Soixante-neuvième session
10 - 28 juillet 2000
ANNEXE*
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Soixante-neuvième session -
Communication No 760/1997
Présentée par : Feu J. G. A. Diergaardt (Captain de la Communauté des Basters de Réhoboth) et consorts (représentés par M. Y. J. D. Peeters, leur conseil juridique international)
Au nom de : Les auteurs
État partie : Namibie
Date de la communication : 17 novembre 1996 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 juillet 2000,
Ayant achevé l'examen de la communication No 760/1997 présentée par J. G. A. Diergaardt et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. Les auteurs de la communication sont J. G. A. Diergaardt, chef (Captain) de la Communauté des Basters de Réhoboth (1), D. J. Izaaks, Captain par intérim de la communauté, Willem van Wijk et Jan Edward Stumpfe, membres du Conseil législatif, Andreas Jacobus Brendell, Président de la législature, et J. Mouton et John Charles Alexander McNab, membres de la communauté. Ces personnes, qui présentent la communication en leur nom propre ainsi qu'au nom de la Communauté des Basters de Réhoboth, se déclarent victimes de la violation, par la Namibie, des articles 1er, 14, 17, 25 a) et c), 26 et 27 du Pacte. Ils sont représentés par M. Y. J. D. Peeters, leur conseil juridique international.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Les membres de la Communauté des Basters de Réhoboth descendent de Khoïs et de colons afrikaners qui vivaient à l'origine dans la région du Cap mais se sont installés en 1872 sur le territoire qu'ils occupent actuellement. Ils étaient régis par leurs "lois ancestrales ('paternal laws')", qui prévoyaient l'élection d'un Captain et stipulaient leurs droits et devoirs de citoyens. Actuellement, la communauté compte environ 35 000 personnes et la zone qu'elle occupe (au sud de Windhoek) s'étend sur 14 216 kilomètres carrés. Dans cette zone, les Basters ont édifié une société, une culture, une langue et une économie qui leur sont propres et grâce auxquelles ils ont assuré le fonctionnement de leurs institutions propres, telles que des écoles et des centres communautaires.
2.2 Leur indépendance s'est poursuivie tout au long de la période de colonisation allemande de la Namibie et a été reconnue par l'Afrique du Sud quand celle-ci est devenue puissance mandataire pour le Sud-Ouest africain. Cependant, en 1924, en raison d'un différend entre les Basters au sujet d'un accord conclu avec l'Afrique du Sud pour l'administration du district de Réhoboth, le Gouvernement sud-africain a adopté une proclamation (Proclamation No 31) en vertu de laquelle tous les pouvoirs du Captain, des tribunaux et des responsables désignés par le Conseil législatif ont été transférés au Magistrate et à son tribunal, l'application de l'accord concernant l'autonomie se trouvant ainsi suspendue. En 1933, un processus progressif de rétablissement partiel de l'autonomie s'est instauré grâce à la création d'un Conseil consultatif dont les membres étaient élus par la communauté.
2.3 Par la loi No 56 de 1976 qu'a adoptée le Parlement sud-africain, le peuple de Réhoboth s'est vu accorder "l'autonomie conformément à la 'Paternal Law' de 1872". La loi de 1872 prévoyait l'élection, tous les cinq ans, d'un Captain qui, à son tour, nommait les membres du Cabinet. Les lois adoptées par le Cabinet devaient être approuvées par un "Volksraad" (Conseil populaire) de neuf membres.
2.4 Selon l'avocat des auteurs, en 1989, les Basters de Réhoboth ont dû accepter, en raison de pressions politiques extrêmes, le transfert temporaire de leurs pouvoirs en matière législative et exécutive au profit de l'Administrateur général du Sud-Ouest africain, ceci afin de se conformer à la résolution 435 (1978) du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies. Aux termes de la motion, adoptée par le Conseil de Réhoboth le 30 juin 1989, l'Administrateur général était prié d'administrer le territoire en tant qu'agent du Captain et de n'adopter aucune loi ou aucun règlement applicables à Réhoboth sans l'assentiment du Captain, du Cabinet et du Conseil; à l'expiration du mandat, le Gouvernement de Réhoboth retrouverait son autorité. La proclamation de l'Administrateur général en date du 30 août 1989, relative au transfert du pouvoir législatif et des pouvoirs de gouvernement à Réhoboth, suspend l'exercice des pouvoirs du Conseil législatif et du Conseil de Réhoboth chargé d'assister le Captain "jusqu'au jour qui précédera immédiatement la date de l'accession du territoire à l'indépendance". Les auteurs de la communication soutiennent donc que les effets de ce transfert ont pris fin le jour qui a précédé l'indépendance de la Namibie et qu'ainsi, en droit, le 20 mars 1990, l'ordre juridique traditionnel et la loi No 56 de 1976 étaient en vigueur dans le territoire de Réhoboth. Une résolution rétablissant l'autorité du Captain, de son Conseil et du Conseil législatif a été adoptée par l'Assemblée populaire de Réhoboth le 20 mars 1990. Le 21 mars 1990, la Namibie est devenue indépendante et la Constitution est entrée en vigueur.
2.5 Les auteurs déclarent que le Gouvernement namibien n'a pas reconnu leur indépendance et le retour à la situation antérieure, mais a exproprié toutes les terres communales de la communauté en appliquant les dispositions de l'annexe 5 de la Constitution, qui se lit comme suit :
"1) Tous les biens dont, immédiatement avant la date de l'indépendance, le Gouvernement du Territoire du Sud-Ouest africain ou une autorité représentative constituée en vertu de la Proclamation de 1980 sur les autorités représentatives (Proclamation AG 8 de 1980), ou le Gouvernement de Réhoboth, ou tout autre organe constitué par voie législative ou autre par un tel gouvernement ou une telle autorité ou à leur profit immédiatement avant la date de l'indépendance, avaient la propriété ou le contrôle, ou qui étaient gardés en dépôt pour le gouvernement d'une Namibie indépendante ou en son nom, deviendront propriété du Gouvernement namibien ou passeront sous son contrôle.
