Communication No 800/1998**
Présentée par : Damian Thomas
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 16 août 1997 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 8 avril 1999,
Ayant achevé l'examen de la communication No 800/1998 présentée
par Damian Thomas en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'État partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Damian Thomas, citoyen jamaïcain
mineur (âgé de 16 ans au moment de la présentation de la communication),
actuellement incarcéré à la prison du district de St. Catherine, à la
Jamaïque. Il est né le 21 novembre 1980. Aucun article du Pacte n'est
invoqué dans la communication, qui semble soulever des questions au titre
des articles 7, 10 et 14. L'auteur n'est représenté par aucun conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été arrêté le 9 mai 1995 et condamné le 3 mai 1996. Le
5 mai 1996, il a été incarcéré au pénitencier général de Kingston
/ Plusieurs détenus du pénitencier général ont adressé une lettre
au Comité lui demandant d'intervenir en faveur de l'auteur./.
2.2 Dans une autre communication, l'auteur a informé le Comité qu'il
avait 15 ans au moment de son arrestation. Il a été déféré devant la Gun
Court pour deux meurtres, dont seulement l'un a fait l'objet d'un
procès. Il a été jugé par la Home Circuit Court de la Jamaïque,
a été reconnu coupable et condamné à la réclusion à perpétuité.
Les renseignements fournis dans la communication ne sont pas assez détaillés
pour permettre, à ce stade, au Comité d'examiner la question au titre
de l'article 14.
Teneur de la plainte
3. Pendant son séjour au pénitencier général, l'auteur a adressé au Directeur
de l'administration pénitentiaire une lettre dans laquelle il a demandé
à être transféré dans un centre de détention pour mineurs. Un fonctionnaire
du système pénitentiaire, un certain M. Dawkins, l'aurait informé qu'il
allait être transféré. Or, il a de nouveau été incarcéré dans une prison
pour adultes, celle du district de St. Catherine. L'auteur affirme y être
détenu avec des adultes en violation du Pacte.
Observations de l'État partie et commentaires de l'auteur
4.1 Dans les observations qu'il a présentées le 23 mars 1998, l'État
partie soutient que les circonstances qui ont conduit à l'incarcération
de l'auteur ne sont pas claires. Il demande que l'auteur précise la nature
de l'infraction pour laquelle il a été condamné, qu'il fournisse tout
autre renseignement pertinent et indique notamment l'âge qu'il avait au
moment de sa condamnation, en précisant si les autorités judiciaires en
avaient été informées.
4.2 L'État partie s'engage à examiner les circonstances qui ont conduit
à l'incarcération de l'auteur et à informer le Comité des résultats de
son enquête.
5.1 Dans une lettre datée du 11 mai 1998, l'auteur a informé le Comité
qu'il avait été jugé pour deux meurtres par la Gun Court, qu'il
avait été débouté en appel et qu'il avait été condamné à la réclusion
à perpétuité. Il a informé le Comité qu'il était né le 21 novembre 1980
et qu'il n'avait que 15 ans au moment de son arrestation.
5.2 L'auteur fait valoir en outre que pendant sa détention au pénitencier
général puis à la prison du district de St. Catherine, il a été systématiquement
battu par les gardiens. Il mentionne plusieurs incidents, notamment un
qui s'est produit le 8 novembre 1996 et au cours duquel il aurait été
frappé à coups de pied par plusieurs gardiens, dont M. Norris, M. Dwight
et le sergent Brown. Le 20 mars 1997, un gardien du nom de M. Waugh l'aurait
frappé du poing à la tempe et l'aurait menacé. Le 16 décembre 1997, un
certain M. Campbell et le caporal Ferguson l'auraient frappé au dos et
roué de coups alors qu'ils le conduisaient au bureau du surveillant. Ils
auraient dit au surveillant qu'ils emmenaient l'auteur à l'h_pital parce
qu'il avait des poux. Ils ne l'ont apparemment jamais emmené à l'h_pital
mais l'ont passé à tabac et l'un d'eux, M. Mcdermatt, lui aurait coupé
les nattes. Le 20 juillet 1997, l'auteur aurait été frappé par plusieurs
gardiens, y compris un certain M. Gardener, apparemment parce qu'il était
originaire de la même région que celle où la tante du gardien avait été
tuée.
5.3 Ces nouvelles allégations ont été communiquées à l'État partie, qui
a été prié de faire parvenir ses observations au Comité avant le 30 janvier
1999 car celui-ci serait saisi de la question à sa soixante-cinquième
session. À ce jour, 25 mars 1999, aucune réponse n'a été reçue de l'État
partie.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer
si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité s'est assuré, comme l'exige le paragraphe 2 a) de l'article
5 du Protocole facultatif, que la question n'était pas en cours d'examen
devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
6.3 En ce qui concerne les mauvais traitements dont l'auteur affirme
avoir été victime au pénitencier général et à la prison du district de
St. Catherine, le Comité note que l'auteur a fait des allégations très
précises : il aurait été brutalisé par plusieurs gardiens les 8 novembre
1996, 20 mars 1997, 16 décembre 1997 et 20 juillet 1997. Le Comité note
également que l'auteur s'est plaint auprès des autorités pénitentiaires.
L'État partie n'a pas réfuté ces allégations, et, 11 mois après s'être
engagé à mener une enquête, il n'en a toujours pas communiqué les conclusions,
bien qu'un rappel lui ait été adressé le 30 octobre 1998. Le Comité rappelle
que l'État partie est tenu d'enquêter de façon approfondie sur toute allégation
de violation du Pacte formulée au titre du Protocole facultatif. En l'espèce,
le Comité note d'autre part, que les allégations de l'auteur ont été transmises
à l'État partie après que la dénonciation du Protocole facultatif par
la Jamaïque eut pris effet, le 23 janvier 1998. En conséquence, le Comité
estime que ces allégations sont recevables au titre de l'article premier
du Protocole facultatif.
