Comité des droits de l'homme
Soixante-deuxième session
23 mars - 9 avril 1998
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques*
- Soixante-deuxième session -
Communication No 749/1997**
Présentée par : Deon McTaggart (représenté par M. David Stewart
du cabinet d'avocats SJ Berwin & Co.)
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Jamaïque
Date de la communication : 10 avril 1997 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 mars 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 749/1997, présentée
au Comité par M. Deon McTaggart en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Deon McTaggart, citoyen jamaïcain
en attente d'exécution à la prison du district de St. Catherine. Il se
déclare victime de violations par la Jamaïque des articles 6, 7, 9, 10
et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Il est représenté par M. David Stewart, du cabinet d'avocats SJ Berwin
& Co. (Londres).
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Arrêté par la police le 26 mars 1993 ou vers cette date, Deon McTaggart
a été conduit dans un lieu inconnu, où il a été assommé par les coups
administrés par les agents, qui lui ont causé plusieurs blessures, dont
un déboîtement de la clavicule. On lui aurait dit qu'un certain M. Davy
voulait le voir. Il semble que, lors des élections de 1991, l'auteur ait
dénoncé à la police le meurtre d'un certain M. Kerr commis par les hommes
de M. Davy.
2.2 Ayant repris connaissance dans la nuit, l'auteur a réussi à s'échapper.
Sa famille l'a réinstallé à St. Elizabeth, dans le comté d'Aberdeen, où
il a reçu des soins médicaux. Il y a séjourné jusqu'en juillet 1993, date
à laquelle il a quitté la Jamaïque.
2.3 Sa demande d'asile politique au Canada ayant été rejetée, M. McTaggart
a été renvoyé à la Jamaïque le 18 avril 1994, il a été arrêté à l'aéroport
et placé en détention provisoire en attendant l'ouverture de son procès.
Il a été reconnu coupable du meurtre d'un certain Errol Cann et condamné
à la peine capitale le 12 avril 1995. Le 31 juillet 1996, la Cour d'appel
de la Jamaïque lui a refusé l'autorisation de faire appel du verdict et
de la peine. La section judiciaire du Conseil privé a, le 20 mars 1997,
rejeté sa demande d'autorisation spéciale de recours.
2.4 Au procès, l'accusation a soutenu que, le 11 juin 1993, Deon McTaggart
et plusieurs autres individus avaient abattu Errol Cann dans une embuscade
à St. Catherine (Spanish Town), alors qu'il se rendait en voiture à la
banque pour déposer le produit de la vente de son commerce.
2.5 L'accusation a appelé plusieurs témoins, dont une certaine Dorothy
Shim, qui était au volant de la voiture lorsque celle-ci a essuyé des
tirs. Sans avoir pu identifier les assaillants, elle a cependant déclaré
qu'elle avait dû ralentir puis s'arrêter parce qu'elle avait vu un petit
garçon pousser une charrette sur la route. C'est lorsque la voiture s'est
arrêtée que Errol Cann a été atteint par le tir de ce qui a été décrit
comme un fusil à pompe. Un autre individu s'était agrippé à la voiture
et était tombé lorsqu'elle avait accéléré pour aller à l'hôpital.
2.6 Dans sa déposition, David Morris, âgé de 14 ans, a déclaré qu'il
connaissait l'auteur depuis quatre ans, sous le sobriquet de "German".
Le 10 juin 1993, celui-ci et deux autres individus l'avaient enlevé, menaçant
de le tuer parce que sa mère était un indicateur de police. Le lendemain,
ils l'avaient conduit à Market Street et l'avaient forcé à pousser une
charrette au milieu de la route, après quoi ils lui avaient dit de partir.
Morris a déclaré qu'il s'était caché non loin de là et avait tout vu.
Une voiture était arrivée à hauteur de la charrette et avait dû s'arrêter.
L'un des assaillants avait sorti un fusil à pompe d'un sac en papier,
s'était approché de la voiture, côté passager, et avait tiré sur la victime.
Le chauffeur de la voiture avait accéléré, l'auteur avait sauté sur le
capot mais était tombé sous l'effet de l'accélération.
2.7 L'accusation s'est en outre appuyée sur des expertises médicales
indiquant que la victime avait succombé à des blessures multiples causées
par les balles reçues dans la poitrine.
2.8 Dans une déclaration faite à deux fonctionnaires de police jamaïcains
alors qu'il était détenu au West Detention Centre de Toronto, et qui a
été produite comme preuve au procès, Deon McTaggart a reconnu le sobriquet
de "German".
2.9 Au procès, M. McTaggart a déclaré, sans prêter serment, qu'il n'était
pas dans le secteur au moment du crime et a nié qu'il était connu sous
le sobriquet de "German".
Teneur de la plainte
3.1 Le 18 avril 1994, l'auteur a été renvoyé du Canada et a été arrêté
à son arrivée à la Jamaïque. Il a comparu devant la Gun Court le 26 avril
1994. Son conseil affirme qu'il a été informé des charges retenues contre
lui pour la première fois le 11 mai seulement, date à laquelle il a comparu
devant la Home Circuit Court, ayant été d'abord traduit de nouveau devant
la Gun Court / Dans le questionnaire que l'auteur a rempli
à l'intention du conseil de Londres, il indique qu'il a vu un avocat la
semaine même de son arrestation, quand il est revenu à la Jamaïque./,
ce qui constituerait une violation du paragraphe 2 de l'article 9 du Pacte.
3.2 L'auteur a été arrêté le 18 avril 1994 et jugé le 28 mars 1995. Cet
intervalle de 12 mois entre son arrestation et l'ouverture de son procès
et le refus de lui accorder la libération sous caution équivaudraient
à un délai déraisonnable et excessif en violation des articles 9, paragraphe
3, et 14, paragraphe 3 a).
