Comité des droits de l'homme
Soixante-neuvième session
10 -28 juillet 2000
ANNEXE
Décision du Comité des droits de l'homme en vertu du protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques*
-Soixante-neuvième session -
Communication No 772/1997
Présentée par : M. Colin McDonald et M. Nicholas Poynder, au nom de
M. Y. (nom supprimé)
Au nom de : M. Y.
État partie : Australie
Date de la communication : 25 octobre 1996
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 17 juillet 2000,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est M. Colin McDonald, avocat. Il présente
la communication au nom de M. Y., Chinois de souche né en 1951 au Viet Nam.
Il affirme que M. Y. est victime de violations par l'Australie du paragraphe
1 de l'article 10 ainsi que du paragraphe 3 de l'article 9 et des paragraphes
3 a), b) et d) de l'article 14, lus conjointement avec le paragraphe 1 de
l'article 2 du Pacte. À compter du 7 septembre 1998, l'affaire a été reprise
par un autre conseil, M. Nicholas Poynder.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le conseil explique que M. Y., Chinois de souche né au Viet Nam, a
été réinstallé en Chine en 1979. En Chine, il n'avait ni travail ni logement.
En octobre 1994, il a quitté la Chine à bord d'un bateau portant le nom
de code "Albatross", dont il était le capitaine, avec 117 autres
Sino-Vietnamiens. Le 12 novembre 1994, le bateau a été intercepté dans les
eaux australiennes et conduit à Darwin. À l'arrivée à Darwin, le 13 novembre
1994, les passagers ont été arrêtés en vertu du paragraphe 2 de l'article
189 de la loi de 1958 sur les migrations. Le 15 novembre 1994, ils ont été
transférés au centre de détention de Port Hedland, en Australie occidentale.
2.2 Du 15 novembre au 11 décembre 1994, M. Y. et les autres passagers de
l'Albatross ont été détenus dans un bloc de quarantaine qui était séparé
des autres blocs et ont été ainsi tenus à l'écart de tous les autres détenus.
Entre le 15 et le 19 novembre 1994, chacun des détenus a été interrogé par
des agents de l'immigration. Pendant cette période, ils n'ont pas été informés
de leur droit aux services d'un avocat et aucun avocat ne leur a été proposé.
Le 11 décembre 1994, M. Y. et les autres passagers de l'Albatross ont été
transférés dans un bloc ouvert du centre de détention.
2.3 Le 6 janvier 1995, certains des détenus de l'Albatross ont demandé à
consulter un avocat. Rien n'indique toutefois que M. Y. ait fait une telle
demande.
2.4 Le 13 février 1995, le Directeur du centre de détention de Port Hedland
a informé M. Y. et les autres détenus que, comme suite au Mémorandum d'accord
signé entre l'Australie et la Chine le 25 janvier 1995, le Parlement avait
décidé que la Chine était un "pays sûr" pour tous les nationaux
vietnamiens qui s'étaient réinstallés en Chine (1). Cette disposition
avait un effet rétroactif au 30 décembre 1994. Selon les articles 91A à
91F de la loi sur les migrations, les personnes venant de pays désignés
comme sûrs ne sont pas autorisées à demander le statut de réfugié en Australie.
2.5 M. Y. a consulté un conseiller juridique pour la première fois le 17
février 1995. Le conseil souligne qu'à ce moment-là M. Y. ne pouvait pas
demander le statut de réfugié du fait de l'amendement qui avait été adopté
par le Parlement. Le 22 février 1995, M. Y. et d'autres détenus ont déposé
une requête auprès de la Cour fédérale australienne contre le Ministre de
l'immigration et le Commonwealth d'Australie. Ils ont fait valoir qu'ils
n'avaient pas bénéficié d'une procédure équitable dans la mesure où ils
n'avaient pas été informés de leur droit de demander l'aide d'un conseiller
juridique et avaient ainsi été privés de la possibilité de demander le statut
de réfugié.
