Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 28 mars 2002,
Ayant achevé l'examen de la communication no 792/1998 présentée
par M. Malcolm Higginson en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication (lettre initiale datée du 20 janvier 1997
et lettres suivantes datées de mai 1997 et du 3 juillet 1997), est Malcolm
Higginson, citoyen jamaïcain, né le 20 mars 1974, détenu au moment de la présentation
de la communication au pénitencier général de Kingston, (Jamaïque). Il est
actuellement détenu au centre de détention pour adultes de St. Catherine.
Il affirme être victime de violations par la Jamaïque (1) des articles
2, 7 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 D'après la version que donne l'auteur de ce qui s'est dit à l'audience,
le 19 mai 1995, l'auteur a été reconnu coupable de possession illégale d'une
arme à feu, de viol et de vol avec circonstances aggravantes par la High
Court Division de la Gun Court de Kingston (Jamaïque) et condamné à cinq,
dix et sept ans d'emprisonnement avec travaux forcés et confusion des peines,
et à recevoir six coups de verge de tamarin. Le procès de l'auteur a duré
cinq jours. Au cours du procès, la victime, Viveen Dailey, a témoigné que
le 25 juillet 1993 vers 14 h 30, elle était allée rendre visite à son compagnon
qui travaillait dans une entreprise de pompes funèbres à St. Andrew. Sur
son chemin, elle a rencontré l'auteur qui travaillait pour la même entreprise.
Ils ont discuté quelques minutes avant d'être rejoints par la compagne de
l'auteur. L'auteur et sa compagne sont partis ensemble. Après le départ
de l'auteur, plusieurs hommes, qui étaient totalement inconnus de la victime
et dont un était armé d'un revolver, ont entouré Viveen Dailey et l'ont
emmenée dans une pièce située à l'arrière des locaux de l'entreprise de
pompes funèbres où ils l'ont tous violée. Selon la victime, l'auteur est
entré dans la pièce peu de temps après. Lui aussi portait un revolver. La
victime a demandé à l'auteur de venir à son secours, mais selon elle, l'auteur
s'est joint au groupe et l'a violée. Le groupe d'hommes lui a en outre volé
sa montre et 200 dollars. Plusieurs heures plus tard, la victime a été libérée
et est rentrée chez elle. Neuf jours plus tard, elle s'est plainte à la
police en donnant le nom de l'auteur. Le 29 octobre 1993, l'auteur a été
arrêté et inculpé. Personne d'autre n'a, semble-t-il été inculpé pour les
mêmes faits.
2.2 L'auteur a nié l'accusation de viol collectif et de possession d'un
revolver mais a reconnu avoir eu une relation sexuelle avec la fille le
même jour avec son consentement. Il a déclaré que ce jour-là, il avait rencontré
la plaignante et avait parlé avec elle. Elle était venue chez lui parce
qu'elle avait des problèmes avec son compagnon et c'était elle qui avait
pris l'initiative de la relation sexuelle.
2.3 Pendant le procès, l'accusation s'est fondée sur l'identification de
l'auteur par la victime. Cette dernière avait indiqué qu'elle avait entendu
quelqu'un appeler l'auteur «Malcolm» pendant le viol et c'était pour cette
raison qu'elle avait donné son nom et sa description à la police. Tous les
autres hommes lui étaient inconnus. L'auteur a quant à lui affirmé qu'au
moment de leur conversation, Viveen Dailey et lui s'étaient présentés l'un
à l'autre et c'était la raison pour laquelle la victime connaissait son
nom.
2.4 L'auteur a déposé une demande d'autorisation de faire recours au motif
que son procès avait été inéquitable (2). Sa demande était fondée
sur le fait que pendant le contre-interrogatoire de la victime au sujet
de l'identification de l'auteur, le juge n'avait pas laissé le conseil terminer
son interrogatoire. La cour d'appel a rejeté la demande d'autorisation de
faire recours de l'auteur.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur soulève des questions au titre de l'article 14 du Pacte. Il
affirme que son procès a été inéquitable parce que le juge n'a pas laissé
le conseil achever le contre-interrogatoire de la plaignante et qu'il a
fondé sa décision uniquement sur les déclarations de cette dernière. Il
fait valoir en outre qu'en le condamnant à la flagellation, le juge a violé
l'article 7 du Pacte parce que ce châtiment constitue une peine cruelle,
inhumaine et dégradante. Selon l'auteur, en proclamant la constitutionnalité
de lois qui étaient en vigueur avant l'adoption de la Constitution, le paragraphe
8 de l'article 26 de cette dernière autorise les châtiments corporels. Le
fait de s'appuyer sur des lois qui prescrivent de tels châtiments constitue
une violation de l'article 2 du Pacte. L'État partie devrait, selon l'auteur,
abroger de telles lois de façon à aligner la législation nationale sur le
Pacte et garantir ainsi la protection des droits qui y sont garantis.
