Comité des droits de l'homme
Soixante-neuvième session
10 -28 juillet 2000
ANNEXE
Décision du Comité des droits de l'homme en vertu du protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques*
-Soixante-neuvième session -
Communication No. 785/1997
Présentée par : M. Alexandre Wuyts (représenté par un conseil, M.
E. Th. Hummels)
Au nom de : L'auteur
État partie : Pays-Bas
Date de la communication : 24 juin 1996
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 17 juillet 2000,
Adopte ce qui suit :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Alexandre Wuyts, de nationalité belge,
né le 22 février 1974. Il se déclare victime d'une violation de l'article
10 du Pacte par les Pays-Bas. Il est représenté par Mre E. Th. Hummels.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 11 février 1994, l'auteur a été reconnu coupable de plusieurs délits
de vol avec violence ou menace de violence contre autrui, ainsi que de tentatives
et de menaces de graves voies de fait. Il a été condamné à huit mois d'emprisonnement
et le juge a ordonné sa détention en hôpital psychiatrique pour traitement
obligatoire, pour une durée indéterminée. Le placement a été initialement
fixé à deux ans, renouvelables. Selon le jugement, le traitement devait
débuter le 3 mars 1994, mais d'après le conseil il n'a effectivement commencé
que le 17 mars 1995, plus d'un an après. Au cours de cette période, l'auteur
a été maintenu en détention sans suivre de traitement.
2.2 Le 6 février 1996, le tribunal de district de Middelburg a ordonné le
renouvellement du traitement pour deux ans. Il a considéré que les rapports
de psychiatrie indiquaient que l'état de l'auteur ne s'était pas amélioré
et que celui-ci refusait tout médicament contre les troubles psychotiques.
Le 19 juin 1996, la cour d'appel d'Arnhem a confirmé la décision du tribunal
de district.
Teneur de la plainte
3. Le conseil affirme que l'auteur est victime d'une violation de l'article
10 du Pacte parce qu'il a été maintenu en détention sans suivre de traitement
pendant plus d'un an, alors qu'un traitement avait été ordonné par le tribunal.
Il déclare également que si le traitement avait débuté à temps, il n'aurait
pas été nécessaire de renouveler la période de détention de l'auteur. Selon
le conseil, dans ces circonstances, tout autre traitement ne devrait être
que librement consenti et le maintien de l'auteur en détention constitue
en conséquence une violation du droit au respect de la dignité inhérente
à la personne humaine et donc de l'article 10 du Pacte.
Observations de l'État partie sur la recevabilité de la communication
et commentaires du conseil à ce sujet
4.1 Dans ses observations du 10 avril 1998, l'État partie indique qu'au
3 mars 1994, date à laquelle le traitement de l'auteur aurait dû débuter,
aucune place n'était disponible dans les hôpitaux. L'auteur a donc été placé
dans le service de surveillance intensive du centre de détention. Le 20
décembre 1994, il a été placé provisoirement à la clinique du Meijersinstituut
d'Utrecht et, le 17 mars 1995, il a été transféré à la clinique Van der
Hoeven d'Utrecht. L'État partie conteste en conséquence l'allégation de
l'auteur selon laquelle il aurait dû attendre plus d'un an avant d'être
admis à l'hôpital car la période d'attente a été en réalité de neuf mois
et demi. L'État partie informe également le Comité que le traitement obligatoire
a été de nouveau prolongé de deux ans par décision du tribunal en date du
24 février 1998.
4.2 L'État partie indique que, le 20 mars 1997, la cour d'appel de La Haye
a décidé dans une affaire analogue à celle de l'auteur que l'État partie
devait verser 150 florins pour chaque jour au-delà de trois mois passé en
détention sans recevoir de traitement alors qu'un traitement psychiatrique
obligatoire a été ordonné par les tribunaux. L'État s'est pourvu en cassation
contre cette décision et le recours est en instance (1) À la suite
de la décision, le conseil de l'auteur, le 21 mars 1997, a demandé à l'État
une indemnisation et, le 20 juin 1997, l'État lui a offert 3 000 florins.
L'État partie indique que, dans l'attente de l'arrêt en cassation, il n'accepte
pas d'obligations et qu'il n'est disposé à verser les 3 000 florins que
si le plaignant s'engage à ne pas entreprendre d'autres procédures contre
lui.
4.3 Selon l'État partie, la communication est irrecevable en vertu du paragraphe
2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif parce que les négociations concernant
l'indemnisation pour le temps passé en détention en attente d'un placement
en hôpital psychiatrique sont toujours en cours. Si aucun accord n'intervient,
l'auteur peut saisir le tribunal et demander une indemnisation. Selon l'État
partie, les tribunaux ont accordé des indemnisations dans de nombreux cas
analogues.
