Comité des droits de l'homme
Soixante-dix-huitième session
14 juillet - 8 août 2003
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques*
- Soixante-dix-huitième session -
Communication No. 781/1997
Présentée par: |
M. Azer Garyverdy ogly Aliev |
Au nom de: |
L'auteur |
État partie: |
Ukraine |
Date de la communication: |
21 septembre 1997 (communication initiale) |
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 7 août 2003,
Ayant achevé l'examen de la communication no 781/1997 présentée
par M. Azer Garyverdy ogly Aliev, en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations adoptées en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif
1.1 L'auteur de la communication est M. Azer Garyverdy ogly Aliev, ressortissant
azéri, né le 30 août 1971. À la date de présentation de la communication,
l'auteur était détenu au centre de détention provisoire (SIZO) de Donetsk
(Ukraine), dans l'attente d'être exécuté. Il affirme être victime de violations
par l'Ukraine (1) du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques. L'auteur n'invoque pas de dispositions précises du Pacte, mais
la communication semble soulever des questions au titre des articles 6, 7,
10, du paragraphe 1, et des alinéas d, e et g du paragraphe
3, et du paragraphe 5, de l'article 14, et de l'article 15 du Pacte. Il n'est
pas représenté par un conseil.
1.2 Le 24 novembre 1997, conformément à l'article 86 de son règlement intérieur,
le Comité a demandé à l'État partie de surseoir à l'exécution de l'auteur
tant que sa communication serait à l'examen. Le 30 septembre 2002, l'État
partie a informé le Comité que le 26 juin 2000, la peine de mort à l'encontre
de l'auteur avait été commuée en emprisonnement à vie.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 8 juin 1996, dans la ville de Makeevka (Ukraine), après avoir consommé
une grande quantité d'alcool, l'auteur, M. Kroutovertsev et M. Kot ont eu
une altercation dans un appartement, qui a dégénéré en bagarre. Une quatrième
personne, M. Goncharenko, a été le témoin de cet incident. Selon l'auteur,
M. Kot et M. Kroutovertsev l'ont roué de coups. M. Kroutovertsev l'a également
frappé avec une bouteille vide. En se défendant, l'auteur a grièvement blessé,
à l'aide d'un couteau, M. Kot et M. Kroutovertsev, avant de s'enfuir.
2.2 L'auteur déclare avoir contacté peu après l'épouse de M. Kroutovertsev,
pour l'informer de l'incident et lui demander de prévenir les secours. À
l'annonce de ces nouvelles, Mme Kroutovertseva se serait mise à le frapper.
L'auteur aurait ensuite tailladé le visage de Mme Kroutovertseva à l'aide
d'un couteau et serait retourné dans son appartement où sa femme et quelques
voisins lui auraient donné des premiers soins.
2.3 Le 8 juin 1996, l'auteur a expliqué cet incident à un officier de la
police judiciaire, M. Volkov. Celui-ci lui a intimé l'ordre d'apporter 15
000 dollars afin de soudoyer la police et le parquet. L'auteur n'a rassemblé
que 5 600 dollars. L'auteur a fait une déposition écrite, dans la voiture
de M. Volkov. En apprenant que l'une des victimes était morte, le policier
lui aurait expliqué que s'il ne trouvait pas la totalité de la somme requise
avant 14 heures, il aurait des ennuis.
2.4 Dans l'après-midi du 8 juin 1996, l'auteur et son épouse ont quitté
la ville pour se cacher dans le village de sa belle-mère, tandis que son
père tentait de rassembler la somme demandée. À leur retour, ils ont été
arrêtés par la police, le 27 août 1996, et conduits au poste de police où
ils ont subi des interrogatoires durant quatre jours. Selon l'auteur, ils
n'ont rien eu à manger lors de cette détention. M. Volkov et d'autres fonctionnaires
lui auraient fait subir des pressions physiques, consistant notamment à
le priver d'oxygène en lui enfilant un masque à gaz dans le but de le contraindre
à avouer d'avoir commis un certain nombre de crimes non résolus. L'épouse
de l'auteur, enceinte à cette époque, aurait également été battue et sa
tête aurait été enveloppée dans un sac de cellophane, ce qui lui aurait
fait perdre conscience. Afin d'obtenir la libération de son épouse, l'auteur
a signé toutes les pièces qui lui étaient présentées, sans les lire.