..."
Selon l'avocat des auteurs, cela a réduit à néant les moyens de subsistance de la communauté; en effet, celle-ci s'est vu refuser ses terres communales et ses biens.
2.6 Le 22 juin 1991, le peuple de Réhoboth a organisé des élections générales pour la désignation d'un Captain, d'un Conseil et d'une Assemblée conformément aux lois ancestrales. Les nouveaux organes ont reçu pour mission de protéger à tout prix les biens communaux du peuple. Par la suite, la Communauté des Basters de Réhoboth et son Captain ont assigné le Gouvernement namibien devant la Haute Cour. Le 22 octobre 1993, la Cour a estimé que la communauté était habilitée à agir ainsi. Selon l'avocat des auteurs, cela implique que la Cour reconnaît les Basters de Réhoboth comme constituant en eux-mêmes un peuple. Le 26 mai 1995, la Haute Cour a toutefois rejeté la requête de la communauté qui affirmait que les biens communaux lui appartiennent. Le 14 mai 1996, la Cour suprême a rejeté la requête formulée par les Basters en appel. On considère que cette décision épuise tous les recours internes.
2.7 Le 28 février 1995, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Protocole facultatif s'y rapportant sont entrés en vigueur pour la Namibie.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil des auteurs affirme que le Gouvernement continue à confisquer les avoirs des Basters de Réhoboth, et que le Captain ainsi que d'autres dirigeants et organisations ont été expulsés et spoliés de la résidence du Captain, des bureaux administratifs, de l'hôtel de ville, des terres communales et des avoirs de la Rehoboth Development Corporation. Le conseil déclare que cette politique met en danger le mode d'existence traditionnel de la communauté en tant que collectivité rurale composée principalement d'éleveurs. Il précise qu'en période de sécheresse (comme par exemple au moment où la communication a été présentée), la communauté a besoin de ses terres communales, sur lesquelles des droits de pâture sont reconnus aux membres de la communauté par roulement. En raison de l'expropriation des terres communales et de la privatisation qui en est résultée, ainsi que de la surexploitation des terres par des nouveaux venus inexpérimentés, nombreux sont les éleveurs de la communauté qui, acculés à la faillite, ont dû abattre leur bétail. En conséquence, ces personnes ne peuvent payer les intérêts des emprunts qui leur ont été accordés par la Development Corporation (laquelle appartenait précédemment à la communauté, mais fait maintenant partie des biens saisis par le Gouvernement); ainsi, les banques rachètent les habitations des éleveurs, qui se retrouvent sans abri. Le conseil souligne que la confiscation de tous les biens appartenant en collectivité à la communauté a dépouillé celle-ci de ce qui faisait la base de sa subsistance économique, laquelle constituait elle-même le fondement de son identité culturelle, sociale et ethnique. Il y aurait là violation de l'article 27 du Pacte.
3.2 Dans ce contexte, les auteurs affirment être victimes d'une violation, par le Gouvernement namibien, de l'article premier du Pacte. Ils font observer que la Haute Cour de Namibie les a reconnus comme étant une communauté distincte dotée de la personnalité juridique. Ils affirment que leur droit à l'autodétermination à l'intérieur de la République de Namibie (ce que l'on appelle autonomie interne) a été bafoué, vu qu'il ne leur est pas permis de poursuivre leur développement économique, social et culturel, et qu'ils ne peuvent disposer librement des richesses et ressources nationales de leur communauté. L'adoption de la loi relative à l'administration régionale de 1996 a mis fin aux 124 années d'existence de Réhoboth en tant que territoire organisé sans interruption. Le territoire chevauche maintenant deux régions, ce qui empêche les Basters de participer effectivement à la vie publique sur une base régionale; en effet, ils constituent une minorité dans l'un et dans l'autre des nouveaux districts. Le conseil des auteurs de la communication soutient que cela constitue une violation de l'article 25 du Pacte.
3.3 Les auteurs invoquent également une violation de l'article 14 du Pacte, étant donné qu'ils sont forcés d'utiliser tout au long des procédures judiciaires la langue anglaise, qu'ils ne pratiquent pas normalement, ni couramment. De plus, ils ont dû fournir, à très grands frais, des traductions faites par des spécialistes assermentés de tous les documents destinés à étayer leurs demandes (qui étaient rédigées en afrikaans). Ils soutiennent qu'en conséquence leur droit à l'égalité devant les tribunaux a été violé; en effet, les citoyens anglophones disposent d'un avantage devant les tribunaux.
3.4 Dans ce contexte, le conseil fait observer qu'en vertu de l'article 3 de la Constitution de la Namibie, l'anglais est la seule langue officielle du pays. Le paragraphe 3 de ce même article permet l'emploi d'autres langues en fonction de la législation adoptée par le Parlement. Le conseil déclare que, sept ans après l'indépendance, aucune loi de cette nature n'a été votée, et il soutient que cela constitue une discrimination à l'encontre des non-anglophones. Selon lui, les efforts déployés par l'opposition pour faire voter les lois en question se sont heurtés à la volonté du Gouvernement, qui a déclaré n'avoir aucune intention de prendre des initiatives de caractère législatif en la matière. À cet égard, le conseil des auteurs cite le recensement de 1991, selon lequel seulement 0,8 % de la population namibienne a l'anglais pour langue maternelle.
3.5 En conséquence, les auteurs se sont vu refuser la possibilité d'employer leur langue maternelle devant l'administration (2), devant la justice, dans l'enseignement et dans la vie publique. Il y a là, déclare-t-on, une violation des droits reconnus dans les articles 26 et 27 du Pacte.
3.6 Les auteurs dénoncent également une violation de l'article 17 du Pacte, du fait qu'ils ont été expulsés, avec leur bétail, des terres qu'ils détenaient à titre de bien collectif.
3.7 Le conseil prie le Comité de prendre des mesures provisoires de protection au titre de l'article 86 du règlement intérieur. Il lui demande d'exiger que, tant qu'il n'aura pas achevé l'examen de la communication, aucune terre de la communauté ne soit achetée ou vendue, aucun loyer ne soit perçu des occupants, et aucun troupeau ne soit empêché de paître sur les terres de la communauté.
