Comité des droits de l'homme
76ème session
14 octobre - 1er novembre 2002
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et
politiques
- Soixante-seizième session -
Communication No. 771/1997*
Présentée par: |
Alexander Baulin représenté par le Centre d'aide à la
protection internationale |
Au nom de: |
L'auteur |
État partie: |
Fédération de Russie |
Date de la communication: |
15 juillet 1996 (date de la communication initiale) |
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 octobre 2002,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est M. Alexander Baulin, un citoyen russe
né le 29 novembre 1951 qui, au moment de l'envoi de sa communication, était
détenu dans l'établissement de rééducation de Rybinsk. Il se déclare victime
d'une violation par la Russie (1) des paragraphes 1 et 3 e) de l'article
14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte).
Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 25 mai 1988 vers 16 heures, l'auteur en état d'ivresse a pénétré
dans l'appartement de son ex-épouse en son absence. Bien que divorcé, le
couple aurait continué à avoir des relations sexuelles, qu'il dissimulait
à la mère de l'ex-épouse, Mme Isaeva. Alors qu'il se trouvait dans l'appartement,
l'auteur a entendu les voix des deux femmes à l'extérieur et s'est caché
dans une armoire pour éviter de rencontrer sa belle-mère. Après avoir passé
environ une heure et demie dans l'armoire, il a répandu accidentellement
un liquide et a été découvert.
2.2 Alors qu'il se trouvait dans l'armoire, il a entendu son ex-épouse
le critiquer et le tourner en ridicule. Au moment où il a été découvert,
il était furieux et a agressé son ex-belle-mère et son ex-femme avec un
couteau qu'il avait trouvé dans l'armoire. Le conseil affirme que les blessures
infligées étaient superficielles, l'auteur n'ayant utilisé que le plat de
la lame. Son ex-épouse aurait couru à la fenêtre et appelé au secours. Elle
a ensuite grimpé sur le rebord de la fenêtre, s'y est assise, a perdu l'équilibre
et s'est tuée en tombant du quatrième étage. L'auteur admet avoir mal agi
au cours de l'incident qui a conduit au décès de son ex-femme, mais nie
avoir voulu sa mort ou être impliqué dans son décès.
2.3 Le procès de l'auteur s'est déroulé du 28 décembre 1988 au 12 janvier
1989. L'auteur était accusé de meurtre avec préméditation et avec circonstances
aggravantes conformément aux articles 102 g) et 193 2) du Code pénal. Le
tribunal a toutefois considéré qu'il n'existait pas de preuves suffisantes
pour le condamner et a ordonné une enquête préliminaire complémentaire.
Lors d'une deuxième audience qui a eu lieu le 29 juin 1989, à la suite de
la nouvelle enquête préliminaire, l'auteur a été accusé et déclaré coupable
en vertu de l'article 102 g) (2) du Code pénal, et condamné à huit
ans d'emprisonnement. La mère de la défunte et l'auteur ont l'un et l'autre
fait appel de la condamnation. Le 14 mars 1990, le tribunal municipal de
Moscou a déclaré M. Baulin coupable de crime avec préméditation et avec
circonstances aggravantes conformément aux articles 102 g) et 193 2) du
Code pénal, et l'a condamné à 13 ans d'emprisonnement dans un camp de travail
à régime renforcé.
2.4 L'accusation a fait valoir que M. Baulin avait rendu visite à sa femme
le 25 mai 1988, l'avait blessée avec un couteau, avant de la défenestrer.
Elle était morte sur le coup. Le principal témoin oculaire, l'ex-belle-mère
de M. Baulin, a témoigné au procès et accusé M. Baulin d'avoir défenestré
sa fille. Des voisins de Mme Baulin, M. et Mme Novitsky, ont vu celle-ci
tomber de la fenêtre de son appartement situé au quatrième étage, comme
si elle avait été poussée. D'autres témoins ont affirmé qu'ils l'avaient
vue tomber de la fenêtre mais qu'ils n'avaient vu personne la pousser. Les
dépositions des médecins et d'autres experts n'ont pas permis d'éclairer
les faits.