5. Dans ses observations, le conseil note que le Meijersinstituut n'est
pas un hôpital psychiatrique, mais un centre d'orientation. Il ajoute que
tous les recours internes ont été épuisés puisque l'auteur a fait appel
de la décision du tribunal de district de Middelburg de prolonger de deux
ans son traitement obligatoire en invoquant l'article 10 du Pacte. Le recours
de l'auteur a été rejeté par la cour d'appel qui a considéré que la période
de détention avant placement était regrettable mais ne constituait pas une
violation de l'article 10 du Pacte. Le conseil ajoute qu'on ne peut pas
attendre de l'auteur qu'il engage toutes sortes de procédures civiles à
cet égard.
Observations de l'État partie sur le fond de la communication
et commentaires du conseil
6.1 Dans ses observations du 20 juillet 1998, l'État partie traite du fond
de la communication. Il distingue deux questions différentes. La première
question est de savoir si le traitement subi par l'auteur au cours de sa
détention en attente de placement dans un hôpital psychiatrique était incompatible
avec les dispositions du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte. La deuxième
question est de savoir si le fait que l'ordonnance de traitement obligatoire
n'ait pas pris effet immédiatement est contraire au principe selon lequel
toute personne doit être traitée "avec humanité et avec le respect
de la dignité inhérente à la personne humaine".
6.2 Pour ce qui est de la première question, l'État partie note que l'auteur
a été placé dans un service hospitalier spécial du centre de détention,
un "service de surveillance individuelle", qui accueille des détenus
souffrant de troubles psychologiques. Ce service fournit des soins spéciaux
adaptés aux problèmes individuels des détenus. Chaque détenu a sa propre
cellule, avec un lit, des toilettes et un lavabo, et généralement aussi
un poste de télévision. En outre, le service dispose d'une pièce commune
avec équipements de loisirs. L'emploi du temps quotidien est adapté aux
besoins des détenus. Le personnel est plus nombreux que dans les autres
quartiers ordinaires du centre de détention, afin de permettre tous les
contacts sociaux nécessaires avec les détenus et il a reçu une formation
spécialisée. L'état de chaque détenu est suivi soigneusement et dès qu'un
signe d'évolution négative se manifeste, un psychologue est averti et celui-ci
peut, si nécessaire, appeler un psychiatre. En cas de crise, il est prévu
de placer le détenu dans un service d'observation et de surveillance médicale,
ce qui, néanmoins, ne s'est pas avéré nécessaire dans le cas de l'auteur.
L'État partie conclut que les conditions de détention de l'auteur n'ont
pas été contraires aux dispositions du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
6.3 Pour ce qui est de la deuxième question, l'État partie fait valoir que
le temps que l'auteur a passé en attente de placement dans un établissement
psychiatrique ne peut pas être assimilé à une condition de détention, au
regard de laquelle le paragraphe 1 de l'article 10 serait applicable. Selon
l'État partie, cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable
car ne relevant pas de l'article 10 du Pacte.
6.4 En outre, l'État partie note que l'auteur conteste la légalité de sa
détention. Toutefois, selon lui, la question de savoir si la détention a
été légale n'entre pas en ligne de compte s'agissant d'une éventuelle violation
de l'article 10 du Pacte, qui concerne le droit d'être traité avec humanité
au cours de la détention (légale ou illégale). Pour ce qui est de la légalité,
l'État partie renvoie à l'arrêt de la Cour suprême du 5 juin 1998, rendu
dans un cas analogue à celui de l'auteur et dans lequel la Cour a estimé
que le Ministre de la justice n'était pas dans l'obligation, en vertu des
dispositions du règlement d'application des ordonnances relatives aux hôpitaux,
de veiller à ce que toute la capacité nécessaire soit disponible en tout
temps pour les personnes soumises à une ordonnance d'hospitalisation. Le
règlement prévoit que le Ministre doit prendre une décision sur le placement
dans un service d'hôpital psychiatrique "dès que possible". La
Cour suprême a considéré qu'un certain "décalage entre la capacité
disponible et la capacité nécessaire" était acceptable du point de
vue de la répartition rationnelle des ressources financières. Elle a déclaré
qu'une attente de six mois pouvait être considérée comme acceptable pour
la société. Elle considère que le maintien d'une personne dans un centre
de détention provisoire au-delà de six mois est illégal, sauf circonstances
spéciales.
6.5 L'État partie souligne que l'illégalité ne concerne pas, selon la Cour
suprême, le maintien de la personne dans des conditions de privation de
liberté, mais la non-application d'un traitement dans un établissement approprié
en temps voulu. Dans de tels cas, une indemnisation est justifiée.
6.6 L'État partie conteste en conséquence l'allégation de l'auteur selon
laquelle son traitement obligatoire est devenu illégal en raison du retard
pris dans la mise en place du traitement. Si l'auteur estime qu'il a été
lésé du fait du retard prolongé avant le début du traitement, il peut toujours
porter plainte devant la justice afin d'obtenir une indemnisation de l'État.
