Présentée par: Mme Alzbeta Pezoldova (représentée par un conseil, Lord
Lester of Herne Hill)
Au nom de: L'auteur
État partie: République tchèque
Date de la communication: 30 septembre 1996 (lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 octobre 2002,
Ayant achevé l'examen de la communication no 757/1997 présentée
par Mme Alzbeta Pezoldova, en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et par l'État partie,
Adopte les constatations suivantes:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Mme Alzbeta Pezoldova, citoyenne tchèque
résidant à Prague (République tchèque). Elle affirme être victime de violations,
par la République tchèque, des articles 26, 2 et 14 (par. 1) du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil.
Le Pacte est entré en vigueur pour la République tchèque en mars 1976 et le
Protocole facultatif en juin 1991 (1).
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Mme Pezoldova est née le 1er octobre 1947 à Vienne et est la fille
et l'héritière légitime de Jindrich Schwarzenberg. Elle déclare que le Gouvernement
allemand nazi a confisqué, en 1940, tous les biens de sa famille en Autriche,
en Allemagne et en Tchécoslovaquie, dont une propriété en Tchécoslovaquie
connue sous le nom de «Stekl». Elle affirme que ces biens ont été confisqués
parce que son grand-père adoptif, Adolf Schwarzenberg, était un opposant
à la politique nazie. Ce dernier a quitté la Tchécoslovaquie en septembre
1939 et est décédé en Italie en 1950. Le père de l'auteur, Jindrich Schwarzenberg,
a été arrêté par les Allemands en 1943 et déporté à Buchenwald, d'où il
a été libéré en 1944. Il s'est exilé aux États-Unis et n'est pas rentré
en Tchécoslovaquie après la guerre.
2.2 Après la Seconde Guerre mondiale, en 1945, les biens de la famille
ont été placés sous administration nationale par le Gouvernement tchécoslovaque.
En application du décret no 12 du 21 juin 1945 et du décret no 108 du 25
octobre 1945, promulgués par le Président tchécoslovaque Edward Benes, les
biens immobiliers et les terres agricoles des personnes d'origine allemande
et hongroise ont été confisqués. Ces décrets ont été appliqués à la propriété
des Schwarzenberg au motif que Schwarzenberg était d'origine allemande,
bien qu'il eût toujours été un loyal citoyen tchèque et défendu les intérêts
de la Tchécoslovaquie.
2.3 Le 13 août 1947, une loi sur la confiscation de biens d'application
générale, la loi no 142/1947, a été adoptée. Cette loi autorisait le Gouvernement
à nationaliser, en échange d'une indemnisation, les terres agricoles de
plus de 50 hectares et les entreprises industrielles employant plus de 200
travailleurs. Toutefois, cette loi n'a pas été appliquée s'agissant de la
propriété des Schwarzenberg, car le même jour une loi spéciale, la loi no
143/1947 (dite «Lex Schwarzenberg») a été promulguée, prévoyant le transfert
des biens des Schwarzenberg à l'État sans indemnisation alors que ces biens
avaient déjà été confisqués en application des décrets Benes nos 12 et 108
(2). L'auteur affirme que la loi no 143/1947 était inconstitutionnelle,
discriminatoire et arbitraire, perpétuait et officialisait les persécutions
à l'égard de la famille Schwarzenberg commises précédemment par les nazis.
Selon l'auteur, la loi n'a pas eu d'effet automatique sur la confiscation
opérée au préalable en application des décrets Benes. Toutefois, le 30 janvier
1948, la mesure de confiscation des terres agricoles des Schwarzenberg en
application des décrets nos 12 et 108 a été annulée. Le représentant des
Schwarzenberg en a été informé par une lettre du 12 février 1948 et les
parties ont été autorisées à faire appel dans les 15 jours. L'auteur déclare
en conséquence que la mesure d'annulation n'a pris effet qu'après le 27
février 1948 (soit deux jours après la date fixée dans la loi no 229/1991
comme début de la période prise en considération aux fins de la restitution
de biens, c'est-à-dire le 25 février 1948).
2.4 Selon l'auteur, le transfert des biens ne découlait pas automatiquement
de l'entrée en vigueur de la loi no 143/1947, mais était subordonné à l'inscription
au cadastre du transfert des droits de propriété correspondants. À ce propos,
l'auteur signale que le régime d'administration nationale (voir par. 2.2)
est demeuré en vigueur jusqu'à juin 1948 et que l'enregistrement des biens
par les bureaux du cadastre et les tribunaux montre qu'à l'époque la loi
no 143/1947 n'était pas considérée comme ayant pour effet immédiat le transfert
de la propriété.
2.5 Après l'effondrement du régime communiste en 1989, plusieurs lois sur
la restitution de biens ont été adoptées. S'appuyant sur la loi no 229/1991
(3), l'auteur s'est adressée aux autorités foncières régionales pour
obtenir restitution, mais ses demandes ont été rejetées par les décisions
des 14 février, 20 mai et 19 juillet 1994.
2.6 Le tribunal municipal de Prague, par ses décisions du 27 juin 1994
(4) et du 28 février 1995 (5), a rejeté le recours de l'auteur
et a statué que la propriété des biens avait été licitement et automatiquement
transférée à l'État le 13 août 1947 par l'effet de la loi no 143/1947. Étant
donné que, selon la loi no 229/1991 sur les restitutions, la période pouvant
être prise en considération pour l'examen des demandes de restitution avait
commencé le 25 février 1948, le tribunal municipal de Prague a jugé que
l'auteur ne pouvait prétendre à restitution (6). Le tribunal municipal
a rejeté la demande de l'auteur visant à ce que la procédure soit suspendue
afin de demander à la Cour constitutionnelle de statuer sur la question
de l'inconstitutionnalité et de la nullité de la loi no 143/1947.
2.7 Le 9 mars 1995, la requête déposée par l'auteur devant la Cour constitutionnelle
concernant la décision du tribunal municipal du 27 juin 1994 a été rejetée.
La Cour a confirmé la décision du tribunal municipal selon laquelle les
biens avaient été transférés à l'État automatiquement par l'effet de la
loi no 143/1947 et a refusé d'examiner la question de savoir si la loi no
143/1947 était inconstitutionnelle et nulle. L'auteur n'a pas fait appel
devant la Cour constitutionnelle de la décision rendue par le tribunal municipal
le 28 février 1995 car son recours aurait été vain, compte tenu du rejet
de son premier appel.
