Comité des droits de l'homme
Soixantième session
14 juillet -1 août 1997
ANNEXE
Décision prise par le Comité des droits de l'homme en vertu
du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Soixantième session -
Communication No 761/1997**
Présentée par : Ranjit Singh
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Canada
Date de la communication : 20 janvier 1995 (date de la communication
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 29 juillet 1997,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Ranjit Singh, de nationalité canadienne,
résidant à Edmonton (Canada). Il se dit victime d'une violation des articles
7, 14, paragraphes 2 et 3 a), 17 et 26 du Pacte.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 29 avril 1986, l'auteur a été renvoyé d'un cours supérieur de
formation sur les troubles de la communication donné par la University
of Western Ontario, qu'il avait suivi pendant deux ans. Les raisons de
ce renvoi ont été communiquées à l'auteur par le Département des troubles
de la communication de cette université au cours d'une réunion du Comité
des hautes études du département, tenue le 29 avril 1986 : elles tenaient
au comportement hostile, injurieux et menaçant qu'il avait manifesté à
plusieurs reprises à l'égard de divers individus travaillant dans le département,
et au fait qu'il avait reçu des notes insuffisantes en travaux pratiques
(69 %, alors que la note minimale exigée à l'examen de passage des cours
de travaux pratiques dans le département était de 70 % / Le
texte de la lettre du Comité des hautes études du Département ainsi que
des minutes de la réunion entre l'auteur et le comité ont été réimprimés
dans un livre intitulé "Breach of Trust" ("Abus de confiance"),
publié par l'auteur et joint en annexe à sa communication./). L'auteur
prétend quant à lui que la véritable raison de son renvoi a trait à un
incident survenu le 27 avril 1986, date à laquelle quelqu'un a délibérément
mis le feu au bureau d'un instructeur du cours de formation qui y dormait
et dont la maison avait été incendiée un mois plus tôt. D'après lui, le
personnel du Département le soupçonnait d'être à l'origine de cet incident,
bien qu'il n'eût jamais été formellement inculpé d'une infraction pénale.
2.2 Le 7 mai 1986, l'auteur a présenté un dossier contenant les détails
de son affaire au doyen de la Faculté des hautes études, et demandé que
son recours contre la décision du Comité des hautes études du Département
soit entendu. Le Département des troubles de la communication a été prié
d'énoncer sa position; dans la communication qu'il a adressée au doyen
de la Faculté des hautes études, le Département a indiqué que trois principaux
facteurs avaient été pris en compte dans sa décision de renvoyer l'auteur
du programme de formation, à savoir 1) sa note insuffisante en travaux
pratiques; 2) son comportement extrêmement méfiant et agressif à l'égard
des membres de la Faculté; et 3) son comportement hostile, injurieux et
agressif à l'égard de certains membres de la Faculté - il avait notamment,
à deux reprises, proféré des déclarations qui ont été interprétées comme
des menaces à la sécurité et à l'intégrité physique de membres du personnel
du Département, de leur famille et de leurs biens.
2.3 L'auteur et des membres du Département des troubles de la communication
ont été entendus par un comité ad hoc les 18 et 24 juin 1986. Deux
jours plus tard, l'auteur a reçu une lettre du doyen de la Faculté des
hautes études lui faisant savoir que le Comité avait rejeté à l'unanimité
sa demande de réintégration, aux motifs que ses résultats universitaires
avaient été tout juste passables en 1984-85 (71,8 %); que des difficultés
étaient survenues lorsque des superviseurs avaient tenté de commenter
et de corriger ses activités; enfin, qu'il n'avait pas eu la moyenne aux
examens du cours d'orthophonie. L'auteur, arguant que dans cette décision,
les motifs de son expulsion du programme avaient été mensongèrement présentés
comme d'ordre purement universitaire par le Comité ad hoc, a présenté
une requête à la Commission de révision du Conseil d'université, qui a
statué le 3 octobre 1986. La requête de l'auteur a été rejetée par la
Commission de révision, ce qui épuisait les voies de recours au sein de
l'Université.
