Comité des droits de l'homme
Soixante-troisième session
13 - 31 juillet 1998
ANNEXE*
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Soixante-troisième session -
Communication No 813/1998**
Présentée par : Dole Chadee et consorts (représentés par M. David Smythe, de Kingsley Napley, cabinet juridique londonien)
Au nom : Des auteurs
État partie : Trinité-et-Tobago
Date de la communication : 1er avril 1998 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 29 juillet 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 813/1998 présentée par Dole Chadee et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication, leur conseil et l'État partie,
Adopte les constatations suivantes :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. Les auteurs de la communication sont Nankissoon Boodram (Dole Chadee), Joel Ramsingh, Joey Ramiah, Ramkalawan Singh, Russell Sankeralli, Bhagwandeen Singh, Clive Thomas, Robin Gopaul et Stephen Eversley, tous ressortissants trinidadiens actuellement détenus dans le quartier des condamnés à mort de la prison d'État de la Trinité-et-Tobago. Ils se déclarent initialement victimes de violations par la Trinité-et-Tobago de l'article 14 du Pacte. Ils sont représentés par David Smythe, du cabinet d'avocats londonien Kingsley Napley (Royaume-Uni).
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Le 10 janvier 1994, quatre membres de la famille Baboolal de Williamsville ont été assassinés. Entre le 13 et le 15 mai 1994, les auteurs ont été arrêtés sous l'inculpation de meurtre. Le 21 juillet 1994, une information a été ouverte, qui s'est conclue le 30 septembre 1994 par le renvoi devant une juridiction de jugement des auteurs et d'un autre accusé, Levi Morris. Le 1er novembre 1994, Dole Chadee a formé une requête en inconstitutionnalité (motivée par la publicité qui avait entouré la phase préparatoire du procès), requête qui a été rejetée le 15 novembre 1994. Il a ensuite été débouté du recours qu'il avait formé devant la cour d'appel le 20 janvier 1995. Le 10 avril 1995, Chadee a été autorisé à former un recours devant le Conseil privé, qui l'a rejeté pour ce qui concerne la requête en inconstitutionnalité du 19 février 1996.
2.2 Le 10 juin 1996, le procès a commencé devant la cour d'assises de Chaguaramas. Il s'est tenu dans un bâtiment reconverti qui n'avait été utilisé qu'une seule fois comme salle de tribunal, sous la protection d'imposantes forces de sécurité. Les auteurs ont réclamé une suspension sine die au motif que leur procès constituerait un abus de la procédure de la cour en raison de l'étendue de la publicité négative faite au cours de la phase préparatoire. Cette réclamation a été rejetée. Il a été fait droit à une demande d'examen sous serment de tous les jurés potentiels avant qu'ils ne soient assermentés, conformément à une modification de la loi sur les jurys entrée en vigueur un mois auparavant. La formation du jury a commencé le 17 juin et s'est achevée le 12 juillet 1996, après que le juge eut ordonné, le 28 juin 1996, de compléter le jury en faisant appel aux suppléants /Ancienne pratique de common law par laquelle, si le nombre de jurés potentiels récusés est tel que l'on ne puisse en retenir 12 pour former le jury, des badauds et habitants du voisinage sont réquisitionnés pour compléter l'effectif et constituer le jury./. Le 15 juillet 1996, une nouvelle demande de suspension sine die de l'instance déposée au motif que tout jugement constituerait un abus de procédure a été rejetée.
2.3 Le coaccusé des auteurs, Levi Morris, traduit en justice le 10 juin 1996, a plaidé coupable sur quatre chefs d'accusation de meurtre et a été condamné à mort sur chacun de ces chefs d'accusation. Immédiatement après, une grâce conditionnelle lui a été accordée et signifiée et les quatre condamnations à mort prononcées contre lui ont été commuées en peine d'emprisonnement à vie. L'octroi de la grâce était subordonné à la condition qu'il s'engage à déposer comme témoin à charge conformément à une déclaration qu'il avait faite le 4 juin 1996 et sous réserve que cette déclaration fût exacte.
2.4 Le 3 septembre 1996, les auteurs ont été reconnus coupables du meurtre de quatre membres de la famille Baboolal. Ils ont tous été condamnés à mort. Le 16 mai 1997, la cour d'appel les a déboutés de leur recours. Le 1er avril 1998, la section judiciaire du Conseil privé leur a refusé l'autorisation de faire appel de cette décision. De ce fait, tous les recours internes sont réputés épuisés.