3.3 D'après le conseil, l'auteur n'a été représenté à l'audience préliminaire.
L'avocat défenseur aurait eu seulement deux entretiens de 20 minutes chacun
avec l'auteur avant le procès. En outre l'avocat n'aurait pas sollicité
la suspension de l'audience afin de s'entretenir avec l'auteur des dépositions
de témoins à charge produites pour la première fois au procès. Le conseil
affirme par ailleurs que, bien que l'auteur le lui ait demandé, son avocat
ne s'était pas rendu sur le lieu du crime. N'ayant pas été représenté
valablement, l'auteur n'a pas disposé du temps et des facilités nécessaires
pour préparer sa défense, en violation des paragraphes 1 et 3 b) et d)
de l'article 14.
3.4 Le conseil fait valoir que l'auteur n'a pas bénéficié d'un procès
équitable dans la mesure où son affaire avait été fortement médiatisée
au point que les journaux en avaient parlé jusqu'au Canada, où l'auteur
se trouvait dans un centre de détention en attendant qu'il soit statué
sur sa demande d'asile politique. Le conseil fait valoir que le principe
de la présomption d'innocence a été également violé car la couverture
médiatique aurait influencé les jurés / La couverture médiatique dont
le conseil fait état consiste uniquement dans l'information parue au Canada,
lorsque l'auteur avait été arrêté à son arrivée à Toronto pour port de
faux documents. Le conseil indique dans une autre lettre qu'il a entrepris
de rassembler des éléments de preuve de la couverture médiatique du procès
à la Jamaïque, mais n'a soumis aucune pièce au Comité./, rendant ainsi
un procès équitable impossible.
3.5 Le conseil fait valoir en outre que l'auteur n'a pas eu un procès
équitable car l'identification était douteuse; en effet le 11 mai 1994
il a été conduit à la Gun Court alors qu'à l'origine il devait
se rendre à la Circuit Court, et il a été installé dans une petite
pièce réservée à la police et a été désigné par le jeune témoin, Morris.
D'après le conseil, c'est la police qui a montré l'auteur au témoin avant
que celui-ci ne déclare le reconnaître, ce qui constituerait une violation
du droit garanti au paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte.
3.6 D'après le conseil, les irrégularités du procès, les indications
erronées données par le juge au jury en ce qui concerne la question de
l'intention commune et l'absence de bonnes indications au sujet des preuves
faisaient que le procès avait été inéquitable. Le conseil évoque plus
particulièrement les instructions données par le juge au jury en ce qui
concerne la façon dont une identification obtenue par confrontation doit
être interprétée. A ce sujet, le conseil évoque le témoignage du jeune
Morris qui connaissait l'auteur depuis quatre ans, alors que dans son
exposé final, le juge avait dit qu'ils se connaissaient depuis quatre
mois. Cette inexactitude représenterait une violation du paragraphe 1
de l'article 14. Le conseil affirme en outre que le témoignage de Morris
ne pouvait pas être véridique puisqu'il se trouvait à l'époque dans un
établissement de redressement et que l'auteur était en prison. Il affirme
en outre que prononcer la peine de mort sur la base d'une condamnation
douteuse constitue une violation de l'article 6 du Pacte.
3.7 D'après le conseil, en ne citant pas le père de l'auteur comme témoin,
l'avocat a commis une faute qui constitue une violation du paragraphe
3 e) de l'article 14 du Pacte.
3.8 Le conseil indique qu'en 1993 l'auteur a été blessé, que sa clavicule
déboîtée n'a jamais été remise en place et qu'il n'a jamais reçu de soins
médicaux. Ses conditions d'incarcération avant le procès étaient très
mauvaises; il partageait avec plusieurs autres détenus une cellule sans
tinette; d'après le conseil, il y aurait là violation du paragraphe 1
de l'article 10 du Pacte.
3.9 Pendant sa détention avant jugement, l'auteur partageait une cellule
avec des prisonniers de toutes catégories et, comme il n'était pas séparé
des prisonniers condamnés pendant la détention avant jugement, le conseil
fait valoir qu'il y a eu violation du paragraphe 2 de l'article 10 du
Pacte.
3.10 Le conseil affirme en outre que les conditions carcérales à la prison
du district de St. Catherine constituent une violation de l'article 7
et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte. Depuis sa condamnation, l'auteur
est incarcéré dans une cellule d'isolement, pourvue uniquement d'un matelas
en mousse et d'une tinette qu'il a le droit de vider deux fois par jour
seulement. Ses visiteurs sont parfois renvoyés et quand ils sont autorisés
à le voir, ils ne peuvent rester que très peu de temps. Le 4 mars 1997,
l'auteur et plusieurs autres condamnés à mort ont été passés à tabac par
les gardiens et cinq détenus, dont l'auteur, ont été jetés dans une cellule.
Les gardiens ont brûlé les effets personnels de l'auteur, parmi lesquels
se trouvaient des lettres de ses avocats, les comptes rendus d'audience
et une copie de sa requête auprès du Conseil privé. Ensuite, l'auteur
aurait été de nouveau roué de coups.
3.11 L'absence de tout programme de resocialisation pour les détenus,
en particulier les condamnés à mort, dans le système pénitentiaire jamaïcain
équivaudrait à une violation du paragraphe 3 de l'article 10 du Pacte.