2.5 Les officiers de police ont laissé repartir son épouse après lui avoir
fait promettre de ne pas révéler ce qui s'était passé au cours de la détention,
faute de quoi son mari serait tué et elle-même incarcérée de nouveau. Ayant
fait une fausse couche, l'épouse de l'auteur aurait décidé de rassembler
des preuves médicales en vue de porter plainte, et c'est alors qu'elle aurait,
de nouveau, été menacée par M. Volkov et un autre fonctionnaire. De son
côté, l'auteur déclare qu'il s'est plaint auprès d'un procureur le 31 janvier
1997, mais celui-ci lui aurait conseillé de présenter ses allégations lors
du procès.
2.6 L'auteur a été détenu pendant cinq mois sans avoir eu accès à un avocat;
il déclare qu'il n'a été examiné ni par un psychiatre légiste, malgré ses
antécédents médicaux, ni par un médecin. L'auteur n'a pas pu participer
à la reconstitution des faits, sauf lorsque M. Kroutovertsev et M. Kot étaient
également en cause.
2.7 L'affaire a été jugée par la cour régionale de Donetsk. Selon l'auteur,
la cour n'a entendu que des témoins produits par Mme Kroutovertsev, tous
voisins et amis de celle-ci.
2.8 L'auteur déclare que, bien que le ministère public ait requis une peine
de 15 ans de prison à son encontre, le 11 avril 1997 la cour l'a reconnu
coupable du meurtre de M. Kroutovertsev et de M. Kot ainsi que d'une tentative
de meurtre sur Mme Kroutovertseva et l'a condamné à mort. Le 28 avril 1997,
l'auteur a fait appel devant la Cour suprême. Il affirme que cet appel n'a
pas été transmis par la cour régionale de Donetsk et a été annulé illégalement.
À cet égard, l'auteur observe que le ministère public avait requis l'annulation
de l'arrêt et le renvoi de l'affaire pour non-respect de certaines dispositions
du Code de procédure pénale, énoncées à l'article 334.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme qu'il a été condamné à mort sans qu'il soit tenu compte
du fait qu'en vertu des articles 3 et 28 de la Constitution ukrainienne,
la peine de mort avait été légalement abolie, ce qui rendait la sentence
anticonstitutionnelle et non applicable, contrairement aux dispositions
de l'article 6 du Pacte.
3.2 Les allégations de l'auteur, selon lesquelles son épouse et lui-même
ont été torturés et maltraités par la police afin de leur extorquer des
aveux lors de leur détention, peuvent constituer une violation des articles
14, paragraphe 3 g), 7 et 10, combinés avec l'article 6 du Pacte.
3.3 L'auteur affirme avoir été privé d'un procès équitable pour les raisons
suivantes. Après son arrestation, il a été interrogé durant quatre jours
par des policiers du commissariat dont le frère de l'une des personnes décédées
était en charge, et les charges retenues contre lui étaient incohérentes,
la présentation des faits par la police et le ministère public était partiale,
le tribunal n'a appelé que les témoins à charge et les victimes. L'auteur
affirme qu'en examinant son dossier, il a découvert que les pages n'étaient
ni reliées ni numérotées ou attachées, ce qui permettait d'en soustraire
des pièces pour dissimuler des actes illégaux et des erreurs de procédure,
et que son appel devant la Cour suprême n'a pas été transmis par la cour
régionale. Tout ceci peut être constitutif d'une violation de l'article
14, paragraphes 1, 3 e) et 5, du Pacte.
3.4 L'auteur affirme qu'il n'a pas eu accès à un conseil durant les cinq
mois suivant son arrestation, du 27 août 1996 au 18 décembre 1996; le 17
juillet 1997, la Cour suprême aurait pris sa décision en son absence et
celle de son conseil, ceci en violation de l'article 14, paragraphe 3 d),
du Pacte.