7. Dans ses observations, le conseil fait remarquer que l'article 10 englobe
le devoir positif de l'État partie de fournir un traitement psychiatrique
à toute personne à laquelle un tel traitement a été ordonné par le tribunal.
Aucun traitement de ce type n'a été offert dans le centre de détention.
Pour ce qui est des recours disponibles, le conseil affirme que l'indemnisation
n'équivaut pas à une protection suffisante et que l'argumentation de l'État
partie revient implicitement à reconnaître la violation de l'article 10.
8.1 Dans d'autres observations, l'État partie conteste l'affirmation du
conseil selon laquelle le Meijersinstituut est un institut d'orientation
et non pas un centre de traitement. L'institut en question a été désigné
par le Ministre de la justice comme centre de soins pour personnes faisant
l'objet d'une ordonnance d'hospitalisation. Dans la pratique, l'institut
a une double fonction. Il joue le rôle de centre d'orientation dans le sens
où, pendant sept semaines, son personnel observe les personnes ayant fait
l'objet d'une ordonnance d'hospitalisation, afin de pouvoir conseiller le
Ministre de la justice sur l'établissement le plus approprié pour la personne
en question. Il dispense également un traitement, lorsque celui-ci est nécessaire.
Dans le cas à l'étude, l'auteur a immédiatement reçu un traitement lorsqu'il
a été admis à l'institut en attendant son placement à la clinique Van der
Hoeven.
8.2 L'État partie joint le texte d'une décision prise le 7 avril 1993 par
le Président du tribunal de district de Groningen dans une affaire analogue
à celle de l'auteur. Dans cette affaire, l'auteur avait demandé au tribunal
d'ordonner à l'État de le placer dans un établissement psychiatrique dans
les deux semaines, afin d'entreprendre le traitement obligatoire. Le tribunal
avait accédé à sa demande. Selon l'État partie, cet exemple prouve que l'auteur
aurait pu encore exercer des recours utiles.
9. Dans ses observations, le conseil affirme à nouveau que le Meijersinstituut
est un institut d'orientation et n'est pas prévu pour dispenser un véritable
traitement, même si des soins à court terme sont fournis. Il ajoute que
la décision du Président du tribunal de district de Groningen n'a aucun
rapport avec l'affaire de l'auteur.
Délibérations du Comité
10.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
10.2 Le Comité doit se prononcer sur deux questions. La première question
est de savoir si le fait que l'État partie n'a pas placé rapidement l'auteur
dans un hôpital psychiatrique pour qu'il soit traité signifie qu'une violation
de l'article 10 a été commise pendant le retard ainsi intervenu et la deuxième
question est de savoir si le maintien de l'auteur sous traitement obligatoire
et en détention constitue une violation de l'article 10 en raison du retard
intervenu avant le début du traitement.
10.3 Pour ce qui est de la première question, le Comité note que l'État
partie a objecté que l'auteur n'avait pas épuisé les recours internes car
il aurait pu saisir le tribunal et demander à être placé en hôpital psychiatrique
et, en l'absence de réponse positive, demander une indemnisation. L'argument
avancé par le conseil, selon lequel l'auteur aurait épuisé les recours internes
du fait qu'il a contesté le renouvellement de l'ordonnance de traitement
obligatoire en faisant valoir que celui-ci constituait une violation de
l'article 10, ne concerne que la deuxième question dont le Comité est saisi.
Le Comité a noté que les tribunaux des Pays-Bas, dans des affaires analogues
à celle de l'auteur, avaient approuvé des demandes de placement immédiat
en hôpital psychiatrique et, subsidiairement, une indemnisation, et estime
que ce moyen constituait un recours utile disponible à l'auteur. L'auteur
ne s'étant pas prévalu de ce recours, cette partie de la communication est
irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
10.4 Le Comité considère que l'auteur a épuisé les recours internes s'agissant
de la deuxième question. Toutefois, il estime que ni les arguments avancés
par le conseil ni les renseignements dont il dispose ne sont pas suffisants
pour étayer, aux fins de la recevabilité, l'allégation du conseil selon
laquelle le maintien obligatoire prolongé en établissement psychiatrique
constitue une violation de l'article 10. Dans ces circonstances, cette partie
de la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole
facultatif.
10.5 Le Comité note que les faits de l'affaire auraient pu soulever des
questions au regard de l'article 9 du Pacte. Toutefois comme les parties
n'ont pas abordé ce point, il n'est pas en mesure de se prononcer à ce sujet.
11. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 et du paragraphe
2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur.
__________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. P. N. Bhagwati,
Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, M. Louis Henkin,
M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina
Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski
et M. Abdallah Zakhia.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
1. Pour l'arrêt en cassation de la Cour suprême, voir le paragraphe
6.4 ci-dessous.