Comité des droits de l'homme
Soixante-quatrième session
19 October - 5 November 1998
ANNEXE*
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Soixante-quatrième session -
Communication No 752/1997
Présentée par : Allan Henry (représenté par M. S. Lehrfreund,
du cabinet d'avocats londonien Simons, Muirhead & Burton)
Au nom de : L'auteur
État partie : Trinité-et-Tobago
Date de la communication : 9 septembre 1996 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 3 novembre 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 752/1997 présentée
au Comité des droits de l'homme par M. Allan Henry, en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'État partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1.1 L'auteur de la communication est M. Allan Henry, citoyen guyanien
purgeant une peine d'emprisonnement à perpétuité à la prison d'État de
Port-of-Spain (Trinité). Il affirme être victime par la Trinité-et-Tobago
de violations de l'article 7, du paragraphe 1 de l'article 10, et du paragraphe
1 de l'article 14 du Pacte. Il est représenté par M. Saul Lehrfreund,
du cabinet d'avocats londonien Simons, Muirhead & Burton.
1.2 Le 8 juillet 1983, l'auteur a été condamné à la peine de mort pour
le meurtre d'un marin anglais. Il a été maintenu en détention dans le
quartier des condamnés à mort jusqu'au 4 janvier 1994, date à laquelle
sa peine a été commuée en peine d'emprisonnement à perpétuité /La
peine de mort à laquelle l'auteur avait été condamné a été commuée à la
suite de la décision rendue par la section judiciaire du Conseil privé
dans l'affaire Pratt & Morgan c. Jamaïque le 3 novembre
1993./. Le Comité des droits de l'homme avait déclaré irrecevable une
communication que M. Henry lui avait soumise antérieurement pour violation
des articles 10 et 14, au motif que l'allégation relevant de l'article
14 n'était pas étayée et, dans le cas de l'allégation relevant de l'article
10, que les recours internes n'avaient pas été épuisés / Communication
No 302/1988, déclarée irrecevable le 31 octobre 1990./. Dans la présente
communication, l'auteur demande au Comité de réexaminer, en vertu du paragraphe
2 de l'article 92 de son règlement intérieur, sa décision antérieure concernant
la recevabilité des griefs formulés au titre de l'article 10 du Pacte.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur déclare que des gardiens de prison lui ont asséné des coups
sur la tête le 3 mai 1988, occasionnant une plaie qui a nécessité plusieurs
points de suture. L'auteur dit avoir présenté une plainte au médiateur,
à une date non précisée / Mais, semble-t-il, après la décision
prise le 31 octobre 1990 par le Comité à propos de sa communication antérieure
No 302/1988./, et que, le 16 juillet 1993, le bureau du Médiateur a répondu
qu'il avait fait procéder à une enquête sur les griefs soulevés, enquête
dont il ressortait que les faits incriminés retenaient déjà l'attention
des autorités pénitentiaires.
2.2 L'auteur ajoute que les soins dispensés en prison laissent beaucoup
à désirer et sont de qualité fort médiocre. Il prétend qu'à cause de l'éclairage
dans sa cellule dans le quartier des condamnés à mort, il supporte très
mal la lumière et doit porter des lunettes aux verres fumés. Il déclare
qu'il a consulté un ophtalmologiste le 10 mars 1994, mais qu'il n'a pas
encore obtenu une nouvelle paire de lunettes, bien que sa vue ait baissé.
2.3 L'auteur affirme que pendant sa détention dans le quartier des condamnés
à mort, il était confiné 23 heures sur 24 dans une cellule de 3 m x 2
m. Sa cellule était éclairée toute la journée, la lumière du jour n'y
pénétrant pas. Elle n'était pas équipée d'installations sanitaires complètes.
Elle possédait un trou d'aération de 20 cm x 20 cm, mais pas de fenêtre.
Les exercices étaient rares et ne duraient pas plus d'une heure; ils étaient
pratiqués dans une petite cour, menottes aux poings.
