COMITÉ DES DROITS DE
L'HOMME
Soixante-quatorzième session
18 mars-5 avril 2002
DÉCISION
Communication no 803/1998
Présentée par: |
M. Rupert Althammer et consorts |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Autriche |
Date de la communication: |
10 décembre 1996 |
Références: |
Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 91 du règlement intérieur, transmise à l’État partie le 26 janvier 1998 (non publiée sous forme de document) |
Date de l’adoption de la décision: |
21 mars 2002 |
[ANNEXE]
ANNEXE
DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF
SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL
RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES
− Soixante-quatorzième session −
concernant la
Communication no 803/1998**
Présentée par: |
M. Rupert Althammer et consorts |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Autriche |
Date de la communication: |
10 décembre 1996 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le: 21 mars 2002,
Adopte ce qui
suit:
DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ
1. Les auteurs de la communication sont M. Rupert Althammer et 15 autres personnes, tous de nationalité autrichienne et résidant en Autriche, la plupart à Salzbourg. Ils se déclarent victimes d’une violation par l’Autriche de l’article 26 du Pacte. Les auteurs sont représentés par un conseil.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Les auteurs étaient employés de la Caisse maladie de Salzbourg (Salzburger Gebietskrankenkasse) et ont pris leur retraite avant le 1er janvier 1994. Le conseil précise qu’ils perçoivent une pension calculée selon les barèmes applicables aux employés des caisses d’assurance sociale (Dienstordnung A für die Angestellten bei den Sozialversicherungsträgern). Leurs pensions comprennent d’une part des prestations au titre du régime général public (ASVG‑Pension) et d’autre part des prestations complémentaires de la caisse d’assurance sociale. Or, alors que le montant des prestations du régime général était indexé sur l’évolution du coût de la vie par l’application d’un multiplicateur annuel (Rentenanpassungsfaktor), en vertu de la loi générale sur la sécurité sociale (Allgemmeines Sozialversicherungsgesetz-ASVG), les prestations versées par l’Administration de la sécurité sociale étaient liées à l’évolution des salaires du personnel en exercice, conformément au règlement.
2.2 Avec effet au 1er janvier 1994, le règlement a été modifié de telle sorte que les ajustements des pensions de l’Administration de la sécurité sociale se feraient désormais à l’aide du multiplicateur annuel utilisé pour les pensions du régime général public.
2.3 Le 22 août 1994, les auteurs ont engagé une action contre la Caisse maladie régionale de Salzbourg pour demander un jugement déclaratoire établissant que le montant de leur pension devait être ajusté conformément aux dispositions du règlement antérieures à janvier 1994 et non aux nouvelles dispositions, et qu’ils avaient droit à une indemnisation pour le manque à gagner. Selon les auteurs, la modification du règlement entraîne en effet pour eux une perte de revenus considérable. Ils ont fait valoir que, dans le cadre du nouveau règlement, la différence de revenu entre salariés en service et salariés à la retraite augmenterait de 340 % par an entre 1994 et 1997.
2.4 Le 11 janvier 1995, le tribunal du district fédéral de Salzbourg (Landesgericht Salzburg) a débouté les auteurs. Ceux‑ci ont formé recours auprès de la Cour d’appel de Linz (Oberlandesgericht Linz), qui les a déboutés le 24 octobre 1995; puis, le 12 décembre 1995, ils se sont pourvus devant la Cour suprême, qui a rejeté leur recours le 27 mars 1996. Le conseil indique qu’il n’y a plus de recours internes disponibles.
2.5 Au nom des auteurs, le conseil a déposé une requête auprès de la Commission européenne des droits de l’homme, en invoquant l’article premier (droit à la propriété) du Protocole se rapportant à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[1]. Après l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 se rapportant à la Convention européenne des droits de l’homme, l’affaire a été transmise à la Cour européenne des droits de l’homme. Le 12 janvier 2001, un comité composé de trois juges a déclaré la demande irrecevable[2].
Teneur de la plainte
3.1 D’après le conseil, les auteurs sont victimes d’une violation de l’article 26 du Pacte. Il fait valoir qu’ils ont versé des cotisations au régime de retraite de la Caisse régionale de la sécurité sociale et sont donc en droit de percevoir des prestations dans le cadre de ce régime et conformément aux règles spécifiques établies dans le règlement y relatif.
3.2 Le conseil explique que les Caisses régionales de la sécurité sociale sont des institutions de droit public et le règlement y relatif est en fait un décret‑loi (Verordnung) qui régit la quasi‑totalité des questions relatives à l’emploi dans les caisses de la sécurité sociale, notamment le montant des prestations de retraite et leur mode de calcul, augmentations ou ajustements périodiques compris. Il existe de nombreuses similitudes entre les régimes de pension (Betribsrenten) proposés par les employeurs privés et celui qui se fonde sur le règlement. Le règlement a toutefois la particularité de pouvoir être modifié unilatéralement par l’État partie, au moyen d’un décret‑loi.