2.8 Selon l'auteur, l'interprétation des tribunaux selon laquelle le transfert
des biens était opéré automatiquement sans qu'ils soient nécessairement
enregistrés au cadastre est en contradiction flagrante avec la pratique
de l'époque et avec le texte de la loi elle-même, qui montrent que l'enregistrement
était une condition nécessaire au transfert de biens, lequel, en l'espèce,
a eu lieu après le 25 février 1948.
2.9 La requête présentée par l'auteur à la Commission européenne des droits
de l'homme le 24 août 1995 au sujet de sa demande de restitution de la propriété
«Stekl» et de la façon dont les tribunaux tchèques avaient traité cette
demande a été déclarée irrecevable le 11 avril 1996. L'auteur déclare que
la Commission n'a pas examiné sa plainte sur le fond et ajoute que la communication
qu'elle présente au Comité des droits de l'homme a une portée plus large
que sa plainte devant la Commission européenne des droits de l'homme.
2.10 En ce qui concerne l'épuisement des recours internes, l'auteur déclare
qu'elle ne dispose pas d'autres recours internes utiles contre le rejet
et l'exclusion de sa demande de réparation - sous forme de restitution
ou d'indemnisation - pour la confiscation illicite, arbitraire et
discriminatoire de ses biens et contre le dÚni de justice dont elle a ÚtÚ
victime Ó propos de cette demande de rÚparation.
2.11 Il ressort des informations fournies que l'auteur continue Ó demander
la restitution de diffÚrentes parties des biens de sa famille, en application
de la loi no 243/1992 (7) qui prévoit la restitution des biens confisqués
en vertu des décrets Benes. Sa demande a été rejetée le 30 avril 1997 par
le tribunal municipal de Prague au motif que les biens de la famille de
l'auteur n'avaient pas été confisqués en vertu des décrets Benes, mais de
la loi no 143/1947. Selon le conseil, le tribunal n'a donc pas tenu compte
du fait que les biens ont été en réalité confisqués par l'État en vertu
des décrets Benes en 1945 et qu'ils n'ont jamais été restitués aux propriétaires
légitimes, de sorte que la loi no 143/1947 ne pouvait pas avoir et n'a pas
eu pour effet le transfert des biens de la famille Schwarzenberg à l'État.
Le tribunal a refusé de saisir la Cour constitutionnelle de la question
de la constitutionnalité de la loi no 143/1947, estimant qu'une telle démarche
n'aurait aucune incidence sur l'issue de l'affaire. Le 13 mai 1997, la Cour
constitutionnelle n'a pas examiné l'allégation de l'auteur selon laquelle
la loi no 143/1947 était inconstitutionnelle, considérant que l'auteur n'avait
pas qualité pour soumettre une proposition visant à annuler ladite loi.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que la persistance des autorités tchèques, y compris
de la Cour constitutionnelle tchèque, à refuser de reconnaître et de déclarer
que la loi no 143/1947 est une loi spéciale discriminatoire et en tant que
telle nulle et sans effet, constitue une atteinte arbitraire, discriminatoire
et inconstitutionnelle persistante au droit de l'auteur de jouir en toute
quiétude de son héritage et de ses biens, y compris à son droit à restitution
et indemnisation. Par ailleurs, la loi no 229/1991 sur les restitutions
est contraire à l'article 26 du Pacte, puisqu'elle prévoit une discrimination
arbitraire et injuste parmi les victimes de précédentes confiscations de
biens.
3.2 À ce sujet, l'auteur explique que la loi no 143/1947, conjuguée à la
loi no 229/1991, a pour effet de la soumettre à une discrimination arbitraire
et injuste en l'empêchant de recourir contre la confiscation de biens. Elle
dit qu'elle est victime de différences de traitement arbitraires par rapport
à d'autres victimes de précédentes confiscations. À cet égard, elle se réfère
à l'interprétation pernicieuse de la loi no 143/1947 par les tribunaux tchèques,
selon laquelle cette loi aurait eu pour effet le transfert automatique des
biens à l'État tchèque, au refus de la Cour constitutionnelle d'examiner
la constitutionnalité de la loi no 143/1947, à l'interprétation arbitraire
et dénuée de cohérence de la loi no 142/1947 et de la loi no 143/1947, au
choix arbitraire de la date du 25 février 1948 comme début de la période
prise en considération et à la confirmation par les tribunaux en place après
1991 de la distinction arbitraire faite entre la loi no 142/1947 et la loi
no 143/1947 pour ce qui est de la restitution des biens.
3.3 Le conseil renvoie à une décision rendue le 13 mai 1997 par la Cour
constitutionnelle concernant la constitutionnalité de la loi no 229/1991,
dans laquelle la Cour a considéré qu'il existait des motifs raisonnables
et objectifs d'exclusion de toutes les autres requêtes en restitution de
biens du simple fait que la loi était l'expression manifeste de la volonté
politique du législateur de soumettre les requêtes en restitution à la condition
fondamentale de l'existence de ladite période fixée et que le législateur
entendait clairement définir une date limite.
3.4 S'agissant de l'allégation de discrimination arbitraire et injuste
entre l'auteur et les victimes de confiscations de biens en vertu de la
loi no 142/1947, le conseil indique que les confiscations opérées en vertu
de cette loi ont été annulées conformément au paragraphe 1 de l'article
32 de la loi no 229/1991, mais que le législateur tchèque n'a pas fait de
même pour les confiscations opérées en vertu de la loi no 143/1947. Elle
ajoute que, dans le cas de la loi no 142/1947, c'est la date d'inscription
au cadastre ou de prise de possession effective qui est considérée par la
Cour constitutionnelle comme pertinente pour établir le droit à indemnisation,
tandis que, dans le cas de la loi no 143/1947, la date considérée comme
pertinente est celle de la promulgation de la loi. L'auteur déclare à ce
propos que le comté de Bohême n'a pas pris possession des biens avant mai
1948.
3.5 L'auteur déclare également qu'il existe une discrimination arbitraire
et injuste entre elle-même et les autres victimes de confiscations de biens
effectuées en application des décrets Benes de 1945, car ces victimes peuvent
prétendre à restitution au titre desdits décrets et en vertu des lois nos
87/1991 et 229/1991, lues conjointement avec la loi no 243/1992, en ce qui
concerne les biens confisqués tant avant qu'après le 25 février 1948, si
elles peuvent faire la preuve de leur loyalisme envers la République tchèque
et de leur innocence de tous actes illicites à l'encontre de l'État tchécoslovaque,
alors que l'auteur se voit refuser cette possibilité du fait que, selon
les jugements rendus après 1991, les expropriations opérées en application
des décrets Benes ont été annulées par la promulgation de la loi no 143/1947.