2.4 D'après l'auteur, les conditions de sa détention ne se sont guère
améliorées depuis la commutation de la peine de mort à laquelle il avait
été condamné. Il partage une cellule de 3 m x 2 m avec un autre détenu
condamné à la prison à vie et d'autres condamnés, entre 8 et 14, dont
certains sont atteints de maladies ou toxicomanes. Les cellules sont crasseuses
et infestées de cafards, mouches et rats. Comme il n'y a qu'un lit en
fer et un matelas, l'auteur et les détenus avec lesquels il partage la
cellule sont obligés de dormir à même le sol, sur des morceaux de carton.
Ils sont enfermés dans la cellule de 15 heures à 7 heures du matin, heure
à laquelle le petit déjeuner est servi, puis ensuite de 8 heures à 11
heures. Il n'y a aucune installation sanitaire dans la cellule, hormis
un seau hygiénique qui sert à tous les occupants de la cellule. Les toilettes
se trouvent à trois mètres de la cuisine, et la cuisine est infestée de
rats et d'insectes. L'auteur ajoute que rien n'est prévu pour lui fournir
des repas répondant aux prescriptions de sa religion, l'islam. Il ne peut
obtenir aucun médicament pour soigner ses hémorroïdes.
2.5 L'auteur déclare en outre qu'il a sollicité en juin 1987 une assistance
judiciaire aux fins de la présentation d'une requête constitutionnelle.
Il apparaît d'une copie de la requête constitutionnelle que l'auteur a
jointe à sa communication antérieure (communication No 302/1988) que la
requête se fondait sur le caractère inconstitutionnel de son exécution
éventuelle (en tant que peine cruelle), de même que sur la durée de sa
détention dans le quartier des condamnés à mort et les conditions de sa
détention. L'auteur a obtenu une assistance judiciaire auprès d'une organisation
humanitaire locale, qui a déposé une requête constitutionnelle en son
nom. La requête a été cependant abandonnée lorsque ses représentants ont
été informés qu'aucune aide financière n'était disponible auprès des autorités
judiciaires. L'auteur déclare qu'il a tenté à plusieurs reprises, mais
en vain, d'obtenir une assistance judiciaire au titre du dép_t d'une requête
constitutionnelle.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur soutient que les coups qu'il a reçus le 3 mai 1988, le manque
de soins appropriés et les conditions de sa détention à la fois avant
et après la commutation de la peine capitale à laquelle il avait été condamné
constituent une violation des articles 7 et 10 du Pacte.
3.2 L'auteur affirme en outre qu'il est victime d'une violation du paragraphe
1 de l'article 14 du Pacte, en liaison avec le paragraphe 3 de l'article
2, du fait qu'il n'a pas obtenu une assistance judiciaire pour faire appel
devant la Cour constitutionnelle et qu'en conséquence l'accès à la justice
lui est refusé.
Observations de l'État partie et commentaires du conseil
4.1 Dans sa réponse, datée du 27 novembre 1997, l'État partie dément
ne pas vouloir accorder une assistance judiciaire au titre du dép_t d'une
motion constitutionnelle et fait valoir qu'une telle assistance est disponible
à cette fin. D'après lui, l'auteur n'a déposé une demande d'assistance
judiciaire qu'une seule fois, le 25 juin 1987. Le Bureau de l'assistance
judiciaire a rejeté sa demande le 31 décembre 1987, après l'avoir dûment
examinée et conformément à la loi sur l'assistance judiciaire et juridique.
Depuis cette date, l'auteur n'a pas déposé de demande formelle d'assistance
judiciaire; il s'est contenté d'envoyer des lettres à diverses personnes
et à divers organes, cherchant à obtenir que le rejet de sa demande d'assistance
judiciaire soit annulé. L'État partie affirme que l'auteur peut à tout
moment solliciter une assistance judiciaire. Il précise que l'octroi de
l'assistance judiciaire n'est pas automatique / Voir ci-après,
par. 4.10 et 4.11./.