2.6 Le 27 juillet 1995, la requête a été rejetée au motif que la législation
australienne ne prévoyait pas l'obligation pour les agents de l'immigration
d'informer les non-citoyens entrant illégalement en Australie de leur droit
à une aide judiciaire. Pour ce qui est des faits, la Cour fédérale a estimé
qu'il n'y avait aucun élément attestant que les passagers de l'Albatross
aient indiqué qu'ils voulaient obtenir l'asile en Australie ou qu'ils aient
autrement invoqué les obligations de protection de l'Australie, que ce soit
lorsque leur bateau a été intercepté par les agents de l'immigration, ou
au cours des entretiens menés au centre de détention de Port Hedland entre
le 15 et le 19 novembre 1994. Elle a estimé en outre qu'il n'y avait pas
de preuve que l'un quelconque des passagers de l'Albatross ait demandé à
consulter un avocat avant le 30 décembre 1994.
2.7 Le 16 août 1995, M. Y. et d'autres détenus ont déposé une requête en
appel devant les chambres réunies de la Cour fédérale d'Australie et, le
28 février 1996, la Cour, à la majorité de ses membres, a rejeté l'appel.
À la différence de la Cour en première instance, la majorité des membres
des chambres réunies de la Cour fédérale a estimé que des éléments tels
que les conditions dans lesquelles les passagers de l'Albatross étaient
arrivés, le fait qu'ils avaient été précédemment réfugiés du Viet Nam, leur
désir de poursuivre leur route plutôt que de rentrer en Chine si l'entrée
leur était refusée, ainsi que les affirmations relatives à l'absence d'emploi
et de logement en Chine, signifiaient implicitement qu'ils souhaitaient
invoquer les obligations de protection de l'Australie au sens de la Convention.
Toutefois, l'existence d'un désir implicite ne pouvait pas conduire à une
décision en faveur des intéressés car la loi exige qu'une requête spécifique
soit dûment déposée; or il n'était pas possible de considérer qu'une telle
condition avait été remplie. Les chambres réunies de la Cour fédérale ont
confirmé l'opinion de la Haute Cour selon laquelle la loi ne prévoyait pas
l'obligation d'offrir les moyens d'accéder à l'aide judiciaire lorsque l'intéressé
n'en faisait pas la demande. La demande d'autorisation spéciale de faire
appel adressée par M. Y. à la Haute Cour d'Australie a été rejetée le 16
avril 1996.
2.8 Le 11 mai 1996, M. Y. a été expulsé d'Australie vers la Chine.
Teneur de la plainte
3.1 La requête du conseil a trait au placement de M. Y. en quarantaine
pendant une certaine période et au fait que l'État ne l'a pas informé de
son droit de demander une assistance juridique.
3.2 Le conseil affirme qu'il y a eu violation du paragraphe 3 de l'article
9, du paragraphe 1 de l'article 10 et des paragraphes 1 et 3 a), b) et d)
de l'article 14.
Observations de l'État partie
4.1 Dans ses observations du 30 septembre 1998, l'État partie indique que
M. Y. a été classé à son arrivée dans la catégorie des "non-citoyens
en situation irrégulière " aux fins de la loi de 1958 sur les migrations
et mis en détention en vertu de l'article 189 2) de la même loi. En vertu
de ladite loi, il n'existe aucune obligation de faire savoir aux personnes
détenues en vertu de l'article 189 2) qu'elles peuvent faire une demande
de visa de telle ou telle catégorie, de leur donner la possibilité de faire
une demande de visa ou de leur permettre l'accès des conseils pour la demande
d'un visa. Toutefois, conformément à l'article 156 de la loi, le Département
de l'immigration est tenu de permettre l'accès à un avocat lorsqu'une personne
détenue en vertu de l'article 189 2) en fait la demande. Une aide judiciaire
financée par l'État est fournie lorsque le Département estime qu'une personne
peut à première vue invoquer les obligations de protection de l'Australie
en vertu de la Convention relative au statut des réfugiés.
