Comité des droits de l'homme
Soixante-treizième session
15 octobre - 2 novembre 2001
Annexe
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques
- Soixante-treizième session -
Communication n° 788/1997*
Présentée par:MM. Geniuval M. Cagas, Wilson Butin et Julio Astillero (représentés parCrusade against Miscarriage of Justice, Inc.)
Au nom des:Auteurs
État partie:Philippines
Date de la communication:17 septembre 1996 (communication initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 23 octobre 2001,
Ayant achevé l'examen de la communication no 788/1997 présentée par MM. Geniuval M. Cagas, Wilson Butin et Julio Astillero en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. Les auteurs de la communication, datée du 17 septembre 1996, sont M. Geniuval M. Cagas, M. Wilson Butin et M. Julio Astillero, tous trois de nationalité philippine, actuellement détenus à la prison-ferme de Tinangis (Philippines). Ils affirment être victimes d'une violation par les Philippines du paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte. Ils sont représentés par Crusade against Miscarriage of Justice, Inc., organisation non gouvernementale.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Le 23 juin 1992, la police de Libmanan, Camarines Sur (Philippines), a trouvé six cadavres de femmes au domicile de la doctoresse Dolores Arevalo, elle-même l'une des victimes. Les victimes avaient les mains liées et leur crâne avait été fracassé.
2.2 Bien qu'il n'y ait pas eu de témoin direct des meurtres proprement dits, un voisin, M. Publio Rili, a affirmé avoir vu quatre hommes pénétrer chez la doctoresse Arevalo dans la soirée du 22 juin 1992. M. Rili a reconnu ultérieurement les trois auteurs, qui selon lui faisaient partie des individus qu'il avait aperçus le soir en question. Peu après que les quatre hommes en question eurent pénétré dans la maison, le témoin a entendu des «bruits de coups» provenant de la maison de la doctoresse Arevalo, puis il a vu une voiture qui quittait les lieux.
2.3 La même nuit, un agent de police a vu le véhicule en question et a relevé son numéro de plaque minéralogique. L'enquête a révélé par la suite que ce numéro était celui d'une voiture appartenant à M. Cagas. Les deux autres coaccusés et auteurs travaillent pour M. Cagas.
2.4 L'enquête a fait apparaître que M. Cagas fournissait des médicaments à un hôpital dont la doctoresse Arevalo avait été nommée chef quelque temps avant les meurtres. Il est également apparu que la doctoresse Arevalo avait refusé d'acheter des fournitures médicales à M. Cagas.
2.5 Le ministère public a présenté au tribunal une copie certifiée conforme d'un télégramme que M. Cagas aurait envoyé au mari de Mme Arevalo, lui demandant de dire à sa femme de ne plus réclamer de ristournes pour les fournitures médicales.
2.6 Les 26, 29 et 30 juin 1992, les auteurs ont été arrêtés pour meurtre (dans cette affaire dite du massacre de Libmanan). Ils affirment être innocents.
2.7 Le 14 août 1992, les auteurs ont comparu devant un tribunal, qui a ordonné de les maintenir en détention jusqu'au procès. Le 11 novembre 1992, les auteurs ont demandé leur mise en liberté sous caution et le 1er décembre 1992 ils ont présenté une requête en annulation des mandats d'arrestation. Le 22 octobre 1993, le tribunal de première instance de la région a rejeté leur demande de libération sous caution. Le 12 octobre 1994, la Cour d'appel de Manille a confirmé la décision rendue par le tribunal de première instance le 22 octobre 1993. Une requête en réexamen de la décision de la Cour d'appel a été rejetée à son tour le 20 février 1995. Le 21 août 1995, la Cour suprême a rejeté l'appel de la décision de la Cour d'appel formé par les auteurs.
2.8 Le 5 juin 1996, M. Cagas a envoyé au Président de juridiction de la Cour suprême, au nom des auteurs, une lettre lui communiquant des faits supplémentaires pour étayer l'allégation selon laquelle leur demande de libération sous caution avait été rejetée indûment.
2.9 Le 26 juillet 1996, le Président de juridiction a répondu aux auteurs qu'ils n'avaient plus la possibilité de soulever des questions que la Cour suprême n'avait pas considérées.