Observations communiquées par l'État partie et commentaires du conseil
4. Le 23 juin 1997, le Comité, agissant par l'intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a transmis la communication à l'État partie en l'invitant à présenter des informations et des observations mais sans lui demander de prendre des mesures provisoires de protection en application de l'article 86.
5. Par une note du 6 novembre 1997, l'État partie confirme que les recours internes ont été épuisés. Toutefois, l'État partie nie avoir manqué à ses obligations internationales. Il déclare être disposé à fournir, soit oralement soit par écrit, toute information que le Comité pourra demander.
6. Dans ses commentaires, le conseil des auteurs note que l'État partie reconnaît que les recours internes ont été épuisés, et qu'il n'invoque aucune autre raison de déclarer la communication irrecevable. Le conseil donne son accord pour que l'affaire soit examinée quant au fond.
Décision du Comité concernant la recevabilité
7. À sa soixante-troisième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication. Il s'est assuré, comme l'exige le paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Il a noté que l'État partie avait confirmé que tous les recours internes avaient été épuisés.
8. En conséquence, le 7 juillet 1998, le Comité a jugé la communication recevable et décidé que la question de savoir si, dans le cas des auteurs, l'État partie avait manqué aux obligations lui incombant en vertu du Pacte devait être examinée quant au fond.
Faits nouveaux
9.1 Le 3 août 1998, la décision du Comité concernant la recevabilité a été communiquée à l'État partie, lequel a été prié de fournir des explications ou déclarations écrites portant sur le fond des plaintes des auteurs. Aucune information n'a été reçue, malgré deux rappels adressés à l'État partie.
9.2 Le 28 janvier 1999, le conseil des auteurs a fait connaître au Comité que M. John McNab avait été élu chef (Captain) de la Communauté de Réhoboth. Dans une autre lettre, datée du 25 avril 1999, le conseil a fait savoir au Comité que l'approvisionnement en eau de la communauté avait été coupé. Il a réitéré sa demande de mesures provisoires de protection.
Examen quant au fond
10.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises par les parties, conformément aux dispositions de l'article 5, paragraphe 1, du Protocole facultatif.
10.2 Le Comité regrette que l'État partie n'ait fourni aucune information concernant le fond des allégations des auteurs. Il rappelle que le Protocole facultatif prévoit implicitement que les États parties communiquent au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l'absence d'une réponse de l'État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux affirmations des auteurs, dans la mesure où elles sont étayées.
10.3 Les auteurs ont affirmé que la suppression de leur autonomie interne viole l'article premier du Pacte. Le Comité rappelle que s'il est vrai que tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes, de déterminer librement leur statut politique, d'assurer leur développement économique, social et culturel et de disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, comme le stipule l'article premier du Pacte, la question de savoir si la communauté à laquelle les auteurs appartiennent constitue un "peuple" n'est pas de celles que le Comité puisse traiter dans le cadre du Protocole facultatif concernant le Pacte. Ce protocole offre à des particuliers le moyen de se faire entendre lorsqu'ils estiment que leurs droits individuels ont été violés. Ces droits sont énoncés dans la troisième partie du Pacte, aux articles 6 à 27 inclus (3). Comme le montre la jurisprudence du Comité, rien ne s'oppose à ce qu'un groupe de personnes, s'estimant victimes d'un même préjudice, présentent ensemble une communication alléguant une atteinte à leurs droits. En outre, les dispositions de l'article premier peuvent entrer en ligne de compte dans l'interprétation d'autres droits protégés par le Pacte, notamment dans les articles 25, 26 et 27.
10.4 Les auteurs ont communiqué au Comité le jugement rendu le 14 mai 1996 par la Cour suprême, les intéressés ayant fait appel de la décision de la Haute Cour qui s'était prononcée sur les prétentions de la Communauté des Basters à une propriété communale. Ces deux cours ont formulé un certain nombre de constatations de fait compte tenu des éléments de preuve qu'elles ont évalués, et ont donné certaines interprétations du droit interne applicable. Les auteurs ont affirmé que les terres de leur communauté avaient été expropriées et que, de ce fait, leurs droits en tant que minorité sont violés puisque leur culture est liée à l'utilisation de terres communales exclusivement réservées aux membres de leur communauté. Il y aurait là une violation de l'article 27 du Pacte.
10.5 Les auteurs affirment que, bien que les terres aient été transférées au Gouvernement de Réhoboth avant le 20 mars 1976, ces terres sont revenues de plein droit à la communauté après cette date. Selon le jugement, les Basters ont initialement acquis, pour la communauté et en son nom, des terres auprès de la tribu wartbooi, mais la coutume s'est établie de délivrer des documents (papieren) établissant l'octroi de terres à des propriétaires privés, et une bonne partie des terres sont passées entre des mains privées. Toutefois, les autres terres sont restées terres communales jusqu'à la promulgation de la loi No 56 de 1976 portant autonomie interne de Réhoboth, en vertu de laquelle la propriété ou le contrôle des terres ont cessé d'être détenus par la communauté et ont été transférés au Gouvernement de Réhoboth. La Communauté des Basters avait demandé qu'il en soit ainsi. L'autonomie interne a été octroyée sur la base de propositions faites par le Conseil consultatif des Basters de Réhoboth. Des élections ont été organisées en vertu de cette loi et la zone de Réhoboth a été administrée conformément à cette loi jusqu'en 1989, date à laquelle les pouvoirs conférés par la loi de 1976 ont été légalement transférés à l'Administrateur général de la Namibie, en prévision et en préparation de l'indépendance de la Namibie intervenue un peu plus tard, le 21 mars 1990. Par ailleurs, en vertu de la Constitution de la Namibie, tous droits de propriété ou droits de contrôle sur des biens détenus par différentes institutions publiques, y compris le Gouvernement du Sud-Ouest africain, ont été attribués au Gouvernement namibien, ou sont passés sous son contrôle. La Cour a ajouté:
"En 1976, la Communauté des Basters, par l'intermédiaire de ses dirigeants, a pris une décision optant pour l'autonomie interne. Elle a librement décidé de transférer ses terres communales au nouveau Gouvernement. De toute évidence, il lui paraissait être dans son intérêt de le faire. Puis, en 1989, la communauté, par l'intermédiaire du parti politique auquel ses dirigeants étaient affiliés, a souscrit à la Constitution d'une Namibie indépendante. Une fois encore, la communauté a estimé qu'il était dans son intérêt de le faire. Elle souhaitait faire partie de la nouvelle nation unifiée que la Constitution créait ... L'un des objectifs de la Constitution était d'unifier une nation préalablement divisée dans le cadre de l'apartheid. Des régimes fragmentés d'autonomie interne n'avaient pas de place dans le nouveau schéma constitutionnel. Les années où la règle 'diviser pour régner' s'appliquait étaient terminées."
