fait valoir que le 25 août 1997,
la Cour d'appel l'a débouté de son recours contre la décision ministérielle
du 23 novembre 1995. Il affirme que les motifs avancés par la Cour d'appel
illustrent une nouvelle fois le caractère politique de l'affaire.
5.7 Le 25 mars 1998, le tribunal municipal de Prague a rejeté le recours
que l'auteur avait formé contre la décision prise par le Bureau foncier
en 1996 de ne pas lui restituer ses biens, au motif qu'il ne satisfaisait
plus aux conditions supplémentaires introduites par l'amendement 30/1996.
Le 24 juillet 1998, l'auteur a fait appel de cette décision auprès de la
Cour constitutionnelle tchèque.
5.8 L'auteur affirme également que, même si la Cour constitutionnelle statuait
en sa faveur, l'affaire serait de nouveau renvoyée devant l'organe de première
instance (le Bureau foncier), entraînant encore une fois des retards considérables
et ouvrant la voie à de nouvelles interventions politiques. D'après l'auteur,
la procédure pourrait aisément prendre plus de cinq ans. Il estime que ce
délai est inadmissible, notamment vu son âge.
5.9 Compte tenu des éléments ci-dessus, l'auteur rappelle les principaux
éléments de l'affaire. Le contrat de restitution qu'il a conclu a reçu l'aval
du Bureau foncier le 10 mars 1993, et l'appel contre la décision du Bureau
foncier a été rejeté par le Bureau foncier central le 30 juillet 1993, à
la suite de quoi la restitution a suivi son cours conformément à la loi
243/1992. Ce n'est que le 25 novembre 1995, soit plus de deux ans après
que l'auteur fut rentré en possession de ses terres, que le Ministère de
l'agriculture a annulé la décision du Bureau foncier, au motif que celui-ci
n'avait pas vérifié comme il fallait si l'auteur avait effectivement eu
la qualité de résident permanent. Il ressort des jugements prononcés par
le tribunal dans cette affaire qu'à l'époque de la décision du Ministère,
on s'attendait à ce que la Cour constitutionnelle déclare l'obligation de
résidence inconstitutionnelle (ce qu'elle avait effectivement fait le 12
décembre 1995, soit moins d'un mois après la décision du Ministère). Après
l'introduction, par la loi 30/1996 du 9 février 1996, d'un amendement à
la loi 243/1992 qui faisait de la possession ininterrompue de la nationalité
tchèque une condition d'application indispensable, le Bureau foncier a revu
la légalité de l'acte de restitution dont a bénéficié l'auteur et, en application
de la nouvelle loi, a annulé l'acte le 3 mars 1996. Aux dires de l'État
partie, les deux recours formés par l'auteur ont subi des retards dans un
cas parce que le Ministère n'était pas en mesure de communiquer les documents
demandés par le tribunal, et dans l'autre parce que la Cour d'appel doit
instruire de très nombreuses affaires.
Considérations relatives à la recevabilité
6.1 Avant d'examiner toute plainte figurant dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 À sa soixante-cinquième session en mars 1999, le Comité a examiné la
question de la recevabilité de la communication. Il a pris note de l'objection
présentée par l'État partie quant à la recevabilité de la communication
au motif que l'auteur n'avait pas épuisé tous les recours internes. Il constate
toutefois qu'en août 1997, la Cour d'appel a débouté l'auteur du recours
formé contre la décision du Ministère, et que le 25 mars 1998, le tribunal
municipal de Prague a rejeté le recours présenté contre la décision du Bureau
foncier de 1996. Le texte des décisions de ces deux tribunaux montre qu'il
n'existe aucun autre recours, ce qui a pour effet d'empêcher l'auteur de
tenter d'établir la validité de l'accord de restitution de 1992 et de le
faire avaliser.
6.3 L'auteur a dans l'intervalle déposé une plainte constitutionnelle relative
à la décision du tribunal municipal de Prague selon laquelle l'obligation
de possession ininterrompue de la nationalité tchèque était une condition
légitime. Le Comité note qu'en l'espèce, la Cour constitutionnelle s'est
déjà prononcée sur la constitutionnalité de la loi 243/1992. De l'avis du
Comité et compte tenu de l'historique de l'affaire, un recours en inconstitutionnalité
ne donnerait pas à l'auteur une chance suffisante d'obtenir réparation et
ne constituerait donc pas un recours utile que l'auteur devrait épuiser
aux fins de l'article 5, paragraphe 2 b) du Protocole facultatif.
6.4 Au vu des circonstances, le Comité a également noté l'argument de l'auteur
selon lequel, s'il déposait un recours en inconstitutionnalité et à supposer
que celui-ci aboutisse, l'affaire serait renvoyée devant les tribunaux et
une solution n'interviendrait pas avant cinq ans. Eu égard à cette situation
et compte tenu des retards qui ont marqué la procédure du fait de l'État
partie, des nouveaux retards qui seraient susceptibles de se produire et
de l'âge avancé de l'auteur, le Comité juge excessifs les retards accumulés
dans les procédures de recours interne.
7. Le 19 mars 1999, le Comité a déclaré la communication recevable dans
la mesure où elle semble soulever des questions au titre de l'article 14,
paragraphe 1, et de l'article 26 du Pacte.