2.10 Dans une autre communication, datée du 29 mai 1998, les auteurs affirment que les 24 et 25 mars 1997, l'un d'entre eux, M. Julio Astillero, a été soumis à la «torture ou traitement par l'alcool» (1) par des gardiens de la prison qui voulaient le contraindre à se porter «témoin à charge». Les sévices allégués auraient été signalés au juge Martin Badong, qui présidait à l'époque le tribunal de première instance de la région, mais ce dernier n'en aurait pas tenu compte.
Teneur de la plainte
3.1 Les auteurs affirment être victimes d'une violation du paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte. Ils affirment que la décision de les placer en détention avant jugement n'est fondée que sur des présomptions, ce qui n'est pas suffisant pour justifier le rejet d'une demande de libération sous caution, et que cette décision n'a pas été dûment réexaminée par les tribunaux supérieurs, qui ont refusé de revenir sur les faits déjà appréciés par le tribunal de première instance.
3.2 Les auteurs affirment que le Président de juridiction, quand il a rejeté leur requête le 26 juillet 1996, s'est fondé sur un point de procédure et non sur le fond de la loi, alors que dans cette affaire des droits constitutionnels fondamentaux étaient en cause.
3.3 Les auteurs notent que bien que la présomption d'innocence soit un principe consacré dans la Constitution des Philippines, les personnes dont la demande de mise en liberté sous caution est refusée sont privées de leur droit d'être présumées innocentes. Ils soutiennent encore que le refus de leur demande de mise en liberté sous caution les prive du temps et des facilités nécessaires pour préparer correctement leur défense, ce qui est contraire au principe des garanties d'une procédure régulière.
3.4 Bien que cet aspect ne soit pas expressément invoqué par les auteurs, les faits tels qu'ils sont présentés soulèvent des questions au titre des articles 9, paragraphe 3, et 14, paragraphe 3, du Pacte eu égard à la durée que les auteurs ont passée en détention avant jugement, au titre des articles 7 et 10 du Pacte eu égard aux sévices dont M. Julio Astillero aurait été l'objet les 24 et 25 mars 1997.
Observations de l'État partie
4.1 Dans une réponse datée du 16 mars 1998, l'État partie a présenté ses observations sur le fond de l'affaire.
4.2 Soulignant que les garanties d'une procédure régulière sont le fondement des procédures pénales relevant de sa juridiction, l'État partie considère que ce principe est respecté dans la mesure où un inculpé est entendu par un tribunal compétent, traduit en justice conformément aux garanties d'une procédure régulière et puni seulement après qu'un jugement a été prononcé conformément au droit constitutionnel.
4.3 L'État partie fait également observer que la libération sous caution peut être refusée quand celui qui la demande est inculpé d'un crime punissable de la «réclusion à perpétuité» et quand il y a à son encontre des présomptions sérieuses, dont l'appréciation est laissée à la discrétion du tribunal.
4.4 En l'espèce, l'État partie considère que, bien que leur demande de libération sous caution ait été rejetée, les auteurs n'ont pas été privés de leur droit d'être présumés innocents, puisque c'est seulement à l'issue d'un procès en bonne et due forme portant sur le fond de l'affaire qu'ils pourraient être déclarés coupables en toute certitude.
4.5 En outre, l'État partie considère que bien que le fait pour les auteurs d'être placés en détention avant jugement puisse les priver du temps et des facilités nécessaires pour préparer leur défense, cette détention ne déroge pas, dans son principe, à la notion essentielle de garanties judiciaires tant que les éléments de garanties d'une procédure régulière mentionnés au paragraphe 4.2 sont présents.
4.6 L'État partie souligne que M. Cagas a admis dans sa lettre du 5 juin 1996 au Président de juridiction que «l'irrégularité relevée dans la décision du [22 octobre 1993] n'a jamais été évoquée dans les compléments d'information fournis à la Cour d'appel et à la Cour suprême» et que M. Cagas a admis avoir fait part de ses griefs directement au Président de juridiction. L'État partie note, à cet égard, que le Bureau du Président de juridiction, qui est placé sous l'autorité de la Cour suprême, n'est nullement appelé à se prononcer sur les affaires; il n'est donc pas compétent pour réexaminer les arrêts rendus par la Cour suprême. L'État partie précise encore que les auteurs ont été dûment représentés par un avocat, défenseur des droits de l'homme réputé.
Observations des auteurs
5.1 Dans une lettre datée du 29 mai 1998, les auteurs ont commenté les observations de l'État partie.
5.2 Les auteurs affirment encore une fois que quand une demande de libération sous caution est rejetée, il est porté fondamentalement atteinte au droit constitutionnel de la personne accusée d'être présumée innocente. En outre, quand la personne accusée est placée en détention avant jugement, elle n'a pas le temps et les facilités nécessaires pour préparer sa défense, ce qui pour finir la prive des garanties d'une procédure régulière.