10.6 Pour conclure sur cet aspect de la plainte, le Comité fait observer qu'il appartient aux tribunaux internes d'établir les faits compte tenu des lois internes et conformément à l'interprétation donnée de ces lois. Sur la base des faits constatés, s'il y a eu "expropriation", cette "expropriation" s'est produite en 1976, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif pour la Namibie, le 28 février 1995. À propos de la question connexe de l'utilisation des terres, les auteurs prétendent être victimes d'une violation de l'article 27 du fait que les terres utilisées traditionnellement comme pâturages par les membres de la Communauté de Réhoboth ne sont plus en fait réservées à l'usage exclusif des membres de cette communauté. L'élevage est présenté comme un élément essentiel de la culture de la communauté. Comme il ressort de la jurisprudence du Comité, le droit des membres d'une minorité d'avoir leur propre culture au sens de l'article 27 englobe la protection d'un certain mode de vie associé à l'utilisation des ressources naturelles dans le cadre d'activités économiques comme la chasse et la pêche, en particulier dans le cas des populations autochtones (4). Cependant, dans la présente affaire, le Comité ne saurait considérer que les auteurs peuvent invoquer l'article 27 pour justifier leur prétention à l'utilisation exclusive des terres pastorales en question. Cette conclusion est fondée sur l'appréciation par le Comité du lien entre le mode de vie des auteurs et les terres qui font l'objet de leurs prétentions. S'il est vrai que le lien qui rattache la Communauté de Réhoboth aux terres en question est vieux de quelque 125 ans, il n'est pas l'aboutissement d'une relation qui aurait donné naissance à une culture spécifique. De plus, si la Communauté de Réhoboth possède des spécificités pour ce qui est des formes historiques d'autonomie, les auteurs n'ont pas réussi à démontrer comment ces facteurs se rattachent à leurs pratiques en matière d'élevage. Le Comité conclut donc qu'il n'y a pas eu en l'espèce violation de l'article 27.
10.7 Le Comité considère en outre que les auteurs n'ont pas étayé leur allégation de violation de l'article 17, qui soulèverait des questions distinctes de celles que soulève leur allégation au titre de l'article 27 concernant le fait qu'ils sont exclus des terres qui étaient auparavant la propriété de leur communauté.
10.8 Les auteurs ont aussi fait valoir que la suppression de l'autonomie interne dont jouissait leur communauté et la division des terres en deux districts eux-mêmes rattachés à des régions plus vastes ont divisé la Communauté des Basters et en ont fait une minorité, ce qui a des incidences défavorables sur les droits protégés par l'article 25, alinéas a) et c) du Pacte. Le droit protégé par l'article 25 a) est le droit de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis, et le droit protégé par l'article 25 c) est le droit d'accéder, dans des conditions générales d'égalité, aux fonctions publiques de son pays. Ce sont là des droits individuels. Bien qu'il soit tout à fait possible que l'influence de la Communauté des Basters, en tant que communauté, se soit ressentie de la fusion de leur région avec d'autres régions, intervenue lorsque la Namibie est devenue souveraine, l'affirmation selon laquelle cette situation aurait porté atteinte au droit, pour chacun des membres de la communauté, de prendre part à la direction des affaires publiques ou d'accéder, dans des conditions générales d'égalité avec les autres citoyens ou ressortissants de leur pays, aux fonctions publiques n'a pas été étayée. Le Comité estime en conséquence que les faits dont il est saisi ne révèlent pas de violation de l'article 25 à cet égard.
10.9 Les auteurs ont affirmé qu'ils avaient été obligés à employer l'anglais dans les procédures en justice, alors que ce n'est pas leur langue maternelle. En l'espèce, le Comité estime que les auteurs n'ont pas démontré en quoi l'emploi de l'anglais dans les procédures en justice avait porté atteinte à leur droit à un jugement équitable. Le Comité estime donc que les faits qui lui sont soumis ne révèlent pas une violation de l'article 14, paragraphe 1.
10.10 Les auteurs ont aussi fait valoir que l'absence d'une législation relative à la langue en Namibie avait eu pour conséquence que l'usage de leur langue maternelle dans l'administration, la justice, l'éducation et la vie publique leur avait été dénié. Le Comité note que les auteurs ont montré que l'État partie a donné pour instructions aux fonctionnaires de ne pas répondre aux communications écrites ou orales des auteurs en afrikaans alors qu'ils sont parfaitement capables de le faire. Ces instructions interdisant l'emploi de l'afrikaans concernent non seulement l'établissement de documents officiels, mais même les conversations téléphoniques. En l'absence de réponse de l'État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu à l'allégation des auteurs selon laquelle la circulaire en question vise délibérément à empêcher l'emploi de l'afrikaans dans les communications avec les autorités. En conséquence, le Comité estime que les auteurs, en tant que personnes de langue afrikaans, sont victimes d'une violation de l'article 26 du Pacte.
11. Le Comité des droits de l'homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, considère que les faits qui lui sont soumis constituent une violation de l'article 26 du Pacte.