3.3 Le conseil souligne que le régime de retraite en question n’est aucunement rattaché au régime général public qui fait partie du système de sécurité sociale et relève de la loi générale sur la sécurité sociale, mais concerne uniquement les employés des caisses maladie régionales. En vertu de la loi générale sur la sécurité sociale, tout salarié résidant en Autriche cotise au régime général public à hauteur d’un pourcentage fixe de son revenu, jusqu’à un certain plafond (Höchstbeitragsgrundlage). Les prestations versées au titre de ce régime sont ajustées au moyen d’un multiplicateur annuel qui prend en compte l’inflation, les taux d’intérêt, les dépenses des ménages, etc. Ce régime vise à assurer une couverture générale de base pour la retraite.
3.4 Le régime visé par le règlement est un système distinct d’assurance complémentaire. Les employés cotisent à hauteur d’un pourcentage donné de leur revenu total, c’est‑à‑dire y compris les montants au‑delà du plafond de calcul. Ce régime est rattaché à l’emploi occupé et, par conséquent, fondé sur une relation essentiellement contractuelle entre les salariés et la Caisse. D’après le conseil, les deux régimes de pension ont peu de choses en commun: leurs objectifs sont différents, de même que leur mode de calcul, les groupes de personnes visées et la philosophie qui les sous‑tend. En conséquence, la décision d’ajuster les prestations auxquelles les auteurs ont droit au titre du règlement en appliquant les critères de la loi générale sur la sécurité sociale est contraire au principe d’égalité, dans la mesure où cela revient à traiter de la même manière deux situations de fait complètement différentes.
3.5 Le conseil fait valoir en outre que, quoique le régime de pension en question et les régimes privés soient similaires, l’un peut être unilatéralement modifié par l’État et les autres non, d’où une autre violation du droit à l’égalité.
3.6 De plus, le conseil fait valoir que si un employeur privé modifiait le mode de calcul des ajustements d’un régime de pension, les salariés disposeraient d’un recours, puisqu’ils pourraient invoquer une rupture de contrat. Dans le cas des auteurs, au contraire, aucun recours n’est disponible dans la mesure où le règlement est en fait un décret‑loi et où leur employeur est un organisme semi‑public. Ce n’est qu’en cas de violation de la Constitution que les tribunaux pourraient intervenir. Selon le conseil, il y a là une violation supplémentaire du droit à l’égalité.
3.7 Le conseil renvoie à la communication n° 608/1995 (Franz Nahlik c. Autriche), relative à une modification précédente du règlement que le Comité avait déclarée irrecevable le 22 juillet 1996, et attire l’attention sur l’effet cumulé des modifications apportées graduellement.
Observations de l’État partie
4.1 Dans des réponses datées du 22 juillet 1998, du 2 juin 1999 et du 23 août 1999, l’État partie fait valoir que le règlement statutaire des employés de la sécurité sociale, qui régit la relation entre les caisses et leur personnel retraité, n’est pas un décret mais une convention collective. Une convention collective est conclue entre l’Association des institutions de la sécurité sociale et le syndicat, lequel représente les intérêts des salariés. L’État partie objecte qu’il ne peut en aucune manière intervenir dans le processus décisionnel et qu’il ne peut donc pas être tenu pour responsable d’une éventuelle violation de l’article 26 du Pacte résultant de la convention collective.
4.2 L’État partie explique que la loi générale sur la sécurité sociale prévoit la possibilité de conclure des contrats individuels pour définir les conditions d’emploi, de rémunération et de pension de retraite. La portée des contrats individuels est néanmoins limitée par les conventions collectives qui peuvent régir, notamment, les éventuelles modifications du barème des pensions des salariés. La faculté des parties de modifier une convention collective n’est limitée que par les interdictions prévues dans les dispositions légales et par la politique générale de l’État. Dans la mesure où les conventions collectives ne portent pas sur le champ d’application des contrats individuels, leurs dispositions sont juridiquement contraignantes pour les intéressés, y compris les anciens salariés. Cette partie des conventions collectives est une source de droit privé sui generis.
4.3 L’État partie indique que si elle s’était prononcée sur le fond, la Cour européenne aurait examiné les mêmes questions et les mêmes faits, essentiellement sous le même angle juridique.
4.4 L’État partie fait en outre valoir que l’amendement au règlement n’a pas de conséquences préjudiciables pour les auteurs. S’il admet qu’il peut conduire à une situation où les pensions des auteurs augmentent à un rythme moins soutenu que le revenu des salariés en exercice, il réfute l’allégation de réduction excessive du montant de leur pension. En effet, entre 1975 et 1995, pendant au moins neuf années, le facteur d’ajustement des pensions prévu par la loi générale sur la sécurité sociale était en réalité supérieur à la hausse des salaires du personnel des caisses.
4.5 L’État partie dit qu’il peut être tenu pour responsable uniquement des violations du Pacte qui se sont produites, mais non de violations qui pourraient éventuellement se produire à l’avenir. Pour l’heure, aucun déséquilibre flagrant entre l’évolution des salaires du personnel en exercice des caisses et l’évolution des pensions n’a pu être établi.
