GENERALE
CCPR/C/86/D/812/1998/Rev.1
16 mai 2006
FRANCAIS
Original: ANGLAIS
Communication No. 812/1998 : Guyana. 16/05/2006.
CCPR/C/86/D/812/1998/Rev.1. (Jurisprudence)
Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme
Quatre-vingt-sixième session
13 - 31 mars 2006
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques*
- Quatre-vingt-sixième session -
Communication No 812/1998
Présentée par: Raymond Persaud et Rampersaud (non représentés par un conseil)
Au nom de: Les auteurs
État partie: Guyana (1)
Date de la communication: 26 février 1998 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 21 mars 2006,
Ayant achevé l'examen de la communication no 812/1998 présentée par Raymond Persaud et Rampersaud en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif
1.1 Les auteurs sont Raymond Persaud et Rampersaud, ressortissants du Guyana. Raymond Persaud est actuellement incarcéré dans la prison de Georgetown dans l'attente de son exécution. Rampersaud est décédé le 21 août 1998 (de mort naturelle) et le Comité n'a reçu d'aucun de ses héritiers de notification indiquant que sa communication était maintenue. Bien que les auteurs n'invoquent aucune disposition particulière du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, il semble que la communication soulève des questions au regard des articles 6 et 7 du Pacte. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil.
1.2 Le 9 avril 1998, conformément à l'article 92 (ancien art. 86) de son règlement intérieur, le Comité, par l'intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a demandé à l'État partie de ne pas exécuter la peine capitale prononcée contre les auteurs, afin de permettre au Comité d'examiner la communication.
Exposé des faits
2.1 Le 21 janvier 1986, les auteurs ont été arrêtés pour le meurtre de Bibi Zorina Alli, dont on avait retrouvé le corps sommairement enterré derrière l'hôtel Hollywood à Rose Hall (Corentyne). Ils ont été convaincus de meurtre et condamnés à la peine capitale le 11 décembre 1990. Les auteurs ont interjeté appel et, le 25 mai 1994, la Cour d'appel a confirmé la condamnation à mort. Les auteurs ont demandé une commutation de la peine en réclusion à vie, mais la demande a été rejetée le 31 juillet 1997. Ils ont fait appel de cette décision mais ont été déboutés le 25 février 1998.
2.2 Le 16 ou le 17 juillet 1998, des ordres d'exécution ont été émis par erreur et il en a été donné lecture aux auteurs parce que le Cabinet du Président n'avait pas été avisé que des mesures provisoires avaient été décidées par le Comité. Les ordres ont été rapportés et les auteurs ont reçu une lettre d'excuses pour l'erreur commise.
Teneur de la plainte
3. Les auteurs affirment que la peine capitale prononcée contre eux doit être commuée en réclusion à vie compte tenu de leur long séjour dans le quartier des condamnés à mort. Dans une lettre envoyée par le frère et la sœur de l'auteur survivant, Raymond Persaud, et reçue le 14 janvier 2004, l'auteur, en son nom propre, fait valoir que son maintien dans le quartier des condamnés à mort est une pratique inhumaine et que la durée de ce maintien constitue une violation de ses droits fondamentaux. La communication soulève par conséquent des questions au regard des articles 6 et 7 du Pacte.
Observations de l'État partie concernant la recevabilité de la communication
4. Par une lettre du 30 juin 1998, l'État partie a reconnu que la communication était recevable puisque les auteurs avaient épuisé tous les recours internes disponibles.
Défaut de coopération de l'État partie
5. Le 14 décembre 2000, le 24 juillet 2001, le 21 octobre 2003 et le 7 juillet 2004, le Comité a prié l'État partie de lui faire part de ses observations sur le fond de la communication. Le Comité constate qu'aucune réponse ne lui est parvenue à ce jour. Le Comité regrette que l'État partie ne lui ait pas fourni des éclaircissements sur le fond des griefs de l'auteur. Il rappelle qu'il ressort implicitement du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif que les États parties doivent examiner toutes les accusations formulées contre eux et communiquer au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l'absence de réponse de la part de l'État partie, il y a lieu d'accorder le crédit voulu aux griefs de l'auteur, pour autant que ceux-ci aient été suffisamment étayés.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité a établi que la même question n'était pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement aux fins du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif et que les auteurs avaient épuisé tous les recours internes qui leur étaient ouverts, conformément au paragraphe 2 b) dudit article. Dans la présente affaire, le Comité constate que, dans sa communication du 30 juin 1998, l'État partie ne conteste pas la recevabilité de la communication. En conséquence, le Comité passe directement à l'examen au fond.
Examen au fond
7.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
7.2 En ce qui concerne les questions soulevées au regard de l'article 6 du Pacte, le Comité, se fondant sur l'examen du droit applicable au Guyana, suppose que la juridiction de jugement a imposé automatiquement la peine capitale dès lors que le jury avait rendu son verdict par lequel il avait déclaré les auteurs coupables de meurtre, conformément à l'article 101 du Code pénal («Des infractions»). Cet article dispose que «quiconque commet un meurtre se rend coupable d'un crime et doit être puni de mort comme criminel» sans qu'il soit possible de prendre en considération la situation personnelle de l'accusé ou les circonstances dans lesquelles le crime a été commis. Le Comité renvoie à sa jurisprudence selon laquelle l'imposition automatique et obligatoire de la peine de mort constitue une privation arbitraire de la vie, en violation du paragraphe 1 de l'article 6 du Pacte, dès lors qu'elle est prononcée sans qu'il soit possible de prendre en considération la situation personnelle de l'auteur ou les circonstances particulières du crime (2) . Il s'ensuit que l'imposition automatique de la peine de mort aux auteurs constitue une violation des droits reconnus au paragraphe 1 de l'article 6.