3.5 Selon l'auteur, la Cour suprême a confirmé une décision illégale, étant
donné que la peine de mort était incompatible avec la Constitution de l'Ukraine
de 1996. Le 29 décembre 1999, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelle
la peine de mort; depuis cette date, la sanction prévue à l'article 93 du
Code pénal est de 8 à 15 ans de prison. Or, plutôt que de voir sa peine
modifiée et diminuée «par une révision prompte» de sa condamnation, l'auteur
s'est vu infliger une peine d'emprisonnement à vie, après les modifications
apportées au Code pénal du 22 février 2000. À son avis, ceci constitue une
violation de son droit de bénéficier d'une peine plus légère, parce que
la peine prévue par la «loi provisoire», à la suite de la décision de la
Cour constitutionnelle (de décembre 1999), était de 8 à 15 ans de prison,
alors qu'à la suite des réformes de l'an 2000, l'auteur a été emprisonné
à vie.
3.6 L'auteur affirme, en outre, qu'en dépit de ses antécédents médicaux,
il n'a pas été examiné par un expert psychiatre et les blessures qui lui
avaient été causées lors des événements du 8 juin 1996 n'ont pas non plus
été examinées.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond de
la communication
4.1 Par notes verbales du 26 mai 1998 et du 30 septembre 2002, l'État partie
a présenté ses observations, affirmant que l'affaire ne fait ressortir aucune
violation des droits reconnus par le Pacte, puisque l'auteur a bénéficié
d'un procès équitable et a été condamné, conformément à la loi.
4.2 Une affaire pénale pour le meurtre de MM. Kroutovertsev et Kot et l'agression
de Mme Kroutovertseva a été ouverte le 9 juin 1996 par le parquet de la
ville de Makeevka. Le 13 juin 1996, un mandat d'arrêt a été lancé à l'encontre
de M. Aliev et son épouse et ces deux personnes ont été arrêtées le 28 août
1996. Le 11 avril 1997, la cour régionale de Donetsk a condamné l'auteur
à mort pour homicide volontaire avec circonstances aggravantes et pour vol
d'effets personnels aggravé; le 17 juillet 1997, cette décision a été confirmée
par la Cour suprême. Suite aux modifications législatives, la cour régionale
de Donetsk a commué la peine capitale de M. Aliev à l'emprisonnement à vie
le 26 juin 2000.
4.3 Selon l'État partie, l'auteur a été reconnu coupable par le tribunal
d'avoir tué délibérément et par vengeance les victimes au moyen d'un couteau
au cours d'une altercation. Par la suite, il a tenté d'assassiner l'épouse
de M. Kroutovertsev par appât du gain, l'agressant et la blessant grièvement,
avant de lui dérober des bijoux. Il est retourné sur le lieu du meurtre
le même jour, pour arracher une chaîne en or de la dépouille de M. Kroutovertsev.
4.4 Les preuves concernant le crime auraient été validées par les conclusions
de l'enquête préliminaire et de l'expertise judiciaire, et ont été confirmées
par plusieurs témoignages, ainsi que par l'inspection des lieux du crime,
les indices matériels et les conclusions des experts.
4.5 L'État partie affirme que les tribunaux ont correctement qualifié les
actes de l'auteur comme constituant des infractions en vertu des articles
pertinents du Code pénal. Il estime que les allégations de l'auteur selon
lesquelles celui-ci a blessé M. Kroutovertsev et M. Kot en état de légitime
défense ont été réfutées par les pièces du dossier et les tribunaux. Eu
égard à la dangerosité particulière des crimes, le tribunal a estimé que
l'auteur constituait un danger exceptionnel pour la société et lui a infligé
une peine exceptionnelle.
4.6 Selon l'État partie, l'allégation selon laquelle l'auteur aurait été
soumis à des méthodes d'enquête non autorisées a été examinée par la Cour
suprême, qui l'a jugée sans fondement. L'État partie affirme que le dossier
ne contient aucun élément qui permettrait de conclure que lors de l'enquête
préliminaire, des méthodes illégales d'investigation avaient été utilisées;
l'auteur n'a pas présenté de plainte à la cour régionale de Donetsk à ce
sujet. Les procès-verbaux d'audience ne font état d'aucune plainte de la
part de M. Aliev sur l'usage de méthodes d'investigation illégales, ou autres
actes illégaux de la part des enquêteurs. Ce n'est qu'après l'arrêt de la
cour régionale que l'auteur, dans sa plainte en cassation, a fait valoir
que les enquêteurs avaient obligé son épouse et lui-même à faire des fausses
dépositions. L'État partie remarque que même la plainte en cassation de
l'avocat de l'auteur ne contenait pas de telles allégations.