Observations de l'Etat partie sur la recevabilité et le fond
4.1 Dans une lettre en date du 12 juin 1997, l'Etat partie indique qu'il
ne traitera pas de la question de la recevabilité de la communication
et passe à l'examen au fond de la plainte de l'auteur. En ce qui concerne
l'allégation de violation des paragraphes 1 et 2 de l'article 9, l'Etat
partie nie que l'auteur n'ait pas été officiellement informé des charges
portées contre lui. Il indique à ce propos que l'auteur a été interrogé
au Canada par un fonctionnaire de police jamaïcain dans le cadre de l'enquête
sur le meurtre d'Errol Cann, a été renvoyé à la Jamaïque et arrêté pour
ce meurtre; il a comparu devant un tribunal et a été placé en détention
provisoire pour la même infraction. L'Etat partie fait valoir qu'il est
donc inconcevable que l'auteur n'ait à aucun moment été formellement inculpé.
4.2 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle un intervalle de 12
mois entre l'arrestation et le procès constitue un retard excessif, l'Etat
rejette catégoriquement l'idée qu'une période de 12 mois pour juger un
individu puisse constituer une violation quelconque du paragraphe 3 de
l'article 9 et du paragraphe 3 a) de l'article 14.
4.3 Pour ce qui est de l'allégation d'iniquité du procès, en violation
du paragraphe 1 de l'article 14, en raison de la grande publicité qui
avait été faite à l'affaire avant le procès, l'Etat partie nie que cette
publicité ait été si importante qu'elle ait empêché un procès équitable.
4.4 En ce qui concerne le fait que l'auteur n'aurait pas été représenté
lors de l'enquête préliminaire, l'Etat partie affirme que la procédure
appliquée à l'auteur a été celle de la "mise en accusation directe"
par le directeur du ministère public et que selon cette procédure il n'y
a pas d'enquête préliminaire. L'auteur ne pouvait donc pas bénéficier
d'une représentation en justice. L'Etat partie précise qu'il s'agit d'une
procédure organisée par la loi jamaïcaine, qui ne constitue pas une violation
du Pacte.
4.5 Pour le reste des allégations de violation du paragraphe 1 de l'article
14, l'Etat partie estime qu'elles portent sur l'appréciation des faits
et des preuves et considère que, conformément à la jurisprudence du Comité
lui-même, il s'agit de questions qui doivent être laissées à l'appréciation
de la seule cour d'appel.
4.6 Pour ce qui est de l'allégation de violation du paragraphe 3 b) de
l'article 14 en raison du comportement du conseil commis au titre de l'aide
judiciaire et de la brièveté de ses entretiens avec l'auteur avant le
procès, l'Etat partie objecte que sa responsabilité se limite à assurer
à toute personne accusée d'une infraction pénale les services d'un avocat
qualifié et qu'il n'a pas à intervenir pour lui donner des indications
sur la ligne de défense à suivre; par conséquent, il ne peut pas être
tenu pour responsable des actes du conseil.
4.7 Pour ce qui est de l'allégation de violation du paragraphe 3 e) de
l'article 14, au motif que l'avocat défenseur n'avait pas cité un témoin
à décharge ni demandé une suspension d'audience afin de préparer le contre-interrogatoire
quand des preuves dont il n'avait jamais eu connaissance auparavant ont
été produites, l'Etat partie développe le même raisonnement que pour l'argument
précédent et rejette toute violation du Pacte.
4.8 Pour ce qui est des allégations de violation de l'article 7 et du
paragraphe 1 de l'article 10 relatives aux conditions de détention avant
et après la condamnation de l'auteur et plus particulièrement le fait
qu'il n'ait pas reçu de soins médicaux pour sa clavicule, l'Etat partie
rappelle que de son propre aveu l'auteur s'est blessé en 1993; il était
libre pendant une partie du temps puis avait été en détention au Canada,
jusqu'en avril 1994. L'Etat partie nie toute responsabilité pour l'absence,
si absence il y a eu, de soins médicaux pendant cette période. Pour ce
qui est des mauvais traitements infligés par les gardiens en mars 1997,
l'Etat partie s'est engagé à ouvrir une enquête / Au 6 avril
1998, l'Etat partie n'avait fait parvenir aucune information à ce sujet./.
4.9 En réponse à la plainte de l'auteur qui dénonce le fait que pendant
la détention avant jugement il n'était pas séparé des condamnés, en violation
du paragraphe 2 de l'article 10, l'Etat partie précise que l'auteur a
été d'abord retenu au poste de police central puis au pénitencier général
et qu'au poste de police il n'y a pas de condamnés; dans le pénitencier
général les condamnés sont séparés des prévenus. Il n'y a donc pas de
violation du Pacte.
5.1 Le conseil réitère chacune des allégations avancées dans la communication
initiale : procès inéquitable; incompétence du conseil qui n'a pas appelé
à la barre des témoins à décharge et qui a mal préparé la défense, publicité
excessive; retards excessifs; mauvais traitements avant et après la condamnation;
incarcération dans les mêmes locaux que les condamnés pendant la détention
provisoire. Le conseil souligne que l'Etat partie n'a pas répondu à plusieurs
des plaintes, en particulier en ce qui concerne les conditions de détention
dans le quartier des condamnés à mort, et qu'il s'est engagé à faire ouvrir
une enquête sur les passages à tabac dont l'auteur aurait été victime
mais n'a toujours pas fourni d'informations.
5.2 Le conseil fait valoir en outre qu'en ce qui concerne l'incarcération
dans les mêmes locaux que les condamnés l'Etat partie a simplement informé
le Comité d'une disposition du droit, sans s'intéresser à la situation
précise de l'auteur qui était justement une exception à la règle.