4.2 L'État partie fait observer que, le 15 novembre 1994, de nouvelles dispositions
de la loi sur les migrations sont entrées en vigueur et qu'à partir de cette
date, certaines personnes venant de pays désignés comme "pays tiers
sûrs" n'ont plus le droit de demander un visa de protection en vertu
de la loi. Le 25 janvier 1995, le Gouvernement australien a signé un Mémorandum
d'accord avec le Gouvernement chinois. Le Mémorandum prévoit que, sous réserve
des procédures de vérification, les réfugiés vietnamiens établis en Chine
qui arrivent ensuite en Australie sans autorisation seront renvoyés en Chine
et continueront à bénéficier de la protection du Gouvernement chinois. Le
17 janvier 1995, la réglementation sur les migrations a été modifiée et
la Chine a été ainsi désignée comme pays tiers sûr pour les nationaux vietnamiens
qui s'étaient réinstallés en Chine en tant que réfugiés. Le 17 février 1995,
la loi (No 2) de 1995 portant modification de la législation relative aux
migrations a ôté toute validité aux demandes de visa faites par des Sino-Vietnamiens
entre le 30 décembre 1994 et le 27 janvier 1995. À cet égard, l'État partie
note que M. Y. est d'origine sino-vietnamienne, qu'il n'avait pas présenté
de demande de visa de protection au 30 décembre 1994 et qu'il n'était plus
autorisé à le faire après cette date, en raison de l'entrée en vigueur des
amendements susmentionnés apportés à la loi.
4.3 Bien qu'il ait, conformément au règlement intérieur du Comité, examiné
les arguments du conseil sur le fond, l'État partie soulève une question
préliminaire concernant la recevabilité de la communication. Il fait valoir
qu'en l'absence d'un acte de procuration écrit, la communication est irrecevable
ratione personae, car le conseil n'a pas qualité pour agir au nom
de M. Y. À cet égard, l'État partie renvoie à l'article 90 du règlement
intérieur du Comité et fait observer que tout représentant doit être dûment
autorisé. Il note que rien ne prouve que M. McDonald ait reçu pour instruction
de la part de M. Y. d'agir en son nom ou que M. Y. ait expressément autorisé
ce dernier à le représenter. En outre, l'État partie note que le conseil
lui-même admet ne pas connaître l'adresse actuelle de M. Y. L'État partie
fait valoir que le conseil ne peut pas agir au nom de M. Y. alors qu'il
n'a aucun moyen de joindre celui-ci ou de recevoir des instructions de sa
part. Il ajoute qu'il n'existe pas de preuve d'une relation suffisamment
étroite entre le conseil et M. Y. pour justifier que le conseil agisse sans
autorisation expresse. L'État partie demande en conséquence au Comité de
déclarer la communication irrecevable en vertu de l'article premier du Protocole
facultatif.
Commentaires du conseil
5.1 Dans une lettre datée du 4 janvier 1999, le conseil commente les observations
de l'État partie quant à la recevabilité. Pour ce qui est de sa qualité
pour agir, il joint une attestation datée du 4 janvier 1999, émanant de
lui-même, dans laquelle il indique avoir rencontré M. Y. en juin 1995 alors
qu'il assistait aux audiences de la Cour fédérale à Perth en tant qu'observateur.