7.3 En ce qui concerne les questions soulevées au regard de l'article 7 du Pacte, le Comité serait d'avis que le séjour prolongé de l'auteur dans le quartier des condamnés à mort constitue une violation de l'article 7. Toutefois, ayant déjà conclu à une violation du paragraphe 1 de l'article 6, il n'estime pas nécessaire en l'espèce de réexaminer et de revoir sa jurisprudence, selon laquelle la détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort ne constitue pas en soi une violation de l'article 7 s'il n'y a pas d'autres circonstances impérieuses.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l'État partie de l'article 6, paragraphe 1, du Pacte.
9. Conformément au paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu de fournir à Raymond Persaud une réparation sous la forme d'une commutation de la peine capitale. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.
10. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.
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[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Edwin Johnson, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Michael O'Flaherty, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood et M. Roman Wieruszewski.
Le texte d'une opinion individuelle, cosignée par deux membres du Comité, M. Hipólito Solari Yrigoyen et M. Edwin Johnson, est joint au présent document.
ANNEXE
OPINION DISSIDENTE DE MM. HIPÓLITO SOLARI-YRIGOYEN
ET EDWIN JOHNSON
Nous ne partageons pas l'avis de la majorité pour qui, en l'espèce, il n'est pas nécessaire de revenir sur la jurisprudence du Comité, qui a jusqu'ici toujours considéré − à tort à notre sens − que la détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort ne constituait pas en soi une violation de l'article 7 du Pacte.
Nous estimons que, même s'il a à juste titre conclu à l'existence d'une violation de l'article 6, le Comité, s'agissant d'une affaire dans laquelle la peine de mort a été prononcée, a l'obligation de ne pas laisser de côté la question concrète soulevée par l'auteur, qui fait valoir que sa détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort constitue une violation de ses droits fondamentaux; il faut au contraire se prononcer sur cette question.
C'est pourquoi et compte tenu des circonstances de l'affaire − l'auteur de la communication a passé 15 années dans le quartier des condamnés à mort −, nous affirmons que cette durée constitue en soi un traitement cruel, inhumain et dégradant et qu'il y a eu violation de l'article 7 du Pacte.
En conséquence, les faits dont le Comité est saisi font apparaître des violations par l'État partie de l'article 6 et de l'article 7 du Pacte.
Conformément au paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, l'État partie serait tenu d'assurer à l'auteur une réparation sous la forme d'une commutation de la peine capitale, et pourrait éventuellement ordonner sa remise en liberté.
(Signé) Hipólito Solari-Yrigoyen
(Signé) Edwin Johnson
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]
Notes
1. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l'État partie le 15 mai 1977 et le 10 août 1993 respectivement. Le 5 janvier 1999, l'État partie a informé le Secrétaire général qu'il avait décidé de se retirer du Protocole facultatif à compter du 5 avril 1999, c'est-à-dire après qu'eut été soumise la présente communication. À la même date, il est redevenu partie au Protocole facultatif avec la réserve suivante: «[L]e Guyana accède à nouveau au Protocole facultatif [se rapportant] au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, moyennant une réserve à l'article 6 du Pacte à l'effet que le Comité des droits de l'homme n'est pas compétent pour recevoir et examiner les communications émanant de quiconque est condamné à la peine de mort pour les crimes de meurtre et de trahison, concernant toute matière en rapport avec les poursuites exercées contre l'intéressé, sa détention, son jugement, sa condamnation, la peine prononcée ou l'exécution de la peine de mort, ou toute autre matière connexe.
Acceptant le principe que les États ne peuvent généralement pas utiliser le Protocole facultatif comme moyen d'émettre des réserves au Pacte international relatif aux droits civils et politiques lui-même, le Gouvernement du Guyana souligne que sa réserve au Protocole facultatif ne porte en rien atteinte à ses obligations ou engagements en vertu [du] Pacte, y compris de respecter et d'assurer à tous les individus se trouvant sur le territoire du Guyana et soumis à sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte (pour autant qu'ils ne font pas déjà l'objet d'une réserve), comme prévu par l'article 2 du Pacte, et son engagement de soumettre des rapports au Comité des droits de l'homme conformément au mécanisme de suivi établi par l'article 40.».
2. Voir les communications nos 806/1998, Thompson c. Saint-Vincent-et-les Grenadines, constatations adoptées le 18 octobre 2000, par. 8.2; 845/1998, Kennedy c. Trinité-et-Tobago, constatations adoptées le 26 mars 2002, par. 7.3; 1077/2002, Carpo et consorts c. Philippines, constatations adoptées le 28 mars 2003, par. 8.3; 1167/2003, Ramil Rayos c. Philippines, constatations adoptées le 27 juillet 2004, par. 7.2; 862/1999, Hussain et consorts c. Guyana, constatations adoptées le 25 octobre 2005, par. 6.2; et 913/2000, Chan c. Guyana, constatations adoptées le 31 octobre 2005, par. 6.5.