Présentée par : Silbert Daley [représenté par un cabinet d'avocats
de Londres, Allen & Overy]
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 17 avril 1997 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 juillet 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 750/1997, présentée
au Comité par M. Silbert Daley en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'État partie,
Adopte les constatations suivantes :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Silbert Daley, de nationalité jamaïcaine,
né le 23 janvier 1957, en attente d'exécution à la prison de St. Catherine
à Kingston (Jamaïque). Il se déclare victime de violations par la Jamaïque
des articles 6, 7, 9, 10 et 14 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques. Il est représenté par un cabinet d'avocats de Londres,
Allen & Overy.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été reconnu coupable le 10 juin 1992 d'un meurtre emportant
la peine capitale. Le recours qu'il a formé de la condamnation a abouti
et le 30 janvier 1995 la cour d'appel a ordonné qu'il soit rejugé. Au
terme du deuxième procès, le 26 octobre 1995, l'auteur a été de nouveau
reconnu coupable d'un meurtre emportant la peine capitale. Il a fait appel
et a été débouté le 22 juillet 1996. La section judiciaire du Conseil
privé a rejeté le 9 avril 1997 sa demande d'autorisation spéciale de former
recours. Le conseil signale que l'auteur n'a pas introduit de requête
constitutionnelle et fait valoir que dans les circonstances de l'affaire
il ne s'agirait pas d'un recours utile en raison des coûts élevés afférents
à la présentation d'une telle requête et de l'absence d'aide judiciaire
à cette fin.
2.2 Au procès, l'accusation a développé la thèse suivante. Le 24 novembre
1988, vers 6 h 45, l'auteur a assassiné un gardien du nom de Neville Burnett,
à la suite d'un vol à main armée. Le dossier de l'accusation reposait
exclusivement sur la déposition d'un témoin, Dennis Dias, qui avait reconnu
l'auteur comme étant le responsable du meurtre. Le témoin a dit qu'il
se trouvait dans une camionnette à l'arrêt, t_t le matin du 24 novembre
1988, quand il a vu un homme faire les cent pas sur une autre route. Il
avait reconnu "Junior White" également connu sous le nom de
"Sleepy Boy", qu'il connaissait depuis l'école primaire. Ensuite
il avait vu une voiture s'arrêter devant la banque qui se trouvait de
l'autre c_té de la rue. Le chauffeur du véhicule, Neville Burnett, avait
sorti un sac de la voiture et s'était dirigé vers le coffre de nuit de
la banque. Junior White s'était alors approché de lui par derrière et
lui avait tiré une balle dans la tête. Ensuite il était monté dans une
voiture blanche à bord de laquelle se trouvaient déjà deux autres personnes.
Le témoin avait suivi la voiture jusqu'au numéro 85 de Red Hills Road
où l'agresseur était descendu. D'après le témoin, cette adresse était
celle de Junior White. Au procès, M. Dias a reconnu l'auteur comme étant
la personne qu'il connaissait sous le nom de Junior White ou Sleepy Boy.
2.3 Sur la foi des renseignements donnés à la police par M. Dias, un
mandat d'arrêt a été lancé contre Junior White, mais on ne l'a pas trouvé
à l'adresse donnée par le témoin.
2.4 Le 12 septembre 1991, près de trois ans plus tard, la police est
venue chercher M. Dias pour le conduire jusqu'à une station-service où
se trouvait l'auteur, qu'il a reconnu comme étant le meurtrier de Neville
Burnett. L'auteur a ensuite été arrêté.
2.5 Au procès, l'auteur a fait une déclaration depuis le banc des accusés,
sans prêter serment, niant tout de ce meurtre. La défense a soutenu la
thèse de l'erreur sur la personne.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil fait valoir que l'auteur n'a été informé des charges portées
contre lui qu'un mois et demi après son arrestation, qui a eu lieu le
12 septembre 1991. D'après lui il y a là violation du paragraphe 2 de
l'article 9 et du paragraphe 3 a) de l'article 14 du Pacte.
3.2 Le conseil affirme qu'après son arrestation l'auteur a été roué de
coups par quatre policiers au poste de police de Constant. Ayant été transféré
au poste de garde à vue de Half Way Tree, il aurait été placé dans une
cellule où se trouvaient déjà 14 autres hommes et on ne l'aurait laissé
sortir que pour de brèves périodes. Cette cellule était dépourvue de matelas
et il dormait à même le sol. Il n'y avait pas de sanitaires. Une fois
transféré au pénitencier général, l'auteur aurait été placé avec trois
autres détenus dans une cellule infestée de vermine. On ne lui aurait
pas donné de seau hygiénique.