Considérations relatives à la recevabilité et examen quant au fond
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur qui affirme ne pas avoir
été valablement représenté au procès par l'avocat commis au titre de l'aide
judiciaire puisqu'il ne l'a vu que brièvement avant le procès, ne s'est
pas rendu sur les lieux du crime alors que l'auteur le lui avait demandé
et n'a pas appelé à la barre un témoin à décharge, en violation des paragraphes
3 b) et 3 e) de l'article 14 du Pacte, le Comité rappelle sa jurisprudence
et réaffirme qu'il ne lui appartient pas de mettre en doute le jugement
professionnel d'un conseil sauf s'il était clair ou aurait dû être clair
pour le juge que le comportement de l'avocat était contraire aux intérêts
de la justice. Dans le cas d'espèce, rien ne permet de croire que le conseil
a agi selon d'autres critères que son jugement professionnel. Le Comité
considère que, sur ce point de la communication, l'auteur n'est pas fondé
à invoquer l'article 2 du Protocole facultatif.
6.3 Pour ce qui est des autres allégations de l'auteur relatives aux
irrégularités de la procédure, aux instructions données au jury par le
juge sur la question de l'interprétation des preuves fondées exclusivement
sur l'identification à la suite de la confrontation et sur le crédit à
accorder au témoignage d'un témoin, le Comité réaffirme que si l'article
14 garantit le droit à un procès équitable, il appartient généralement
aux juridictions des Etats parties au Pacte d'apprécier les faits et les
éléments de preuve dans un cas d'espèce de même c'est aux juridictions
d'appel et non pas au Comité qu'il appartient d'examiner les instructions
données au jury par le juge ou la conduite du procès, sauf s'il peut être
établi que les instructions du juge aux jurés étaient arbitraires ou ont
représenté un déni de justice ou que le juge a manifestement manqué à
son obligation d'impartialité. Les allégations de l'auteur et les comptes
rendus d'audience portés à la connaissance du Comité ne montrent pas que
le procès de M. McTaggart ait été entaché de telles irrégularités. En
particulier, il n'est pas évident que les instructions du juge sur l'interprétation
à donner au témoignage de Morris qui avait identifié l'auteur à l'issue
d'une confrontation étaient incompatibles avec l'obligation d'impartialité
qui incombe au juge. En conséquence, cette partie de la communication,
étant incompatible avec les dispositions du Pacte, est irrecevable conformément
à l'article 3 du Protocole facultatif.
6.4 Le Comité considère que, aux fins de la recevabilité, l'auteur n'a
pas apporté la preuve qu'il avait été victime d'une violation du paragraphe
3 de l'article 10. Cette partie de la communication est donc irrecevable
en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.5 Le Comité note qu'avec le rejet de sa demande d'autorisation spéciale
de former recours par la section judiciaire du Conseil privé en janvier
1997, l'auteur a épuisé les recours internes aux fins du Protocole facultatif.
Dans ces circonstances, il considère qu'il convient de procéder à l'examen
de l'affaire quant au fond. Dans ce contexte, il note que l'Etat partie
a préféré ne pas traiter de la question de la recevabilité de la plainte
et a fait des observations sur le fond. Le Comité rappelle qu'en vertu
du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif l'Etat partie a
six mois pour soumettre par écrit des explications ou déclarations sur
le fond d'une communication. Il réaffirme que ce délai peut être réduit,
dans l'intérêt de la justice, si l'Etat partie le souhaite /
Voir constatations relatives à la communication No 606/1994 (Clement
Francis c. Jamaïque), adoptées le 25 juillet 1995, par. 7.4./.
Le Comité note en outre que le conseil de l'auteur accepte que l'affaire
soit examinée sur le fond à ce stade.
7. En conséquence, le Comité déclare le reste de la communication recevable
et procède sans plus tarder à l'examen de ces allégations sur le fond,
à la lumière de toutes les informations portées à sa connaissance par
les parties, selon les dispositions du paragraphe 1 de l'article 5 du
Protocole facultatif.
8.1 En vertu du paragraphe 2 de l'article 9 du Pacte tout individu arrêté
doit être informé des raisons de son arrestation et recevoir notification
dans le plus court délai de toute accusation portée contre lui. M. McTaggart
affirme n'avoir été informé des accusations portées contre lui que quand
il a été présenté devant la Circuit Court, le 11 mai 1995, et que
c'était la première fois qu'il entendait les motifs de son arrestation.
Le Comité relève dans les documents que le conseil de l'auteur a portés
à sa connaissance que M. McTaggart a vu un avocat la semaine même de son
arrestation; il est donc fortement improbable que ni l'auteur ni son conseil
jamaïcain n'ait été au courant des motifs de l'arrestation. Dans ces circonstances
et à la lumière des informations dont il est saisi, le Comité conclut
qu'il n'y a pas eu violation du paragraphe 2 de l'article 9.
8.2 En ce qui concerne la longueur excessive de la procédure, le Comité
note qu'il s'est écoulé 12 mois entre l'arrestation de l'auteur après
son retour du Canada et son procès. S'il est vrai qu'un tel laps de temps
entre l'arrestation et le procès dans une affaire où l'accusé risque la
peine capitale n'est peut-être pas souhaitable, les éléments dont il est
saisi ne permettent pas au Comité de conclure à une violation du paragraphe
3 de l'article 9 et du paragraphe 3 a) de l'article 14.