5.3 En règle générale, la libération sous caution peut être accordée dans toute procédure pénale. Cette règle ne souffre qu'une seule exception, lorsque l'intéressé est inculpé d'un crime capital qui emporte une condamnation à une peine sévère et, surtout, quand il existe des présomptions sérieuses à son encontre. Cela implique également que toute exception au droit d'être libéré sous caution doit être dûment justifiée dans la décision prise.
5.4 En l'occurrence, les auteurs considèrent que dans la décision du tribunal de première instance du 22 octobre 1993, le rejet de leur demande de libération sous caution n'est pas justifié. En outre, ils estiment que la condition de l'existence de présomptions sérieuses n'a pas été satisfaite. À cet égard, les auteurs font observer que le ministère public a simplement montré qu'ils étaient des suspects qui pouvaient avoir commis le crime, et qu'il a fondé ses constatations sur des preuves indirectes. Les auteurs considèrent qu'en l'absence de témoin direct des meurtres proprement dits, les preuves indirectes présentées en l'espèce ne sont pas suffisantes pour établir que ce sont eux qui ont commis le crime.
5.5 Les auteurs font également observer que la Cour d'appel et la Cour suprême n'ont examiné qu'un aspect procédural de l'affaire, estimant qu'il était du ressort du juge de première instance d'apprécier les faits, et elles n'ont pas considéré la question du droit à la libération sous caution en appliquant le critère prévu dans la Constitution, à savoir l'existence de présomptions sérieuses pour refuser ladite libération. Les auteurs ont porté ultérieurement cette question devant le Président de juridiction, car ils estimaient que ce dernier avait le pouvoir et le devoir d'appeler l'attention des juges de première instance sur les cas de simulacre de justice manifestes dans leur juridiction.
5.6 Pour permettre au Comité de prendre sa décision en toute connaissance de cause, les auteurs appellent aussi son attention sur certains faits récents:
- Une requête en réexamen a été rejetée le 20 mai 1998.
- L'original du télégramme qui aurait été envoyé par M. Cagas au mari de Mme Arevalo et sur lequel le ministère public s'est essentiellement fondé pour établir le motif du crime n'a jamais été produit et est apparemment perdu. Les auteurs fournissent des attestations à l'effet que l'original de ce document est introuvable.
Autres observations de l'État partie
6. Les observations qui précèdent ont été communiquées à l'État partie le 30 octobre 1998. Le 20 septembre 2000, il a été envoyé à l'État partie une autre lettre l'invitant à présenter ses observations sur le fond de l'affaire. Par une note verbale du 2 octobre 2000, l'État partie a fait savoir au Comité qu'il ne souhaitait pas formuler d'autres observations sur l'affaire et il s'est référé à sa communication antérieure du 16 mars 1998.
Délibérations du Comité
7.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2 Notant que l'État partie n'a pas soulevé d'objections quant à la recevabilité de la communication, que les auteurs ont épuisé tous les recours internes disponibles et que la même affaire n'est pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement, le Comité déclare la communication recevable.
7.3 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 2 de l'article 14 pour le motif que la demande de libération sous caution a été rejetée, le Comité estime que ce refus n'a pas a priori touché le droit des auteurs d'être présumés innocents. Néanmoins, le Comité est d'avis que la durée excessive de la détention provisoire - supérieure à neuf ans - porte bien atteinte au droit à la présomption d'innocence et constitue donc une violation du paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte.
7.4 En ce qui concerne les questions soulevées au titre du paragraphe 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte, le Comité fait observer qu'au moment oú ils ont envoyé leur communication, les auteurs étaient en détention depuis plus de quatre ans et qu'ils n'étaient pas encore passés en jugement. Le Comité note encore qu'au moment oú il adopte ses constatations, les auteurs semblent être détenus en attente de jugement depuis plus de neuf ans, ce qui compromettrait sérieusement l'équité du procès. Rappelant son Observation générale no 8, dans laquelle il fait observer que «[la] détention [avant jugement] doit être exceptionnelle et aussi brève que possible» et notant que l'État partie n'a avancé aucune explication pour justifier cette longue période, le Comité considère que la durée de la détention avant jugement constitue, en l'espèce, un délai déraisonnable. Le Comité conclut donc que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte. En outre, rappelant que l'État partie est tenu de faire en sorte qu'une personne accusée soit jugée sans retard excessif, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font également apparaître qu'il y a eu violation du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte.