3.3 D'après le conseil, l'avocate qui représentait l'auteur au deuxième
procès était manifestement incompétente, ce qui a empêché l'accusé de
bénéficier d'un procès équitable, en violation du paragraphe 3 de l'article
14 du Pacte. Il ajoute que le juge avait dû intervenir plusieurs fois
et que l'avocate qui représentait l'auteur avait fait des erreurs graves
: en particulier elle n'avait pas procédé à un véritable contre-interrogatoire
du principal témoin à charge, elle avait dit au jury que le complice présumé
de l'auteur avait déjà été jugé et condamné à mort, elle avait mal cité
une déposition, fait des insinuations fausses et s'était trompée en citant
la Loi fondamentale. Dans le résumé final, le juge a souligné plusieurs
erreurs commises par l'avocate et a dit aux jurés de ne pas punir l'accusé
pour les erreurs de l'avocate. Le conseil affirme en outre que l'avocate
ne s'est pas rendue à un rendez-vous avec une personne qui devait témoigner
sur la personnalité de l'auteur et qu'elle a ensuite clos le dossier sans
demander un ajournement d'audience pour pouvoir faire comparaître le témoin.
3.4 Le conseil fait valoir que les deux ans et sept mois qui se sont
écoulés entre la première condamnation de l'auteur (9 juin 1992) et l'audience
en appel (30 janvier 1995) ainsi que les quatre ans et dix mois écoulés
entre la date de la première condamnation et l'audience tenue par le Conseil
privé pour se prononcer sur le recours, le 9 avril 1997, constituent une
violation du paragraphe 3 de l'article 9 et des paragraphes 3 c) et 5
de l'article 14 du Pacte.
3.5 En ce qui concerne l'audience en appel, l'auteur dit qu'il n'a rencontré
l'avocat commis à sa défense qu'une seule fois pendant une dizaine ou
une quinzaine de minutes. D'après le conseil, c'est insuffisant pour préparer
comme il convient le recours et il y a donc eu violation du paragraphe
3 b) de l'article 14. Le conseil affirme en outre qu'à l'audience en appel,
en juillet 1996, l'avocat qui représentait l'auteur a reconnu qu'il ne
pouvait pas défendre le recours et a donc abandonné la cause, laissant
l'auteur sans assistance en violation du paragraphe 3 d) de l'article
14 du Pacte.
3.6 Le conseil affirme que l'auteur est victime d'une violation de l'article
7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte à cause de la durée de sa
détention dans le quartier des condamnés à mort. Il renvoie à ce sujet
aux décisions de la section judiciaire du Conseil privé dans l'affaire
Earl Pratt et Ivan Morgan c. the Attorney General of Jamaica
et dans l'affaire Guerra c. Baptiste and Others. À ce sujet,
le conseil souligne que l'auteur est resté incarcéré dans le quartier
des condamnés à mort du 10 juin 1992 (date de sa première condamnation)
au 30 janvier 1995 (date à laquelle un deuxième procès a été ordonné).
Il a été remis en liberté sous caution le 10 août 1995, puis a de nouveau
été incarcéré dans le quartier des condamnés à mort, où il se trouve depuis
le 26 octobre 1995, date de sa deuxième condamnation. D'après le conseil,
toutes les périodes accumulées passées dans le quartier des condamnés
à mort, l'extraction de ce quartier puis la réincarcération sont terriblement
éprouvantes et angoissantes et entraînent une violation de l'article 7
et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
3.7 Quand il a été condamné, l'auteur a été écroué à la prison du district
de St. Catherine. Le conseil se réfère à plusieurs rapports décrivant
les conditions dans cette prison et indique que l'auteur est maintenu
à l'isolement dans une cellule d'environ 3 m x 2 m, 23 heures par jour.
Il n'y a pas de matelas et l'auteur dort sur un morceau de mousse. La
cellule n'a pas de sanitaires et l'auteur ne dispose que d'un seau hygiénique.
L'aération est insuffisante et il n'y a pas d'ampoule électrique. D'après
le conseil, les conditions dans lesquelles l'auteur a été et continue
d'être incarcéré représentent une violation de l'Ensemble de règles minima
pour le traitement des détenus et une violation de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte.