8.3 En ce qui concerne le fait que l'auteur n'aurait pas été représenté
à l'enquête préliminaire, en violation du paragraphe 3 d) de l'article
14, le Comité note que l'auteur a été traduit devant un tribunal pour
être jugé pour meurtre par un juge et un jury, selon une procédure régulièrement
organisée par le système judiciaire jamaïcain. Il a été reconnu coupable
par le jury, qui a entendu et a apprécié les preuves portées contre lui,
et la cour d'appel s'est prononcée. Le fait qu'à son retour à la Jamaïque
il ait fait l'objet de la procédure dite de "mise en accusation directe",
après que l'enquête préliminaire eut déjà eu lieu pour ses coïnculpés,
selon une procédure bien établie, ne signifie pas nécessairement que le
procès ait été inéquitable. De plus, la question n'a jamais été soulevée
devant les tribunaux, ni au moment du jugement ni en appel. Par conséquent,
à la lumière des éléments dont il est saisi, le Comité conclut qu'il n'y
a pas eu violation du Pacte à cet égard.
8.4 L'auteur s'est plaint de ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable
à cause de la grande publicité dont l'affaire avait fait l'objet dans
la presse et qui aurait même gagné le Canada. Le Comité note qu'il ressort
des documents portés à sa connaissance que la publicité donnée à cette
affaire au Canada émanait du Canada, puisque les articles de presse portent
principalement sur l'arrestation à l'aéroport de Toronto de l'auteur pour
avoir tenté d'entrer dans le pays avec des faux documents. Le conseil
n'a adressé au Comité aucun article de journaux jamaïcains. Dans les circonstances
de l'affaire, et en ce qui concerne les effets possibles de la publicité
médiatique, le Comité estime qu'il n'y a eu aucune violation du paragraphe
1 de l'article 14 du Pacte.
8.5 L'auteur a dénoncé les très mauvaises conditions de détention avant
le jugement, indiquant qu'il partageait avec d'autres détenus une cellule
dépourvue de tinette. L'Etat partie n'a pas répondu à cette allégation,
sauf en termes très généraux. En conséquence, le Comité considère que
les droits de toute personne en détention consacrés au paragraphe 1 de
l'article 10 ont été violés.
8.6 En ce qui concerne les conditions de détention à la prison du district
de St. Catherine, le Comité note que l'auteur a dénoncé des faits précis,
faisant état des conditions déplorables dans lesquelles il est détenu.
Il dit qu'il est dans une cellule d'isolement, avec un matelas en mousse
et une tinette qu'il n'a le droit de vider que deux fois par jour. Les
visiteurs qui viennent le voir sont régulièrement renvoyés et, quand ils
sont autorisés à lui parler, ne peuvent le faire que très brièvement.
L'Etat partie n'a réfuté aucune de ces allégations précises. Dans ces
circonstances, le Comité conclut que maintenir l'auteur incarcéré dans
de telles conditions constitue une violation du paragraphe 1 de l'article
10 du Pacte.
8.7 L'auteur a affirmé que le 4 mars 1997 lui-même et d'autres condamnés
à mort ont été roués de coups par les gardiens et que cinq hommes, dont
lui-même, ont été jetés dans une cellule. Plus tard, les gardiens ont
brûlé ses affaires personnelles qui comprenaient des lettres de ses avocats,
les comptes rendus d'audience et une copie de sa requête auprès du Conseil
privé. Le Comité note que l'Etat partie s'est engagé à faire ouvrir une
enquête sur la question. Il considère que, en l'absence de la moindre
information de la part de l'Etat partie, les faits décrits par l'auteur
constituent un traitement prohibé par l'article 7 du Pacte, et représentent
de même une violation de l'obligation faite au paragraphe 1 de l'article
10 du Pacte de traiter les prisonniers avec humanité et dans le respect
de la dignité inhérente à l'être humain.
8.8 L'auteur a indiqué que pendant la détention provisoire il partageait
une cellule avec des prisonniers de toutes catégories, et n'était pas
séparé des condamnés. Le Comité note que l'Etat partie a répondu que la
législation jamaïcaine imposait la séparation des personnes en attente
de jugement des condamnés. L'Etat partie a expliqué que l'auteur avait
été détenu au poste de police central puis au pénitencier général, où
les condamnés sont séparés des prévenus. A la lumière des renseignements
qui lui ont été fournis, le Comité conclut que l'auteur n'a pas étayé
son allégation et qu'il n'y a donc pas eu violation du paragraphe 2 de
l'article 10 du Pacte.
9. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont
il est saisi font apparaître une violation de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte.
10. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'auteur a droit
à une réparation utile sous la forme d'une indemnisation. Le Comité prie
instamment l'Etat partie de prendre des mesures efficaces pour faire ouvrir
une enquête officielle sur les allégations de mauvais traitements infligés
par les gardiens et, le cas échéant, pour identifier les responsables
et les réprimer comme il convient, et pour veiller à ce que des violations
analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.
11. En adhérant au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu que le
Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation
du Pacte. La communication a été soumise à l'examen du Comité avant que
la dénonciation du Protocole facultatif par la Jamaïque n'ait pris effet,
le 23 janvier 1998; conformément au paragraphe 2 de l'article 12 du Protocole
facultatif, les dispositions du Protocole facultatif continuent de lui
être applicables. Conformément à l'article 2 du Pacte, l'Etat partie s'est
engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire
et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie. Le
Comité souhaite recevoir de l'Etat partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
____________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de
la communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati, M.
Thomas Buergenthal, Mme Christine Chanet, Lord Colville, M. Omar El Shafei,
Mme Elizabeth Evatt, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer
Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Martin Scheinin
et M. Maxwell Yalden.
** Le texte d'une opinion individuelle signée par un membre du Comité
est joint en annexe aux présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle (en partie dissidente) de M. Scheinin
Ma position diffère de celle du Comité, telle qu'elle apparaît dans ses
constatations, sur deux points importants. L'une des questions porte sur
le fond de l'affaire : j'estime qu'il y a eu d'autres violations du Pacte
que celles que le Comité a constatées. La deuxième question porte sur
l'obligation de l'Etat partie d'assurer une réparation utile à l'auteur.