Examen quant au fond
8.1 Conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif,
le Comité examine le fond de l'affaire à la lumière des informations fournies
par les parties. Il constate que, s'il a reçu suffisamment d'informations
de la part de l'auteur et de son épouse, l'État partie ne lui a fourni aucun
renseignement supplémentaire quant au fond après avoir été informé de la
recevabilité de la communication, et cela malgré deux rappels. Le Comité
rappelle qu'aux termes du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif,
un État partie est tenu de coopérer avec lui en lui soumettant par écrit
des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant,
le cas échéant, les mesures qu'il pourrait avoir prises pour remédier à
la situation.
8.2 Le Comité a pris note des griefs de l'auteur, qui affirme que l'État
partie a commis une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte à
cause de l'ingérence que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif auraient
faite dans la procédure judiciaire, en particulier avec la lettre du Premier
Ministre en date du 29 avril 1993, et à cause de l'adoption d'un texte législatif
rétroactif visant à retirer à l'auteur des droits déjà acquis en vertu d'une
loi tchèque antérieure et des décisions du Bureau foncier de Semily. En
ce qui concerne l'adoption d'un texte de loi rétroactif, le Comité relève
que, si la plainte dénonce un élément d'arbitraire et une violation consécutive
de l'article 26, on ne voit pas clairement en quoi la promulgation de la
loi n 30/1996 soulève une question au regard du paragraphe 1 de l'article
14 du Pacte. Pour ce qui est de la lettre du Premier Ministre, le Comité
note qu'il s'agissait d'une pièce du dossier administratif concernant les
biens de l'auteur qui avait été présenté au tribunal et que rien n'indique
que la lettre ait été utilisée aux fins de la procédure judiciaire ni de
quelle manière. En l'absence de plus amples renseignements, le Comité est
d'avis que la simple présence de la lettre dans le dossier ne suffit pas
à étayer une conclusion de violation du paragraphe 1 de l'article 14 du
Pacte.
8.3 En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 26 du Pacte,
le Comité relève tout d'abord que dans la loi n 243/1992 la nationalité
figurait déjà parmi les conditions à réunir pour obtenir la restitution
des biens et que la loi portant modfication – la loi n 30/1996 –
a ajouté avec effet rétroactif une condition plus rigoureuse en exigeant
la possession ininterrompue de la nationalité. Le Comité note en outre que
la nouvelle loi a pour effet d'empêcher l'auteur et toute autre personne
dans la même situation de récupérer leurs biens alors qu'ils auraient autrement
rempli les conditions pour prétendre à la restitution. Il y a là un élément
d'arbitraire qui entraîne une atteinte au droit à l'égalité devant la loi,
à l'égale protection de la loi et à la non-discrimination, consacré à l'article
26 du Pacte.
8.4 Le Comité rappelle ses constatations dans les affaires ns 516/1993 (Simunek
et consorts), 586/1994 (Joseph Adam) et 857/1999 (Blazek et
consorts), où il a conclu que l'introduction dans la loi d'un critère
de nationalité en tant que condition nécessaire pour obtenir la restitution
d'un bien confisqué par les autorités établit une distinction arbitraire
et par conséquent discriminatoire entre des individus qui sont tous également
victimes des confiscations antérieures et constitue une violation du Pacte.
Cette violation est encore accentuée par l'application rétroactive de la
loi contestée.
9.1 Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif, estime que l'État partie a commis une
violation de l'article 26 du Pacte, lu conjointement avec l'article 2.
9.2 En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est
tenu d'assurer à l'épouse de l'auteur, Mme Johanna Kammerlander, une réparation
effective, qui doit prendre la forme d'une restitution dans les meilleurs
délais et d'une indemnisation pour ce bien et, de plus, d'une indemnisation
appropriée, compte tenu du fait que l'auteur et son épouse survivante ont
été privés de la jouissance de leur bien depuis que sa restitution a été
révoquée en 1995. L'État partie devrait revoir sa législation et ses pratiques
administratives afin de s'assurer que toutes les personnes sont égales devant
la loi et ont droit à une égale protection de la loi.
9.3 Le Comité rappelle qu'en adhérant au Protocole facultatif, la République
tchèque a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y
avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 de
celui-ci, elle s'est engagée à garantir à tous les individus se trouvant
sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans
le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation
a été établie. Le Comité engage en outre l'État partie à mettre en place
des procédures pour veiller à l'application des constatations adoptées en
vertu du Protocole facultatif.
9.4 Aussi le Comité souhaite-t-il recevoir de l'État partie, dans les 90
jours suivant la transmission des présentes constatations, des informations
sur les mesures qu'il aura prises pour leur donner suite. L'État partie
est également prié de rendre publiques les constatations.
_____________________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal
Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin,
M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer
Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley,
M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen et M. Maxwell
Yalden.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport que le Comité
présente à l'Assemblée générale.]
Notes
1. La République fédérative tchèque et slovaque a cessé d'exister le 31 décembre
1992. Le 22 février 1993, la nouvelle République tchèque a notifié sa succession
au Pacte et au Protocole facultatif.