2.5 Au cours du procès, l'accusation a exposé sa version des faits, à savoir que le 10 janvier 1994, autour de 2 heures du matin, un groupe de malfaiteurs masqués et armés a fait irruption au domicile de la famille Baboolal à Williamsville et assassiné quatre membres de cette famille (le père, Deo, la mère, Rookmin, le fils, Hamilton, et la fille, Monica). L'accusation a présenté des éléments tendant à prouver que Dole Chadee avait organisé le raid et que les auteurs - à l'exception de Chadee - étaient venus de la ferme de Chadee à bord de quatre véhicules pour l'exécuter. Ils étaient armés d'armes à feu et d'un marteau de forgeron. Ramkalawan Singh et Sankeralli se sont rendus à bord de deux véhicules dans un endroit situé à environ deux kilomètres du domicile des Baboolal tandis que les autres exécutaient le raid. Deux enfants (Osmond et Hamatee), qui se trouvaient dans la maison, ont réussi à s'échapper. L'équipe chargée de l'attaque s'est ensuite rendue au lieu de rendez-vous, où les plaques d'immatriculation des voitures ont été enlevées. Les arguments de l'accusation se fondaient pour une large part sur des éléments de preuve fournis par le complice Levi Morris et sur une déposition du complice Clint Huggins / Placé en lieu sûr et secret pour sa propre protection, celui-ci a été assassiné alors qu'il était sorti de sa cachette pour tromper son ennui./, qui est mort avant le début du procès. La déposition de Huggins a été admise comme élément de preuve par le juge après que celui-ci eut procédé à un examen préliminaire du témoin en la matière. Des empreintes digitales ont également été présentées comme élément de preuve.
2.6 Les accusés ont nié toute participation aux assassinats et affirmé que la police, de soi-disant complices et d'autres témoins s'étaient ligués pour les mettre en accusation avec des preuves fabriquées parce qu'ils pensaient que Chadee était un narcotrafiquant international à la tête d'une bande d'assassins. Ils ont contesté que l'une des empreintes digitales relevée sur la plaque d'immatriculation avant endommagée de l'une des automobiles fût celle, partielle, d'un pouce de Ramsingh.
Teneur de la plainte
3.1 Les auteurs affirment que la publicité négative au stade préparatoire du procès a joué contre eux. Selon des rumeurs largement répandues et persistantes, Chadee était un baron de la drogue notoire, recherché pour trafic international de drogue. Il aurait aussi été suggéré que les témoins et d'autres personnes concourant à la procédure visant Chadee étaient en danger de mort. Le préjudice créé par cette publicité aurait été d'un caractère si insidieux et persistant qu'aucune juridiction n'aurait dû admettre qu'un procès des accusés pouvait être équitable. En outre, les moyens dont disposait le juge d'instance, qui pouvait par exemple procéder à l'examen des jurés potentiels et lancer de sévères avertissements, ne pouvaient selon eux compenser ce préjudice d'une manière qui fût suffisamment certaine. Les délibérations de la cour d'appel auraient été viciées par cette publicité continue au détriment des auteurs. Le Procureur général et le Directeur des poursuites publiques auraient dû, selon les accusés, prendre des mesures pour empêcher cette publicité préjudiciable car ils ne pouvaient ignorer l'incidence qu'elle aurait sur l'équité du procès.
3.2 Les auteurs affirment que la formation du jury a été entachée d'irrégularités. Chaque juré ayant été examiné pour établir dans quelle mesure cette publicité négative les avait influencés, il serait apparu à l'évidence qu'un jury impartial ne pouvait être constitué. Il ressort du dossier que les accusés ont obtenu 169 récusations motivées, et exercé 36 récusations péremptoires. Le processus de formation du jury a pris 14 jours. Selon le conseil, les éléments de preuve présentés au cours de l'examen des jurés potentiels ainsi que le nombre de récusations montrent que les préjugés à l'égard des auteurs et en particulier de Dole Chadee étaient répandus et profondément enracinés, et qu'aucune partie de la communauté n'en était exempte. Cela étant, les auteurs affirment aussi que le juge a commis une erreur de droit en déniant aux accusés le droit d'exercer une récusation motivée à l'encontre de certains jurés potentiels, les obligeant ainsi à épuiser le nombre limité de récusations péremptoires dont ils disposaient, ce qui a eu pour conséquence que le jury contenait des personnes nourrissant ou susceptibles de nourrir des préjugés à leur endroit. La procédure adoptée pour la sélection de nouveaux jurés après que la première liste eut été épuisée aurait été viciée et illégale, entraînant la nullité du procès. Plut_t que d'ordonner que le jury soit complété en faisant appel à des suppléants, le juge aurait dû congédier les membres du jury sélectionnés et renvoyer l'affaire à la cour d'assises suivante de sorte qu'un nouveau jury soit formé à partir d'une nouvelle liste, plus nombreuse.
3.3 Les auteurs affirment que la conduite du procès a été inéquitable et partiale à leur endroit. À cet égard, le juge aurait accepté qu'il soit donné lecture de la déposition du complice présumé Huggins au jury parce que celui-ci était mort avant l'ouverture du procès. Le conseil affirme que ce témoin n'avait jamais été contre-interrogé à propos des immunités qu'on lui avaient offertes du fait que celles-ci n'avaient pas été révélées à la défense lorsque sa déposition avait été recueillie à l'audience préliminaire.
3.4 Le juge aurait aussi autorisé la présentation de preuves par ouï-dire au jury, et il aurait omis de donner à ce dernier des instructions sur la manière d'aborder ce type de preuve. Les auteurs affirment en outre que le juge a omis d'indiquer au jury qu'il devait écarter la déposition d'un expert scientifique appelé à comparaître par l'accusation, dont la déposition concernant les taches de sang découvertes dans l'une des automobiles n'était pas probante mais préjudiciable.