Sur ce deuxième point, il faut voir dans mon opinion individuelle une
clarification de ma position plus qu'un désaccord.
Violation des articles 9 et 14
En vertu du paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité
examine une communication en tenant compte de toutes les informations
écrites qui lui sont soumises par le particulier et par l'Etat partie
intéressé. Comme dans de nombreuses autres affaires jamaïcaines de condamnation
à mort, le conseil de l'auteur a adressé au Comité une argumentation détaillée
et abondante de documents, notamment les pièces du procès. De son côté,
l'Etat partie a envoyé une lettre de trois pages et demie portant à la
fois sur la question de la recevabilité et du fond, "dans l'espoir
d'en accélérer l'examen". Dans cette lettre, l'Etat partie ne répond
pas à tous les griefs de l'auteur et, sur certains points, il énonce des
considérations générales sur les éléments soumis au nom de l'auteur sans
apporter la moindre preuve. Par exemple, quand le conseil de l'auteur
a utilisé, manifestement à tort, le terme d'"extradition" pour
parler de l'expulsion du Canada, l'Etat partie affirme qu'il serait "inconcevable"
que l'auteur, au moment de l'extradition, n'ait pas été informé des accusations
portées contre lui, conformément à l'article 9 du Pacte.
L'attitude de l'Etat partie place le Comité dans la situation où il est
obligé de choisir entre conclure à des violations du Pacte en se fondant
sur les allégations de l'auteur présentées par le conseil et auxquelles
l'Etat partie n'a pas véritablement répondu, et examiner l'abondante documentation
soumise au nom de l'auteur afin de faire une enquête autonome sur le fond
de chacune des allégations. Aucune des deux propositions n'est possible
et elles comportent un risque d'erreurs qui, s'agissant d'une affaire
de condamnation à mort, peuvent être fatales au sens propre du terme.
La seule autre possibilité serait de demander aux parties des renseignements
et des éclaircissements supplémentaires, option que le Comité ne souhaite
pas retenir, en raison de ses ressources extrêmement limitées et de l'objectif,
parfaitement justifié, de traiter rapidement des affaires de condamnation
à mort.
Je tire des faits de l'affaire des conclusions différentes à deux égards
des conclusions du Comité et je constate deux violations supplémentaires
du Pacte.
i) D'après le conseil, l'auteur a été interrogé au Canada au sujet de
plusieurs crimes commis à la Jamaïque. Immédiatement après son expulsion
vers la Jamaïque, appelée à tort "extradition" par le conseil
et par l'Etat partie, l'auteur a été placé en garde à vue. Environ trois
semaines plus tard seulement, le 11 mai 1994, il a été informé des charges
précises portées contre lui. L'Etat partie n'a pas répondu de façon satisfaisante
à ces allégations, car il s'appuie sur des suppositions faites à partir
de la notion d'extradition. A la lumière de tous les renseignements écrits
portés à la connaissance du Comité par l'auteur et par l'Etat partie,
je conclus qu'il y a bien eu violation du paragraphe 2 de l'article 9
du Pacte.
ii) Mon analyse des violations supposées de l'article 14 (droit à un
procès équitable) repose en partie sur la conclusion ci-dessus. Si l'auteur
a été une première fois interrogé au sujet de plusieurs crimes et si,
avant d'être inculpé du meurtre d'Errol Cann, il a été placé en garde
à vue pendant plusieurs semaines sans avoir accès à un avocat, on ne peut
que douter de la conformité du procès qui a eu lieu ensuite avec les garanties
judiciaires, en particulier dans une affaire où l'accusé risque la peine
de mort. La relation des circonstances du meurtre d'Errol Cann présentée
aux paragraphes 2.4 à 2.6 des constatations du Comité en dit malheureusement
long sur la nature du procès. Au paragraphe 2.5, le Comité évoque le témoignage
de Mme Dorothy Shim qui conduisait la voiture dans laquelle Errol Cann
a été abattu. D'après le Comité, le témoin avait dû s'arrêter "parce
qu'elle avait vu un petit garçon pousser une charrette sur la route".
Au paragraphe 2.6, le Comité évoque le témoignage d'un certain David Morris
qui, au moment du crime, venait d'avoir 13 ans et qui est appelé "un
petit garçon" plusieurs fois dans les documents émanant du conseil
de l'auteur. D'après la relation faite par le Comité, Morris aurait témoigné
que l'auteur et d'autres hommes l'avait enlevé la veille au soir puis,
sur les lieux du crime, l'avait obligé à pousser une charrette au milieu
de la route.
Ce récit semble cohérent mais n'est qu'une reconstitution de ce qui peut
s'être produit sur les lieux du crime. Etant donné que l'auteur n'a été
reconnu comme étant l'un des agresseurs que par le seul David Morris,
la réalité de sa participation dans le meurtre ne dépend pas de la question
de la cohérence de la relation des événements. Le problème toutefois est
que, si le récit présenté au paragraphe 2.6 des constatations du Comité
avait été l'histoire racontée par David Morris, cela l'aurait impliqué
dans le crime. Outre que David Morris aurait risqué lui-même des mesures
répressives, cela aurait en outre jeté des doutes sur la fiabilité de
David Morris qui a identifié non pas seulement deux ou trois hommes, mais
les six comme étant les agresseurs. Il faut noter que quatre des
six hommes n'ont pas été reconnus coupables, l'un à la suite de l'abandon
des poursuites par l'accusation, deux par le jury et un dernier en appel.