2.5 L'auteur fait valoir que dans sa première déclaration à la police,
l'ex-belle-mère de M. Baulin a affirmé qu'elle avait tenté d'éloigner ce
dernier de sa fille pendant qu'il lui donnait les coups de couteau. Sa fille
s'était ensuite dégagée et s'était assise sur le rebord de la fenêtre, appelant
au secours. L'ex-belle-mère avait voulu ouvrir la porte pour demander de
l'aide à l'extérieur et quand elle s'était retournée, sa fille était déjà
tombée. Ce n'est qu'après l'enterrement qu'elle avait changé de version,
affirmant que M. Baulin s'était rendu dans l'appartement avec l'intention
de tuer sa fille et qu'il l'avait agrippée, placée sur le rebord de la fenêtre
puis poussée. Elle avait ensuite modifié à plusieurs reprises les détails
de sa déposition. Le conseil estime que, de ce fait, la déposition du témoin
est sujette à caution et que la condamnation de M. Baulin devrait être reconsidérée.
En outre, plusieurs connaissances des Baulin ont affirmé devant le tribunal
que même à l'enterrement de sa fille Mme Isaeva n'avait pas encore formulé
la version selon laquelle l'auteur était responsable de la défenestration
de Mme Baulin, et un voisin de Mme Isaeva, M. Monakov, a affirmé le 25 juin
1988 qu'elle lui avait dit que Mme Baulin avait sauté par la fenêtre.
2.6 La Cour suprême a confirmé le jugement du tribunal municipal le 28
juin 1990, déclarant que, pour ce qui est de l'argument du conseil selon
lequel Mme Isaeva et M. et Mme Novitsky avaient fait de faux témoignages,
elle avait examiné la question et que rien ne venait appuyer cette thèse.
En ce qui concerne l'argument du conseil qui affirme que le tribunal n'avait
pas examiné les conclusions des médecins légistes, la Cour suprême a indiqué
que non seulement ces conclusions avaient été étudiées dans le cadre de
l'enquête préliminaire, mais également que les experts avaient témoigné
au procès. Enfin, la Cour suprême a conclu à l'absence de violation des
dispositions du Code de procédure pénale. Le conseil a formé un recours
en révision auprès du Président de la Cour suprême et du Procureur général
de la Fédération de Russie, sans résultat.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que les tribunaux ont violé le droit à une procédure
équitable, en particulier le droit à la présomption d'innocence et celui
de faire citer des témoins à décharge.
3.2 Il affirme qu'il a été condamné sur la base d'éléments insuffisants
et contradictoires, l'établissement de sa culpabilité étant fondé sur le
témoignage de son ex-belle-mère au procès, qui contredisait ses déclarations
antérieures et ne concordait pas avec les dépositions d'autres témoins.
De même pour ce qui est des rapports des médecins légistes, qui n'étaient
nullement catégoriques, le tribunal avait tenu à les considérer comme tels
et avait ignoré les éléments des conclusions des experts qui corroboraient
la version des faits de l'auteur. Ce dernier affirme que le tribunal était
partial, en violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. Cette plainte
semble aussi soulever des questions au titre du paragraphe 2 de l'article
14 du Pacte.
3.3 L'auteur affirme que le tribunal lui a dénié le droit de faire citer
et interroger des témoins et des experts. En particulier, le tribunal lui
a dénié le droit de faire citer les agents de police MM. Golub, Gorynov,
Semin et Aletiev, qui avaient interrogé l'ex-belle-mère de l'auteur après
le décès de sa fille et avaient conduit les enquêtes préliminaires. Au cours
de la première audience de janvier 1989, le tribunal a toutefois entendu
les dépositions des agents de police, MM. Golub et Gorynov. Ils ont affirmé
qu'avant d'être conduite à l'hôpital, Mme Isaeva avait dit que l'auteur
les avait frappées à coups de couteau, elle et Mme Baulin, mais qu'elle
ne l'avait pas vu défenestrer sa fille.