6.4 En ce qui concerne les autres allégations, le Comité note que l'État
partie n'a pas formulé d'objection quant à la recevabilité de la communication.
Il note en outre que, connaissant le nom, la date de naissance de l'auteur,
ainsi que les dates auxquelles il a été arrêté et condamné, et sachant
également qu'il était détenu dans la prison du district de St. Catherine
en 1998, l'État partie ne devrait avoir aucun mal à rassembler davantage
d'éléments concernant cette affaire. En conséquence, le Comité estime
que les autres allégations sont recevables et procède, sans plus tarder,
à un examen quant au fond de la plainte de l'auteur compte tenu de toutes
les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément
au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.5 En ce qui concerne le fait que l'auteur a été détenu avec des adultes
au pénitencier général et à la prison du district de St. Catherine, le
Comité déplore encore une fois le manque de coopération de la part de
l'État partie. Le Comité estime que l'État partie est tenu, lorsqu'un
prisonnier qui purge une peine lui fait parvenir une plainte de cette
nature, de vérifier si ce prisonnier est mineur ou s'il l'était au moment
des faits ou de la procédure. Le Comité note, d'après les renseignements
qui lui ont été communiqués et que l'État partie n'a pas contestés, que
l'auteur est né en novembre 1980, de sorte qu'il avait 17 ans au moment
où sa communication a été transmise au Comité et 15 ans lorsqu'il a été
condamné. Le Comité estime que l'État partie ne s'est pas acquitté des
obligations qui lui incombent au titre du Pacte à l'égard de Damian Thomas,
dans la mesure où celui-ci a été détenu avec des adultes alors qu'il était
encore mineur. En conséquence, il considère qu'il y a eu violation des
dispositions des paragraphes 2 et 3 de l'article 10.
6.6 Le Comité note en outre que les faits décrits font également apparaître
une violation de l'article 24 du Pacte, puisque l'État partie n'a pas
assuré à Damian Thomas les mesures de protection qu'exigeait sa condition
de mineur.
7. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu des dispositions
du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis
que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des dispositions
des paragraphes 2 et 3 de l'article 10 et de l'article 24 du Pacte.
8. Conformément aux dispositions du paragraphe 3 a) de l'article 2 du
Pacte, l'État partie est tenu d'assurer à M. Thomas un recours utile aux
termes duquel il serait immédiatement séparé des détenus adultes, placé
dans un centre de détention pour mineurs si la législation jamaïcaine
l'autorise et indemnisé pour n'avoir pas été séparé des prisonniers adultes
lorsqu'il était mineur. L'État partie est tenu de veiller à ce que des
violations de cette nature ne se reproduisent pas.
9. En adhérant au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu que le
Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation
du Pacte. Or, le Comité a été saisi de la présente affaire avant que la
dénonciation du Protocole facultatif par la Jamaïque ne prenne effet le
23 janvier 1998; en vertu des dispositions du paragraphe 2 de l'article
12 du Protocole facultatif, les dispositions du Protocole restent applicables
à la présente communication. En vertu de l'article 2 du Pacte, l'État
partie s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son
territoire ou relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte
et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été
établie. En conséquence, le Comité souhaite recevoir de l'État partie,
dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour
donner effet à ses constatations.
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M.
Prafullachandra N. Bhagwati, M. Thomas Buergenthal, Mme Christine Chanet,
Lord Colville, Mme Élizabeth Evatt, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer,
M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Martin
Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski et M. Maxwell
Yalden.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle de M. Hipólito Solari Yrigoyen**
(exprimant son désaccord)
Le membre du Comité estime que le paragraphe 6.4 de la décision
aurait dû être rédigé comme suit :
6.4 Dans une lettre datée du 11 mai 1998, l'auteur a informé le Comité
que les gardiens de la prison du district de St. Catherine, où il est
détenu, l'ont battu à plusieurs reprises. Il a indiqué que ces incidents
s'étaient produits le 8 novembre 1996, le 20 mars 1997 et le 20 juillet
1997. L'auteur était âgé de 16 ans lors du premier incident et de 17 lors
des deux autres; le fait qu'il s'agit d'un mineur emprisonné avec des
adultes constitue une circonstance aggravante. Au paragraphe 5.2, les
incidents sont décrits et les responsables identifiés. Le Comité note
que les allégations de l'auteur étaient très précises et qu'il s'est plaint
auprès des autorités de la prison. Le 30 octobre 1998, le Comité a informé
l'État partie que l'auteur s'était plaint d'avoir été battu et maltraité.
L'État partie a promis d'ouvrir une enquête mais au 8 avril 1999, date
à laquelle le Comité a examiné la communication en question, il n'avait
pas encore répondu aux allégations en violation des obligations qui lui
incombent en vertu du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif.
Bien que l'État partie ait dénoncé le Protocole facultatif, mesure qui
a pris effet le 23 janvier 1998, les incidents décrits dans la plainte
de l'auteur se sont produits avant cette date et doivent être appréhendés
de la même manière que la plainte originale. Les dispositions du Protocole
facultatif restent par conséquent applicables à la communication comme
le prévoit le paragraphe 2 de l'article 12 de cet instrument. L'État partie
ne s'est pas non plus acquitté de son obligation d'indiquer au Comité
si le régime carcéral et le traitement subi par le prisonnier sont conformes
aux dispositions de l'article 10 du Pacte. Pour toutes ces raisons, le
Comité considère que le traitement subi par l'auteur et les coups qu'il
a reçus à la prison du district de St. Catherine constituent une violation
du paragraphe 1 de l'article 10 et de l'article 7 du Pacte.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]