L'auteur a été le seul des six à être condamné à mort, alors que personne
n'a affirmé que c'est lui qui avait tiré la balle mortelle en direction
d'Errol Cann. De plus, les cinq autres défendeurs avaient été reconnus
par David Morris lors de séances d'identification, dont certaines ont
par la suite été qualifiées de sujettes à caution. En revanche aucune
séance d'identification n'a été organisée pour l'auteur car David Morris,
d'après son propre témoignage, le connaissait personnellement (par. 3.5
et 3.6 des constatations). D'après l'auteur, et cela n'a pas été contesté
par l'Etat partie, David Morris avait reconnu l'auteur comme l'un des
agresseurs le 11 mai 1994, soit 11 mois après le meurtre, avec l'aide
de la police et précisément le jour où l'auteur était enfin informé des
charges portées contre lui. L'auteur, lui, a dit qu'il ne connaissait
pas David Morris. Les déclarations faites par David Morris à la police
peu de temps après le meurtre, qui contenaient probablement des informations
sur l'identité des agresseurs si à ce moment-là Morris les connaissait,
n'ont jamais été produites devant les tribunaux, ni devant le Comité par
l'Etat partie.
Le témoignage de David Morris, tel qu'il est transcrit dans les comptes
rendus d'audience, était le suivant : il avait été enlevé par un groupe
d'hommes le 10 juin 1993, il était resté entre leurs mains toute la nuit
et le lendemain il avait été conduit sur le lieu du crime. Il avait été
relâché et pouvait donc librement, sans être impliqué dans le crime, assister
au meurtre d'Errol Cann, puis quitter les lieux. Il me semble évident
que le témoignage de David Morris n'est pas fiable et que le Comité n'aurait
pas dû modifier la relation des faits pour que le dossier de l'accusation
soit plus cohérent. Ce qui est essentiel pour les constatations du Comité
c'est de déterminer si cela avait la moindre incidence sur l'équité du
procès. Le jury a reconnu l'auteur coupable d'un meurtre emportant la
peine de mort. Les comptes rendus d'audience montrent que le juge du fond
a fait un exposé très clair et très détaillé signalant les incohérences
des éléments de preuve sur lesquels l'accusation s'appuyait, en particulier
concernant le récit de David Morris qui, au moment du procès, avait moins
de 15 ans et était la seule personne à avoir reconnu l'un quelconque des
six coaccusés, et à les avoir reconnus tous les six.
Le Comité a eu à s'interroger sur l'importance du verdict rendu par un
jury pour ses propres travaux dans l'affaire Byron Young c. Jamaïque
(communication No 615/1995) et il a conclu que le fait que les possibilités
d'attaquer un verdict rendu par un jury devant une juridiction d'appel
soient très limitées ne constituait pas une violation de l'article 14,
à condition notamment que le procès lui-même n'ait pas été inéquitable.
Dans l'affaire à l'étude, le juge du fond était à la fois compétent et
consciencieux puisqu'il a signalé les incohérences que présentait le dossier
de l'accusation. Néanmoins, le jury a rendu un verdict de culpabilité
ce qui ne prouve pas que le procès ait été équitable ni qu'il n'ait pas
été équitable. Si je conclus que le procès ne pouvait pas être équitable
et ne l'a pas été c'est sur la base des éléments ci-après : a) l'auteur
est resté détenu pendant plus de trois semaines avant d'être informé du
meurtre dont il était soupçonné b) il a rencontré très brièvement un avocat
avant le procès, ce qui a eu une incidence sur la défense assurée par
l'avocat qui lui avait été commis au titre de l'aide judiciaire c) le
procès a eu lieu un an après l'arrestation de l'auteur et près de deux
ans après les faits et d) l'auteur n'a été reconnu comme étant l'un des
agresseurs que par David Morris qui, au moment des faits, avait à peine
13 ans et dont les déclarations à la police, quand il a été arrêté peu
de temps après le meurtre, n'ont jamais été produites au tribunal. L'Etat
partie est directement responsable de tous ces facteurs et ne les a pas
véritablement traités pendant son échange de correspondance avec le Comité.
Cumulés, ces éléments ont pour effet de priver l'auteur d'un procès équitable,
droit consacré au paragraphe 1 de l'article 14, et précisé aux paragraphes
2 et 3 du même article et également, dans le cas des affaires de condamnation
à mort, au paragraphe 2 de l'article 6.
Dans mes conclusions, je ne conteste pas la position du Comité qui affirme
qu'il appartient généralement aux juridictions des Etats parties au Pacte
d'apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire particulière
et qu'il appartient aux juridictions d'appel des Etats d'examiner les
instructions données au jury par le juge et la conduite du procès (voir
par. 6.3 des constatations). Ce que je veux dire, c'est que dans les circonstances
de l'affaire, l'auteur ne pouvait pas être jugé équitablement en avril
1995 puisque les conditions essentielles à un procès équitable n'avaient
pas été remplies à cause de la façon dont la procédure avait été préalablement
menée (éléments décrits plus haut aux alinéas a) à d)).
La question du recours utile
La pratique du Comité en ce qui concerne la réparation due aux victimes
a suivi une évolution au cours des 20 années de travaux au titre du Protocole
facultatif. L'Etat partie a contracté en vertu du paragraphe 3 de l'article
2 l'obligation légale de garantir à toute personne dont les droits reconnus
dans le Pacte ont été violés "un recours utile". Outre cette
disposition générale, le paragraphe 5 de l'article 9 établit le droit
à réparation de tout individu victime d'arrestation ou de détention illégales.