4.2 Compte tenu de ce qui précède, l'État partie fait valoir que la communication
est irrecevable au motif que les recours internes n'ont pas été épuisés.
4.3 Pour accélérer l'examen de la communication, l'État partie aborde
aussi la plainte de l'auteur au fond. Pour ce qui est de l'allégation
concernant les coups portés le 3 mai 1988, l'État partie indique qu'il
apparaît des dossiers de la prison que le 2 mai 1988, l'auteur a été mêlé
à une altercation avec un gardien de prison. Agissant en état de légitime
défense, le gardien de prison a porté à l'auteur des coups avec son bâton
réglementaire, le blessant à la tête. L'auteur a été accusé de voies de
fait. À l'issue d'une enquête menée par les autorités pénitentiaires,
l'accusation contre l'auteur a été abandonnée le 9 mai 1988, faute de
preuve. L'État partie précise cependant que cette décision n'entame en
rien la véracité des éléments de preuve apportés par le gardien de prison
et affirme qu'il a fallu répondre à l'agression de l'auteur par la force
et que l'usage de la force a été limité au strict nécessaire. L'État partie
ajoute que la plainte portée par l'auteur contre le gardien de prison
a fait l'objet d'une enquête approfondie. L'État partie nie par ailleurs
que l'auteur ait été intentionnellement soumis à un traitement exceptionnellement
dur.
4.4 S'agissant de la plainte de l'auteur relative à l'absence de soins
médicaux, l'État partie affirme que l'allégation est sans fondement. Il
apparaît des dossiers de la prison que l'auteur a demandé une première
fois en 1991 que ses lunettes soient renouvelées, ce qui a été fait. À
l'issue d'une consultation chez un ophtalmologiste, l'auteur a reçu une
nouvelle paire de lunettes le 13 octobre 1995. À ce sujet, l'État partie
explique que le règlement des prisons dispose qu'un détenu condamné à
mort doit faire l'objet d'une surveillance constante, ce qui explique
que la lumière restait allumée dans sa cellule 24 heures sur 24. L'État
partie explique en outre que toutes les plaintes relatives aux soins médicaux
formulées par les prisonniers sont examinées aussi rapidement que possible.
D'après l'État partie, les dossiers montrent que l'auteur a consulté le
médecin de la prison à plusieurs reprises et qu'il a reçu un traitement
satisfaisant.
4.5 Pour ce qui est des conditions de détention, l'État partie nie qu'elles
constituent une violation de l'article 7 du Pacte. Il admet cependant
que l'article 10 s'applique en l'occurrence. Selon l'État partie, "le
Comité est appelé à déterminer si le plaignant, au cours de sa détention
à la prison d'État, a été traité avec humanité et avec le respect de la
dignité inhérente à la personne humaine. Il est fait respectueusement
observer que, pour se prononcer sur cette question, le Comité devrait
prendre avec circonspection les allégations formulées par le plaignant
ou en son nom, allégations qui sont dans une large mesure dénuées de fondement
et fort exagérées".
4.6 L'État partie déclare que depuis la commutation de la peine de mort
à laquelle il avait été condamné, l'auteur partage sa cellule avec cinq
autres détenus au maximum en même temps. Les cellules sont toutes construites
de manière à laisser entrer la lumière du jour. En outre, elles sont toutes
équipées de literie afin d'éviter qu'un détenu ait à dormir à même le
sol sur des cartons. L'État partie fait observer que dans un pays au climat
tropical, on trouve inévitablement des cafards dans tous les lieux d'habitation,
ajoutant que ce problème n'est pas le propre des prisons. L'État partie
déclare que tout est fait pour assurer la désinsectisation des lieux et
garantir les normes d'hygiène.