3.5 Le conseil affirme aussi qu'il y avait de graves erreurs dans les instructions données par le juge dans son résumé des débats. En particulier, ce dernier aurait omis de rappeler au jury ainsi qu'il convenait les différences existant entre la déposition de l'expert de l'accusation concernant l'empreinte du pouce sur la plaque d'immatriculation et celle de l'expert de la défense sur le même sujet. Cela aurait revêtu une importance toute particulière, dans la mesure où l'empreinte du pouce était le seul élément de preuve, autre que ceux fournis par les complices, liant l'accusé Joel Ramsingh aux meurtres. De plus, dans l'hypothèse où le jury se serait laissé convaincre par les éléments à décharge, il n'aurait pas ajouté foi aux témoignages des complices, ni donc au réquisitoire. Le juge aurait aussi omis de donner au jury des instructions appropriées en ce qui concerne les dépositions des complices, et n'aurait pas appelé l'attention du jury sur les discordances existant entre ces dépositions.
3.6 Par ailleurs, au cours de ses réquisitions, l'avocat général aurait fait un certain nombre de remarques incendiaires dans le but délibéré de ranimer les préjugés causés par la publicité et d'inciter à la haine contre Dole Chadee. Non seulement le juge n'aurait pas empêché l'avocat général de faire ces remarques, mais encore il aurait omis de donner des instructions correctives appropriées.
Observations de l'État partie
4.1 Dans ses observations, l'État partie affirme que ces sujets de réclamation ne constituent pas une violation de l'article 14 ni d'ailleurs de tout autre article du Pacte. Il rappelle que les allégations des auteurs ont déjà été pleinement exposées devant la cour d'appel et la section judiciaire du Conseil privé. D'après lui, les éléments de preuve retenus contre les auteurs n'ont pas été contredits par les faits et l'on ne peut donc soutenir que le jury a rendu son verdict de mauvaise foi.
4.2 En ce qui concerne les allégations faites par les auteurs à propos des instructions données par le juge au jury, l'État partie renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle il n'appartient pas en général à ce dernier mais aux cours d'appel des États parties d'examiner les instructions expresses données par le juge au jury. Il affirme donc que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
4.3 De même, en ce qui concerne la latitude du juge en matière d'admission des éléments de preuve, l'État partie soutient qu'en général, c'est aux cours d'appel qu'il revient de l'examiner, et qu'en l'absence d'arbitraire ou de déni de justice manifestes, cette partie de la communication doit être déclarée irrecevable car incompatible avec les dispositions du Pacte.
4.4 S'agissant de la plainte selon laquelle le juge du fond aurait dû suspendre les poursuites du fait de la publicité donnée à l'affaire au stade préparatoire du procès, l'État partie note que l'article 14 du Pacte stipule que pour décider du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, mais ne prévoit pas qu'elle puisse avoir droit à ce qu'aucune décision ne soit prise. L'État partie explique que, conformément à sa législation, une suspension d'instance n'est accordée que s'il est établi qu'il serait impossible de former un jury impartial. Il conteste, comme contraire à la loi, l'argument du conseil selon lequel, parce qu'il était difficile de garantir un procès équitable, l'instance aurait dû être suspendue. D'après lui, lorsqu'il y a publicité considérable dans la phase préparatoire du procès, comme c'était le cas, il est du devoir du juge de prendre les mesures qu'il estime nécessaires pour veiller à ce que le procès soit équitable. L'État partie affirme que c'est précisément ce qu'a fait le juge en l'espèce. En conséquence, 12 jurés ont prêté serment qui étaient impartiaux, sans préjugés et pleinement capables de garantir un procès équitable aux auteurs. À cet égard, l'État partie prétend que suspendre l'instance aurait mis les auteurs au-dessus de la loi. Quant à l'argument des auteurs selon lequel le Directeur des poursuites publiques aurait dû prendre des mesures pour mettre un terme à la publicité négative, il affirme que cette obligation est sans rapport avec la question de savoir si les auteurs ont eu ou non un procès équitable.
4.5 En ce qui concerne la plainte des auteurs selon laquelle la sélection du jury a été entachée d'irrégularités, l'État partie donne des informations sur l'examen des 12 jurés retenus et note qu'il est impossible de dire que ces jurés ont fait preuve de partialité en l'espèce. Il note que les auteurs fondent leur réclamation sur le fait qu'en raison de la publicité faite au stade préparatoire, tout juré était susceptible de nourrir inconsciemment des préjugés à leur encontre. Pour l'État partie, en l'absence de partialité de la part des jurés, aucune plainte de ce type ne peut conduire à penser que le procès a été inéquitable ou que le tribunal n'a pas été impartial. Il note en outre que la plainte des auteurs sur la façon dont les jurés ont été rassemblés se fonde sur des subtilités juridiques, et que leur argument a été rejeté par la cour d'appel. Il déclare que ceci n'aurait en aucun cas pu influer sur l'équité du procès.