7.5 En ce qui concerne les sévices qui auraient été infligés à M. Julio Astillero, le Comité note que les allégations sont très générales et que la nature des actes qui auraient été commis n'est pas décrite. Donc, même si l'État partie n'a pas répondu à la demande du Comité qui l'avait invité à faire des observations sur les informations données par les auteurs en date du 29 mai 1998, le Comité est d'avis que les auteurs n'ont pas apporté suffisamment d'éléments pour étayer leur allégation de violation des articles 7 et 10 du Pacte à l'égard de M. Astillero.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l'article 9 et des paragraphes 2 et 3 de l'article 14 du Pacte.
9. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu d'offrir aux auteurs de la communication un recours utile, qui doit prendre la forme d'une indemnisation adéquate pour le temps qu'ils ont passé illégalement en détention. L'État partie est également tenu de faire en sorte que les auteurs soient jugés sans délai en bénéficiant de toutes les garanties énoncées à l'article 14 du Pacte ou, si cela n'est pas possible, qu'ils soient remis en liberté.
10. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
__________________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, Mme Christine Chanet, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen et M. Maxwell Yalden.
** Le texte de deux communications individuelles, l'une signée de Mme Cecilia Medina Quiroga et de M. Rafael Rivas Posada et l'autre signée de M. Hipólito Solari Yrigoyen, est joint au présent document.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Appendices
Opinion individuelle de Mme Cecilia Medina Quiroga
et de M. Rafael Rivas Posada
(dissidente)
Dans cette affaire, le Comité a établi que les Philippines avaient violé le paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et les paragraphes 2 et 3 de l'article 14, au préjudice de MM. Cagas, Butin et Astillero. J'approuve la conclusion de la majorité mais je m'en dissocie en ce que je considère que le Comité aurait dû conclure que l'État partie avait également violé le paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. Voici quelles sont mes raisons:
a) Nulle part dans le dossier dont le Comité était saisi il n'est consigné que les trois auteurs de la communication ont été jugés et ont été reconnus coupables et condamnés à une peine privative de liberté, raison pour laquelle on peut présumer qu'ils ont été privés de leur liberté pendant neuf ans sans avoir été ni jugés ni condamnés, étant donné qu'il appartenait à l'État de donner au Comité une information à ce sujet, ce qu'il n'a pas fait jusqu'ici. Il s'agit donc d'une violation flagrante du paragraphe 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte. Il faut relever qu'une privation de liberté aussi longue ne peut être considérée comme équivalant à l'exécution d'une peine, en l'espèce sans qu'il y ait de verdict à l'appui, ce qui à mon avis fait douter du respect par l'État partie des dispositions du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte, qui interdisent la détention arbitraire.
b) Le fait que les suspects n'aient pas été jugés pendant tant d'années, outre qu'il constitue une violation du paragraphe 3 de l'article 14, compromet automatiquement la régularité de la production de la preuve, ce qui entache de vices le procès qui pourrait éventuellement être engagé contre les auteurs de la communication. Par exemple, la possibilité de fonder la sentence sur les dépositions de témoins, dépositions qui seraient faites aussi longtemps après les faits, fait que les accusés se trouvent totalement sans défense, ce qui est contraire aux garanties prévues par le Pacte. Il est impossible qu'un procès pour homicide ou assassinat, selon le cas, mené au bout de neuf ans ou même plus après les faits puisse être «équitable» au sens du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.
c) Enfin, en ayant laissé passer tout ce temps sans juger les intéressés selon la procédure régulière garantie par le Pacte, l'État partie n'a pas seulement commis une violation par omission du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte mais s'est placé dans une situation telle qu'il ne peut pas à l'avenir prétendre respecter le Pacte. Pour cette raison je ne peux pas davantage approuver le paragraphe 9 de la décision de la majorité. J'estime que dans l'affaire à l'étude l'État doit remettre immédiatement les trois détenus en liberté. Il est évident que l'État a intérêt à traduire les intéressés devant une juridiction pénale mais ces poursuites ne peuvent être menées que dans les limites permises par le droit international. Si les organes chargés d'administrer la justice pénale d'un État sont inefficaces, cet État doit résoudre le problème autrement qu'en violant les garanties des accusés.