4.7 L'État partie explique que les seaux hygiéniques sont vidés au moins
trois fois par jour, à six heures, midi et 18 heures. L'État partie ajoute
que l'auteur, depuis la commutation de sa peine, bénéficie d'activités
de plein air au moins quatre heures par jour. Les détenus ont à leur disposition,
régulièrement, des revues et des journaux, et ils ont la possibilité de
suivre des cours par correspondance.
4.8 L'État partie rejette l'allégation de l'auteur selon laquelle il
n'est pas tenu compte pour ses repas des prescriptions imposées par sa
religion, l'islam. Selon l'État partie, les repas sont préparés compte
tenu des besoins des détenus appartenant aux diverses confessions. Des
normes d'hygiène strictes sont respectées. À cet égard, l'État partie
explique que le personnel du Ministère de la santé effectue périodiquement
des visites dans les prisons pour s'assurer que les normes d'hygiène sont
observées.
4.9 Compte tenu de ce qui précède, l'État partie nie que l'auteur ait
été soumis à un traitement qui constituerait une violation soit de l'article
7 soit de l'article 10 du Pacte.
4.10 L'État partie réfute l'allégation de l'auteur selon laquelle il
a été empêché d'avoir accès à la Cour constitutionnelle faute d'avoir
obtenu une assistance judiciaire pour présenter une requête constitutionnelle.
L'État partie souligne que, en principe, une assistance judiciaire est
disponible au titre de la présentation des requêtes constitutionnelles.
En vertu de l'article 23 de la loi sur l'assistance judiciaire juridique,
les bureaux de l'assistance judiciaire sont habilités à fournir une aide
"s'ils jugent que le requérant a des motifs raisonnables d'engager
l'action". L'auteur a présenté sa demande d'assistance judiciaire
le 25 juin 1987, et celle-ci a été rejetée le 31 décembre 1987. Selon
l'État partie, l'auteur n'a pas soumis après cette date d'autres demandes
d'assistance judiciaire au titre de la présentation d'une requête constitutionnelle.
Étant donné l'existence d'un privilège juridique entre l'auteur et les
bureaux de l'assistance judiciaire, l'État partie ne peut s'assurer des
raisons qui ont motivé le rejet de la demande d'assistance judiciaire.
L'État partie déclare que l'auteur est libre de déposer une nouvelle demande
d'assistance judiciaire s'il le souhaite. Mais à son avis, le grief de
l'auteur selon lequel il lui est refusé de saisir la justice parce que
sa demande d'assistance judiciaire a été rejetée en 1987 est dénué de
fondement.
4.11 L'État partie pense que tous les États qui gèrent un programme d'assistance
judiciaire alimenté par des fonds publics doivent avoir le droit de rejeter
les demandes futiles, abusives ou dénuées de fondement. Il n'existe pas
dans le cas des demandes de ce type de droit de saisine des tribunaux
illimité aux frais du contribuable. Selon l'État partie, l'auteur ne peut
prétendre que l'accès aux tribunaux lui a été refusé que s'il est en mesure
de montrer que le refus de l'assistance judiciaire reposait sur une irrégularité,
une irrationalité ou un vice de procédure.
5.1 Dans ses commentaires sur les observations de l'État partie, datés
du 3 avril 1998, le conseil réfute l'argument de l'État partie selon lequel
la communication est irrecevable du fait que les recours internes n'ont
pas été épuisés. Il affirme que l'auteur a sollicité une assistance judiciaire
pour présenter une requête constitutionnelle, que sa demande a été rejetée
et qu'il a ainsi fait tout ce qui était en son pouvoir pour épuiser les
recours internes.
5.2 À propos de l'incident du 3 mai 1988, le conseil considère que les
dénégations générales opposées par l'État partie ne suffisent pas à répondre
aux stipulations du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif.
Il soutient que l'État partie a le devoir d'enquêter de bonne foi sur
toutes les allégations de violations du Pacte et d'en informer le Comité.