12. Conformément à l'alinéa a) du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, l'État partie a l'obligation d'assurer aux auteurs et aux autres membres de leur communauté un recours utile en autorisant les fonctionnaires à répondre de façon non discriminatoire dans des langues autres que la langue officielle. Il est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.
13. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est également invité à rendre publiques les constatations du Comité.
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* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. P. N. Bhagwati, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia.
** Les textes de sept opinions individuelles signées de 11 membres du Comité sont joints en annexe au présent document.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
APPENDICE
Opinion individuelle d'Abdalfattah Amor (dissidente)
Je ne peux souscrire à la conclusion du Comité, relativement à la violation de l'article 26 du Pacte, pour les considérations suivantes :
1. La Namibie, dont l'indépendance avait été proclamée le 21 mars 1991, avait par l'article 3 de sa Constitution, et dans un souci légitime de se donner des chances supplémentaires d'intégration, conféré à la langue anglaise le statut de langue officielle du pays. Il avait été estimé que la reconnaissance d'un quelconque privilège ou statut particulier à l'une des multiples autres langues minoritaires ou tribales existant dans le pays était de nature à favoriser les discriminations et à limiter les possibilités de construction nationale. Dès lors, toutes les langues autres que l'anglais se trouvaient logées, constitutionnellement, à la même enseigne : ni privilège, ni discrimination. Il en est ainsi pour toutes les langues, y compris l'afrikaans dont l'introduction en Namibie reste marquée par l'histoire de la colonisation et dont l'emploi en tant que langue officielle avait cessé, de toutes façons, le 21 mars 1991.
2. Le paragraphe 3 de l'article 3 de la Constitution de la Namibie permet l'emploi d'autres langues en fonction de la législation adoptée par le Parlement. Cette législation, qui en tout état de cause ne peut nullement porter atteinte à l'anglais en tant que langue officielle, n'a pas encore été adoptée. Les garanties qu'elle aurait pu apporter ou les limitations qu'elle aurait pu introduire n'ont pu être édictées et cela vaut à l'égard de tous, tant et si bien qu'aucune distinction n'a pu être établie par voie législative, ni positivement, ni négativement. Cela est, bien évidemment, valable s'agissant de la langue afrikaans.
3. L'emploi des langues minoritaires, en tant que tel n'a pas été limité, et encore moins mis en cause, aux différents niveaux autre qu'officiel. Dans les relations privées, entre elles ou avec d'autres, les personnes parlant la même langue ont la faculté d'utiliser cette langue sans interférence – d'ailleurs difficilement envisageable - des autorités. C'est dire que rien ne peut limiter l'emploi de l'afrikaans en tant que véhicule linguistique des Basters dans les rapports qu'ils entretiennent entre eux ou avec d'autres qui connaissent et acceptent de communiquer avec eux dans cette langue.
4. Quelles qu'aient pu être, jusque-là, les défaillances législatives, le droit à sa propre langue maternelle ne peut prévaloir, dans les rapports avec les institutions officielles sur la langue officielle du pays qui est, ou est appelé à être, la langue de tous et le dénominateur commun à l'ensemble des citoyens. L'État peut imposer à tous l'emploi de la langue commune; il est en droit de ne pas se laisser imposer la loi de quelques-uns. C'est dire que tous sont égaux devant la langue officielle et que tout privilège linguistique – à moins d'être généralisé auquel cas il ne serait plus privilège – devient injustifiable et discriminatoire. Les Basters se plaignent de ne pas avoir la possibilité d'utiliser leur langue maternelle notamment devant l'administration et la justice. Mais ils ne sont pas les seuls dans cette condition. Il en est exactement ainsi de tous ceux qui parlent les autres langues minoritaires. Les Basters fournissent à l'appui de leur plainte un exemplaire d'une circulaire émanant du Commissaire régional de la région centrale de Réhoboth datée du 4 mars 1992 dans laquelle, précise leur conseil, "l'emploi de l'afrikaans dans les conversations téléphoniques avec les autorités publiques régionales est expressément exclu". Cette circulaire, bien que rédigée avec un doigté limité, dit autre chose que cela et, de toutes façons, nettement plus que cela. Elle méritait plus d'attention de la part du Comité afin que l'arbre ne cache pas la forêt et que le problème particulier ne masque pas la solution générale. Il est important de rappeler, à cet égard, l'économie de cette circulaire qui comporte un constat, un rappel, une interdiction et une obligation :
Le constat est que des fonctionnaires, agissant dans l'exercice de leurs fonctions, continuent à mener leurs communications téléphoniques officielles et à établir leurs correspondances officielles en afrikaans;
Le rappel tient au fait que depuis le 21 mars 1992, l'afrikaans a cessé d'être la langue officielle et que la langue anglaise est devenue depuis lors la langue officielle de la Namibie. En conséquence, l'afrikaans jouit officiellement du même statut que les autres langues tribales, fort nombreuses par ailleurs.
L'interdiction est celle faite aux agents de l'État de continuer à faire usage de l'afrikaans pour répondre, dans l'exercice de leurs activités officielles, aux communications téléphoniques et aux correspondances;
L'obligation est que toutes les communications téléphoniques et les correspondances officielles se fassent, exclusivement, en anglais qui est la langue officielle de la République de Namibie.
En d'autres termes, les services de l'État doivent utiliser la langue anglaise, seule, et s'interdire de donner un statut privilégié à une quelconque langue non officielle. L'afrikaans n'a pas plus ou moins d'importance, de ce point de vue, que les autres langues tribales. Cela revient à dire que les langues minoritaires doivent être traitées sans discrimination. Il n'y a pas lieu, en conséquence, à moins de commettre une discrimination à l'égard des autres langues minoritaires et de faire abstraction de l'article 3 de la Constitution de la Namibie, de continuer à aborder le problème linguistique de manière sélective en donnant une prime particulière à une langue, l'afrikaans, aux dépens des autres. En cela, la circulaire du Commissaire régional ne témoigne pas d'une violation du principe d'égalité et encore moins des dispositions de l'article 26 du Pacte.
