Comité des droits de l'homme
Soixante-septième session
18 octobre - 5 novembre 1999
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au
titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Soixante-septième session -
Communication No 789/1997
Présentée par : Monica Bryhn
(représentée par M. John Ch. Elden)
Au nom de : L'auteur
État partie : Norvège
Date de la communication : 5 novembre 1996.
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 29 octobre 1999,
Ayant achevé l'examen de la communication No 789/1997 présentée
au Comité des droits de l'homme par Mme Monica Bryhn en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Mme Monica Bryhn, citoyenne norvégienne
née le 21 octobre 1966. Elle affirme être victime d'une violation par
la Norvège du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte. Elle est représentée
par un conseil, M. John Christian Elden.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 3 février 1993, l'auteur a été reconnue coupable d'importation
et de vente illicites de drogue dans un but lucratif, elle a été condamnée
à quatre ans d'emprisonnement. Le 16 juin 1995, elle a bénéficié d'une
mesure de remise en liberté surveillée, et il a été sursis à la peine
d'une année et 132 jours d'emprisonnement qu'elle devait encore purger.
2.2 Le 13 décembre 1995, alors qu'elle était encore en liberté surveillée,
l'auteur a été de nouveau arrêtée et accusée de détenir de l'héroïne et
d'autres stupéfiants, dans des quantités correspondant à une consommation
personnelle. Le 21 décembre 1995, elle a plaidé coupable de ces chefs
d'accusation devant le tribunal de première instance de Drammen qui l'a
condamnée en conséquence. Usant de ses pouvoirs discrétionnaires, le tribunal
a prononcé une sentence globale, ajoutant la période que l'auteur devait
encore purger à la peine d'emprisonnement infligée pour la nouvelle infraction,
la condamnant à une année et six mois d'emprisonnement. Comme l'exigeait
la législation norvégienne, le tribunal a exposé dans son jugement les
circonstances aggravantes et atténuantes et a recommandé que l'auteur
soit transférée de la prison à un centre où elle pourrait subir une cure
de désintoxication.
2.3 L'auteur a fait recours contre la sentence devant la Cour d'appel
de Borgarting. Dans les cas où la peine maximale est inférieure à six
ans d'emprisonnement, cette dernière peut, conformément au Code de procédure
pénale, rejeter l'appel si ses membres considèrent à l'unanimité qu'il
est évident qu'il n'a aucune chance d'aboutir. Le 26 janvier 1996, la
Cour d'appel, composée de trois juges, a statué à l'unanimité que l'appel
n'avait aucune chance de déboucher sur une réduction de la peine et l'a
sommairement rejeté sans procéder à une audition complète. L'auteur a
alors demandé à la Cour de reconsidérer sa décision, invoquant à l'appui
de sa requête le paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte. Le 26 mars 1996,
la Cour d'appel, composée différemment, a décidé à la majorité de ne pas
modifier sa précédente décision; l'appel de l'auteur portait en partie
sur une incompatibilité présumée entre le Code de procédure pénale norvégien
et le paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte. L'auteur a encore fait appel
de cette seconde décision devant la Commission d'appel de la Cour suprême
qui a estimé, le 6 mai 1996, qu'aucun des points de droit soulevés au
nom de l'auteur (y compris l'affirmation selon laquelle il y aurait eu
violation du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte) ne pouvait être retenu.
2.4 Tous les recours internes ont ainsi été épuisés.
Teneur de la plainte
3. Dans sa communication, le conseil de l'auteur se contente de passer
en revue les événements susmentionnés et affirme qu'ils constituent une
violation du paragraphe 5 de l'article 14. D'autre part, il envoie au
Comité des copies de ses déclarations à la Cour d'appel et à la Cour suprême.
Dans le cadre de la procédure devant la Cour d'appel, il a fait valoir
que pour être conforme au paragraphe 5 de l'article 14, la législation
interne doit autoriser l'ouverture d'un nouveau procès aussi bien pour
établir la culpabilité de l'accusé que pour se prononcer sur la sévérité
de la peine. Se référant aux travaux préparatoires relatifs au Code de
procédure pénale, il a soutenu qu'un système où l'appel est soumis à autorisation
allait à l'encontre du paragraphe 5 de l'article 14. Son argument devant
la Cour suprême était qu'un recours contre la sévérité de la peine devrait
être entendu, quelle que soit la peine maximale, lorsqu'une peine de 18
mois d'emprisonnement a été prononcée.
Observations de l'État Partie et commentaires du Conseil
4.1 Dans ses observations, l'État partie n'élève aucune objection à la
recevabilité de la communication et procède à son examen quant au fond.
