Comité des droits de l'homme
Soixante-douzième session
9 - 27 juillet 2001
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Soixante-douzième session
-
Communication No. 790/1997
Présentée par: M. Sergei Anatolievich Cheban et consorts (représentés
par un conseil, Mme Elena Kozlova)
Au nom de: Les auteurs
État partie: Fédération de Russie
Date de la communication: 12 mars 1997 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 24 juillet 2001,
Ayant achevé l'examen de la communication no 790/1997 présentée par M. Sergei
Anatolievich Cheban et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées
par les auteurs de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif
1. Les auteurs de la communication, datée du 12 mars 1997, sont Sergei Anatolievich
Cheban, né le 27 février 1977, Sergei Alexandrovich Mishketul, né le 20 février
1977, Vassili Ivanovich Philiptsevich, né le 14 avril 1978, et Stanislav Igoervich
Timokhin, né le 22 novembre 1978. Ils disent être victimes de violations des
paragraphes 1, 2 et 3 e ainsi que du paragraphe 4 de l'article 14 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques par la Fédération de
Russie. Ils affirment également qu'ils n'ont pas été jugés par un tribunal
avec jury contrairement à d'autres accusés, ce qui soulève des questions au
titre de l'article 26. Les auteurs sont représentés par un conseil.
Rappel des faits(1)
2.1 Le 17 février 1995, les auteurs ont été reconnus coupables de viol de
mineur (la victime était alors âgée de 13 ans), avec violences et menaces,
agissant en groupe par entente préliminaire, par le tribunal de la ville
de Moscou. Au moment des faits, les auteurs étaient âgés de 15 à 16 ans
et pensionnaires dans un internat de Moscou. Le tribunal de la ville de
Moscou a prononcé son jugement sur la base du témoignage de la victime;
des dépositions écrites de témoins; des dépositions des auteurs; du rapport
de police sur l'arrestation des auteurs; ainsi que de deux expertises médico-légales
qui avaient conclu que la victime avait eu des rapports sexuels et que les
auteurs étaient capables d'avoir des rapports sexuels.
2.2 Pour fixer la peine infligée, le tribunal a tenu compte de l'âge des
accusés et des témoignages positifs recueillis auprès de personnes les connaissant.
Philiptsevich a été condamné à six ans d'emprisonnement et les trois autres
accusés à cinq ans d'emprisonnement chacun. Lors du pourvoi en cassation,
la Cour suprême a reconnu la validité de la décision du tribunal de la ville
de Moscou et confirmé les peines prononcées. Par la suite, le Vice-Président
de cette même cour a formé opposition devant le Présidium de la Cour suprême
en application des règles relatives au contrôle du pouvoir judiciaire. Le
10 avril 1996, le Présidium de la Cour suprême a réduit les peines prononcées.
Celle de Philiptsevich a été ramenée à quatre ans et demi d'emprisonnement
et celle des trois autres accusés à quatre ans.
Teneur de la plainte
3.1 Les auteurs affirment que le tribunal de la ville de Moscou est arrivé
à ses conclusions de manière inéquitable en accordant davantage de crédit
à la version de la victime. De plus, étant donné qu'il n'y avait pas eu
de témoin oculaire ou de preuve directe du viol, le juge s'était fondé principalement
sur la déposition de la victime. Or, le conseil des accusés avait demandé
qu'une expertise psychiatrique et psychologique de la victime soit faite
pour s'assurer de sa capacité à percevoir et comprendre les circonstances
et les faits, mais une telle expertise n'a jamais eu lieu.
3.2 Lors du procès, les accusés avaient aussi demandé que l'on procède à
une reconstitution des faits et que l'on présente un État des lieux avec
des schémas et des photos afin de pouvoir juger de leur culpabilité. Leurs
demandes avaient été refusées. Les auteurs avancent que ce refus constitue
une violation des paragraphes 1, 2 et 3 e de l'article 14 du Pacte.
3.3 La version des faits présentée par les auteurs donne également à penser
que l'État partie pourrait avoir violé le paragraphe 4 de l'article 14 et
l'article 26 du Pacte. En ce qui concerne le paragraphe 4 de l'article 14,
il ressort des faits décrits par les auteurs que le tribunal n'a pas tenu
compte de leur âge. Les auteurs ont, à plusieurs reprises, demandé à bénéficier
de l'article 20 de la Constitution russe de 1993, en vertu duquel les accusés
qui encourent la peine de mort peuvent demander à être jugés par un tribunal
comportant un jury. Le refus de faire comparaître les auteurs devant un
tribunal avec jury peut soulever des questions au regard de l'article 26
à cause de la différence de traitement avec d'autres accusés qui avaient
eux bénéficié d'un procès devant un jury.
Réponse de l'État partie
4.1 L'État partie répond que les allégations selon lesquelles les droits
constitutionnels des accusés auraient été violés, leur culpabilité n'aurait
pas été suffisamment prouvée et les enquêtes et formalités faites avant
le procès étaient incomplètes, avaient été examinées à plusieurs reprises
par les autorités judiciaires compétentes et n'avaient pas été confirmées.
L'État partie déclare que, lors du procès, l'accusation et la défense ont
bénéficié des mêmes droits.
4.2 L'État partie a aussi avancé que les accusés n'auraient pas pu être
jugés par un tribunal comportant un jury car, à l'époque, la loi ne prévoyait
pas la possibilité de tenir de tels procès à Moscou.