5. C'est dire, au total, qu'une violation de l'article 26 du Pacte est, en l'espèce, contestable et qu'en croyant dénoncer une discrimination, le Comité laisse à penser qu'il a, plutôt, concédé un privilège, en somme une atteinte au principe d'égalité tel qu'il trouve son expression dans l'article 26 du Pacte. On comprendra, dès lors, les raisons d'être de cette opinion individuelle.
(Signé) A. Amor
[Fait en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle de Nisuke Ando (dissidente)
Je ne peux souscrire aux constatations du Comité qui a conclu que, en l'espèce, les auteurs étaient victimes d'une violation de l'article 26 du Pacte parce que l'État partie avait donné pour instructions à ses fonctionnaires de ne pas répondre en afrikaans aux communications écrites ou orales avec les autorités. L'article 26 garantit à chacun le droit à l'égalité devant la loi ainsi qu'à une égale protection de la loi sans discrimination. Il dispose en outre que "la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue", etc.
Certes, l'instruction en question ne manquera pas de poser de gros problèmes aux personnes de langue afrikaans, dans leur correspondance officielle avec les autorités. Toutefois, d'après la circulaire qui donne cette instruction "toutes les communications téléphoniques et tous les courriers doivent être traités exclusivement en anglais, qui est la langue officielle de la République de Namibie" et l'afrikaans qui "a été pendant très longtemps la langue officielle ... a désormais officiellement le même statut que les autres langues tribales". En d'autres termes, maintenant que l'anglais est devenu la langue officielle de l'État partie, les fonctionnaires s'abstiendront "d'utiliser l'afrikaans quand ils répondent aux communications téléphoniques et ... à la correspondance".
Néanmoins, il ne fait aucun doute que l'instruction place la langue afrikaans exactement sur le même pied que toute autre langue tribale parlée en Namibie, ce qui garantit à l'afrikaans un traitement égal, sans discrimination. Bien entendu, l'anglais est traité différemment de toutes les langues tribales y compris l'afrikaans mais, étant donné que chaque État souverain peut choisir sa propre langue officielle et que la langue officielle peut être traitée différemment des langues non officielles, j'en conclus que cette différence de traitement constitue une distinction objective et raisonnable autorisée par l'article 26.
Ce qui me préoccupe dans cette instruction c'est de savoir si elle pourrait restreindre indûment les communications entre la population namibienne et les autorités en interdisant non seulement les communications écrites mais aussi les communications orales dans toute langue tribale. Cela pourrait soulever des questions au titre de l'article 19 mais je préfère réserver ma position sur la question dans le cas d'espèce.
(Signé) N. Ando
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle de P.N. Bhagwati, Lord Colville
et Maxwell Yalden (dissidente)
Nous sommes dans l'impossibilité de souscrire à l'opinion de certains de nos collègues au sujet de l'applicabilité du paragraphe 2 de l'article 19 et de l'article 26 du Pacte, tout en les rejoignant en ce qui concerne les articles 17, 25 et 27. Nous sommes d'un avis différent pour les raisons ci-après :
Paragraphe 2 de l'article 19
1. En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 2 de l'article 19, on remarquera que quand il a rendu sa décision de recevabilité, le 7 juillet 1998, le Comité a déclaré la communication recevable sans préciser quels étaient les articles du Pacte qui semblaient avoir été violés. La seule question réglée dans la décision de recevabilité était de déterminer si l'État partie avait manqué à ses obligations en vertu du Pacte. Or, la plainte contenue dans la communication qui a été adressée à l'État partie portait uniquement sur les articles 17, 25, 26 et 27 du Pacte. Les auteurs de la communication n'ont pas fait état d'une violation du paragraphe 2 de l'article 19 et l'État partie n'était donc pas tenu de répondre. Nous ne pensons donc pas que le Comité puisse établir une violation du paragraphe 2 de l'article 19 alors que les auteurs de la communication n'en ont pas fait état. Nous pourrions comprendre que, si les auteurs n'avaient invoqué aucun article particulier du Pacte et s'étaient plaints d'une façon générale de ce que l'État partie avait manqué à ses obligations en vertu du Pacte à cause des faits décrits dans la communication, le Comité aurait pu être fondé à établir que les faits, tels qu'ils avaient été portés à sa connaissance, montraient une violation de tel ou tel article précis du Pacte. En revanche, puisque des articles spécifiques du Pacte sont invoqués par les auteurs, lesquels étaient de surcroît représentés par un conseil, nous ne pensons pas que le Comité puisse légitimement constituer une plainte nouvelle au nom des auteurs.
2. De plus, nous considérons que la seule allégation avancée par les auteurs, telle qu'elle est exposée aux paragraphes 3.4 et 3.5, est qu'ils "se sont vu refuser la possibilité d'employer leur langue maternelle devant l'administration, devant la justice, dans l'enseignement et dans la vie publique". À notre avis, cette allégation ne signifie pas que les auteurs dénoncent une violation du paragraphe 2 de l'article 19. En ce qui concerne l'administration, il est évident que, comme l'anglais est la langue officielle de l'État partie, aucune autre langue ne peut être autorisée dans l'administration, devant les tribunaux ou dans la vie publique. Les auteurs ne pourraient pas faire valoir légitimement qu'ils doivent être autorisés à utiliser leur langue maternelle dans l'administration, devant les tribunaux ou dans la vie publique et le maintien par l'État partie de sa position selon laquelle seule la langue officielle doit être utilisée ne saurait être considéré comme une violation du droit garanti au paragraphe 2 de l'article 19. Pour ce qui est de l'utilisation dans l'enseignement de l'afrikaans, la langue maternelle des auteurs, rien n'indique qu'ils n'aient pas été autorisés à l'utiliser dans les établissements scolaires primaires ou secondaires qu'ils administrent et cette allégation de violation du paragraphe 2 de l'article 19 n'est donc pas non plus étayée.