Dans ce contexte, il note que l'État partie invoque des dossiers de la
prison qui n'ont pas été mis à la disposition du Comité. Il note également
que l'État partie n'a en aucune manière étayé son assertion selon laquelle
la plainte portée par l'auteur contre le gardien de prison a fait l'objet
d'une enquête approfondie. Le conseil ajoute que le fait que l'auteur
n'a pas été accusé de coups et blessures contredit l'affirmation de l'État
partie selon laquelle le gardien de prison a agi en état de légitime défense.
5.3 À propos des soins médicaux, le conseil note que l'État partie n'a
pas communiqué copie du dossier médical qui établirait que l'auteur a
reçu des soins médicaux.
5.4 Le conseil note que la réponse donnée par l'État partie au sujet
des conditions de détention ne vaut que pour les conditions de détention
depuis la commutation de la peine de mort qui avait été prononcée contre
l'auteur et qu'elle passe sous silence la plainte de l'auteur concernant
les conditions de sa détention dans le quartier des condamnés à mort.
5.5 Le conseil soutient que les conditions de détention infligées à l'auteur
à la fois avant et après la commutation de sa peine constituent une violation
des articles 7 et 10 du Pacte.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 L'État partie a fait valoir que la communication est irrecevable
du fait du non-épuisement des recours internes, l'auteur n'ayant pas déposé
de requête constitutionnelle. Le conseil a fait valoir, quant à lui, que
l'auteur ne peut déposer de requête constitutionnelle, parce qu'il ne
lui a pas été fourni d'assistance judiciaire. Dans ces conditions, le
Comité constate que la requête constitutionnelle n'est pas un recours
disponible au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.3 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du
paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question
n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement.
6.4 Le Comité conclut en conséquence que la communication est recevable.
L'État partie a communiqué des informations sur le fond de manière à accélérer
l'examen de la communication. Aussi le Comité procède-t-il sans plus tarder
à l'examen de la communication au fond.
7.1 En ce qui concerne l'incident du 3 mai 1988, au cours duquel l'auteur
a reçu des coups sur la tête, le Comité note que l'État partie a indiqué
que le gardien de prison avait fait usage de la force en état de légitime
défense. L'auteur a contesté cette affirmation et fait valoir qu'aucun
chef d'accusation n'a été retenu contre lui sur ce point. Le Comité note
qu'il ressort des renseignements communiqués par les parties que le motif
avancé par l'État partie pour expliquer l'usage de la force contre M.
Henry, à savoir la légitime défense, a fait l'objet d'un examen dans le
cadre de la procédure ouverte par le directeur de l'administration pénitentiaire
pour déterminer si l'auteur avait commis des voies de fait contre le gardien
de prison, et qu'il a été rejeté, l'accusation portée contre l'auteur
ayant été rejetée. Compte tenu de ces éléments et du fait que l'État partie
n'a pas informé le Comité des résultats de l'enquête menée sur la plainte
déposée par l'auteur contre le gardien de prison, le Comité conclut que
l'État partie n'a pas démontré que l'usage de la force contre l'auteur
était nécessaire. Il y a donc violation de l'article 7 du Pacte.
7.2 S'agissant du grief de l'auteur selon lequel il n'a pas reçu de soins
médicaux appropriés et, en particulier, qu'on ne lui a pas donné une nouvelle
paire de lunettes depuis 1994, le Comité note que l'État partie a déclaré
que, d'après le dossier médical, l'auteur a obtenu une nouvelle paire
de lunettes en octobre 1995. Le Comité est d'avis que les faits dont il
est saisi ne montrent pas qu'il y a eu violation du Pacte sur ce point.