3.8 Le conseil affirme en outre que l'auteur a été victime de nombreuses
agressions de la part d'autres prisonniers, qui lui ont valu une fois
trois semaines d'h_pital. D'après l'auteur, les autres prisonniers ont
projeté de le tuer. Il a demandé à être transféré dans un autre quartier
de la prison, mais ne l'a obtenu que de façon provisoire. Le conseil précise
qu'il a écrit au directeur de la prison et au directeur de l'administration
pénitentiaire, mais en vain.
3.9 Enfin, le conseil fait valoir que l'imposition de la peine capitale
à l'issue d'un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n'ont
pas été respectées constitue une violation de l'article 6 du Pacte.
Observations de l'État partie et commentaires du conseil
4.1 Par une note du 25 juin 1997, l'État partie nie toute violation du
Pacte dans le cas de l'auteur.
4.2 En réponse à l'auteur qui affirme qu'il est resté détenu pendant
un mois et demi sans être inculpé, l'État partie objecte qu'il a de toute
façon été informé des charges portées contre lui au moment de l'arrestation.
4.3 En ce qui concerne les deux ans et demi écoulés entre la première
condamnation et l'audience en appel, l'État partie reconnaît que cet intervalle
est plus long qu'il ne devrait mais avance qu'il n'a pas entraîné le moindre
préjudice pour l'auteur. Il note en outre que, après l'arrêt de la cour
d'appel, la deuxième procédure a été engagée sans retard.
4.4 À propos du comportement de l'avocat commis pour défendre l'auteur
au deuxième procès en appel, l'État partie note qu'il s'agissait d'un
avocat très respecté et chevronné, puisqu'il avait le rang de Queen's
Counsel. D'après l'État partie, la façon dont le conseil a mené l'audience
en appel ne relève pas de la responsabilité de l'État partie, sauf si
des agents de l'État ont empêché le conseil de s'acquitter de sa mission.
Étant donné que tel n'a pas été le cas, l'État partie nie qu'il ait été
responsable d'une violation du Pacte à cet égard.
4.5 En ce qui concerne la compétence du conseil pendant le procès, l'État
partie objecte qu'un examen attentif des comptes rendus d'audience montre
qu'il n'y a aucune raison de critiquer le comportement de ce conseil et
qu'aucun préjudice n'a été porté à l'auteur.
5.1 Dans ses commentaires, en date du 7 novembre 1997, le conseil note
que l'État partie n'a pas répondu aux allégations de violation de l'article
7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte et qu'il n'a pas ouvert
d'enquête sur les agressions dont l'auteur a été victime de la part des
autres détenus.
5.2 À l'appui de l'allégation selon laquelle un laps de temps d'un mois
et demi avant l'inculpation constitue une violation de l'article 9 et
du paragraphe 3 a) de l'article 14 du Pacte, le conseil renvoie aux constatations
du Comité dans les communications Nos 707/1996 / Patrick Taylor
c. Jamaïque, constatations adoptées le 18 juillet 1997./ et 248/1987
/ Glenford Campbell c. Jamaïque, constatations adoptées
le 30 mars 1992. /. Le conseil ajoute que pendant tout ce temps l'auteur
n'a pas eu non plus la possibilité de communiquer avec un avocat ni avec
sa famille. D'après lui, en n'étant pas autorisé à communiquer avec un
avocat pendant six semaines, l'auteur n'a pas pu engager de sa propre
initiative une action sur la légalité de sa détention.
5.3 Pour ce qui est du délai de deux ans et sept mois écoulé entre la
condamnation et l'audience en appel, le conseil fait valoir que le fait
que les autres procédures se soient déroulées avec diligence n'est pas
un argument valable et réaffirme que ce laps de temps particulier ainsi
que l'intervalle total de 4 ans et 10 mois écoulé entre la date de la
première condamnation et la décision du Conseil privé constitue une violation
du paragraphe 3 de l'article 9 et des paragraphes 3 c) et 5 de l'article
14 du Pacte.
5.4 En ce qui concerne la conduite de la défense au procès, le conseil
réaffirme que les comptes rendus d'audience montrent à l'évidence l'incompétence
de ce conseil et qu'en conséquence une défense valable n'a pas été présentée
aux jurés.
5.5 En ce qui concerne l'abandon de la défense en appel, le conseil renvoie
à la jurisprudence du Comité.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du
paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question
n'était pas en cours d'examen en vertu d'une autre instance internationale
d'enquête ou de règlement.
6.3 Le Comité note que l'État partie a fait tenir des observations sur
le fond de la communication, dont il n'a pas contesté la recevabilité.