3.6 L'auteur déclare que le fait de la priver de tout recours utile contre
la confiscation arbitraire, illégale, injuste et discriminatoire de ses
biens en application des décrets Benes et de la loi no 143/1947 constitue
à son encontre, de la part des autorités publiques - lÚgislatives,
exÚcutives et judiciaires - de la RÚpublique tchÞque, un traitement
arbitraire, illÚgal, injuste, discriminatoire et inconstitutionnel, contrevenant
aux obligations qui incombent Ó la RÚpublique tchÞque en vertu des articles
2 et 26 du Pacte. └ cet Úgard, elle dÚclare que les considÚrations
du ComitÚ des droits de l'homme dans l'affaire Simunek (8) sont
directement pertinentes dans son propre cas.
3.7 En ce qui concerne ses allégations au titre du paragraphe 1 de l'article
14 du Pacte, l'auteur déclare avoir été victime d'un déni du droit à l'égalité
devant les tribunaux tchèques et du droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement par un tribunal indépendant et impartial, y compris du droit
d'avoir un accès effectif à un tel tribunal. Elle fait référence à ce propos
à la manière dont les tribunaux ont rejeté sa demande de restitution, à
la jurisprudence plus favorable de la Cour constitutionnelle dans des affaires
comparables et au refus de la Cour constitutionnelle de se prononcer sur
la constitutionnalité de la loi no 143/1947.
3.8 À ce sujet, l'auteur souligne qu'il est intrinsèquement contraire à
la logique et au bon sens de la part de la Cour constitutionnelle d'avoir
confirmé les effets en droit de la loi no 143/1947, tout en déclarant simultanément
que la question de la validité constitutionnelle de cette loi n'avait pas
de rapport avec la détermination des droits de l'auteur. En outre, en prenant
sa décision, la Cour s'est écartée de sa propre jurisprudence et de ses
fonctions pour ce qui est d'annuler la législation discriminatoire.
Observations de l'État partie
4.1 Dans une lettre datée du 4 décembre 1997, l'État partie affirme que
la communication est irrecevable ratione temporis car manifestement
mal fondée et également en raison du non-épuisement des recours internes.
Exposant les origines de la législation relative à la restitution de biens,
l'État partie indique que celle-ci avait pour but de remédier aux séquelles
du régime communiste totalitaire et qu'en toute logique elle ne s'appliquait
qu'à partir de la date à laquelle les communistes avaient pris le pouvoir;
il s'agissait d'une loi n'entraînant pas d'obligations et dont l'objectif
n'avait jamais été l'indemnisation générale.
4.2 Selon l'État partie, la communication est manifestement dénuée de fondement
car il ressort clairement du texte de la loi no 143/1947 que les biens en
question d'Adolf Schwarzenberg ont été dévolus à l'État en application de
la loi avant le 25 février 1948, date fixée dans la loi no 229/1991 comme
début de la période prise en considération. L'État partie précise que l'enregistrement
des biens n'était nécessaire que pour les changements de propriété par voie
de transfert (exigeant le consentement de l'ancien propriétaire) et non
pas pour les changements de propriété par voie de dévolution (n'exigeant
pas le consentement du propriétaire). Dans ce dernier cas, l'enregistrement
des biens n'est qu'une formalité visant à garantir la propriété de l'État
contre des tierces personnes. De plus, la loi no 243/1992 ne s'applique
pas dans le cas de l'auteur car ses dispositions ne portent explicitement
que sur les expropriations opérées en application des décrets Benes.
4.3 L'État partie déclare que le Comité est incompétent ratione temporis
pour examiner l'allégation de l'auteur selon laquelle la loi no 143/1947
était inconstitutionnelle ou discriminatoire. Il reconnaît que le Comité
serait compétent ratione temporis pour examiner des cas relevant
soit de la loi no 229/1991, soit de la loi no 243/1992, y compris des cas
qui se seraient produits dans la période précédant la date d'entrée en vigueur
du Pacte pour la République tchèque. Toutefois, étant donné qu'aucune de
ces deux lois ne s'applique dans le cas de l'auteur, les actes juridiques
découlant de la loi no 143/1947 sont ratione temporis, en dehors
du champ d'application du Pacte.
4.4 Enfin, l'État partie fait observer que la communication adressée au
Comité a une portée plus large que la requête présentée par l'auteur à la
Cour constitutionnelle et qu'elle est en conséquence irrecevable en raison
du non-épuisement des recours internes. À cet égard, l'État partie rappelle
que 27 plaintes déposées par l'auteur sont toujours en instance devant la
Cour constitutionnelle.
Commentaires de l'auteur
5.1 Dans ses commentaires concernant les observations de l'État partie,
l'auteur ne conteste pas l'argument de l'État partie selon lequel la législation
n'a jamais visé à garantir une indemnisation générale, mais fait observer
que la plainte dans l'affaire à l'étude concerne la façon dont cette législation
a été appliquée dans son cas puisqu'elle a été ainsi exclue de façon discriminatoire
de tout recours utile en matière de restitution ou d'indemnisation pour
la confiscation illégale des biens de sa famille, en violation de son droit
à l'égalité devant la loi et à une égale protection de la loi. La plainte
concerne également le déni de son droit à l'égalité devant les tribunaux
tchèques et à ce que sa cause soit entendue équitablement.
5.2 Pour ce qui est de l'argument de l'État partie, selon lequel la communication
est manifestement dénuée de fondement, le conseil renvoie au régime juridique
en matière de restitution et d'indemnisation, qui consiste en différentes
lois et manque de transparence. L'auteur conteste la version des faits présentés
par l'État partie et maintient que les biens de sa famille ont été illégalement
confisqués par l'État en application des décrets Benes nos 12/1945 et 108/1945
et que la loi no 143/1947 n'avait pas pour effet la confiscation des biens
de la famille. Si toutefois - ce que l'auteur conteste - la
loi no 143/1947 avait effectivement pour effet de priver sa famille de ses
biens comme le laisse entendre l'État partie, l'auteur s'élève alors contre
l'affirmation de l'État partie selon laquelle les biens ont été confisqués
avant la date prescrite du 25 février 1948. À cet égard, l'auteur renvoie
aux renseignements qu'elle a fournis précédemment et déclare que les tribunaux
se sont refusés à reconnaître le caractère arbitraire, injuste et inconstitutionnel
de la mesure visant à fixer au 25 février 1948 la date à partir de laquelle
les demandes pouvaient être prises en considération.
5.3 L'auteur note que l'État partie n'a pas pris en considération le fait
que la Cour constitutionnelle a refusé d'examiner sa requête concernant
la constitutionnalité de la loi no 143/1947, l'ayant déclarée irrecevable.