4.6 En ce qui concerne la plainte selon laquelle la déposition de Huggins n'aurait pas dû être admise, l'État partie note que le témoin a déposé sous serment lors de l'enquête préliminaire devant un magistrat et a fait l'objet d'un contre-interrogatoire approfondi par l'avocat de la défense, ainsi que l'a certifié ce magistrat. S'agissant de l'argument des auteurs selon lequel ils n'ont pas été informés au cours de l'enquête préliminaire des immunités de poursuites accordées à Huggins, l'État partie renvoie à la décision de la cour d'appel et soutient que cela n'a pas privé la défense de la possibilité de procéder à un contre-interrogatoire complet. Il note en outre qu'un examen préliminaire a été tenu à l'ouverture du procès, au cours duquel des témoins appelés par la défense dans le but de discréditer la déposition de Huggins ont été entendus; ce n'est qu'après cela que le juge a permis qu'il soit donné lecture de la déposition. Dans sa décision, le juge a tenu compte de l'engagement pris par l'État de présenter tous les témoins appelés à comparaître par la défense dans le but d'examiner la crédibilité de Huggins devant le jury, et du fait que ceux-ci se sont effectivement présentés et ont déposé.
4.7 En ce qui concerne l'affirmation des auteurs selon laquelle le juge a autorisé la présentation de preuves par ouï-dire, l'État partie fait observer que les preuves indirectes ne sont pas en elles-même contraires à l'article 14 ni à aucun autre article du Pacte. Il note en outre que les dispositions contestées avaient été sollicitées par la défense au cours du contre-interrogatoire du témoin Morris, et qu'elles confortaient directement la crédibilité de ce dernier. Il soutient que lorsqu'un juge du fond autorise un avocat de la défense expérimenté à poser des questions parfaitement appropriées à un témoin à charge au cours d'un contre-interrogatoire, les réponses obtenues ne peuvent conduire à ce que le procès devienne inéquitable. À l'inverse, le fait pour un juge de couper court à un tel contre-interrogatoire pourrait dans certains cas engendrer une iniquité.
4.8 En ce qui concerne le témoignage de l'expert sur les taches de sang trouvées dans la Mazda, l'État partie note que la défense n'a jamais contesté le fait que cette automobile avait été utilisée dans les meurtres. Il soutient donc que ce témoignage ne pouvait avoir privé les auteurs d'un procès équitable.
4.9 En ce qui concerne les réquisitions, l'État partie affirme que tout incendiaires qu'elles aient été, elles ne peuvent avoir privé les auteurs d'une audience équitable. Il note que tout ce qui a été dit au cours des réquisitions était justifié compte tenu de l'argumentation de l'accusation. En outre, le juge a donné pour instruction au jury d'écarter certaines suggestions du ministère public. Par ailleurs, l'État partie note que la défense des auteurs était fondée sur la théorie d'une conspiration visant à faire condamner Chadee à l'aide de preuves fabriquées en raison de sa réputation de baron de la drogue. Pour lui, cela a eu l'effet calculé de relancer la publicité faite autour de cette affaire avant le jugement, de manière plus directe que tout ce qui a pu être dit au cours des réquisitions.
4.10 Pour ce qui regarde les instructions erronées qui auraient été données au cours du résumé des débats, l'État partie soutient qu'aucun des griefs exposés par les auteurs n'est de nature à rendre le procès inéquitable ou à les priver des droits que leur confère le Pacte.
Observations du conseil
5.1 Dans ses observations, le conseil réaffirme que les auteurs se sont vu dénier un procès équitable du fait qu'on l'a laissé se dérouler après une publicité tapageuse et en autorisant la présentation d'éléments de preuve fragiles et peu fiables. Il souligne que la plainte des auteurs vise également les décisions prises par la cour d'appel et la section judiciaire du Conseil privé. Il souligne que contrairement à ce que semble penser l'État partie, les accusés n'étaient pas tenus d'établir une défense positive, et la charge de la preuve devrait incomber à l'État. En raison des violations alléguées de l'article 14, qui font douter du bien-fondé de leur condamnation, les auteurs affirment avoir droit à un recours utile, à savoir leur mise en liberté immédiate.
5.2 Dans une communication supplémentaire, le conseil porte de nouvelles allégations de violation des articles 6, 7 et 14 du Pacte et affirme que le système de droit pénal et de justice criminelle applicable aux personnes condamnées à mort après avoir été reconnues coupables est discriminatoire, arbitraire et manipulé par l'État à des fins politiques. À cet égard, le conseil soutient qu'à la suite de la décision rendue par le Conseil privé dans l'affaire Pratt & Morgan, les personnes condamnées à mort à la Trinité-et-Tobago sont classées en deux catégories : celles dont la procédure de recours est accélérée de sorte qu'elles n'ont aucune chance d'échapper à l'exécution grâce au passage du temps, et celles dont on laisse la procédure de recours suivre son cours normal, ce qui leur donne une chance, avec le temps, de ne pas être exécutées. La décision d'accélérer ou non la procédure serait prise par le procureur général selon des critères politiques.