Il fait observer que son système d'appel a été modifié en 1995 et que
le dispositif actuel comporte un plus large éventail de possibilités de
recours que l'ancien. Dans l'ancien système, la Cour d'appel examinait
toutes les affaires portant sur des délits passibles d'une peine d'emprisonnement
de plus de six ans en tant que juridiction de première instance, et il
n'était pas possible de faire appel de l'appréciation des faits en ce
qui avait trait à la question de la culpabilité. Dans le nouveau système,
toutes les affaires sont jugées par des tribunaux de première instance
et toute personne reconnue coupable a le droit de faire recours contre
une telle décision devant la Cour d'appel. À la suite de l'adoption du
nouveau code de procédure pénale, la Norvège a retiré en partie la réserve
qu'elle avait formulée à propos du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte
Le 19 septembre 1995, la Norvège a déclaré ce qui suit : "[À]
la suite de l'entrée en vigueur d'un amendement au Code de procédure pénale
concernant le droit de faire appel de toute condamnation devant une juridiction
supérieure, la réserve faite par le Royaume de Norvège sur le paragraphe
5 de l'article 14 du Pacte continuera de s'appliquer uniquement dans les
cas exceptionnels suivants :
1. Riksrett (Haute Cour)
Selon l'article 86 de la Constitution norvégienne une cour spéciale
sera constituée pour juger des affaires pénales impliquant des membres
du Gouvernement, du Storting (Parlement) ou de la Cour suprême; ses jugements
seront sans appel.
2. Condamnation par une juridiction d'appel
Dans le cas où l'inculpé aurait été acquitté en première instance mais
condamné par une juridiction d'appel, il ne peut faire appel de cette
condamnation pour erreur dans l'appréciation des faits concernant sa culpabilité.
Si la juridiction d'appel est la Cour suprême, il ne peut être fait appel
de la condamnation pour aucun motif".
.
4.2 L'État partie explique que les motifs pouvant figurer dans l'acte
de pourvoi sont illimités et peuvent porter sur toute irrégularité dans
le jugement ou la procédure. Pour des raisons d'économie de temps, un
système de filtrage a été mis en place, l'objectif étant d'éviter de surcharger
la Cour d'appel. En vertu du paragraphe 2 de l'article 321 du Code de
procédure pénale, la Cour d'appel (composée de trois juges) peut refuser
d'entendre un appel si elle considère à l'unanimité que, manifestement,
il n'a aucune chance d'aboutir. En fait, la Cour d'appel doit examiner
l'affaire afin de déterminer s'il convient ou non d'entendre l'appel.
Les appels concernant des infractions dont les auteurs sont passibles
de plus de six ans d'emprisonnement sont toujours entendus. En règle générale,
les appels portant sur des questions de preuve doivent aussi faire l'objet
d'une procédure complète. En vertu de l'article 324 du Code de procédure
pénale, la Cour d'appel prend sa décision sans qu'il y ait eu de procédure
orale. Les parties sont toutefois autorisées à exprimer leurs vues par
écrit. Les pièces du dossier, y compris le jugement du tribunal de première
instance, ainsi que l'argumentation écrite des parties, constituent les
éléments sur lesquels se fonde la Cour d'appel pour prendre sa décision.
4.3 Dans le cas d'espèce, le seul motif d'appel invoqué par l'auteur
est la sévérité de la peine. Elle n'a soulevé aucune question ayant trait
à l'appréciation des preuves. Son principal argument était que le tribunal
n'aurait pas dû ajouter la peine prononcée dans le cadre de la deuxième
affaire à celle à laquelle elle avait été condamnée auparavant. Le recours
portait donc uniquement sur la question de l'application du Code pénal
et de la jurisprudence de la Cour suprême. Les renseignements requis figuraient
dans les pièces issues de l'examen de l'affaire en première instance.
4.4 L'État partie considère que la Cour d'appel a bien procédé à l'examen
exigé au paragraphe 5 de l'article 14. Dans le cadre du processus de modification
de la législation antérieure et de mise en place d'un nouveau système,
le Comité de rédaction et les experts indépendants qui ont participé à
l'opération ont abordé la question de la compatibilité du nouveau système
avec le paragraphe 5 de l'article 14 et sont arrivés à la conclusion qu'il
était conforme au Pacte. L'État partie fait observer que, comme l'a indiqué
le Comité dans ses constatations au sujet de la communication No 64/1997
(Salgar de Montejo c. Colombie) Constatations adoptées par
le Comité le 24 mars 1982., l'expression "conformément à la loi"
(par. 5 de l'article 14) fixe les modalités de l'examen de la sentence
par une instance supérieure. Le paragraphe 5 de l'article 14 s'applique
donc à un vaste éventail de modalités de contr_le judiciaire du deuxième
degré ayant en commun le principe essentiel selon lequel l'affaire doit
être examinée. À cet égard, l'État partie soutient que les États doivent
disposer d'une certaine marge dans l'application du droit de faire examiner
une sentence. De nombreux États ont adopté d'une manière ou d'une autre
un système d'autorisation de recours. Selon l'État partie même si la procédure
en seconde instance se limite à ce qu'on a appelé "une procédure
d'autorisation de recours", elle doit être considérée comme une procédure
d'examen au sens du paragraphe 5 de l'article 14.