3.4 L'auteur s'est également vu dénier le droit de faire citer le docteur
Sogrina, qui avait affirmé, dans le cadre de l'enquête préliminaire, qu'il
avait vu Mme Baulin assise sur le rebord de la fenêtre, le dos tourné vers
lui, et qu'au bout d'un moment, juste avant de tomber, elle s'était retournée
et avait enjambé le rebord de la fenêtre. Il lui avait également prodigué
les premiers secours après sa chute. De plus, le tribunal a privé l'auteur
du droit de faire citer son fils Ilya, dont le témoignage aurait pu éclairer
les intentions du défendeur, ainsi que d'autres témoins proposés par la
défense. Le tribunal a rejeté la demande de la défense de faire citer à
décharge un expert en médecine légale et de procéder à un contre-interrogatoire
des médecins légistes présents à la barre pour préciser des points contradictoires
dans leurs conclusions, et le conseil affirme que ce refus était particulièrement
préjudiciable à l'auteur puisque le tribunal n'a pas pris en compte les
multiples versions plausibles des faits fournies par les experts et s'en
est tenu à la version présentée par l'accusation. Le conseil affirme que
le refus des tribunaux de reconnaître à l'auteur le droit de faire comparaître
des témoins à décharge et de faire procéder à un contre-interrogatoire des
experts légistes constitue une violation du paragraphe 3 e) de l'article
14 du Pacte.
Observations de l'État partie sur le fond de la communication
4.1 Par une note verbale datée du 9 octobre 1997, l'État partie a présenté
ses observations, affirmant que les allégations de l'auteur ne permettaient
pas de conclure à une violation des droits énoncés dans le Pacte, l'instruction
et la procédure judiciaire ayant été conduites en toute objectivité et l'auteur
ayant été condamné conformément à la loi.
4.2 L'État partie a fait valoir que l'auteur avait été reconnu coupable
du meurtre de son ex-épouse sur la foi du témoignage de son ex-belle-mère
et d'autres témoins, des avis rendus par des commissions d'experts en médecine
légale et en biologie médico-légale, des données figurant dans les comptes
rendus d'une inspection sur place et d'une reconstitution du crime, et d'autres
faits dûment examinés par le tribunal. L'autre version des circonstances
du décès de Mme Baulin présentée par l'auteur avait été dûment examinée
par le tribunal de première instance et par la juridiction d'appel et avait
été considérée comme dénuée de fondement.
Commentaires de l'auteur
5. Le 27 septembre 2001, l'auteur a présenté ses commentaires sur les observations
de l'État partie. Il souligne que celui-ci se borne à rappeler les décisions
des tribunaux russes et n'aborde pas la question des violations présumées
des dispositions des paragraphes 1 et 3 e) de l'article 14 du Pacte.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, en application de l'article 87 de son Règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable au regard du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité relève que le procès engagé contre l'auteur a commencé en
1988 et que la dernière décision judiciaire a été rendue en juin 1990, c'est-à-dire
avant l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l'État partie, le
1er janvier 1992. Étant donné que l'auteur n'a pas avancé de griefs spécifiques
fondés sur la persistance des effets des violations du Pacte qu'il dénonce
et qui auraient été commises pendant le procès, effets qui à eux seuls constitueraient
une violation du Pacte, le Comité estime qu'il est empêché ratione temporis
d'examiner la communication.
6.3 En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article premier du
Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur et à l'État partie.
__________________________
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal
Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin,
M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina
Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M.
Ivan Shearer et M. Maxwell Yalden.
Notes
1. Le Pacte est entré en vigueur pour l'État partie le 23 mars 1976 et le
Protocole facultatif le 1er janvier 1992 (adhésion). En adhérant au Protocole
facultatif, l'État partie a fait la déclaration suivante: «Conformément à
l'article premier du Protocole facultatif, l'Union des Républiques socialistes
soviétiques reconnaît que le Comité des droits de l'homme a compétence pour
recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de
la juridiction de l'Union des Républiques socialistes soviétiques, concernant
des situations ou des faits survenus après que le Protocole facultatif sera
entré en vigueur pour l'URSS. L'Union soviétique considère par ailleurs que
le Comité n'examinera aucune communication tant qu'il ne se sera pas assuré
que la question faisant l'objet de la communication n'est pas déjà en cours
d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement
et que le particulier concerné a épuisé tous les recours internes disponibles.».
2. Dans la requête qu'il a adressée au Procureur général, le conseil se
réfère à l'article 102 D), mais les tribunaux se réfèrent à l'article 102
g).