7.3 L'État partie n'a fourni aucun renseignement sur les conditions de
détention de l'auteur dans le quartier des condamnés à mort. Dans ces
conditions, il y a lieu de dûment prendre en considération les allégations
de l'auteur, si elles sont étayées. Le Comité constate que les conditions
de détention, telles que décrites par l'auteur, équivalent à une violation
du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
7.4 L'État partie a contesté les informations données par l'auteur à
propos des conditions de sa détention depuis la commutation de la peine
de mort à laquelle il avait été condamné. Le Comité note cependant que
l'État partie concède que l'auteur est détenu dans une cellule de 3 m
x 2 m avec cinq autres détenus; l'État partie n'a pas contesté non plus
l'information selon laquelle les prisonniers partagent un seau hygiénique
unique. Le Comité considère que cet entassement est contraire au principe
qui veut que les détenus soient traités avec humanité et avec le respect
de la dignité inhérente à la personne humaine et que cela constitue une
violation du paragraphe 1 de l'article 10.
7.5 Le conseil a fait valoir que l'absence d'assistance judiciaire aux
fins de la présentation d'une requête constitutionnelle constitue en soi
une violation du Pacte. L'État partie a réfuté ce grief, avançant qu'une
assistance judiciaire est en principe disponible pour la présentation
d'une requête constitutionnelle, mais que son octroi, loin d'être automatique,
est soumis à certaines conditions. Il a été donné au Comité de déclarer,
dans le passé, que dans une procédure engagée devant la Cour constitutionnelle,
les droits doivent être déterminés compte tenu de l'exigence de procès
équitable, visée au paragraphe 1 de l'article 14, et que l'assistance
judiciaire doit être fournie gratuitement dans les cas où un accusé cherchant
à saisir une Cour constitutionnelle des irrégularités d'une procédure
pénale ne dispose pas de moyens suffisants pour faire face au coût des
services juridiques dont il a besoin à cette fin et où l'intérêt de la
justice l'exige / Voir notamment les constatations du Comité
concernant la communication No 377/1989 (Anthony Currie c. Jamaïque),
adoptées le 29 mars 1994, et la communication No 705/1996 (Desmond
Taylor c. Jamaïque), adoptées le 2 avril 1998)./.
7.6 En l'espèce, la question dont l'auteur souhaitait saisir la Cour
constitutionnelle était celle de savoir si son exécution, les conditions
de sa détention ou la durée de sa détention dans le quartier des condamnés
à mort équivalaient à une peine cruelle. Le Comité considère que, bien
que le paragraphe 1 de l'article 14 n'impose pas expressément aux États
parties l'obligation de fournir une assistance judiciaire dans le cas
des procès qui ne mettent pas en jeu une infraction pénale, il impose
aux États l'obligation de veiller à ce que toutes les personnes aient
accès dans des conditions d'égalité aux cours de justice et aux tribunaux.
Le Comité considère que dans les circonstances de la présente affaire,
compte tenu du fait que l'auteur a été détenu dans le quartier des condamnés
à mort, qu'il n'avait aucune possibilité de présenter en personne une
requête constitutionnelle et que l'objet de la requête constitutionnelle
concernait la constitutionnalité de son exécution, à savoir directement
son droit à la vie, l'État partie aurait dû prendre des mesures pour permettre
à l'auteur de saisir la Cour constitutionnelle, par exemple en lui accordant
une assistance judiciaire. L'État partie ne l'ayant pas fait, il y a eu
en conséquence violation du paragraphe 1 de l'article 14.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il
est saisi font apparaître des violations de l'article 7, du paragraphe
1 de l'article 10 et du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.
9. Selon le paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie a
l'obligation d'assurer à M. Allan Henry un recours utile, y compris une
indemnisation. L'État partie est tenu à prendre des mesures pour éviter
que pareilles violations ne se reproduisent dans l'avenir.
10. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, la Trinité-et-Tobago
a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y a eu ou
non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, l'État
partie s'est engagé à garantir à toutes les personnes se trouvant sur
son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans
le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation
a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai
de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet
à ses constatations. Il l'invite aussi à publier ses constatations.
[Adopté en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français.
Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le
rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]