4.3 Les auteurs avaient eu le droit de se faire représenter par un avocat
dès leur mise en examen et les droits de la défense leur avaient été expliqués
à maintes reprises en présence de leur conseil.
Commentaires des auteurs concernant la réponse de l'État partie
5. Les auteurs ont répété dans leurs commentaires sur la réponse de l'État
partie que leur procès n'avait pas été équitable parce qu'ils n'avaient
pas été en mesure de recueillir et présenter des éléments de preuve établissant
leur innocence.
Délibération du Comité
6.1 Avant de procéder à l'examen d'une plainte contenue dans une communication,
le Comité des droits de l'homme doit s'assurer, en vertu de l'article 87
de son règlement intérieur, que la communication est recevable conformément
au Protocole facultatif relatif au Pacte.
6.2 Le Comité note que l'affaire n'est pas en cours d'examen par une autre
instance internationale et que les recours internes ont été épuisés. Les
conditions fixées au paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif
sont donc remplies.
6.3 Le Comité note que l'État partie n'a soulevé aucune objection concernant
la recevabilité de la communication.
6.4 En ce qui concerne les déclarations des auteurs qui affirment être victimes
d'une violation de la présomption d'innocence (par. 2 de l'article 14 du
Pacte), le Comité estime que leurs allégations n'ont pas été suffisamment
étayées aux fins de la recevabilité.
6.5 En ce qui concerne les violations des paragraphes 1, 3 e et 4 de l'article
14, alléguées par les auteurs, le Comité note que les allégations concernent
principalement l'appréciation des faits et des éléments de preuve ainsi
que l'application du droit interne. Le Comité rappelle qu'il appartient
généralement aux juridictions des États parties, et non au Comité, d'apprécier
les faits dans un cas d'espèce et d'interpréter la législation interne.
Les informations dont dispose le Comité et les arguments avancés par les
auteurs ne montrent pas que l'appréciation de ces faits par les juridictions
et leur interprétation du droit aient été manifestement arbitraires ou aient
représenté un déni de justice. En conséquence, le Comité conclut que ces
allégations sont irrecevables en vertu des articles 2 et 3 du Protocole
facultatif.
6.6 Les autres griefs sont recevables et le Comité procède à leur examen
quant au fond.
Examen de la question quant au fond
7.1 Bien que les auteurs n'invoquent pas l'article 26 du Pacte, le Comité
estime qu'il doit examiner, compte tenu des éléments communiqués par les
auteurs, la question de savoir s'il y a eu violation de cet article.
7.2 La discrimination alléguée par les auteurs consiste dans le refus de
les traduire devant un tribunal avec jury, alors que d'autres accusés jugés
par des tribunaux de l'État partie avaient bénéficié de ce type de procès.
Le Comité note que le Pacte ne prévoit certes aucune disposition garantissant
le droit d'être jugé au pénal par un tribunal avec jury mais, si la législation
interne de l'État partie protège ce droit et qu'il est accordé à certaines
personnes accusées d'une infraction pénale, il doit être accordé dans des
conditions d'égalité aux autres personnes dans la même situation. Toute
distinction doit être fondée sur des motifs objectifs et raisonnables.
7.3 Les auteurs affirment qu'ils auraient dû avoir le droit d'être jugés
par un tribunal avec jury, droit reconnu à tous les accusés encourant la
peine de mort. Le Comité note toutefois que, dans le cas d'espèce, les auteurs
étaient mineurs au moment où les crimes ont été commis et que par conséquent,
selon la législation de l'État partie, la peine de mort ne pouvait être
prononcée à leur égard.
7.4 Une violation de l'article 26 pourrait en outre être alléguée du fait
qu'il était possible d'être jugé par un tribunal avec jury dans certaines
régions du pays, mais pas à Moscou, où les auteurs ont été jugés et condamnés.
Le Comité note qu'en vertu de la Constitution de l'État partie la question
de savoir si l'accusé peut être jugé par un tribunal avec jury relève du
droit fédéral, mais qu'il n'y a pas de loi fédérale sur cette question.
Le fait qu'un État partie ayant une structure fédérale autorise des différences
entre les divers éléments de la fédération en matière de procès avec jury
ne constitue pas en soi une violation de l'article 26 (2). Les auteurs
n'ayant fourni aucune information sur les cas dans lesquels les procès ont
eu lieu avec jury dans la ville de Moscou, s'agissant d'affaires où l'accusé
n'encourait pas la peine de mort, le Comité ne peut conclure que l'État
partie a commis une violation de l'article 26.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est
saisi ne font apparaître aucune violation d'un article du Pacte.
____________________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
communication: M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati,
M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M.
Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada,
Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari
Yrigoyen, M. Patrick Vella et M. Maxwell Yalden.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
Notes
1. La communication ne contient pas de présentation directe des faits par
les auteurs ou le conseil.
2. La Constitution russe dispose, à l'article 5, que les régions et les
villes d'importance fédérale constituent des «sujets» égaux de la Fédération
de Russie, dotés de leur propre organe législatif, et peuvent promulguer
leurs propres lois. (L'article 65 énumère les «sujets» de la Fédération.
La ville de Moscou et la région de Moscou constituent des «sujets» égaux
et distincts de la Fédération de Russie.) Voir également le document de
base HRI/CORE/1/Add.52, en date du 25 octobre 1995 (par. 24 et 30).