3. Bien sûr, les auteurs auraient pu faire valoir que le droit d'utiliser leur propre langue, tel qu'il est consacré à l'article 27, était violé et le Comité aurait alors pu examiner l'allégation; mais il s'agit là d'une hypothèse car en fait leur allégation de violation de l'article 27 portait entièrement sur l'utilisation des terres (par. 10.4 et 10.6) et n'avait aucunement trait à la langue. Dans ces circonstances, comme on vient de le souligner au sujet du paragraphe 2 de l'article 19, il n'appartient pas au Comité de construire une plainte pour ce motif au titre de l'article 27, en l'absence d'une plainte des auteurs.
4. Les membres du Comité dont l'opinion était majoritaire se sont appuyés sur la circulaire du Commissaire régional mais nous ne pensons pas que ce texte permette en aucune manière d'étayer l'allégation de violation du paragraphe 2 de l'article 19. La circulaire est rédigée dans les termes suivants :
"1. Le Commissaire régional a appris que certains fonctionnaires traitaient des communications téléphoniques et de la correspondance officielles (y répondent) en afrikaans, contrairement à la disposition de la Constitution en vertu de laquelle l'afrikaans a cessé d'être la langue officielle du pays le 21 mars 1990.
2. Si l'afrikaans a été pendant très longtemps la langue officielle, il a désormais officiellement le même statut que les autres langues tribales.
3. Tous les employés du Gouvernement sont donc tenus à l'avenir de s'abstenir d'utiliser l'afrikaans quand ils répondent à des communications téléphoniques et à du courrier.
4. Toutes les communications téléphoniques et toute la correspondance doivent être traitées exclusivement en anglais, qui est la langue officielle de la République de Namibie."
Il ressort clairement du premier paragraphe que la circulaire ne s'applique qu'aux "communications téléphoniques et à la correspondance officielles" traitées par des fonctionnaires. Il est souligné dans le texte qu'il était normal d'employer l'afrikaans pour répondre aux communications téléphoniques et à la correspondance officielles quand c'était la langue officielle du pays mais que puisque l'anglais est devenu langue officielle, les employés du Gouvernement ne doivent répondre que dans cette langue, qui est la langue officielle, l'afrikaans ne l'étant plus.
5. Nous ne voyons pas en quoi la circulaire peut être interprétée comme imposant une restriction quelconque à la liberté d'expression ou au droit de recevoir et de répandre des informations. Puisque l'anglais est la langue officielle, il est légitime que l'État tienne à ce que les fonctionnaires répondent à toutes les communication officielles, téléphoniques ou écrites, dans la langue officielle, c'est-à-dire l'anglais, et non pas en afrikaans. L'instruction donnée aux agents du Gouvernement de ne pas utiliser l'afrikaans, qui a cessé d'être la langue officielle, mais d'utiliser l'anglais seulement, qui est maintenant la langue officielle, se limite aux seules communications officielles et n'empêche en aucune manière les agents de l'État d'avoir une conversation ou d'écrire un courrier d'ordre privé et non d'ordre officiel. Si l'État adoptait une autre position, quelle qu'elle soit, c'est-à-dire si quiconque sur le territoire de l'État était autorisé à avoir une conversation ou une correspondance officielles avec un agent du Gouvernement dans une langue autre que la langue officielle et que l'agent du Gouvernement soit libre de répondre dans cette langue, il en résulterait une situation très confuse parce que, en ce cas, il y aurait multiplicité de langues dans les documents officiels de l'État. Le but recherché en décidant qu'une langue déterminée est la langue officielle de l'État serait mis en échec. Nous estimons donc que la circulaire incriminée ne constitue en aucune manière une violation du paragraphe 2 de l'article 19 du Pacte.
6. Il est implicite dans l'argumentation des auteurs, telle qu'elle apparaît aux paragraphes 3.4 et 3.5, que l'État partie devrait avoir l'afrikaans comme langue officielle dans l'administration, les tribunaux, l'enseignement et la vie publique et que l'absence d'une législation dans ce sens, alors qu'il a été décidé que l'anglais serait la langue officielle, porte atteinte au Pacte. C'est oublier qu'il appartient à un État partie de décider quelle sera sa langue officielle et que le Comité n'est pas compétent pour donner à l'État partie l'instruction d'adopter une ou plusieurs autres langues comme langue(s) officielle(s) de l'État. Quand un État partie a décidé que telle ou telles langues seraient sa langue officielle ou ses langues officielles, il lui est légitime d'interdire l'utilisation de toute autre langue aux fins officielles et, s'il le fait, il ne peut être considéré comme enfreignant les dispositions du paragraphe 2 de l'article 19.
Article 26
7. Nous sommes également d'avis que la circulaire ne constitue pas une violation de l'article 26. L'article 26 est une garantie indépendante d'égalité et vise à prévenir la discrimination. Le seul argument que les auteurs semblent avoir avancé, aux paragraphes 3.4 et 3.5, pour étayer l'allégation de violation de l'article 26 est que du fait que l'anglais a été déclaré seule langue officielle de l'État et que l'État n'a pas légiféré pour autoriser l'utilisation d'autres langues, les auteurs se sont vu refuser le droit d'utiliser leur langue maternelle dans l'administration, la justice, l'enseignement et la vie publique. Nous avons déjà rejeté cet argument à propos du paragraphe 2 de l'article 19 et le même raisonnement doit s'appliquer pour rejeter l'allégation de violation de l'article 26. Il importe de noter que nulle part les auteurs ne font valoir qu'en faisant de l'anglais la langue officielle et en ne permettant pas l'emploi d'autres langues l'État visait à exclure seulement l'afrikaans et autorisait d'autres langues. En déclarant l'anglais langue officielle et en n'autorisant pas l'utilisation d'autres langues par le biais d'une législation dans ce sens, l'État partie n'a assurément pas violé l'article 26 puisque toutes les langues autres que l'anglais sont traitées sur un pied d'égalité et ne sont pas autorisées à des fins officielles; il n'y a aucune discrimination à l'encontre de l'afrikaans par rapport à d'autres langues.