Le Comité déclare par conséquent la communication recevable et procède
sans plus tarder à son examen quant au fond, à la lumière de toutes les
informations portées à son attention par les parties, conformément au
paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
7.1 L'auteur a affirmé qu'il n'avait été informé des charges portées
contre lui que six semaines après son arrestation. Le Comité note que
l'État partie a répondu que même si l'auteur n'avait pas été officiellement
inculpé, il avait été informé des charges portées contre lui. À son second
procès (octobre 1995) l'auteur lui-même a déclaré lors de sa déposition
que les deux policiers qui l'avaient arrêté lui avaient dit qu'ils "venaient
[me] chercher pour le meurtre de Neville Burnett, le 24 novembre 1988".
Mais, la réponse de l'État partie implique la reconnaissance que l'auteur
a été déféré devant un juge ou une autorité judiciaire seulement au bout
de six semaines de détention. Le Comité rappelle sa jurisprudence
/ Voir, entre autres, les constatations du Comité concernant les
communications No 702/1996 (Clifford McLawrence c. Jamaïque)
adoptées le 18 juillet 1997, par. 5.6, et 704/1996 (Steve Shaw
c. Jamaïque) adoptées le 2 avril 1998, par. 7.3./ au titre du Protocole
facultatif et réaffirme que les délais admissibles avant de traduire une
personne en état d'arrestation devant un juge ne doivent pas dépasser
quelques jours /Voir aussi l'Observation générale 8 {16} du
27 juillet 1982, par. 2./. Une durée de six semaines ne peut pas être
réputée compatible avec les prescriptions du paragraphe 3 de l'article
9.
7.2 Le Comité note que l'État partie n'a pas traité des griefs de l'auteur
concernant le passage à tabac infligé par des policiers après son arrestation
ni concernant les conditions de détention déplorables avant le jugement.
En l'absence de réponse de la part de l'État partie, le crédit voulu doit
être accordé aux allégations détaillées de l'auteur. Le Comité estime
que le passage à tabac et les conditions dans lesquelles s'est déroulée
la détention avant le jugement telles que l'auteur les décrit, constituent
une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
7.3 L'auteur a affirmé que la mauvaise qualité de la défense assurée
par son conseil au procès a fait qu'il n'avait pas bénéficié d'un procès
équitable. Dans ce contexte, le Comité rappelle sa jurisprudence et affirme
que l'État partie ne saurait être tenu pour responsable des erreurs commises
par un avocat de la défense à moins qu'il n'ait été évident ou qu'il aurait
dû être évident pour le juge que le comportement de l'avocat était contraire
aux intérêts de la justice. Les informations dont le Comité est saisi
ne montrent pas que tel ait été le cas et par conséquent le Comité n'est
pas fondé à conclure à une violation du paragraphe 3 de l'article 14 du
Pacte à cet égard.
7.4 Le conseil a fait valoir que l'intervalle de deux ans et sept mois
écoulé entre la première condamnation et l'audience en appel constituait
une violation du paragraphe 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 c) de
l'article 14 du Pacte. L'État partie a reconnu qu'un tel retard n'était
pas souhaitable, mais il n'a pas donné de raisons qui puissent l'expliquer.
Dans ces conditions, le Comité estime qu'il y a eu violation du paragraphe
3 c), lu conjointement avec le paragraphe 5, de l'article 14 du Pacte.
7.5 En ce qui concerne la représentation de l'auteur en appel, qui n'aurait
pas été valablement assurée, le Comité note que le conseil chargé de la
défense en appel a reconnu qu'il n'y avait pas matière à recours. Il rappelle
sa jurisprudence/ Voir, entre autres, les constatations du Comité concernant
les communications No 734/1997 (Anthony McLeod c. Jamaïque)
adoptées le 31 mars 1998, par. 6.3; 537/1993 (Paul Anthony Nelly
c. Jamaïque) adoptées le 17 juillet 1996, par. 9.5./ et réaffirme
que le paragraphe 3 d) de l'article 14 impose au tribunal de s'assurer
que la conduite d'une affaire par un avocat n'est pas contraire aux intérêts
de la justice. S'il ne lui appartient pas de mettre en doute la façon
dont un conseil a exercé son jugement professionnel, le Comité considère
toutefois que dans une affaire de condamnation à mort, quand un avocat
dit qu'il n'y a pas matière à défense, le tribunal devrait s'assurer que
le conseil a consulté l'accusé et l'a informé de son intention de plaider
dans ce sens. Sinon, le tribunal est tenu de s'assurer que l'accusé est
bien informé de cette intention et a la possibilité d'engager un autre
avocat. Le Comité est d'avis qu'en l'espèce M. Daley aurait dû être informé
que le conseil commis au titre de l'aide judiciaire n'allait développer
aucun moyen de défense à l'appui du recours, ce qui lui aurait permis
d'examiner toute autre possibilité qui lui restait ouverte. Le Comité
conclut qu'il y a eu violation du paragraphe 3 d) de l'article 14 en ce
qui concerne l'appel formé par l'auteur. Compte tenu de ce qui précède,
il n'y a pas lieu pour le Comité d'examiner l'allégation de violation
du paragraphe 3 b) de l'article 14 formulée par l'auteur concernant la
préparation de son recours.