2.4 Le 11 janvier 1989, l'auteur, par le truchement de son conseil, a
déposé une demande introductive d'instance contre l'Université et 14 défendeurs
individuels devant la Cour suprême de l'Ontario. Cette dernière a rejeté
les demandes de l'auteur le 19 août 1992 au motif qu'elle n'était pas
convaincue que les défendeurs aient agi dans l'intention de nuire au plaignant,
et donc que la décision prise par la Faculté était fondée sur des mensonges
préjudiciables. Cependant, tenant compte de rapports médicaux certifiant
que l'état dans lequel se trouvait l'auteur avait été provoqué par son
renvoi du programme de formation en audiologie, la Cour lui a accordé
des dommages et intérêts d'un montant de 40 000 dollars canadiens en réparation
d'un préjudice non pécuniaire, mais l'a condamné aux frais et dépens,
pour un montant de 28 184 dollars canadiens. L'auteur a fait appel de
cette décision devant la cour d'appel de l'Ontario, laquelle a rejeté
son pourvoi le 18 octobre 1993 pour les motifs suivants : l'Université
avait suivi les procédures appropriées et appliqué ses normes usuelles;
le juge du fond avait quant à lui estimé, au vu des preuves dont il était
saisi, qu'il existait suffisamment de données de fait pour justifier la
décision de l'Université. La Cour suprême du Canada a rejeté la demande
d'autorisation de faire appel de cette dernière décision que lui avait
présentée l'auteur le 5 mai 1994.
2.5 Le 6 mai 1996, l'auteur a demandé à la Cour du Banc de la Reine de
l'Alberta d'infirmer la décision prise par la Cour suprême de l'Ontario
de lui faire supporter les frais de justice, mais celle-ci a rejeté sa
requête au motif que les tribunaux de l'Alberta sont tenus de se ranger
sans réserve aux décisions prises par la cour d'appel de l'Ontario, laquelle
avait pesé comme il convenait tous les éléments de preuve en l'espèce.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur déclare être victime d'une violation de ses droits de l'homme
par la justice canadienne et la University of Western Ontario, invoquant
l'article 7, les paragraphes 2 et 3 a) de l'article 14 et les articles
17 et 26 du Pacte.
3.2 L'auteur prétend que, soupçonné par la University of Western Ontario
d'avoir commis une infraction pénale grave, il en a été expulsé, ce qui
a eu des conséquences durables sur sa vie professionnelle et privée, en
violation du paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte. Il affirme que, comme
il n'a jamais été formellement inculpé d'une infraction pénale, il s'est
vu refuser la possibilité de se défendre des soupçons de l'Université,
en contravention au paragraphe 3 a) de l'article 14 du Pacte.
3.3 Se référant à une lettre datée du 14 mai 1986 dans laquelle un employé
de l'Université retrace les faits de violence qui lui ont été reprochés,
notamment des coups de poignard et le fait qu'il avait été décrit comme
un dangereux psychopathe par un membre de la University of Alberta où
il avait été étudiant, ce qui avait été admis comme élément de preuve
dans les tribunaux canadiens, l'auteur affirme que ces calomnies ont causé
un tort considérable à son image, à son crédit et à sa réputation dans
la communauté, en violation de l'article 17 du Pacte. Elles l'auraient
déshonoré, l'empêchant de trouver du travail.
3.4 L'auteur affirme que c'est en raison d'une confusion dans l'esprit
de certains membres de l'Université entre lui-même et un autre homme nommé
Singh qui avait participé à un attentat à la bombe contre un vol transatlantique,
ainsi que du fait que l'on voyait constamment en lui un sikh, qu'il a
fait l'objet d'une enquête et qu'on l'a considéré comme responsable d'infractions
pénales graves. D'après lui, son origine ethnique est donc la principale
raison du traitement qui lui a été réservé, en contravention à l'article
26 du Pacte.