4.7 Enfin, l'État partie note qu'il n'existe aucun motif de remettre en
cause les décisions judiciaires contre l'auteur, et que l'auteur n'a déposé
auprès du Procureur général aucune plainte sur une prétendue illégalité
de sa condamnation.
Commentaires de l'auteur
5.1 L'auteur a présenté ses commentaires aux observations de l'État partie
le 21 avril 2003. Il réitère les allégations présentées auparavant et conteste
la qualification de ses actes par l'accusation et les tribunaux. Il déclare
notamment que dans la nuit du 7 au 8 juin 1996, il n'a pas tué mais blessé
MM. Kot et Kroutovertsev. Enfin, il met en cause les déclarations des témoins,
«jointes au dossier par les policiers» et utilisées par la cour.
5.2 L'auteur réitère que l'investigation et les tribunaux ont été partiaux
à son égard du fait qu'au moment du crime le frère de l'une des victimes
était le chef du commissariat de police du district de Makeevka, tandis
que la sœur de l'autre victime était chef du département des cartes
d'identité au commissariat central de la police et, par ailleurs, mariée
à un juge. Pour aggraver la peine de l'auteur, les policiers auraient présenté
une différente chronologie des événements.
5.3 En ce qui concerne les allégations de mauvais traitements dont il aurait
été victime, l'auteur explique qu'une partie de son dossier pénal était
recouverte de son sang. Il réitère que les enquêteurs lui auraient enfilé
un masque à gaz en obstruant l'accès d'air, afin de l'obliger à témoigner
contre lui-même. Son épouse aurait également été battue et étranglée. Il
déclare qu'il s'est plaint «à plusieurs autorités» d'avoir subi des violences
physiques, mais sans succès. Plusieurs de ses codétenus pourraient attester
qu'il avait eu des traces et des hématomes du fait des mauvais traitements.
5.4 L'auteur voit une preuve de la partialité des enquêteurs dans le fait
qu'une enquête pénale a été ouverte pour le meurtre de MM. Kot et Kroutovertsev
le 9 juin 1996, alors qu'en réalité M. Kot n'avait succombé à ses blessures
que le 13 juin 1996.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité s'est assuré que la même question n'est pas déjà en cours
d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement
aux fins de l'article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif.
6.3 Le Comité note que l'auteur a formé un recours devant la Cour suprême
d'Ukraine, laquelle a confirmé la décision de l'instance inférieure, et
que l'État partie ne conteste pas que l'auteur a épuisé les recours internes.
Le Comité considère donc que l'auteur s'est conformé aux exigences de l'article
5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif.
6.4 Au regard de l'allégation selon laquelle l'auteur et son épouse ont
subi des traitements inhumains de la part des policiers lors de leur détention
pour les obliger à témoigner contre eux-mêmes, le Comité note, en premier
lieu, que l'auteur a présenté la communication en son propre nom, sans fournir
d'autorisation d'agir au nom de son épouse et sans expliquer si cette dernière
est dans l'impossibilité de présenter sa plainte elle-même. En vertu du
paragraphe 1 du Protocole facultatif et de l'article 90, alinéa b,
de son règlement intérieur, le Comité décide qu'il n'examinera que les griefs
relatifs au seul auteur.
6.5 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle le tribunal
l'a condamné à mort sans tenir compte du fait que les articles 3 et 28 de
la Constitution ukrainienne de 1996 avaient aboli la peine capitale, le
Comité note que ce n'est qu'à la suite de la décision de la Cour constitutionnelle
du 29 décembre 1999 et de la modification du Code pénal et du Code de procédure
pénale opérée par le Parlement le 22 février 2000 que l'État partie a aboli
la peine capitale, c'est-à-dire après qu'une décision définitive avait été
prise dans l'affaire. Le Comité considère donc que l'auteur n'a pas étayé,
aux fins de recevabilité, son allégation selon laquelle l'application de
la peine de mort en 1997 était intervenue après l'abolition de la peine
de mort pour l'État partie. Cette partie de la communication est donc irrecevable
conformément à l'article 2 du Protocole facultatif.