7.6 L'auteur a fait valoir que, en soi, sa détention continue dans le
quartier des condamnés à mort de même que les conditions de détention,
constituent une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article
10 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence constante/ Voir entre
autres, les constatations du Comité concernant les communications No 588/1994
(Erroll Johnson c. Jamaïque), adoptées le 22 mars 1996,
par. 8.1 à 8.6; 554/1993 (Robinson Lavende c. Trinité-et-Tobago)
adoptées le 29 octobre 1997, par. 5.2 à 5.7; et 555/1993 (Ramcharan
Bicharoo c. Trinité-et-Tobago) adoptées le 29 octobre 1997,
par. 5.2 à 5.7./ et réaffirme que la détention dans le quartier des condamnés
à mort pendant une période déterminée - dans le cas présent 2 ans et 7
mois après la première condamnation puis 2 ans et 8 mois après la deuxième
condamnation - ne constitue pas une violation du Pacte en l'absence d'autres
circonstances impérieuses. Les conditions ne détention peuvent en revanche
représenter une violation des articles 7 et 10 du Pacte. M. Daley dit
qu'il est incarcéré dans des conditions particulièrement mauvaises et
insalubres dans le quartier des condamnés à mort; cette plainte est étayée
par des rapports joints par le conseil. Il n'y a pas de sanitaires, pas
de lumière, pas d'aération, de matelas ni de literie. Dans ses observations,
le conseil reprend les principaux éléments de ces rapports et montre que
les conditions de détention touchent Silbert Daley lui-même, puisqu'il
est incarcéré dans le quartier des condamnés à mort. De plus, l'auteur
a indiqué qu'il avait été l'objet d'agressions périodiques de la part
d'autres détenus, ce pour quoi il avait dû être hospitalisé, et que l'État
partie n'avait rien fait pour assurer sa protection. Les griefs de l'auteur
n'ont pas été réfutés par l'État partie, qui a gardé le silence sur la
question. Le Comité considère que les conditions de détention décrites
par le conseil et qui touchent directement M. Daley sont de nature à constituer
une violation du droit d'être traité avec humanité et dans le respect
de la dignité inhérente à la personne humaine et sont donc contraires
au paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
7.7 Le Comité considère qu'une condamnation à mort prononcée au terme
d'un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées
constitue, si aucune autre possibilité d'appel de la sentence n'est possible,
une violation de l'article 6 du Pacte. Dans le cas de M. Daley, la sentence
définitive a été prononcée alors que le droit à une défense valable en
appel n'avait pas été garanti, en violation du paragraphe 3 d) de l'article
14 du Pacte. Le Comité doit donc conclure que le droit garanti à l'article
6 a également été violé.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont
il est saisi font apparaître des violations de l'article 7, du paragraphe
3 de l'article 9, du paragraphe 1 de l'article 10, des paragraphes 3 c)
et d), lus conjointement avec le paragraphe 5, de l'article 14 et par
conséquent de l'article 6 du Pacte.
9. En vertu du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, l'État partie est
tenu de fournir à Silbert Daley un recours utile, notamment une commutation
de peine, une indemnisation et une remise en liberté rapide. L'État partie
doit veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent pas à l'avenir.
10. En adhérant au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu que le
Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu violation du Pacte.
La communication a été soumise à l'examen du Comité avant que la dénonciation
du Protocole facultatif par la Jamaïque ne prenne effet, le 23 janvier
1998; conformément au paragraphe 2 de l'article 12 du Protocole facultatif,
les dispositions du Protocole facultatif continuent à être applicables
à la communication. Conformément à l'article 2 du Pacte, l'État partie
s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire
et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie. Le
Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
____________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de
la communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati, M.
Th. Buergenthal, Lord Colville, M. Omran El Shafei, Mme Elizabeth Evatt,
M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto
Pocar, M. Julio Prado Vallejo, M. Martin Scheinin et M. Maxwell Yalden.