5.3 Bien qu'à ce jour aucune des personnes condamnées à mort à la Trinité-et-Tobago n'ait été exécutée, il serait manifeste que la procédure de recours des auteurs a été accélérée de sorte que leur exécution ne puisse être empêchée par la décision rendue dans l'affaire Pratt & Morgan. Sur ce point, le conseil note que l'audience des auteurs en appel a été tenue huit mois après le verdict de culpabilité, alors que l'examen d'autres recours a pris beaucoup plus longtemps, d'un an et sept mois à trois ans et dix mois. S'appuyant sur des articles de presse, le conseil affirme qu'il est amplement prouvé que le procureur général avait les auteurs - Dole Chadee en particulier - dans sa ligne de mire en vue de réaliser son objectif, qui était de reprendre les exécutions le plus rapidement possible. Il note que le principe de la procédure accélérée n'ayant aucun fondement juridique, il s'agit d'un processus arbitraire et discriminatoire. Cette procédure violerait non seulement l'article 6 du Pacte, mais aussi l'article 7 puisque le fait de sélectionner et de viser délibérément les auteurs pour veiller à ce qu'ils n'aient aucune chance d'échapper à l'exécution constitue un traitement cruel, inhumain et dégradant.
5.4 Le conseil présente une deuxième allégation additionnelle en affirmant qu'il y a eu violation de l'article 7 du Pacte du fait des conditions de détention inhumaines auxquelles les auteurs sont soumis depuis leur arrestation. Il se réfère aux questionnaires remplis par Dole Chadee, Joey Ramiah, Joel Ramsingh, Bhagwandeen Sing, Russell Sankeralli et Robin Gopaul, qui attestent que les soins médicaux reçus en prison ne sont pas satisfaisants, que les installations sanitaires sont inadéquates, que la nourriture est déplorable, l'eau souillée, que les cellules sont insuffisamment ventilées et sans éclairage naturel. De plus, ces détenus ne seraient autorisés à sortir de leur cellule qu'une heure par semaine pour voir la lumière du jour, et ce les menottes aux poignets, ce qui les empêcherait de prendre de l'exercice.
5.5 En outre, le conseil affirme que les preuves retenues contre Russell Sankeralli étaient insuffisantes puisque dans leur déposition, les témoins n'ont pas déclaré qu'il était présent lorsque le complot allégué a été révélé dans toute son ampleur et qu'il savait à l'avance ce qui allait se passer. On ne lui aurait pas donné de pistolet, et il aurait conduit la voiture qui devait permettre à la bande de prendre la fuite sans savoir ce que les autres avaient l'intention de faire. Au procès, une demande de non-lieu a été rejetée par le juge. Le conseil admet que ce point n'a pas été soulevé en appel.
Nouvelles observations de l'État partie et commentaires du conseil
6.1 Par une note du 6 juillet 1998, l'État partie prend acte de ce que le conseil des auteurs, dans ses commentaires sur la réponse de l'État partie et 68 jours après que la lettre initiale eût été présentée au Comité, a fait de nouvelles allégations auxquelles il doit répondre, sans quoi elles seront réputées recevables. D'après l'État partie, la présentation de nouvelles allégations est une tentative délibérée pour retarder l'examen de l'affaire par le Comité, puisque les questions qui y sont soulevées auraient pu l'être dans la lettre initiale. À cet égard, il rappelle que pour qu'une recommandation du Comité des droits de l'homme soit examinée, le gouvernement doit recevoir les constatations du Comité dans les six mois suivant la réponse de l'État partie à la communication.
6.2 En ce qui concerne l'allégation du conseil selon laquelle l'examen expéditif du recours des auteurs viole les articles 6, 7 et 14 du Pacte, l'État partie renvoie aux délais fixés dans la décision rendue par le Conseil privé en l'affaire Pratt & Morgan. En application de cette décision, la cour d'appel est tenue de juger les recours concernant la peine de mort et de se prononcer à leur sujet dans l'année qui suit le verdict de culpabilité. L'État partie souligne qu'il s'agit de normes constitutionnelles qui ont amené à rationaliser les procédures applicables dans les affaires de condamnation à mort pour veiller à ce que la procédure de recours soit achevée le plus rapidement possible, dans le respect des formes régulières.
6.3 Pour l'État partie, ce sont toutes les affaires qui sont accélérées, et non certaines affaires en particulier. Que certaines soient jugées plus rapidement que d'autres ne tient qu'aux circonstances spéciales de chaque affaire. Cela étant, l'État partie explique que la principale cause de retard tient aux délais de publication du jugement écrit. D'après lui, depuis 1996, le délai nécessaire pour juger un recours varie de 3 à 12 mois. Toute allégation laissant entendre qu'il a choisi d'accélérer la procédure concernant les auteurs est dénuée de fondement puisque la période de huit mois séparant la déclaration de culpabilité de l'examen du recours s'inscrit dans la moyenne générale désormais observée par les tribunaux afin de se conformer à la décision prise dans l'affaire Pratt & Morgan.