8. Ce n'est pas non plus en s'appuyant sur la circulaire que les auteurs pourraient étayer leur allégation de violation de l'article 26. La circulaire prévoit sans ambiguïté que toutes les communications téléphoniques et courriers officiels doivent être traités exclusivement en anglais qui est la langue officielle de l'État. Tel est l'objet de la circulaire et c'est à cette fin que les autorités donnent aux fonctionnaires l'instruction de ne pas utiliser l'afrikaans quand ils répondent à des communications officielles. Si la circulaire ne vise expressément que l'afrikaans et interdit son emploi par les fonctionnaires dans les communications officielles c'est parce que le problème ne se pose que pour l'afrikaans qui, à une époque - jusqu'à ce qu'il soit remplacé par l'anglais - était la langue officielle et qui continue à être utilisé par les fonctionnaires dans les communications officielles, même s'il a cessé d'être la langue officielle de l'État. Il ne semble pas y avoir de problème pour les langues tribales parce que celles-ci n'ont à aucun moment été utilisées dans l'administration ni pour les affaires officielles. Mais l'afrikaans était utilisé avant à des fins officielles, d'où la nécessité pour l'État de diffuser la circulaire interdisant son utilisation dans les communications officielles, téléphoniques et écrites. C'est pourquoi la circulaire vise expressément l'afrikaans seulement, et non les autres langues. Cette interprétation est confirmée par le fait que dans la circulaire, il est indiqué que l'afrikaans a désormais le même statut que les autres langues tribales. Il n'est donc pas juste d'affirmer qu'il est fait une distinction au détriment de l'afrikaans par rapport aux autres langues et qu'il y a eu une discrimination hostile à l'encontre de l'afrikaans. Nous estimons donc qu'il n'y a pas violation du principe d'égalité et de non-discrimination consacré à l'article 26.
9. Contrairement à la conclusion de certains de nos collègues, nous considérons par conséquent que l'État partie n'a pas commis de violation du paragraphe 2 de l'article 19 ni de l'article 26.
(Signé) P.N. Bhagwati
(Signé) Lord Colville
(Signé) M. Yalden
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle de Mme Elizabeth Evatt, M. Eckart Klein,
M. David Kretzmer et Mme Cecilia Medina Quiroga
(concordante)
Nous approuvons les constatations du Comité dans cette affaire. Toutefois, nous considérons que l'instruction donnée par l'État partie à ses fonctionnaires de ne pas répondre en afrikaans, même s'ils peuvent le faire à titre personnel, restreint la liberté de recevoir et de répandre des informations dans cette langue (art. 19, par. 2 du Pacte). En l'absence de motif justifiant cette restriction qui corresponde à l'un des critères établis au paragraphe 3 de l'article 19, nous considérons qu'il y a eu violation du droit à la liberté d'expression consacré à l'article 19 du Pacte, au détriment des auteurs.
(Signé) E. Evatt
(Signé) E. Klein
(Signé) D. Kretzmer
(Signé) C. Medina Quiroga
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle de Mme Elizabeth Evatt
et Mme Cecilia Medina Quiroga
(concordante)
Il ressort clairement des faits et de la décision de la Haute Cour en date de 1996 que le Gouvernement avait acquis les terres communales de la communauté avant l'entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif s'y rapportant et que les auteurs ne sont pas fondés à se déclarer victimes d'une violation du fait de l'expropriation. Toutefois, l'aspect important de l'allégation de violation de l'article 27 faite par les auteurs est que, depuis cette date, ils ont été privés de l'utilisation de leurs terres et de certains bureaux et bâtiments que leur gouvernement détenait auparavant à l'usage exclusif des membres de la communauté. Selon eux, la privatisation des terres et l'utilisation excessive de ces terres par d'autres personnes les empêchent de vivre selon leur mode de vie pastoral traditionnel. La perte de cette base économique de leurs activités les prive, disent-ils, du droit d'avoir leur propre vie culturelle en commun avec les autres membres du groupe. Cette allégation soulève des questions difficiles quant à la définition à donner de la culture d'une minorité, qui est protégée par le Pacte, et quant au rôle des activités économiques dans cette culture. Ces questions sont plus faciles à régler quand il s'agit de communautés autochtones qui peuvent très souvent démontrer que leur mode de vie propre ou leur culture est et a toujours été étroitement lié à la terre à la fois pour ce qui est des activités économiques que pour d'autres activités culturelles et spirituelles, au point que, si l'accès à la terre leur est ôté ou refusé, le droit d'avoir leur propre culture dans tous ses aspects est bafoué. En l'espèce, les auteurs ont défini leur culture exclusivement en termes d'activité économique consistant à faire paître le bétail. Ils ne peuvent pas démontrer qu'ils ont une culture distincte, qui serait intimement liée à ces terres ou tributaire de l'utilisation de ces terres, sur lesquelles ils se sont installés il y a un peu plus d'un siècle, ni que la restriction faite à l'accès à cette terre a porté atteinte à leur culture. Leur grief est essentiellement d'ordre économique et n'a rien de culturel; il n'appelle donc pas l'application de l'article 27.
(Signé) E. Evatt
(Signé) C. Medina Quiroga
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle de Rajsoomer Lallah (dissidente)
1. Je ne peux souscrire à la conclusion du Comité (par. 10.10) qui a établi une violation de l'article 26 du Pacte.
2. Je pense comme le Comité que, puisque l'État partie n'a pas donné d'explication sur le fond de la communication, le crédit voulu doit être accordé aux allégations des auteurs. Toutefois, s'il faut faire des déductions à partir des informations apportées par les auteurs, les déductions doivent assurément être légitimes et être replacées dans le contexte des plaintes formulées.
3. Les allégations concrètes des auteurs concernant cette partie de la communication sont exposées aux paragraphes 3.4 et 3.5. Ils dénoncent une violation des articles 26 et 27. Ils ont également envoyé une copie de la circulaire donnant aux fonctionnaires l'instruction de ne pas répondre aux communications téléphoniques et à la correspondance officielles en afrikaans et de n'y répondre que dans la langue officielle. Pour avoir une idée de la portée de cette circulaire, il est peut-être bon de la reproduire ici :
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Bureau du Commissaire régional
Région centrale