Par la suite, il a reçu au moins un appel téléphonique de M. Y., au cours
duquel il a été question de la procédure qui avait été engagée. Le 17 avril
1996, après le rejet par la Haute Cour de la demande d'autorisation spéciale
de faire appel, le conseil a eu avec M. Y., par l'entremise d'un interprète,
une conversation téléphonique dont il joint la transcription. Il ressort
de la transcription que le conseil a demandé à M. Y. l'autorisation de porter
son cas devant l'Organisation des Nations Unies, ce à quoi M. Y. a répondu
qu'il n'avait pas d'objection. Le même jour, le conseil a confirmé la teneur
de la conversation téléphonique dans une lettre adressée à M. Y. Il joignait
à la lettre le texte d'un mandat que M. Y. devait signer. Selon le conseil,
M. Y. a effectivement signé le mandat et l'a renvoyé au conseil, lequel
l'a ensuite égaré, de sorte qu'il semble être désormais perdu. Le 8 mai
1996, le conseil a de nouveau appelé M. Y. et lui a demandé l'autorisation
de confier son affaire à M. Colin McDonald.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 L'État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif
qu'elle n'avait pas été soumise par la personne qui affirme être victime
de violations du Pacte. Le Comité note que le conseil qui a soumis la communication
n'a pas représenté M. Y. devant les juridictions australiennes et n'a pas
non plus joint de mandat écrit l'autorisant à agir au nom de M. Y. Pour
ce qui est de la conversation téléphonique entre le conseil et M. Y. (dont
le Comité a reçu une transcription), il en ressort que le conseil a dit
à M. Y. qu'il voulait poser au Comité des droits de l'homme une question
de principe (celle de savoir si l'État partie a l'obligation d'informer
les immigrants illégaux de leur droit de consulter un avocat) et lui a demandé
s'il acceptait qu'il soumette au Comité une communication en son nom, pour
poser cette question. D'après la transcription, le conseil a précisé que
la communication n'aurait aucune incidence (ni positive ni négative) sur
le sort de M. Y. et celui-ci a simplement répondu qu'il n'y voyait pas d'objection.
Bien qu'il se soit écoulé 24 jours entre cette conversation téléphonique
et l'expulsion de M. Y., le conseil n'a jamais reçu de ce dernier la moindre
instruction concernant la teneur de la communication. Le conseil n'a plus
jamais eu de contact avec M. Y. après son expulsion d'Australie.
6.3 Le Comité a toujours interprété largement le droit des victimes présumées
de se faire représenter par un conseil pour présenter des communications
en vertu du Protocole facultatif. Cela étant, il faut que le conseil qui
agit au nom de la personne qui affirme être victime de violations montre
qu'il a une véritable autorisation de l'intéressé (ou de ses proches parents)
pour agir en son nom, que certaines circonstances ont empêché le conseil
de recevoir l'autorisation ou que les relations étroites que le conseil
avait avec l'intéressé dans le passé permettent de supposer que celui-ci
a effectivement mandaté le conseil pour qu'il soumette une communication
au Comité. Le Comité est d'avis qu'en l'espèce, le conseil n'a pas montré
que l'une quelconque de ces conditions s'appliquait. Il considère donc que
le conseil n'a pas montré qu'il pouvait agir au nom de M. Y. et présenter
la communication. La condition établie à l'article premier du Protocole
facultatif, en vertu duquel le Comité reçoit des communications soumises
par des "victimes d'une violation", n'est pas remplie. Le Comité
considère donc la communication comme irrecevable.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article premier du
Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et au conseil.
___________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. P.N. Bhagwati, Mme
Christine Chanet, Lord Colville, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Louis Henkin,
M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina
Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski
et M. Abdallah Zakhia. En application de l'article 85 du règlement intérieur
du Comité, Mme Elizabeth Evatt n'a pas participé à l'examen de la communication.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
Notes
1. Le texte du Mémorandum d'accord contient ce qui suit : "Les deux
parties décident, pour ce qui est des arrivées récentes et des éventuelles
arrivées futures non autorisées en Australie de réfugiés vietnamiens établis
en Chine, qu'elles ... entreprendront des consultations amicales et rechercheront
un règlement approprié de la question par le moyen des procédures convenues.
À cette fin, les réfugiés vietnamiens établis en Chine rapatriés conformément
aux arrangements de vérification mutuellement acceptés continueront à bénéficier
de la protection du Gouvernement chinois".