6.6 Le Comité note que l'auteur déclare, concernant ses allégations de
mauvais traitements et de torture, qu'il s'en est plaint à un procureur,
le 31 janvier 1997, qui lui aurait conseillé de présenter ses allégations
lors du procès. De son côté, l'État partie affirme que cette allégation
n'a pas été soulevée devant la cour régionale de Donetsk et que l'auteur
ne l'a avancée que lors de son pourvoi en cassation. Le Comité note que
dans son arrêt, la Cour suprême l'a examinée et l'a jugée non fondée. Le
Comité rappelle que c'est généralement aux tribunaux des États parties au
Pacte et non au Comité qu'il appartient d'évaluer les faits et les éléments
de preuve dans un cas donné, à moins qu'il n'apparaisse que les décisions
des tribunaux sont manifestement arbitraires ou équivalentes à un déni de
justice. Or, rien dans les informations portées à la connaissance du Comité
à ce sujet ne démontre que les décisions des tribunaux ukrainiens ou le
comportement des autorités compétentes ont été arbitraires ou reviennent
à un déni de justice. Cette partie de la communication est donc irrecevable
en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
6.7 En ce qui concerne les allégations de déni d'un procès équitable du
fait que le frère de l'une des personnes décédées était chef du commissariat
de police où l'auteur a subi ses premiers interrogatoires, le Comité note,
en premier lieu, que rien dans les documents dont il est saisi ne permet
de conclure que ces allégations ont été intentées contre les autorités nationales
compétentes. En second lieu, pour ce qui est de l'affirmation de l'auteur
selon laquelle les charges retenues contre lui étaient incohérentes, la
présentation des faits par la police et le ministère public était partiale,
le tribunal n'ayant fait citer que des témoins à charge, et que les juges
étaient manifestement partiaux, le Comité estime que ces allégations n'ont
pas été suffisamment étayées, aux fins de recevabilité. En conséquence,
le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable en vertu
de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.8 L'auteur a également allégué que l'état de son dossier prêtait à des
manipulations afin de cacher des vices de procédure; le Comité note que
l'auteur n'a pas précisé s'il a présenté ces allégations aux autorités nationales
compétentes. Il n'a d'ailleurs pas soutenu que son dossier avait été falsifié.
Le Comité estime donc que cette allégation n'a pas été étayée aux fins de
recevabilité et est irrecevable conformément à l'article 2 du Protocole
facultatif.
6.9 S'agissant de l'allégation selon laquelle le pourvoi en cassation de
l'auteur avait été illégalement rejeté par la cour régionale, le Comité
a noté que la Cour suprême d'Ukraine a examiné son appel et a confirmé la
décision de la cour régionale en date du 17 juillet 1997, dont une copie
de la décision a été fournie par l'État partie. Ne disposant d'aucune autre
information pertinente sur l'examen du pourvoi en cassation de l'auteur,
le Comité estime que cette partie de la communication est irrecevable conformément
à l'article 2 du Protocole facultatif.
6.10 Le Comité a pris note de l'affirmation selon laquelle l'auteur a été
condamné à une peine plus lourde que celle prévue par la loi. L'État partie
réfute cette allégation, estimant que les tribunaux ont correctement qualifié
les actes de l'auteur au titre du Code pénal et l'ont condamné conformément
à la loi. Au vu des copies des décisions judiciaires pertinentes fournies
par l'État partie, et en absence de toute information montrant que ces décisions
de justice violeraient d'une quelconque manière les droits de l'auteur au
regard de l'article 15 du Pacte, le Comité estime que les faits dont il
est saisi ne sont pas suffisamment étayés pour répondre aux critères de
recevabilité prévus par l'article 2 du Protocole facultatif.
6.11 Quant au grief de l'auteur tiré de l'absence d'accès à un conseil
au cours des cinq premiers mois de l'information, et du fait que le 17 juillet
1997, la Cour suprême a statué en son absence et en l'absence de son conseil,
le Comité note que l'État partie n'a présenté aucune objection quant à la
recevabilité et procède donc à l'examen au fond de cette allégation, qui
peut soulever des questions au titre de l'article 14, paragraphes 1 et 3
d), et de l'article 6 du Pacte.
6.12 Le Comité procède donc à l'examen des plaintes qui ont été déclarées
recevables au titre de l'article 14, paragraphes 1 et 3 d), et de l'article
6 du Pacte.