Ces deux obligations découlent directement du Pacte et ne découlent pas
du mandat du Comité qui est d'émettre, quand il s'acquitte de ses fonctions
au titre du Protocole facultatif, des interprétations ou des recommandations
sur les mesures qui pourraient dans chaque cas constituer une réparation
utile. Dans ses toutes premières constatations, le Comité ne précisait
pas la nature de la réparation même si l'affaire relevait manifestement
du paragraphe 5 de l'article 9 (voir les constatations concernant la communication
No 5/1977, Moriana Hernández Valentini de Bazzano et consorts c.
Uruguay). Toutefois, dans la deuxième affaire qu'il avait traitée,
le Comité avait déjà précisé que l'indemnisation était la forme de réparation
appropriée en cas de violation de l'article 9 (voir communication No 9/1977,
Edgardo Dante Santullo Valcada c. Uruguay). Par la suite,
il a recommandé une indemnisation comme réparation ou à titre de réparation
partielle dans de nombreux cas où il avait constaté seulement une violation
d'autres articles que l'article 9. Les premières recommandations d'indemnisation
ont été formulées dans les constatations adoptées à la quinzième session
(1982) dans les affaires Pedro Pablo Camargo c. Colombie
(communication No 45/1979) et Mirta Cubas Simones c. Uruguay
(communication No 70/1980), après avoir établi une violation de l'article
6 dans le premier cas et des articles 10 et 14 dans le deuxième.
On peut s'attendre à ce que l'évolution vers des prises de position plus
précises en ce qui concerne la réparation se poursuive. Pour le Comité,
ce serait par exemple une bonne chose que les auteurs des communications
ou leur conseil indiquent, quand ils adressent une plainte, le montant
de l'indemnisation qu'ils jugent appropriée pour la violation qu'ils déclarent
avoir subie et que les Etats parties fassent des observations sur ces
prétentions dans leurs réponses. Le Comité serait ainsi en mesure de franchir
l'étape logique suivante, c'est-à-dire de préciser le montant (et la monnaie)
de l'indemnisation due dans les cas où il estime qu'il s'agit d'une réparation
appropriée. Cela renforcerait la procédure mise en place par le Protocole
facultatif en tant que voie de recours internationale autant que le rôle
du Comité en tant qu'autorité reconnue internationalement pour interpréter
le Pacte.
Dans les affaires de condamnation à mort, quand il a établi qu'il y avait
eu violation du Pacte, le Comité a souvent, mais pas toujours, recommandé
la commutation de la peine ou la remise en liberté comme réparation utile.
Ces deux mesures font ressortir clairement que, quand un individu a été
condamné àmort en violation du Pacte ou a subi un traitement contraire
aux dispositions du Pacte alors qu'il était en attente d'exécution, la
réparation doit être une décision irréversible de ne pas exécuter le condamné.
Le Comité a eu une position particulièrement claire et cohérente sur ce
point quand il a établi une violation des garanties d'un procès équitable
énoncées à l'article 14 du Pacte. Dans plusieurs cas, il a expressément
indiqué que l'imposition de la peine capitale à l'issue d'un procès qui
n'était pas conforme aux prescriptions de l'article 14 entraînait une
violation du droit à la vie, c'est-à-dire de l'article 6 du Pacte.
Dans les cas où il y a eu violation de l'article 7 ou de l'article 10
ou des deux en ce qui concerne des condamnés à mort, le Comité n'a pas
systématiquement formulé de recommandations précises sur la nature de
la réparation. Cela ne saurait pas, évidemment, porter atteinte à la règle
essentielle qui est que la victime a droit à un recours utile en
vertu du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte. Dans le dernier paragraphe
de ses constatations sur l'affaire de condamnation à mort la plus importante,
l'affaire Earl Pratt et Ivan Morgan c. Jamaïque (communications
Nos 210/1986 et 225/1987), le Comité a donné une réponse claire et convaincante
à la question de savoir ce qui constitue un "recours utile"
pour une personne en attente d'exécution :
"Bien que, dans cette affaire, l'article 6 ne soit pas directement
invoqué puisque la peine capitale n'est pas en soi illégale en vertu du
Pacte, cette peine ne doit pas être infligée dans les situations où l'Etat
partie a violé l'une quelconque des obligations qui lui incombent en
vertu du Pacte. Le Comité est d'avis que les victimes des violations
des dispositions du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte et de l'article
7 ont droit à une réparation; la condition préalable nécessaire
en l'occurrence est la commutation de la sentence." (non souligné
dans l'original)
A la lumière de ce qui vient d'être dit, la position énoncée au paragraphe
10 des constatations du Comité dans l'affaire à l'étude n'est pas aussi
claire que je l'aurais souhaité. Conformément au paragraphe 3 de l'article
2, le Comité indique que l'auteur doit bénéficier d'un recours utile.
Après cette réaffirmation de l'obligation légale que l'Etat partie a contractée
directement en vertu du Pacte, le Comité indique toutefois qu'en l'espèce
la réparation utile serait une indemnisation. Etant donné les violations
constatées par le Comité, il aurait fallu à mon avis préciser que la réparation
utile doit être à la fois la commutation de la peine et une indemnisation.
Etant donné que de mon côté j'estime qu'il y a violation des articles
9 et 14 en plus des violations établies par le Comité, je considère qu'il
aurait fallu indiquer que l'auteur a droit, à titre de mesure immédiate
et irréversible, à la commutation de la peine capitale et, par la suite,
devait être soit rejugé soit libéré. En tout état de cause, il faudrait
faire ressortir sans ambiguïté que, dans une affaire de condamnation à
mort et pour laquelle le Comité a établi une violation du Pacte, la réparation
utile doit être, avant toute chose, la protection absolue de la victime
contre l'exécution. Pour un condamné à mort, rester en vie est une condition
essentielle pour que toute autre forme de réparation soit "utile".