5.4 À propos de l'argument de l'État partie selon lequel la communication
est irrecevable ratione temporis, l'auteur fait observer que sa plainte
n'est pas que les dispositions de la loi no 143/1947 sont contraires à celles
du Pacte, mais que les actes et les omissions des pouvoirs publics de l'État
partie après l'entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif, qui
l'ont privée de façon discriminatoire d'un recours utile en matière de restitution
et d'indemnisation, constituent des violations du Pacte.
5.5 Pour ce qui est de l'argument de l'État partie qui affirme que sa communication
a une portée plus large que la plainte qu'elle a déposée devant la Cour
constitutionnelle et que plusieurs requêtes sont encore en instance devant
la Cour constitutionnelle, l'auteur déclare que cette situation est due
au fait que les tribunaux se sont refusés à traiter du fond de son affaire
et au manque de coopération des autorités, qui ont négligé d'enquêter et
de l'aider à éclaircir les questions intervenant en l'espèce.
5.6 Dans une autre lettre datée du 12 janvier 1999, l'auteur informe le
Comité des faits nouveaux survenus dans son affaire. Elle cite les décisions
prises par la Cour constitutionnelle le 4 septembre 1998, par lesquelles
la Cour a déclaré que ses demandes de restitution en vertu de la loi no
243/1992 n'avaient pas été déposées dans les délais prescrits en la matière
dans ladite loi. Elle indique que la date limite de dépôt des requêtes était
le 31 décembre 1992 et que, pour les personnes habilitées qui, au 29 mai
1992, ne résidaient pas en République tchèque, cette date limite était le
15 juillet 1996. L'auteur, étant devenue citoyenne et résidente tchèque
en 1993, a déposé sa requête le 10 juillet 1996. Toutefois, le tribunal
a rejeté sa requête car elle n'était pas citoyenne au 29 mai 1992 et ne
faisait donc pas partie des personnes habilitées selon les termes de la
loi.
5.7 L'auteur déclare que la condition requise consistant à avoir la citoyenneté
tchèque constitue une violation de ses droits en vertu des articles 2 et
26 du Pacte. À cet égard, elle renvoie aux constatations du Comité dans
l'affaire Simunek (communication no 516/1992).
5.8 Le conseil ajoute que, dans une décision du 26 mai 1998 concernant
le palais Salm à Prague, la Cour constitutionnelle a décidé que la demande
en restitution de l'auteur était irrecevable en raison du dépassement de
la date limite et qu'elle n'était en conséquence pas tenue de décider si
l'auteur avait ou non droit à un titre de propriété. Selon l'auteur, en
refusant de se prononcer sur sa demande de reconnaissance de droit de propriété,
la Cour lui a refusé son droit à la justice, en violation du paragraphe
1 de l'article 14 du Pacte.
Considérations relatives à la recevabilité
6.1 À sa soixante-sixième session, en juillet 1999, le Comité a examiné
la recevabilité de la communication.
6.2 Le Comité a considéré que les allégations de l'auteur concernant la
loi no 143/1947 ne relevaient pas de sa compétence ratione temporis
et qu'elles étaient donc irrecevables en vertu de l'article premier du Protocole
facultatif.
6.3 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle elle n'a
pas eu droit à ce que sa cause soit entendue équitablement en raison de
la façon dont les tribunaux ont interprété les lois à appliquer dans son
cas, le Comité a rappelé qu'il appartient essentiellement aux tribunaux
et aux autorités de l'État partie concerné d'interpréter la législation
interne et déclaré que cette partie de la communication était irrecevable
en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
6.4 Le Comité a également considéré irrecevable l'allégation de l'auteur
selon laquelle elle était victime d'une violation du paragraphe 1 de l'article
14 du Pacte en raison du fait que les tribunaux avaient refusé de déterminer
si elle avait un droit juridique de propriété. Le Comité a considéré que
l'auteur n'avait pas étayé son allégation, aux fins de la recevabilité,
selon laquelle le refus des tribunaux était arbitraire, ni son allégation
selon laquelle le refus du Gouvernement d'examiner la constitutionnalité
de la loi no 143/1947 constituait une violation du paragraphe 1 de l'article
14.
6.5 À propos de l'objection faite par l'État partie qui affirme que la
communication était irrecevable au motif du non-épuisement des recours internes,
le Comité a noté que toutes les questions soulevées dans la communication
à l'étude avaient été portées devant les tribunaux nationaux de l'État partie
à l'occasion des diverses demandes déposées par l'auteur et qu'elles ont
été examinées par la plus haute autorité judiciaire de l'État partie. Le
Comité a considéré en conséquence qu'il n'était pas empêché d'examiner la
communication par la condition établie au paragraphe 2 b) de l'article 5
du Protocole facultatif.
6.6 Le Comité a noté qu'une plainte analogue déposée par l'auteur avait
été déclarée irrecevable par la Commission européenne des droits de l'homme
le 11 avril 1996. Toutefois, les dispositions prévues au paragraphe 2 a)
de l'article 5 du Protocole facultatif n'empêchaient pas le Comité de déclarer
recevable la communication à l'étude car la question n'était plus à l'examen
devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement et l'État
partie n'avait pas formulé de réserve au titre du paragraphe 2 a) de l'article
5 du Protocole facultatif.
6.7 Le 9 juillet 1999, le Comité a décidé en conséquence que les allégations
restantes, selon lesquelles l'auteur s'était vu refuser l'accès à une voie
de recours de façon discriminatoire, étaient recevables car elles pouvaient
soulever des questions au titre des articles 2 et 26 du Pacte.
Observations de l'État partie et de l'auteur quant au fond
7.1 Dans une lettre datée du 23 mars 2002, l'auteur renvoie aux constatations
du Comité concernant la communication no 774/1997 (Brok c. République
tchèque) et, dans les limites de la recevabilité des plaintes au titre
des articles 2 et 26 du Pacte, affirme en ce qui concerne la question de
l'égalité d'accès que le Ministère de l'agriculture et diverses archives
d'État ont systématiquement refusé jusqu'en 2001 à elle-même et à toutes
les autorités foncières, l'accès au dossier complet des procédures de confiscation
visant son grand-père, Adolf Schwarzenberg, et des recours qu'il avait formés
en temps utile (voir par. 5.5 ci-dessus). En particulier, il est affirmé
que même en 2001 le conseil de l'auteur s'est vu refuser par le Directeur
des affaires juridiques du Ministère, M. Jindrich Urfus, l'examen du dossier
Schwarzenberg, et ce n'est qu'au moment où l'auteur a trouvé d'autres documents
pertinents dans une autre archive que son conseil a été informé par le Ministère,
le 11 mai 2001, que le dossier existait effectivement et qu'il était autorisé
à l'examiner. L'auteur affirme également que le 5 octobre 1993 la responsable
des archives d'État de Krumlov, Mme Anna Kubikova, lui a refusé l'utilisation
de l'archive en présence de son assistante, Mme Zaloha, et l'a éconduite
dans ces termes: «Tous les citoyens tchèques sont autorisés à utiliser cette
archive, mais vous n'êtes pas autorisée à le faire.». L'auteur affirme que
ces refus d'accès illustrent l'inégalité de traitement à laquelle les autorités
tchèques la soumettent depuis 1992.