4.5 L'État partie ajoute qu'un droit d'appel illimité peut facilement
entraîner des abus et imposer aux tribunaux une charge excessive du fait
de la prolifération des requêtes injustifiées. Un droit d'appel illimité
risque d'alourdir inutilement leur tâche et d'entraîner des retards qui
iraient à l'encontre du paragraphe 3 c) de l'article 14. L'État partie
souligne que la Cour d'appel procède aussi à une évaluation de l'affaire
sur le fond au stade préliminaire.
4.6 L'État partie est en outre d'avis que, lorsqu'il s'agit de déterminer
si un système est conforme au paragraphe 5 de l'article 14, il convient
de tenir compte de l'ensemble du processus judiciaire et du r_le et des
fonctions qu'y assume la Cour d'appel. À condition qu'il y ait eu une
procédure orale publique en première instance, l'absence d'une telle procédure
en appel ne saurait être considérée injustifiée si les parties ont eu
la possibilité d'exprimer leurs vues par écrit. Dans ce contexte, l'État
partie fait observer que le principe de l'"égalité des armes"
est respecté.
4.7 L'État partie se réfère en outre à une décision prise, le 26 octobre
1995, par la Commission européenne aux droits de l'homme au sujet de l'ancien
système d'appel; dans cette décision la Commission a soulevé des questions
similaires à celles qui sont en cause dans la présente affaire. Elle a
estimé que des restrictions imposées par l'État partie au moyen d'une
réglementation devraient avoir un objectif légitime et ne pas affaiblir
indûment le principe du droit à un examen effectué par une juridiction
d'appel. La Commission a rejeté l'allégation selon laquelle le système
norvégien portait atteinte à ce droit au motif qu'elle était manifestement
non fondée.
5. Dans les commentaires qu'il a faits au sujet des observations de l'État
partie, l'auteur conteste l'affirmation de ce dernier selon laquelle l'examen
sommaire effectué par la Cour d'appel constituait un examen au sens du
paragraphe 5 de l'article 14. Selon l'auteur, comme il n'y a pas eu de
procédure complète, il est possible d'affirmer que la Cour n'a pas examiné
l'affaire sur le fond. En conséquence, l'auteur estime que sa cause n'a
pas été véritablement entendue par une juridiction supérieure comme l'exige
le paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte Le Conseil se réfère au commentaire
de Nowak concernant le paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (1993, p. 266), qui se lit comme
suit : "Un pourvoi en cassation est aussi acceptable que les appels
portant sur le fond à condition que le recours donne lieu à un véritable
examen. Il est donc douteux qu'une procédure limitée à l'examen de questions
de droit soit suffisante. [...] Les garanties d'un procès équitable et
public doivent également être observées dans une procédure d'appel"..
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si la communication est recevable au titre du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité note que l'État partie n'a pas élevé d'objection à la recevabilité
de la communication. Il ne voit aucun obstacle à ce que la communication
soit déclarée recevable. En conséquence, il décide que la communication
est recevable et procède sans plus tarder à son examen quant au fond.
7.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations que les parties lui ont communiquées
par écrit, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
7.2 Le Comité note que l'auteur de la présente communication n'a fait
appel du jugement prononcé en première instance qu'en ce qui concerne
la peine à laquelle elle a été condamnée. Conformément à l'article 321
du Code de procédure pénale, la Cour d'appel, composée de trois juges,
a examiné les pièces dont avait été saisi le tribunal de première instance,
ainsi que le texte du jugement et les arguments avancés en faveur de l'auteur
selon lesquels la peine prononcée n'était pas justifiée; elle a conclu
que l'appel n'avait aucune chance de déboucher sur une réduction de la
peine. En outre, la Cour d'appel a de nouveau examiné les éléments de
l'affaire en réexaminant sa précédente décision, et la seconde décision
qu'elle a prise à cette occasion pouvait faire l'objet d'un recours devant
la Commission d'appel de la Cour suprême. Bien que le Comité ne soit pas
tenu de souscrire au point de vue du Parlement norvégien - confirmé par
la Cour suprême - selon lequel le Code de procédure pénale norvégien est
conforme au paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte, il considère que dans
les circonstances de la cause, les différents examens auxquels a procédé
la Cour d'appel ont satisfait aux critères du paragraphe 5 de l'article
14.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits qui
lui sont soumis ne font apparaître aucune violation des articles du Pacte.
____________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de
la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
N. Bhagwati, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt,
M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina
Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden
et M. Abddallah Zakhia.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]