6.4 Pour ce qui est de l'allégation selon laquelle il y a eu violation de l'article 7 du Pacte en raison des conditions de détention, l'État partie nie qu'une telle violation ait eu lieu. D'après lui, les auteurs sont détenus dans la prison d'État (Royal Gaol) de Port of Spain, où les conditions sanitaires sont bonnes. Les rations alimentaires sont suffisantes, l'eau est salubre, les soins médicaux et les installations de détente sont conformes aux normes internationales. Chaque condamné dispose de sa propre cellule, dont les dimensions standard sont de 1,80 m sur 2,70 m, avec une hauteur sous plafond de 3 m. Chaque cellule contient un lit simple avec un matelas et un oreiller ainsi qu'une banquette en bois. La disposition des cellules permet aux prisonniers de converser les uns avec les autres. Il y fait chaud, elles sont sèches et l'on n'y trouve ni moisissures ni humidité. Elles sont bien ventilées grâce à une bouche d'aération de 80 cm sur 45 cm aménagée en haut du mur du fond de chaque cellule, qui permet à l'air du dehors d'y pénétrer. Les couloirs du quartier sont équipés de ventilateurs de plafond qui assurent la circulation de l'air vers les cellules. Chaque quartier possède ses propres douches et toilettes, et chaque prisonnier est autorisé à les utiliser une fois par jour. D'après l'État partie, tous les prisonniers reçoivent des articles de toilette essentiels. Ils sont autorisés à vider leur seau de toilette trois fois par jour, le matin, à midi et le soir.quel luxe de détails .... et quel luxe ... Ils peuvent remplir leur cruche d'eau deux fois par jour, le matin et le soir avant le couvre-feu. Si un prisonnier manque d'eau, il est autorisé à remplir sa cruche sur demande.
6.5 L'État partie affirme que chaque condamné est autorisé à sortir de sa cellule pour s'exposer à la lumière du jour et faire de l'exercice au moins une heure par jour, du lundi au vendredi. Les jours fériés et en fin de semaine, le personnel est réduit au minimum et il n'y a pas suffisamment de surveillants pour superviser les exercices. Par ailleurs, les détenus ne sortent pas en cas de mauvais temps, d'alerte sécuritaire ou de pénurie de personnel. L'État partie explique que le complexe de la prison d'État comprend deux cours d'exercice, l'une de 213 m2 et l'autre de 75 m2. Lorsque les prisonniers se rendent dans la cour d'exercice, chacun est accompagné d'un agent de sécurité. Un autre agent a pour tâche de superviser l'ensemble des prisonniers présents dans la cour. Ceux-ci sont menottés de face. L'État partie explique qu'étant donné qu'il y a eu dans le passé des incidents où des prisonniers ont attaqué des surveillants ou d'autres prisonniers, ou ont tenté de s'enfuir, les détenus du quartier des condamnés à mort sont considérés comme des prisonniers à haut risque, et, pour des raisons de sécurité, leurs menottes ne leur sont pas enlevées pendant qu'ils prennent de l'exercice. Les prisonniers ne sont menottés que lorsqu'ils quittent leur cellule.
6.6 L'État partie affirme que les prisonniers reçoivent des repas équilibrés, préparés par le personnel de la prison, qui est formé à l'école h_telière de Chaguaramas. Au petit-déjeuner, on leur sert généralement du lait, du thé, du café ou du chocolat accompagné soit de porridge, soit de pain et de beurre ou de fromage, d'oeufs, de jambon, de corned beef, de sardines, de légumes verts ou encore de pois. Pour le déjeuner, on leur sert de la viande de chèvre ou de porc, du foie, du poulet ou du poisson accompagné de riz et de pois ou de haricots, ou encore de légumes verts. Le repas du soir est analogue au petit-déjeuner mais on leur sert parfois un supplément de légumes verts avec du pain. On leur sert aussi des jus de fruits, du sorrel ou du mauby (boissons à base, respectivement, d'oseille et d'écorce d'un arbre local). Sur ordonnance du médecin de la prison, les détenus peuvent suivre un régime alimentaire spécial. La cantine de la prison vend des denrées alimentaires. Les proches des prisonniers peuvent y acheter des provisions à concurrence de 200 dollars par semaine et les remettre aux prisonniers.
6.7 D'après l'État partie, le règlement de la prison est affiché en divers endroits. Tous les condamnés ont droit à trois repas par jour, à deux visites des membres de leur famille par semaine et à quatre livres à la fois (leurs proches peuvent leur apporter de nouveaux livres chaque semaine), six cigarettes par jour (à condition qu'elles soient fournies par leurs proches) et du papier à lettres, sur demande. Les prisonniers sont autorisés à écrire deux lettres au maximum par semaine à leur famille et un nombre illimité de lettres à leurs avocats et aux représentants des autorités, par exemple le médiateur. Des quotidiens sont distribués tous les jours et la radio est allumée dans le quartier de 6 heures à 9 heures chaque jour.
6.8 Deux travailleurs sociaux sont affectés aux détenus. Un infirmier visite les quartiers deux fois par jour pour traiter les affections sans gravité et, éventuellement, distribuer les médicaments prescrits. Le médecin inspecte la prison quotidiennement. De plus, toutes les deux semaines, les prisonniers passent une visite médicale dans leur cellule.