Examen quant au fond
7.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
à la lumière de toutes les informations qui lui ont été communiquées par
les parties, ainsi que le prévoit l'article 5, paragraphe 1, du Protocole
facultatif.
7.2 En premier lieu, l'auteur allègue qu'il n'a pas bénéficié des services
d'un conseil durant les cinq premiers mois de détention. Le Comité note
le silence de l'État partie sur ce point; il note également que les copies
des décisions de justice pertinentes ne traitent pas de l'allégation selon
laquelle l'auteur n'a pas été représenté durant cinq mois, alors même que
ce dernier avait mentionné cette allégation dans sa plainte auprès de la
Cour suprême, datée du 29 avril 1997. Eu égard à la nature de l'affaire
et des questions traitées au cours de cette période, notamment l'interrogatoire
de l'auteur par des officiers de police et la reconstitution des faits à
laquelle l'auteur n'a pas été invité à participer, le Comité estime que
l'auteur aurait dû bénéficier de la possibilité de consulter et d'être représenté
par un avocat. En conséquence, et en l'absence de toute information pertinente
de la part de l'État partie, le Comité estime que les faits dont il est
saisi constituent une violation de l'article 14, paragraphe 1, du Pacte.
7.3 En second lieu, l'auteur allègue que par la suite, le 17 juillet 1997,
la Cour suprême a examiné son affaire en son absence et en l'absence de
son conseil. Le Comité note que l'État partie n'a pas contesté cette allégation
et n'a pas donné de raison pour cette absence. Le Comité constate que la
décision du 17 juillet 1997 ne mentionne pas comme présents l'auteur ou
son conseil, mais mentionne la présence d'un procureur. En outre, il n'est
pas contesté que l'auteur n'était pas représenté par un avocat au tout début
de la procédure. Compte tenu des faits dont il est saisi, et en l'absence
de toute observation pertinente de la part de l'État partie, le Comité estime
donc que le crédit voulu doit être donné aux allégations de l'auteur. Le
Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle une aide juridictionnelle
doit être disponible à toutes les phases de la procédure pénale, en particulier
dans les affaires dans lesquelles l'accusé encourt la peine capitale. (2)
En conséquence, le Comité estime que les faits dont il est saisi font ressortir
une violation de l'article 14, paragraphe 1, ainsi qu'une violation distincte
de l'article 14, paragraphe 3 d), du Pacte.
7.4 Le Comité estime (3) que l'application de la peine de mort à
l'issue d'un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n'ont pas
été respectées constitue une violation de l'article 6 du Pacte s'il n'est
plus possible de faire appel du verdict. Dans le cas de l'auteur, la peine
de mort a été prononcée à titre définitif alors que les dispositions de
l'article 14 du Pacte concernant les conditions d'un procès équitable n'avaient
pas été pleinement respectées, ce qui constitue donc une violation de l'article
6. Toutefois, cette violation a été remédiée par la commutation de la peine
de mort, par décision de la cour régionale de Donetsk du 26 juin 2000.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est
saisi font apparaître une violation de l'article 14, paragraphes 1 et 3
d), du Pacte.
9. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'auteur a droit
à un recours utile. Le Comité estime que l'auteur n'ayant pas été dûment
représenté par un avocat lors des premiers mois suivant son arrestation
et pendant une partie de son procès alors même qu'il risquait une condamnation
à la peine de mort, il convient d'envisager sa libération anticipée. L'État
partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent
pas à l'avenir.
10. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a
reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou
non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est
engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et
relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité
souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements
sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie
est également invité à diffuser les constatations du Comité.
____________________________
[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra
aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
du Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres suivants du Comité ont participé à l'examen de la présente
communication : M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati,
M. Alfredo Castillero Hoyos, M. Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo,
M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael
Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen,
Mme Ruth Wedgwood et M. Roman Wieruszewski.
Notes
1. Le Pacte est entré en vigueur à l'égard de l'État partie le 23 mars
1976, et le Protocole facultatif le 25 octobre 1991.
2. Voir par exemple Robinson c. Jamaïque, communication n°
223/1987, et Brown c. Jamaïque, communication no 775/1997.
3. Voir Conroy Levy c. Jamaïque, communication n° 179/1996,
et Clarence Marshall c. Jamaïque, communication n° 730/1996.