7.2 Les documents refusés attestent que la propriété des Schwarzenberg
a bien été confisquée en application du décret présidentiel no 12/1945.
Les pouvoirs publics de l'État partie non seulement ont empêché l'auteur
de découvrir l'intégralité des faits de son affaire, de les porter à l'attention
des autorités foncières et des tribunaux et de respecter les délais fixés
pour former des plaintes conformément aux lois nos 87/91 et 243/92, mais
ont également délibérément induit en erreur toutes les autorités foncières
et le Comité des droits de l'homme.
7.3 Le 29 novembre 2001, le tribunal régional de Ceske Budejovice (15 Co
633/2001-115), statuant à charge d'appel, a confirmé que la propriété des
Schwarzenberg avait bien été confisquée en application de l'article 1, paragraphe
1 a), du décret no 12/1945, montrant par là que la loi no 143/1947 ne s'appliquait
pas. Le tribunal n'a toutefois accordé aucune possibilité de recours à l'auteur,
du fait, selon elle, qu'aucun recours n'est ouvert aux personnes considérées
comme d'origine allemande ou hongroise.
7.4 Le Ministère des affaires foncières a également rejeté les contestations
de l'auteur du refus par toutes les autorités foncières de rouvrir diverses
procédures de restitution à la lumière des informations capitales qui avaient
été dissimulées et que l'auteur est finalement parvenue à se procurer. Elle
suppose que les décrets uniformément défavorables pris par plusieurs autorités
foncières ont été adoptés sur ordre du Ministère même, ce dernier ayant
donné des instructions auxdites autorités à propos d'autres procédures concernant
l'auteur.
7.5 L'auteur affirme en outre que, en n'appliquant pas la loi no 243/92
relative à la restitution de biens, le tribunal municipal de Prague a passé
outre aux conclusions que la Cour constitutionnelle tchèque a adoptées sur
la question. L'auteur allègue que ce déni de justice constitue une inégalité
de traitement fondée sur sa langue, son origine nationale et sociale et
sa fortune.
8.1 Par une note verbale datée du 7 juin 2002, l'État partie a formulé
les observations suivantes quant au fond. En ce qui concerne la contestation
de l'auteur de l'interprétation de la loi no 143/1947 par les tribunaux
tchèques, l'État partie estime que «l'interprétation du droit interne incombe
au premier chef aux tribunaux et aux autorités de l'État partie en cause.
Il n'est pas du ressort du Comité d'apprécier si les autorités compétentes
de l'État partie ont interprété et appliqué correctement le droit interne
dans le cas d'espèce, sauf s'il est établi qu'elles ne l'ont pas interprété
et appliqué de bonne foi ou s'il y a eu à l'évidence un abus de pouvoir.
Les procédures engagées devant les tribunaux de la République tchèque dans
l'affaire à l'examen sont décrites en détail dans l'observation que l'État
partie a adressée au Comité sur la recevabilité de la communication, laquelle
observation atteste la légalité de ces procédures. D'un autre côté, l'auteur
n'a pas étayé son allégation d'interprétation pernicieuse de la loi no 143/1947».
8.2 En ce qui concerne la plainte de l'auteur portant sur une discrimination
entre l'interprétation de la loi no 142/1947 et celle de la loi no 143/1947,
l'État partie renvoie à l'observation qu'il a formulée sur la recevabilité
de la communication, dans laquelle il cite les dispositions pertinentes
de la loi no 143/1947 et explique l'interprétation qu'en ont donnée les
autorités administratives et judiciaires de la République tchèque.
8.3 En ce qui concerne la contestation de l'auteur du choix de la date
du 25 février 1948 comme début de la période prise en considération, choix
qu'elle considère arbitraire, l'État partie fait observer que «le Comité
a examiné à maintes reprises la question de la compatibilité de la date
du 25 février 1948 comme début de la période prise en considération dans
la loi de la République tchèque sur la restitution des biens, avec les articles
2 et 26 du Pacte. La République tchèque renvoie à ce propos, aux décisions
du Comité dans les affaires Ruediger Schlosser c. République tchèque
(communication no 670/1995) et Gerhard Malik c. République
tchèque (communication no 669/1995). Dans l'un et l'autre cas le Comité
a conclu ainsi: "toutes les différences de traitement ne constituent pas
une discrimination au sens des articles 2 et 26. Le Comité considère qu'en
l'espèce il ne semble pas à première vue que le simple fait que la législation
adoptée après la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie pour indemniser
les victimes de ce régime ne prévoit pas l'indemnisation des victimes d'injustices
commises avant la période communiste la rende discriminatoire au sens de
l'article 26 du Pacte, ainsi que l'auteur le prétend" (…). La législation
relative à la restitution visait à réparer des injustices en matière de
propriété commises par le régime communiste dans la période 1948-1989. La
spécification par le législateur de la date marquant le début de la période
prise en considération était objective, étant donné que le coup d'État communiste
avait eu lieu le 25 février 1948, et justifiée eu égard aux possibilités
économiques de l'État qui passait d'un régime totalitaire à un régime démocratique.
Il conviendrait également de prendre en compte à cet égard le fait que le
droit à restitution n'est pas reconnu en droit international».
8.4 Pour ce qui est de la contestation de l'auteur de la distinction faite
entre la loi no 142/1947 et la loi no 143/1947 au regard de la restitution
des biens, et de la discrimination arbitraire et injuste que les décrets
présidentiels de 1945 établiraient entre l'auteur et d'autres victimes de
confiscations de biens, l'État partie fait observer que «la législation
relative à la restitution ne s'applique pas aux transferts de propriété
effectués avant le 25 février 1948, conformément aux lois mettant en œuvre
une nouvelle politique économique et sociale de l'État. Ces lois n'étaient
pas des instruments de la persécution communiste. Certes, la loi no 229/1991
renvoie à la loi no 142/1947 (par. 1 b) de l'article 6), mais elle prévoit
aussi que les transferts de propriété devaient avoir été effectués durant
la période prise en considération, à savoir entre le 25 février 1948 et
le 1er janvier 1990. En imposant cette condition supplémentaire, la loi
no 229/1991 respecte l'objet et l'idée susmentionnés de la législation sur
la restitution et énonce les critères objectifs de l'ouverture du droit
à la restitution de biens. Les biens du grand-père de l'auteur de la communication
ont été transférés à l'État avant le 25 février 1948 et ne sont par conséquent
pas visés par la procédure de restitution des biens liée au régime communiste.