6.9 En ce qui concerne la nouvelle allégation faite au nom de M. Sankeralli, l'État partie affirme que les questions soulevées ne représentent pas une violation de l'article 14 ni d'aucun autre article du Pacte. Il se réfère à la jurisprudence du Comité et note que les points soulevés à présent ne l'ont pas été en appel, alors que l'auteur était représenté par un conseil éminent et chevronné.
7.1 Dans ses commentaires, le conseil des auteurs s'élève contre la mention faite par l'État partie de ses instructions relatives aux requêtes et sa déclaration selon laquelle le Comité doit adopter ses constatations dans les six mois pour que le gouvernement les examine. D'après le conseil, ces instructions sont illégales tant au plan interne qu'au plan international puisqu'elles n'ont pas été approuvées par le Parlement. Elles seraient "caractéristiques du mode de fonctionnement dictatorial et antidémocratique du régime actuel". À cet égard, le conseil mentionne également le fait que l'État partie s'est retiré du Protocole facultatif comme de la Convention américaine relative aux droits de l'homme.
7.2 S'agissant de l'allégation des auteurs selon laquelle ils subiraient une discrimination du fait de l'accélération de la procédure de recours, le conseil conteste que l'État partie a, comme il l'affirme, entrepris des réformes administratives, judiciaires et législatives. Il déclare que la seule activité judiciaire constatée dans ce domaine est l'audition de requêtes en inconstitutionnalité relatives à l'exécution de la peine de mort. Il affirme que les statistiques fournies par l'État partie sont "fausses et tendancieuses" et n'englobent pas les personnes condamnées dont la procédure de recours a été ralentie par faveur administrative. D'après le conseil, le système judiciaire est radicalement vicié, de sorte que l'application de la peine capitale est au pire discriminatoire ou, au mieux, aléatoire.
7.3 Le conseil nie que les auteurs cherchent à manipuler le processus par des manoeuvres dilatoires. Il insiste sur les difficultés de communication avec les auteurs à la Trinité.
7.4 Concernant les conditions de détention, le conseil réaffirme ses allégations antérieures et note que l'État partie admet qu'il n'existe aucun système d'assainissement dans les cellules, à part la présence d'un seau de toilette, et qu'il n'est fait mention ni de fenêtres ni de lumière naturelle dans les cellules. D'après lui, la bouche d'aération censée fournir de l'air frais ne peut être qu'insuffisante eu égard au climat de la région. Le conseil note que l'État partie admet que les prisonniers ne sont autorisés à sortir à la lumière du jour et à faire de l'exercice que 5 heures par semaine, et moins longtemps encore si la semaine comporte des jours fériés, s'il fait mauvais ou en cas d'alerte. Pour lui, cela signifie que les auteurs sont consignés dans leur cellule au minimum 48 heures sans discontinuer pendant le week-end. Il conteste la description faite par l'État partie des conditions de détention et maintient que ces conditions sont celles qu'ont décrites les auteurs.
Délibérations du Comité
8.1 Avant d'examiner toute plainte figurant dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
8.2 Le Comité a vérifié, conformément au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que l'affaire n'était pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
8.3 En ce qui concerne la plainte des auteurs concernant la conduite du procès par le juge, l'admission des éléments de preuve, le traitement par le juge du réquisitoire du ministère public et les instructions données au jury, le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme qu'en règle générale, c'est aux juridictions d'appel des États parties au Pacte qu'il appartient d'apprécier la recevabilité des éléments de preuve et les instructions spécifiques données au jury par le juge, à moins qu'il ne soit établi que les instructions données au jury ou la conduite du procès étaient manifestement arbitraires ou équivalaient à un déni de justice. Les pièces portées à l'attention du Comité ne font pas apparaître que les instructions du juge ou la conduite du procès aient été entachées de telles irrégularités. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif car elle est incompatible avec les dispositions du Pacte.
8.4 En ce qui concerne la nouvelle allégation faite par le conseil à propos de la déclaration de culpabilité de Russell Sankeralli, prononcée d'après lui sur la base de preuves insuffisantes, le Comité réaffirme qu'en règle générale, c'est aux juridictions des Etats parties qu'il appartient d'apprécier les faits et les éléments de preuve à moins qu'il ne soit établi que cette appréciation était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice. Les pièces portées à l'attention du Comité ne font pas apparaître que le procès ait été entaché de telles irrégularités. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif car elle est incompatible avec les dispositions du Pacte.