3.2 L'auteur affirme en outre qu'avec le rejet de sa demande d'autorisation
de faire recours, il a épuisé tous les recours internes.
Examen de la communication quant à la recevabilité et sur le fond
4.1 La communication et les documents dont elle est accompagnée ont été
transmis le 14 janvier 1998 à l'État partie qui n'a pas répondu à la demande
que lui a adressée le Comité, en vertu de l'article 91 de son règlement
intérieur et dans laquelle il le priait de lui communiquer des informations
ainsi que ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication
pas plus qu'il n'a répondu à sa demande de ne pas exécuter la condamnation
de l'auteur à la flagellation, envoyée en application de l'article 86 du
règlement intérieur. Des rappels des demandes susmentionnées ont été adressés
à l'État partie le 4 octobre 2000 et le 24 juillet 2001. C'est seulement
le 24 mai 2001 que l'État partie a informé le Comité que les allégations
de l'auteur faisaient l'objet d'une enquête. Le Comité rappelle qu'il ressort
implicitement du Protocole facultatif que l'État partie est tenu de communiquer
au Comité en temps voulu toutes les informations dont il dispose et regrette
le manque de coopération de sa part dans la présente affaire. En l'absence
d'informations de la part de l'État partie, il convient d'accorder tout
le crédit voulu aux allégations de l'auteur dans la mesure où elles sont
étayées.
4.2 Avant d'examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
4.3 Le Comité a vérifié que la même question n'était pas en cours d'examen
devant une autre procédure internationale d'enquête ou de règlement.
4.4 En ce qui concerne l'épuisement des recours internes, le Comité note
que l'auteur a fait valoir qu'il avait demandé sans succès l'autorisation
de faire recours et qu'il ne dispose plus d'aucun recours interne. L'État
partie n'a pas indiqué qu'il existait d'autres recours internes. Le Comité
considère donc que le paragraphe 2 b) de l'article 5 ne l'empêche pas d'examiner
la communication.
4.5 Bien que les affirmations de l'auteur soulèvent des questions quant
à l'équité du procès en vertu de l'article 14 et même en l'absence de réponses
de la part de l'État partie malgré la promesse de celui-ci de faire procéder
à une enquête, le Comité considère que l'auteur n'a pas suffisamment étayé
ses allégations pour qu'il puisse considérer qu'il y a eu violation de l'article
14 du Pacte. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable
en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
4.6 L'autre partie de la communication, dans laquelle l'auteur affirme
avoir été victime d'une violation de l'article 7 du Pacte, est recevable.
L'auteur a affirmé que la flagellation au moyen d'une verge de tamarin constitue
une peine cruelle, inhumaine et dégradante et que la condamnation à cette
peine représentait une violation de l'article 7 du Pacte. L'État partie
n'a pas contesté cette affirmation. Indépendamment de la nature de l'infraction
devant être réprimée et même si la législation nationale autorise les châtiments
corporels, selon la jurisprudence constante du Comité, ce type de châtiment
constitue une peine ou un traitement cruel, inhumain et dégradant contraire
à l'article 7 du Pacte. Le Comité conclut que l'imposition ou l'exécution
de la peine de flagellation au moyen d'une verge de tamarin constitue une
violation des droits conférés à l'auteur par l'article 7.
4.7 Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est
saisi font apparaître une violation de l'article 7 du Pacte.
4.8 En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie
est tenu d'assurer à l'auteur un recours utile en s'abstenant d'exécuter
la peine de flagellation à laquelle l'auteur a été condamné ou en lui accordant
une indemnisation appropriée si la peine a été exécutée. L'État partie est
tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas
à l'avenir en abrogeant les textes législatifs autorisant les châtiments
corporels.
4.9 En adhérant au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu que le Comité
avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte.
L'affaire ayant été soumise avant que la dénonciation du Protocole facultatif
par la Jamaïque ne prenne effet, le 23 janvier 1998, elle demeure sujette
à l'application des dispositions du Protocole conformément au paragraphe
2 de l'article 12 du Protocole facultatif. En vertu de l'article 2 du Pacte,
l'État partie s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur
son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le
Pacte. Le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90
jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses
constatations. L'État partie est également invité à publier les constatations
du Comité.
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[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal
Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin,
M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina
Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M.
Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Maxwell Yalden, M. Patrick
Vella et M. Ahmed Tawfik Khalil.
Notes
1. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Jamaïque le
3 octobre 1975 et sa dénonciation par la Jamaïque a pris effet le 23 janvier
1998.
2. L'auteur n'indique ni la date du recours ni celle de la décision
de la cour d'appel.