La restitution au titre des injustices commises du fait d'une application
inappropriée des décrets présidentiels est prévue par la loi no 243/1992,
qui vise une situation totalement différente de celle du grand-père de l'auteur
et ne s'applique par conséquent pas dans l'affaire à l'examen».
9.1 Dans ses commentaires datés du 24 juin 2002, l'auteur réaffirme qu'elle
se plaint essentiellement de ce que les autorités tchèques ont violé son
droit à l'égalité de traitement en la privant arbitrairement de son droit
à la restitution au titre de la loi no 243/1992, laquelle prévoit qu'un
citoyen de la République tchèque (comme l'auteur) dont un ascendant (Adolph
Schwarzenberg) a été privé de ses biens conformément au décret présidentiel
no 12/1945 ou du décret présidentiel no 108/1945 peut prétendre à la restitution
de ces biens. Pour autant que ces derniers aient été saisis au titre de
l'un ou l'autre des décrets Benes, aucune disposition du droit tchèque n'impose
qu'ils l'aient été durant la période prise en considération que fixent les
lois nos 87/1991 et 229/1991, soit à partir du 25 février 1948.
9.2 L'auteur affirme que les autorités tchèques ont arbitrairement ignoré
les éléments de preuve clairs et sans équivoque qu'elle a produits à partir
des dossiers officiels de l'époque, selon lesquels les biens ont été confisqués
à Adolph Schwarzenberg par l'État tchécoslovaque en vertu du décret no 12/1945,
et que les autorités lui ont refusé toute réparation au motif fallacieux
que les biens avaient été confisqués conformément à la loi dite «Lex Schwarzenberg»
(loi no 143/1947) et non pas en vertu du décret Benes no 12/1945. Dans leurs
observations, les autorités tchèques s'attachent uniquement à justifier
la date «limite» du 25 février 1948 fixée dans les lois nos 87/1991 et 229/1991
relatives à la restitution de biens. L'État partie élude les arguments essentiels
de l'auteur, à savoir que les biens en question ont été confisqués en application
des décrets Benes, et que le fait que la confiscation a eu lieu avant le
25 février 1948 est donc sans objet. L'État partie écarte en une seule phrase
l'argument de l'auteur selon lequel elle a droit à la restitution en vertu
de la loi no 243/1992, affirmant simplement que «cette loi vise une situation
totalement différente de celle du grand-père de l'auteur et ne s'applique
par conséquent pas dans l'affaire à l'examen». Aucun élément de preuve ou
argument ne vient étayer cette simple affirmation, qui est démentie par
la décision que le tribunal régional de Ceske Budejovice, statuant à charge
d'appel, a rendue le 29 novembre 2001. Dans sa décision, le tribunal régional
a estimé que les biens d'Adolph Schwarzenberg étaient devenus propriété
de l'État en application du décret no 12/1945. Il a affirmé «ne pas douter
que les biens d'Adolph Schwarzenberg avaient été transférés à l'État avec
effet immédiat en pleine conformité avec le décret no 12/1945. Non seulement
l'État partie ne tient aucun compte de la conclusion du tribunal régional
dans ses observations, mais il élude également les autres faits et arguments
que l'auteur a portés à l'attention du Comité dans sa lettre du 23 mars
2002 (voir plus haut les paragraphes 7.1 à 7.5).
9.3 L'auteur renvoie aux éléments du dossier qu'elle a communiqués au Comité,
qui montrent que, jusqu'en 2001, les autorités tchèques l'ont systématiquement
privée de l'accès aux documents prouvant que les confiscations ont eu lieu
en application du décret Benes no 12/1945. En dissimulant ces pièces, les
autorités l'ont injustement empêchée de découvrir les faits tels qu'ils
se sont produits et d'en informer les autorités foncières et les tribunaux.
9.4 L'auteur fait valoir de surcroît que les obiter dicta contenus
dans les décisions du Comité relatives à la recevabilité des communications
Schlosser c. République tchèque et Malik c. République
tchèque, sur lesquels s'appuie l'État partie, sont sans rapport avec
sa propre affaire. L'auteur admet que toutes les différences de traitement
ne constituent pas une discrimination mais, dans son cas, les faits de l'espèce
diffèrent radicalement de ceux des affaires Schlosser et Malik.
L'affaire de l'auteur porte sur un déni arbitraire de l'accès à des informations
capitales pour l'exercice de ses droits à restitution, et un déni arbitraire
du droit de recours prévu par la loi no 243/1992, qui a été adoptée pour
réparer des injustices commises dans l'application des décrets Benes, comme
celles qu'Adolf Schwarzenberg a subies.
10. L'observation de l'auteur a été transmise à l'État partie le 24 juin
2002. Le Comité n'a pas reçu d'autres commentaires.
Examen quant au fond
11.1 Conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif,
le Comité procède à l'examen de la communication quant au fond en tenant
compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties.
11.2 La question qui se pose au Comité est celle de savoir si l'auteur
a été privée d'accès à un recours utile de manière discriminatoire. Selon
l'article 26 du Pacte, toutes les personnes sont égales devant la loi et
ont droit à une égale protection de la loi.
11.3 Le Comité note que l'auteur se plaint essentiellement de ce que les
autorités tchèques ont violé son droit à l'égalité de traitement pour lui
avoir refusé arbitrairement le droit à restitution des biens sur la base
des lois nos 229/1991 et 243/1992 en invoquant le fait que les biens de
son grand-père adoptif ont été confisqués en vertu de la loi no 143/1947
et non en vertu des décrets Benes nos 12 et 108/1945 et que, par conséquent,
les lois sur la restitution de 1991 et de 1992 ne s'appliquaient pas. Le
Comité note en outre l'argument invoqué par l'auteur que l'État partie lui
a constamment refusé, jusqu'en 2001, l'accès aux archives et aux dossiers
pertinents, ce qui fait que c'est seulement alors qu'ont pu être présentés
des documents permettant de prouver que la confiscation des biens s'est
en fait opérée sur la base des décrets Benes de 1945 et non sur la base
de la loi no 143/1947, la conséquence étant que l'auteur aurait droit à
la restitution des biens en vertu des lois de 1991 et de 1992.