4.6 Par ailleurs, l’État partie affirme qu’il y a une raison objective à l’évolution différente des salaires du personnel en exercice et des pensions, puisque les pensionnés n’ont pas à cotiser aux caisses d’assurance chômage ni aux caisses de retraite et que leurs cotisations d’assurance maladie sont moindres. Il réfute l’allégation de différence de traitement entre les anciens salariés des caisses et les anciens salariés percevant des pensions au titre d’un régime privé: même si une marge d’appréciation est laissée quant aux détails des barèmes, les deux régimes répondent aux mêmes principes de base.
Commentaires du conseil des auteurs
5.1 Le conseil demande que les réponses de l’État partie des 2 juin et 23 août 1999 ne soient pas prises en considération parce qu’elles sont postérieures à la date limite fixée par le Comité.
5.2 Le conseil fait valoir que la requête soumise à la Commission européenne des droits de l’homme concerne certes les mêmes personnes et les mêmes faits mais soulève des questions entièrement différentes. La présente communication porte sur des droits protégés exclusivement soit par le Pacte (droit à l’égalité) soit par la Convention européenne (droit à la propriété). Or, rien dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ne donne à penser qu’elle étendrait de sa propre initiative ses investigations à des questions qui ne sont pas soulevées dans la requête dont elle est saisie.
5.3 Le conseil indique que la discrimination dénoncée par les auteurs ne porte pas sur les conséquences préjudiciables des nouvelles dispositions du règlement, mais sur leur application. C’est pourquoi le préjudice financier résultant de la discrimination n’est pas en jeu. Le conseil joint des tableaux illustrant les conséquences globales des modifications apportées au règlement sur les pensions de l’un des auteurs pour la période 1994‑1999. Selon ces calculs, la différence résultant de l’amendement au règlement, pour la seule partie des prestations mensuelles relevant du régime visé par le règlement, était de 0,17 % en 1994 et est progressivement passée à 3,5 % en 1999 ‑ ce dernier chiffre correspondant à une baisse de 2,1 % dans le montant total des prestations perçues par l’intéressé en 1999 par rapport au niveau qu’elles auraient atteint si le règlement n’avait pas été modifié. Suite à l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions du règlement, les prestations globales de pension ont augmenté de 8,2 % entre 1994 et 1999.
5.4 Le conseil affirme que les raisons qui ont motivé les modifications apportées par l’État partie n’étaient pas les raisons examinées par les partenaires de la convention collective. Il ajoute que la différence entre les cotisations du personnel en exercice et celles des pensionnés est déjà prise en compte puisque les pensionnés reçoivent seulement 80 % du salaire qu’ils percevaient à leur cessation d’activité.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité note que, d’après les auteurs, le multiplicateur est maintenant appliqué à la fois pour les pensions du régime général public et pour les prestations complémentaires de la caisse d’assurance sociale. Les auteurs n’ont pas montré que la modification du calcul de leurs droits à pension représentait une discrimination ou pouvait d’une quelconque autre manière relever du champ d’application de l’article 26 du Pacte. Par conséquent, aux fins de la recevabilité, les auteurs n’ont pas montré qu’ils étaient fondés à invoquer l’article 26 du Pacte.
6.3 Eu égard à la conclusion qui précède, le Comité n’a pas à examiner la question de savoir si la réserve émise par l’État autrichien à l’égard du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif l’empêche d’examiner la communication parce qu’elle porte sur la même affaire que celle que la Cour européenne des droits de l’homme a déclarée irrecevable le 12 janvier 2001.
7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]
APPENDICE
Opinion individuelle de M. Eckart Klein
À mon avis, le Comité aurait dû se prononcer sur la question de savoir si la réserve émise par l’État partie l’empêchait d’examiner la communication (voir par. 4.3 et 6.3) avant de s’interroger sur la question de savoir si les auteurs étaient fondés à dénoncer une violation, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif (par. 6.2). La raison à cela est que la réserve, si elle est applicable, exclut la compétence du Comité pour examiner la communication. Or ce n’est que si le Comité peut examiner la communication qu’il peut commencer à se demander si la plainte est suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et, éventuellement, justifiée sur le fond.
(Signé) Eckart Klein
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]
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* Rendue publique sur décision du Comité des droits de l’homme.
** Les membres du Comité dont le nom suit ont pris part à l’examen de la communication:
M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Patrick Vella et M. Maxwell Yalden.
Le texte d’une opinion individuelle signé de M. Eckart Klein est joint en annexe au présent document.
[1] Requête n° 34314/96.
[2] L’exposé des motifs, pour ce point précis, se lit comme suit: «Dans la limite de sa compétence sur les questions faisant l’objet de la plainte, la Cour estime que ces questions ne font pas apparaître de violation des droits et libertés consacrés dans la Convention ou dans les protocoles s’y rapportant.».