Comité des droits de l'homme
Soixante-sixième session
12 - 30 juillet 1999
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques*
- Soixante-sixième session -
Communication No 768/1997
Présentée par : Chisala Mukunto
Au nom de : L'auteur
État partie : Zambie
Date de la communication : 1er février 1997
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 23 juillet 1999,
Ayant achevé l'examen de la communication No 768/1997 présentée
au Comité par M. Chisala Mukunto en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et par l'État partie,
Adopte les constatations ci-après :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Chisala Mukunto, de nationalité zambienne,
qui se dit victime d'une violation des droits de l'homme par la Zambie.
Le Pacte comme le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour la Zambie
le 10 avril 1984.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur, né le 20 mars 1942, a été arrêté le 2 août 1979 et placé
en détention jusqu'à sa mise en accusation, en avril 1980, pour publication,
possession et diffusion d'ouvrages séditieux. Il a été acquitté par le tribunal
d'instance (Magistrate Court) le 12 décembre 1980, mais a été maintenu
illégalement en détention jusqu'au 24 juin 1981, date à laquelle une juridiction
supérieure (High Court), saisie de son recours en habeas corpus,
a ordonné sa libération.
2.2 En 1982, l'auteur a intenté une action en réparation pour détention
illégale, sévices et traitements inhumains / Il ressort des
documents figurant au dossier que l'auteur a présenté une demande d'indemnisation
à la High Court le 18 novembre 1985./. Le juge chargé de l'affaire
est décédé en 1986. Le dossier a alors été transféré à un autre juge, qui
est décédé à son tour en 1990, avant d'avoir rendu son jugement. Une audience
a été prévue devant une autre juridiction le 31 juillet 1991. L'auteur indique
qu'à cette audience, il a été informé par le juge que ce dernier n'était
pas prêt à examiner l'affaire et qu'une autre date lui serait notifiée.
L'auteur déclare être resté sans nouvelles depuis.
Teneur de la plainte
3. L'auteur affirme que l'État partie, en refusant que sa demande en réparation
soit examinée en justice, persiste dans la violation antérieure des articles
7, 9, 10, 14, 19 et 26.
Réponse de l'État partie et commentaires de l'auteur
4.1 Dans sa réponse du 9 avril 1998, l'État partie affirme que les circonstances
dans lesquelles l'auteur a formé un recours en indemnisation pour sa mise
en détention illégale en 1979 sont devenues caduques à la suite de sa demande
de réparation pour les conditions dans lesquelles s'est déroulée sa seconde
détention en 1987.
4.2 L'État partie fait valoir en outre que "le non-prononcé du jugement
dans le cas à l'examen n'était pas intentionnel mais dû à des circonstances
échappant au contr_le de l'État partie, puisque, comme l'auteur l'a indiqué,
le juge saisi de l'affaire est décédé avant d'avoir pu prononcer un jugement,
ce qui a entraîné la nécessité de saisir un autre juge, ce qui a été fait".
L'État partie souligne en outre que l'affaire était certes encore entre
les mains de la justice, mais que l'auteur était incarcéré en vertu d'une
ordonnance présidentielle de placement en détention en date du 24 février
1987 parce que suspecté d'avoir hébergé un détenu évadé.
4.3 L'État partie affirme que l'auteur a présenté une requête constitutionnelle
devant la High Court afin d'obtenir sa mise en liberté et des dommages-intérêts
(pour la seconde détention de 1987). N'ayant pas obtenu entièrement satisfaction,
il a fait appel de la décision de la High Court devant la Cour suprême.
L'État partie s'appuie sur la décision de la Cour suprême pour affirmer
qu'il n'y a pas eu violation du Pacte en ce qui concerne l'allégation de
sévices qu'aurait subis l'auteur pendant sa détention. Il affirme en outre
que, comme ce jugement porte sur les conditions de détention (en 1987),
la demande de dommages-intérêts présentée par l'auteur pour les conditions
dans lesquelles s'est déroulée sa détention en 1979 a été englobée dans
l'affaire à l'examen. L'État partie affirme qu'en raison de contraintes
économiques il ne peut être tenu pour responsable des conditions de détention
imposées à l'auteur, étant donné qu'elles étaient les mêmes pour tous les
prisonniers et que l'auteur ne faisait pas l'objet d'un traitement différent
des autres.
5. Dans une lettre datée du 18 mai 1998, l'auteur conteste la tentative
faite par l'État partie de lier les deux affaires, et réaffirme que l'action
en réparation qu'il a intentée pour la détention illégale dont il a fait
l'objet en 1979 s'est prolongée de manière excessive, et qu'il s'est vu
par conséquent refuser l'accès aux tribunaux, en violation du paragraphe
1 de l'article 14 du Pacte.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son Règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe
2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était
pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement.
6.3 Le Comité constate que l'État partie n'a pas soulevé d'objections quant
à la recevabilité de la communication. Toutefois, il incombe au Comité lui-même
de vérifier que la communication remplit les critères de recevabilité. À
cet égard, même si l'État partie n'a pas soulevé ce point, le Comité estime
ne pas être compétent, ratione temporis, pour examiner les allégations
de l'auteur concernant la période de détention illégale allant de 1979 à
1981, vu que le Pacte n'est entré en vigueur pour la Zambie que le 10 avril
1984. En conséquence, les allégations de violation des articles 7, 9, 10,
19 et 26 du Pacte sont irrecevables. Le Comité décide que le reste de la
communication est recevable et passe directement à l'examen quant au fond
des allégations de l'auteur, en tenant compte de toutes les informations
communiquées par les parties, comme l'exige le paragraphe 1 de l'article
5 du Protocole facultatif.
6.4 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle il s'est
vu refuser l'accès aux tribunaux aux fins de demander réparation pour la
détention illégale dont il a fait l'objet en 1979, le Comité note que l'auteur
a déposé devant la Cour suprême en 1982 et 1985 un recours en indemnisation
/ Voir note de bas de page No 1./. La plainte porte sur des
contestations sur les droits et obligations de caractère civil et tombe
donc sous le coup du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. Aujourd'hui,
en 1999, l'affaire n'a toujours pas été jugée. L'État partie n'a réfuté
ni la plainte de l'auteur ni le rappel des faits présentés par ce dernier
et s'est contenté d'exposer les raisons pour lesquelles aucune indemnisation
n'avait été accordée pour la détention dont l'auteur a été victime en 1987,
en invoquant notamment des difficultés économiques ne permettant pas d'offrir
des conditions convenables aux détenus quels qu'ils soient. Selon la jurisprudence
constante du Comité, les droits énoncés dans le Pacte constituent des normes
minimales que tous les États parties ont accepté de respecter /Communication
No 390/1990 (Lubuto c. Zambie). Constatations adoptées le
30 juin 1994./. Le Comité considère que les droits consacrés à l'article
14 du Pacte n'ont pas été respectés à l'égard de l'auteur.
7. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est
saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.
8. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est
tenu d'accorder à M. Mukunto un recours utile, supposant une indemnisation,
pour la lenteur excessive de la procédure d'examen de sa demande d'indemnisation
pour la détention illégale dont il a fait l'objet en 1979. L'État partie
est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent
pas à l'avenir.
9. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a
reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou
non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est
engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et
relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité
souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements
sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie
est en outre prié de publier les présentes constatations du Comité.
_____________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
N. Bhagwati, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme
Pilar Gaitán de Pombo, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer
Lallah, M. Martin Scheinin, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden et
M. Abdallah Zakhia.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]