11.4 Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l'interprétation
et l'application du droit interne appartiennent au premier chef aux tribunaux
et autorités de l'État partie. Toutefois, la personne qui poursuit une action
en vertu du droit interne doit avoir un accès égal aux voies de droit, notamment
avoir la possibilité d'établir et de présenter les faits véritables, sans
quoi les tribunaux seraient induits en erreur. Le Comité note que l'État
partie n'a pas répondu à l'allégation de l'auteur selon laquelle elle n'a
pas eu accès à des documents qui étaient décisifs pour que son affaire soit
correctement jugée. En l'absence de toute explication de la part de l'État
partie, il convient d'accorder le crédit voulu aux allégations de l'auteur.
11.5 Dans ce contexte, le Comité note également que, dans sa décision du
29 novembre 2001, le tribunal régional de Ceske Budejovice a reconnu que
la propriété des Schwarzenberg avait été confisquée en application du décret
Benes no 12/1945. Le Comité note en outre que, le 30 janvier 1948, la confiscation
des terres agricoles des Schwarzenberg en vertu des décrets Benes nos 12
et 108/1945 a été annulée, apparemment afin de permettre l'application de
la loi no 143/1947, d'où il résulte que le moment où l'annulation a pris
effet n'a semble-t-il pas été précisé, car les tribunaux ont pris pour hypothèse
que la loi no 143/1947 était la seule base légale applicable.
11.6 Ce n'est pas au Comité mais aux tribunaux de l'État partie qu'il appartient
de trancher des questions de droit tchèque. Le Comité constate néanmoins
que l'auteur a été maintes fois victime de discrimination en se voyant refuser
l'accès à des documents pertinents qui auraient pu lui permettre de prouver
le bien-fondé de ses demandes de restitution. Le Comité est donc d'avis
que les droits garantis à l'auteur par l'article 26, lu conjointement avec
l'article 2 du Pacte, ont été violés.
12.1 Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est
saisi font apparaître une violation de l'article 26 du Pacte, lu conjointement
avec l'article 2.
12.2 En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie
est tenu d'assurer à l'auteur un recours utile, à savoir la possibilité
de présenter une nouvelle demande de restitution ou d'indemnisation. L'État
partie devrait revoir sa législation et ses pratiques administratives afin
de s'assurer que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit
à une égale protection de la loi.
12.3 Le Comité rappelle qu'en adhérant au Protocole facultatif, la République
tchèque a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y
avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 de
celui-ci, elle s'est engagée à garantir à tous les individus se trouvant
sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans
le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation
a été établie. Le Comité engage en outre l'État partie à mettre en place
des procédures pour veiller à l'application des constatations adoptées en
vertu du Protocole facultatif.
12.4 À ce sujet, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans les
90 jours suivant la transmission des présentes constatations, des informations
sur les mesures prises par celui-ci pour y donner suite. L'État partie est
également prié de rendre publiques les constatations du Comité.
____________________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
communication: M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M.
Maurice Glélé Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart
Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga,
M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer,
M. Hipólito Solari Yrigoyen et M. Maxwell Yalden.
Le texte de deux opinions signées de M. Nisuke Ando et de M. Prafullachandra
Natwarlal Bhagwati est joint au présent document.
APPENDICES
Opinion individuelle en partie concordante de M. Nisuke Ando,
membre du Comité
Pour ce qui est de mon propre point de vue sur les lois concernant la restitution
adoptées après 1991, je renvoie à mon opinion individuelle jointe aux constatations
du Comité au sujet de la communication no 774/1997: Brok c. République
tchèque.
S'agissant des constatations du Comité dans la présente affaire, je tiens
premièrement à souligner qu'elles sont en contradiction avec sa propre
décision concernant la recevabilité. Dans sa décision concernant la recevabilité
du 9 juillet 1999, le Comité a clairement affirmé que les allégations de
l'auteur relatives à la loi no 143/1947 ne relevaient pas de sa compétence
ratione temporis et qu'elles étaient donc irrecevables en vertu de
l'article premier du Protocole facultatif (par. 6.2). Pourtant, dans son
examen de la communication quant au fond, le Comité aborde les détails des
allégations de l'auteur et déclare que, le 30 janvier 1948, la confiscation
des biens en cause en vertu des décrets Benes nos 12 et 108/1945 a été annulée
afin de permettre l'application de la loi no 143/1947 (par. 11.5), que le
tribunal régional de Ceske Budejovice a reconnu, le 29 novembre 2001, que
la propriété des Schwarzenberg avait été confisquée en application du décret
Benes no 12/1945 (par. 11.5), que l'auteur s'est vu refuser l'accès à des
documents qui étaient décisifs pour que son affaire soit correctement jugée
(par. 11.4) et que ces documents étaient les seuls de nature à prouver que
la confiscation s'était faite non pas en vertu de la loi no 143/1947 mais
en application des décrets Benes de 1945 (par. 11.3).
Deuxièmement, je tiens à souligner que, dans ces déclarations ainsi
que dans sa conclusion selon laquelle l'État partie a violé le droit de
l'auteur à l'égale protection de la loi reconnu aux articles 26 et 2 du
Pacte en lui refusant l'accès aux documents pertinents (par. 11.6), le Comité
s'est écarté de sa jurisprudence selon laquelle il ne doit pas agir en tant
que tribunal de quatrième instance par rapport aux juridictions nationales.
Certes, le Comité rappelle que l'interprétation et l'application du droit
interne appartiennent au premier chef aux tribunaux et aux autorités de
l'État partie concerné (par. 11.4 et 11.6), mais alors que les tribunaux
tchécoslovaques ont statué que les biens en question avaient été transférés
à l'État avant le 25 février 1948 et n'étaient donc pas visés par la procédure
de restitution des biens en rapport avec le régime communiste (par. 8.4),
le Comité conclut que l'auteur s'est vu refuser l'accès aux documents pertinents
en violation des articles 26 et 2 du Pacte (par. 11.6) et que l'État partie
est tenu d'assurer à l'auteur la possibilité de présenter une nouvelle demande
de restitution en s'appuyant sur les documents pertinents (par. 12.2).
Troisièmement, je tiens à souligner que le 11 mai 2001 le conseil
de l'auteur a non seulement été informé par le Ministère tchèque de l'agriculture
de l'existence des documents en question mais a aussi été autorisé à les
consulter (par. 7.1). À mon avis, il est impossible d'affirmer à partir
de cette date que l'État partie a continué de violer les droits garantis
à l'auteur aux articles 26 et 2 et lui déniant l'accès aux documents en
question.