9. Le Comité estime que les autres allégations des auteurs sont recevables et procède à leur examen quant au fond.
10.1 Les auteurs ont allégué qu'ils n'avaient pas eu un procès équitable en raison a) de la publicité faite au cours de la phase préparatoire du procès, et b) de la procédure de formation du jury. Le Comité note que la publicité faite à l'affaire au cours de la phase préparatoire a été étendue et que pour cette raison, l'État partie a modifié la loi afin de permettre à la défense d'examiner les jurés potentiels dans le but de déterminer si cette publicité les avait influencés au point de concevoir des préjugés. La formation du jury a pris 14 jours et la défense a exercé avec succès 169 récusations motivées. En fin de compte, 12 jurés ont prêté serment. Le Comité est d'avis que, compte tenu des circonstances, l'État partie a pris les mesures qui s'imposaient pour empêcher que la publicité faite à l'affaire avant l'ouverture des débats ne rende le procès inéquitable. Le fait que la défense n'a pas été autorisée à exercer toutes les récusations motivées auxquelles elle avait droit ne signifie pas que le juge ne s'est pas acquitté de sa tâche comme il convenait. En ce qui concerne la procédure consistant à compléter le jury en faisant appel à des jurés suppléants, le Comité renvoie à sa jurisprudence, d'où il ressort que c'est aux juridictions des États parties qu'il incombe d'examiner la façon dont est appliqué le droit interne, à moins qu'il ne soit clair que cette application était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice. Étant donné que tel n'est pas le cas en l'espèce, le Comité estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation de l'article 14 du Pacte.
10.2 En ce qui concerne la nouvelle allégation des auteurs selon laquelle leur procédure de recours a été délibérément accélérée pour faire en sorte qu'ils soient exécutés, en violation des articles 6, 7 et 14 du Pacte, le Comité a pris note des statistiques fournies tant par le conseil que par l'État partie à cet égard. Sur ce point, le Comité rappelle que l'État partie a l'obligation, en vertu des paragraphes 3 c) et 5 de l'article 14 du Pacte, de veiller à ce que les recours soient jugés sans retard excessif. Il lui incombe cependant d'examiner si le délai écoulé entre la déclaration de culpabilité et l'examen du recours a été suffisant pour que la défense puisse préparer son appel. Ayant examiné les renseignements portés à son attention, le Comité considère qu'il n'a pas été démontré que le délai qui s'est écoulé en l'espèce était insuffisant pour permettre au conseil de la défense de préparer l'appel. Il conclut donc que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître que les articles 6, 7 et 14 ont été violés à cet égard.
10.3 Dole Chadee, Joey Ramiah, Joel Ramsingh, Bhagwandeen Singh, Russell Sankeralli et Robin Gopaul ont fourni des informations sur leurs conditions de détention. L'État partie a examiné les plaintes des auteurs et affirmé que leurs conditions de détention ne sont pas contraires aux normes établies dans le Pacte. Sur la base des renseignements portés à son attention, le Comité n'est pas en mesure de déterminer s'il y a violation de l'article 10 du Pacte.
11. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits portés à son attention ne font pas apparaître de violation de l'une quelconque des dispositions du Pacte.
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* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la présente communication: MM. Nisuke Ando, Prafullachandra N. Bhagwati et Th. Buergenthal, Mme C. Chanet, Lord Colville, M. Omran El Shafei, Mme Elizabeth Evatt, MM. Eckart Klein, David Kretzmer et Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, MM. Martin Scheinin, Maxwell Yalden et Abdallah Zakhia./
** Le texte des opinions individuelles émanant des membres du Comité Eckart Klein, David Kretzmer et Martin Scheinin est joint au présent document.
Opinion individuelle de MM. E. Klein et D. Kretzmer
(en partie dissidente)
1. Dans le cas d'espèce, les auteurs ont fait des allégations spécifiques concernant la qualité de l'eau qu'on leur fournit en prison. Ainsi, dans un questionnaire auquel il a répondu, Robin Gopaul déclare : "l'eau provient d'une citerne et est souvent d'une couleur brunâtre. Les surveillants en poste dans le quartier n'en boivent jamais". De même, Russell Sankeralli déclare dans ses réponses au même questionnaire : "Je suis autorisé à remplir ma cruche d'une contenance de deux litres deux fois par jour, mais l'eau est trouble et/ou elle a un goût de rouille et de boue. Les surveillants se vantent de ne pas avoir à boire de cette eau : ils reçoivent une eau spéciale de l'extérieur". En réponse à ces allégations détaillées, l'État partie se contente de déclarer que l'eau est salubre.
2. Dans ses constatations antérieures, le Comité a toujours estimé que lorsque l'auteur d'une communication fait des allégations spécifiques semblant indiquer une violation d'un droit prévu par le Pacte, l'État partie ne peut réfuter ses allégations en se contentant de les rejeter en bloc. Il doit entrer dans le détail et faire tout ce qui est raisonnablement en son pouvoir pour montrer que ces allégations sont dénuées de fondement. En l'espèce, l'État partie aurait pu avoir fourni des détails sur l'origine de l'eau fournie aux détenus du quartier dans lequel les auteurs sont incarcérés, et sur la qualité de cette eau. Il aurait pu aussi fournir des éléments de preuve indiquant que les surveillants boivent la même eau que les prisonniers. Il ne l'a pas fait. Il convient donc d'ajouter foi aux allégations des auteurs en ce qui concerne l'eau. Ces allégations non réfutées établissent que l'État partie a violé le droit conféré aux auteurs par le paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.