3.5 Enfin, l'auteur affirme que le fait que l'Etat Partie lui ait refusé
des prestations de sécurité sociale ainsi qu'à ses enfants dépendants,
alors qu'il était incapable de pourvoir aux besoins de sa famille à la
suite de son expulsion de l'Université, constitue un traitement inhumain
et dégradant contraire à l'article 7 du Pacte.
Considérations relatives à la recevabilité
4.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2 Le Comité note que la majorité des assertions de l'auteur concernent
l'appréciation des faits et éléments de preuve en l'espèce par les autorités
de la University of Western Ontario et les tribunaux canadiens, qui ont
été saisis de ses plaintes. Il rappelle qu'il incombe au premier chef
aux tribunaux et instances d'appel des Etats parties au Pacte d'apprécier
les faits et les éléments de preuve dans un cas d'espèce. Il n'appartient
pas au Comité d'examiner cette appréciation des faits et des éléments
de preuve par les tribunaux internes, sauf s'il peut être établi que les
juges internes ont manifestement failli à leur obligation d'impartialité
ou commis d'autres actes arbitraires, ou encore que les verdicts des tribunaux
ont représenté un déni de justice. Les éléments portés à la connaissance
du Comité ne montrent pas que les tribunaux de l'Etat partie saisis de
l'affaire aient agi d'une manière contraire en quoi que ce soit à l'article
14. La Cour suprême de l'Ontario et la Cour d'appel de l'Ontario, de même
que la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, ont examiné les plaintes
de l'auteur de manière assez approfondie et les ont rejetées comme dénuées
de fondement, en motivant leur décision. Le fait que l'auteur n'ait pas
obtenu gain de cause et qu'il continue de se montrer insatisfait de ces
décisions ne constitue pas en soi une question à examiner en vertu du
Pacte. En conséquence, cette partie de la communication, étant incompatible
avec les dispositions du Pacte, est irrecevable.
4.3 L'auteur a allégué que les décisions prises à son encontre par la
University of Western Ontario et la justice canadienne sont assimilables
à des violations de l'article 7, des paragraphes 2 et 3 a) de l'article
14 et des articles 17 et 26 du Pacte. Le Comité considère, au vu des éléments
présentés par l'auteur, qu'aucune question ne se pose en vertu de ces
dispositions dans le cas d'espèce. Tout d'abord, aucun élément des décisions
mises en doute, qu'elles émanent des autorités universitaires ou des tribunaux
canadiens, ne montre que l'auteur ait été traité différemment d'autres
citoyens canadiens de par son origine ethnique. Deuxièmement, le Comité
considère que le fait que l'auteur ou sa famille n'ont pas bénéficié de
prestations de sécurité sociale après son renvoi de la University of Western
Ontario ne soulève aucune question au regard de l'article 7. Troisièmement,
puisque l'auteur n'a jamais été impliqué dans une infraction pénale, il
ne peut être question d'une violation de la présomption d'innocence et
des garanties de la défense visées au paragraphe 3 de l'article 14. Enfin,
le Comité constate que la conduite de procédures judiciaires conformément
aux stipulations de l'article 14 ne soulève pas de questions relevant
de l'article 17 du Pacte. Relativement à toutes les allégations susmentionnées,
l'auteur n'a donc pas démontré qu'il était fondé à se déclarer victime
d'une violation au sens de l'article 2 du Protocole facultatif.
5. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) que la communication est irrecevable;
b) que la présente décision sera communiquée à l'auteur et, pour information,
à l'Etat partie.
__________________
* Les membres ci-après du Comité ont participé à l'examen de la communication
considérée : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati, M. Thomas
Buergenthal, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt,
Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer
Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar et M. Martin Scheinin.
** Conformément à l'article 85 du règlement intérieur du Comité M. Maxwell
Yalden n'a pas participé à l'examen de cette communication.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, chinois et russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale]