Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 21 octobre 2003,
Ayant achevé l'examen de la communication no 798/1998, présentée au nom de M. Floyd Howell en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1.1 L'auteur de la communication est Floyd Howell, citoyen jamaïcain, incarcéré dans le quartier des condamnés à mort de la prison du district de St. Catherine (Spanish Town, Jamaïque) - Ó la date de la communication - puis libÚrÚ le 27 fÚvrier 1998. Il affirme Ûtre victime d'une violation par la Jama´que des articles 6 (par. 1), 7, 10 (par. 1) et 19 (par. 2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est reprÚsentÚ par un conseil.
1.2 Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l'État partie le 23 mars 1976. L'État partie s'est retiré du Protocole facultatif le 23 octobre 1997, avec effet au 23 janvier 1998.
1.3 Conformément à l'article 86 de son Règlement intérieur, le Comité a demandé à l'État partie - par une note verbale datÚe du 22 janvier 1998 - de ne pas exÚcuter M. Howell tant que sa communication serait Ó l'examen.
1.4 L'auteur limite sa communication aux conditions de son emprisonnement et aux événements qui ont eu lieu durant son incarcération.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été accusé de sept chefs de meurtre emportant la peine de mort, reconnu coupable de l'ensemble de ces sept chefs et condamné à mort le 27 octobre 1993 par la Home Circuit Court de Kingston. L'accusation de meurtre emportant la peine de mort était fondée sur le fait que ces meurtres avaient été commis au cours d'un acte de terrorisme ou pour en favoriser l'accomplissement.
2.2 L'auteur a fait appel de sa condamnation devant la Cour d'appel de la Jamaïque. Celle-ci a rendu son jugement le 20 novembre 1995, annulant la condamnation de l'auteur pour ce qui concernait trois chefs d'inculpation.
2.3 Après sa condamnation, l'auteur a été écroué dans le quartier des condamnés à mort de la prison du district de St. Catherine (Spanish Town, Jamaïque). Le 15 octobre 1996, l'auteur a demandé l'autorisation de former recours contre la déclaration de culpabilité et la condamnation devant le Conseil privé de Londres. L'audience a été fixée aux 26 et 27 janvier 1998, mais l'on ne sait pas encore avec certitude si le Conseil privé a examiné ce recours.
2.4 Dans une lettre datée du 21 mars 1997, l'auteur s'est plaint à son conseil des conditions d'incarcération à la prison du district de St. Catherine et plus particulièrement d'un incident qui s'était produit le 5 mars 1997. À cette date, en réaction à une tentative d'évasion organisée par quatre autres détenus, certains prisonniers, dont l'auteur, ont été brutalement battus par deux groupes de 20 et 60 gardiens, respectivement, qui s'en sont pris à quiconque avait été directement ou indirectement impliqué dans cette tentative. L'auteur indique que «certains gardiens ont commencé à [le] rouer de coups de toutes parts (1) pendant que d'autres jetaient [ses] affaires personnelles hors de la cellule» et qu'ensuite «les gardiens [l']ont emmené dans une salle de bains vide où [ses] épreuves ont recommencé».
2.5 Par suite des coups reçus, l'auteur a été emmené à l'hôpital où il a informé le médecin qu'il «ressent[ait] de la douleur dans tout son corps». Il s'est passé un certain temps avant que l'auteur ne puisse consulter son défenseur parce qu'il souffrait d'une grave blessure à la main et avait été frappé au point «qu'il [pouvait] à peine marcher». Il affirme qu'à la date où il a écrit à son conseil - 16 jours aprÞs l'incident - ½diffÚrentes parties de [son] corps [Útaient] encore enflÚes╗. En outre, ses objets personnels ainsi que des documents relatifs Ó ses recours judiciaires ont ÚtÚ rÚduits en cendres; Ó cet Úgard, il fait savoir que lorsqu'il est retournÚ dans sa cellule, ½celle-ci [Útait] presque vide et que lorsqu['il est] descendu au rez-de-chaussÚe, [il a vu] qu'un brasier [Útait] allumÚ dans la cour et que [c'Útait] ses affaires personnelles qui [br¹laient]╗. L'auteur ajoute que ½pour autant qu'[il] le sache, les gardiens [avaient] reþu l'ordre de [le] rosser et de br¹ler [ses] affaires╗.
2.6 D'après l'auteur, l'ampleur de l'action des groupes respectifs de 20 et 60 gardiens et sa coordination apparente ne pouvaient être que délibérées et préméditées. Il affirme à cet égard que la présence à l'hôpital de la prison du Commissioner of Corrections (inspecteur des établissements pénitentiaires) et du Superintendent (directeur de la prison) peu après les incidents, si on la rapproche du fait qu'aucune mesure appropriée n'a été prise pour enquêter sur les auteurs de ces actes et engager des poursuites contre eux montre à quel échelon les agissements des autorités carcérales étaient connus et approuvés. Il déclare aussi qu'il connaissait les noms des gardiens qui avaient fouillé sa cellule et l'avaient battu, mais qu'il avait trop peur des représailles pour les dénoncer.
2.7 Le 10 mars 1997, les membres de la famille de l'auteur qui étaient venus lui rendre visite n'ont pas été autorisés à le voir. L'auteur n'a pas pu non plus être reçu par le Superintendent pour s'entretenir avec lui des modalités des visites de sa famille, dont la reprise n'a été autorisée que le 12 juin 1997.
2.8 Le 20 mars 1997, le Superintendent a pris un «ordre permanent» interdisant semble-t-il à tous les détenus d'avoir des feuilles de papier ou des instruments pour écrire dans leur cellule. Toutefois, on relève que l'auteur a pu communiquer par écrit avec son conseil, le 21 mars et le 17 avril 1997, ainsi qu'avec une amie, Mme Katherine Shewell, le 15 août 1997.
2.9 Deux lettres datées des 6 janvier et 4 septembre 1997, adressées au conseil par un ami de l'auteur, donnent une idée des conditions carcérales; elles décrivent par exemple la dimension des cellules, les conditions hygiéniques, et font état de la médiocrité du régime alimentaire et de l'absence de soins dentaires. Selon ces lettres, les visiteurs de moins de 18 ans n'étaient pas autorisés à l'intérieur de la prison, et l'auteur n'a pas pu voir ses enfants (âgés de 9 et 6 ans) dès le moment où il a été emprisonné; le quartier des condamnés à mort - o¨ les dÚtenus ne peuvent quitter leur cellule que pendant 20 minutes par jour environ - est petit et sale, encombrÚ d'excrÚments. L'auteur pouvait toucher du doigt les murs des deux c¶tÚs de sa cellule lorsqu'il se tenait debout au milieu du plancher et avait d¹ les tapisser de papier journal pour en cacher la saletÚ. Dans tout le bÔtiment, on sentait des odeurs d'Úgouts. Les conditions hygiÚniques sanitaires Útaient mÚdiocres, de mÛme que l'alimentation. Par suite du rÚgime alimentaire et de l'absence de soins dentaires, l'auteur a perdu de nombreuses dents.
2.10 Par une lettre datÚe du 2 mars 1998, le ComitÚ a ÚtÚ informÚ par le conseil, sans autres explications concernant les motifs de cette mesure, que l'auteur avait ÚtÚ libÚrÚ de la prison du district de St. Catherine le 27 fÚvrier 1998.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme être victime d'une violation des articles 6 (par. 1), 7, 10 (par. 1) et 19 (par. 2) du Pacte, en raison du traitement que lui ont réservé les autorités carcérales à compter de sa condamnation et au cours de son incarcération dans le quartier des condamnés à mort.
3.2 Il affirme avoir souffert d'une violation des articles 7 et 10 (par. 1) en raison des violences que lui ont fait subir les autorités carcérales et des conditions générales de détention régnant dans la prison. Selon lui, même si l'on admet qu'il avait partiellement sectionné l'un des barreaux de sa cellule, nonobstant cette participation apparemment sans enthousiasme à la tentative d'évasion, rien ne saurait justifier les événements qui ont suivi, lesquels constituent une violation tant de l'article 7 que de l'article 10 (par. 1) du Pacte. L'auteur affirme aussi que les conditions carcérales comme le régime et le règlement de détention auxquels il a été soumis sont contraires aux articles 7 et 10 (par. 1). Il renvoie à cet égard à l'Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus. Par ailleurs, le fait de ne pas savoir s'il allait ou non être exécuté lui aurait causé de graves souffrances mentales susceptibles de constituer une autre violation des articles 7 et 10. À cet égard, l'auteur fait savoir que les exécutions ont été suspendues à la Jamaïque en février 1988 et que le Gouvernement a pris des mesures ces derniers mois (2) en vue de les reprendre.
3.3 L'auteur prétend être victime d'une violation de l'article 6 (par. 1) du Pacte, du fait d'une éventuelle reprise arbitraire des exécutions après cette longue période d'interruption.
3.4 L'auteur affirme en outre être victime d'une violation de l'article 19 (par. 2) du fait que l'ordre permanent donné par le Superintendent de le priver d'instruments pour écrire violait son droit «de rechercher, de recevoir et de répandre des informations … sous une forme … écrite».
3.5 L'auteur considère qu'en ce qui concerne les abus dont il a été victime au cours de son incarcération, aucun recours interne utile ne lui est ouvert. Par ailleurs, il affirme que même si l'on estimait que certains recours étaient théoriquement disponibles, ils ne lui sont pas ouverts dans la pratique parce qu'il n'en a pas les moyens financiers et qu'aucune assistance judiciaire n'est disponible. En outre, l'auteur cite un rapport d'Amnesty International de décembre 1993 dans lequel on mentionne le rôle du Parliamentary Ombudsman of Jamaica (Médiateur parlementaire de la Jamaïque), lequel a compétence pour connaître des problèmes auxquels se heurtent les détenus dans les prisons, mais où l'on note que l'Ombudsman n'a nullement le pouvoir de faire appliquer ses recommandations et ne dispose pas des fonds nécessaires pour s'acquitter comme il convient de ses fonctions. L'auteur conclut en conséquence que sa plainte répond aux prescriptions de l'article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.
3.6 L'auteur affirme que sa plainte, telle que décrite ci-dessus, n'a été soumise à aucune autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond de la communication
4.1 Bien que des rappels aient été adressés à l'État partie le 12 octobre 2001 et le 1er octobre 2002, ce dernier n'a présenté aucune observation sur la recevabilité ou le fond de la communication.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
5.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son Règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2 Le Comité s'est assuré que la même question n'est pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif.
5.3 En ce qui concerne les allégations de l'auteur relatives aux violences subies alors qu'il était en prison et aux conditions carcérales, le Comité a noté que celui-ci affirme que dans la pratique il ne dispose d'aucun recours utile et que même si un recours lui était ouvert en théorie, il ne pourrait s'en prévaloir car il n'en a pas les moyens financiers et qu'aucune assistance judiciaire n'est disponible. L'État partie n'ayant pas contesté cet argument de l'auteur, le Comité estime que la communication est recevable dans la mesure où elle semble soulever des questions au titre des articles 7, 10 (par. 1) et 19 (par. 2) du Pacte.
5.4 Pour ce qui est de l'affirmation de l'auteur selon laquelle une reprise arbitraire des exécutions après une longue période d'interruption constituerait une violation de l'article 6 (par. 1), le Comité note que cette allégation n'a plus de raison d'être du fait de la libération de l'auteur intervenue le 27 février 1998.
Examen quant au fond
6.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations dont il dispose, comme le prescrit le paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif. L'État partie n'ayant présenté au Comité aucune observation sur la question dont il est saisi, il convient d'accorder le crédit voulu aux allégations de l'auteur dans la mesure où celles-ci ont été étayées.
6.2 En ce qui concerne l'allégation relative à la violation des articles 7 et 10 (par. 1), le Comité observe que l'auteur a fait un compte rendu détaillé du traitement qu'il a subi et que l'État partie n'a pas contesté ses griefs. Le Comité estime que les coups répétés infligés à l'auteur par les gardiens constituent une violation de l'article 7 du Pacte (3). En outre, compte tenu de ses constatations antérieures dans lesquelles il a estimé que les conditions régnant dans le quartier des condamnés à mort de la prison du district de St. Catherine violaient l'article 10 (par. 1) (4), le Comité estime que les conditions de détention de l'auteur, conjointement avec l'absence de soins médicaux et dentaires et le fait d'avoir brûlé ses affaires personnelles, sont une infraction au droit de ce dernier d'être traité avec humanité et au respect de la dignité de sa personne consacré par l'article 10 (par. 1) du Pacte.
6.3 Quant à l'affirmation selon laquelle les graves souffrances mentales que lui aurait causées le fait de ne pas savoir s'il allait ou non être exécuté constituent une autre violation de l'article 7, le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle une détention indûment prolongée avant l'exécution d'une condamnation ne constitue pas en soi une violation de l'article 7 en l'absence d'autres «circonstances impérieuses».(5) En l'espèce, le Comité est d'avis que l'auteur n'a pas prouvé l'existence de telles circonstances impérieuses. Par conséquent, l'article 7 n'a pas été violé à cet égard.
6.4 Le Comité a noté l'allégation selon laquelle l'ordre permanent donné par le Superintendent aurait, en privant l'auteur d'instruments pour écrire, violé le droit que lui confère l'article 19 (par. 2). Il fait cependant observer que l'auteur a pu communiquer avec son conseil un jour après que cet ordre eut été donné, et, ensuite, avec le conseil et un ami. Dans ces circonstances, le Comité n'est pas en mesure de constater que les droits conférés à l'auteur par l'article 19 (par. 2) ont été violés.
7. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte.
8. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie a l'obligation de fournir à l'auteur un recours utile ainsi qu'une réparation. L'État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.
9. En adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a reconnu la compétence du Comité pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte. La communication a été adressée au Comité avant que la dénonciation du Protocole facultatif par l'État partie ne prenne effet, soit le 23 janvier 1998; conformément au paragraphe 2 de l'article 12 du Protocole facultatif, les dispositions de cet instrument continuent d'être applicables à l'État partie. Conformément à l'article 2 du Pacte, celui-ci s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est également invité à rendre publiques les constatations du Comité.
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[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski et M. Maxwell Yalden.
Le texte de deux opinions individuelles signées de M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati et Mme Christine Chanet est joint à la présente décision.
APPENDICE
Opinion individuelle de M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati,
membre du Comité
Je suis en accord avec les constatations de mes collègues à tous égards, sauf en ce qui concerne le paragraphe 6.3. Je n'adhère pas à l'opinion majoritaire selon laquelle il n'existe pas, dans le cas d'espèce, de circonstances impérieuses permettant de constater qu'une violation de l'article 7 a été commise en rapport avec l'attente prolongée dans le quartier des condamnés à mort. Je suis d'avis que les faits rapportés aux paragraphes 2.4, 2.5 et 2.6, qui ne sont pas contestés, constituent manifestement des «circonstances impérieuses» permettant de conclure qu'il y a eu violation de l'article 7. Néanmoins, il n'est pas nécessaire de dire qu'une violation de l'article 7 a été commise à cet égard puisque le Comité a déjà estimé, au paragraphe 6.2, que cet article a été violé.