(Signé) Nisuke Ando
Opinion en partie concordante de M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati,
membre du Comité
Je souscris à la conclusion du Comité selon laquelle les faits dont il est
saisi font apparaître une violation des articles 26 et 2 du Pacte. Cela dit,
je suis persuadé qu'il y a eu aussi violation du paragraphe 1 de l'article
14 qui stipule que tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice
et que toute personne a droit à ce que toute contestation sur ses droits et
obligations soit entendue équitablement et publiquement dans le cadre d'une
procédure judiciaire. Pour qu'une cause soit équitablement et dûment entendue,
une personne doit pouvoir accéder pleinement et sur un pied d'égalité aux
sources publiques d'information, y compris aux archives et aux registres fonciers,
de façon à obtenir les éléments nécessaires à la défense de cette cause. L'auteur
a montré qu'on ne lui a pas permis d'accéder dans des conditions d'égalité
à ces archives et registres, et l'État partie n'a ni donné des explications
ni réfuté les allégations de l'auteur. En outre, la longue procédure judiciaire
qui caractérise cette affaire, qui dure depuis plus de 10 ans, n'est pas encore
achevée. Dans le contexte de la présente affaire et compte tenu des affaires
de restitution concernant la Tchécoslovaquie sur lesquelles le Comité s'est
déjà prononcé, la réticence apparente des autorités et des tribunaux tchèques
à traiter équitablement et promptement les demandes de restitution constitue
aussi une violation de l'esprit, si ce n'est de la lettre, de l'article 14.
Il convient également de se rappeler qu'après l'entrée en vigueur du Protocole
facultatif pour la République tchèque, l'État partie a continué d'appliquer
la loi no 143/1947 (la «loi Schwarzenberg») qui visait exclusivement les biens
de la famille de l'auteur. Une législation ad hominem de ce type est
incompatible avec le Pacte en tant que déni général du droit à l'égalité.
Compte tenu de ce qui précède, j'estime que le recours approprié aurait été
la restitution et non pas simplement la possibilité de présenter une nouvelle
requête aux tribunaux tchèques.
En 1999, le Comité a déclaré la présente communication recevable dans la
mesure où elle pouvait soulever des questions au titre des articles 26 et
2 du Pacte. Je ne pense pas que cela l'empêchait nécessairement de conclure
à une violation de l'article 14 puisque l'État partie était au courant de
tous les éléments de la communication et aurait pu faire ses observations
sur les questions soulevées par l'auteur au titre de cet article. Le Comité
aurait pu certainement revoir sa décision concernant la recevabilité de
façon à tenir compte des allégations au titre de l'article 14 du Pacte et
aurait pu inviter l'État partie à faire des observations à ce sujet. Cela
aurait toutefois retardé encore plus la décision dans cette affaire, qui
est devant les tribunaux de l'État partie depuis 1992 et devant le Comité
depuis 1997.
(Signé) Prafullachandra Natwarlal Bhagwati
Notes
1. La République fédérative tchèque et slovaque a cessé d'exister le 31
décembre 1992. La nouvelle République tchèque a notifié sa succession au
Pacte et au Protocole facultatif le 22 février 1993.
2. La loi stipule ce qui suit:
«1. 1) La propriété des biens de la branche dite de primogéniture de la
famille Schwarzenberg à Hluboká nad Vlatavou - qui sont sis en
RÚpublique tchÚcoslovaque - est transfÚrÚe par la loi au comtÚ
de BohÛmeà
4. Le transfert des droits de propriÚtÚ, ainsi que de tous les autres
droits, conformÚment au paragraphe 1, au bÚnÚfice du comtÚ de BohÛme
sera confiÚ aux tribunaux et aux administrations qui Útablissent les
registres publics des biens immobiliers ou d'autres droits, comme suite
Ó la demande du ComitÚ national Útabli Ó Prague.
5. 1) Les biens deviennent la propriÚtÚ du comtÚ de BohÛme, sans indemnisation
pour les anciens propriÚtaires.
à╗.
3. La loi no 229/1991 promulguée par l'Assemblée fédérale de la République
fédérative tchèque et slovaque est entrée en vigueur le 24 juin 1991. Son
but était «d'atténuer les conséquences de certains préjudices subis par les
propriétaires de biens agricoles et forestiers entre 1948 et 1989». Selon
cette loi, les personnes citoyennes de la République fédérative tchèque et
slovaque qui résident en permanence sur son territoire et dont les terres
et les bâtiments et édifices faisant partie de leur propriété agricole d'origine
ont été transférés à l'État ou à d'autres entités juridiques entre le 25 février
1948 et le 1er janvier 1990 ont droit à restitution de leurs anciens biens,
notamment si ces derniers ont été transférés à l'État par confiscation et
sans indemnisation au titre de la loi no 142/1947 et, de façon générale, par
voie d'expropriation sans indemnisation. Par un arrêt du 13 décembre 1995,
la Cour constitutionnelle a considéré que la disposition de la loi no 229/1991
exigeant la résidence permanente était inconstitutionnelle.
4. Concernant la propriété «Stekl».
5. Concernant les biens sis à Krumlov et à Klatovy.
6. Le tribunal municipal de Prague a décidé que l'auteur n'était pas une
«personne habilitée» en vertu de l'article 4 1) de la loi no 229/1991 du
fait que le transfert des biens des Schwarzenberg aux autorités tchécoslovaques
avait eu lieu immédiatement après la promulgation de la loi no 143/1947
le 13 août 1947, avant la date du 25 février 1948 prévue à l'article 4 1)
de la loi no 229/1991. Or, avant la décision du tribunal municipal de Prague,
la loi était interprétée comme signifiant que la date effective était celle
de l'enregistrement des biens, laquelle, en l'espèce, était postérieure
au 25 février 1948. À cet égard, l'auteur déclare que la Cour constitutionnelle,
dans sa décision du 14 juin 1995 concernant la loi no 142/1947, a reconnu
que jusqu'au 1er janvier 1951 les biens devaient être nécessairement enregistrés
pour pouvoir être transférés.
7. La loi no 243/1992 prévoit la restitution des biens qui ont été confisqués
en application des décrets Benes nos 12/1945 et 108/1945, à condition que
le requérant soit citoyen tchèque et n'ait pas commis d'infraction à l'encontre
de l'État tchécoslovaque.
8. Simunek et consorts c. République tchèque, communication
no 516/1992. Constatations adoptées le 17 juillet 1995.