Comité des droits de l'homme
Soixante-douzième session
9 - 27 juillet 2001
ANNEXE*
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4,
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
International relatif aux droits civils et politiques
- Soixante-douzième session -
Communication No. 818/1998
Présentée par: M. Sandy Sextus (représenté par un conseil, M. Saul
Lehrfreund)
Au nom de: L'auteur
État partie: Trinité-et-Tobago
Date de la communication: 23 avril 1997 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 16 juillet 2001
Ayant achevé l'examen de la communication n 818/1998 présentée par M.
Sandy Sextus, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été
communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte les constatations suivantes:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication, datée du 23 avril 1997, est M. Sandy Sextus,
de nationalité trinidadienne, actuellement incarcéré à la prison d'État de
Trinidad. Il se déclare victime de violations par la Trinité-et-Tobago du
paragraphe 3 de l'article 2, de l'article 7 ainsi que du paragraphe 3 de l'article
9, du paragraphe 1 de l'article 10 et des paragraphes 1, 3 c et 5 de
l'article 14 du Pacte. Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 21 septembre 1988, l'auteur a été arrêté en tant que suspect dans
le meurtre de sa belle-mère, commis le même jour. Jusqu'à son procès, en
juillet 1990, il est resté en détention provisoire à la prison de Golden
Grove à Arouca, où il partage avec 7 à 11 autres prisonniers une cellule
qui fait à peine 3 m sur 2. Il n'a pas de lit et doit dormir à même le sol
en béton ou sur de vieux cartons et journaux.
2.2 Après plus de 22 mois de détention, l'auteur est passé en jugement le
23 juillet 1990 devant la juridiction de première instance. Le 25 juillet
1990, l'auteur a été reconnu coupable du chef d'inculpation de meurtre par
tous les membres du jury et condamné à mort. À partir de ce moment-là (jusqu'à
ce que sa peine soit commuée) l'auteur a été incarcéré à la prison d'État
de Port-of-Spain (Frederick Street) dans une cellule d'isolement d'à peine
3 m sur 2, équipée d'un sommier en fer, d'un matelas, d'une chaise et d'une
table (1). Il n'y avait pas d'installations sanitaires mais un seau
en plastique servait de tinette. La seule ouverture était un petit trou
d'aération d'environ 20 cm2, nettement insuffisant pour la ventilation et
qui laissait à peine pénétrer la lumière du jour; la lumière provenait exclusivement
d'un néon allumé 24 heures sur 24 (situé au-dessus de la porte de sa cellule).
Souffrant d'arthrite l'auteur ne quittait sa cellule que pour aller chercher
sa ration et vider sa tinette. Comme il souffrait aussi de maux d'estomac,
il ne pouvait manger que des légumes et quand il n'y en avait pas il restait
sans manger. L'auteur n'a jamais reçu de réponse du médiateur à qui il avait
écrit pour se plaindre de cette situation.
2.3 Plus de quatre ans et sept mois s'étaient écoulés lorsque, le 14 mars
1995, la cour d'appel a rejeté la demande d'autorisation de former recours
de l'auteur (2). Le 10 octobre 1996, la section judiciaire du Conseil
privé à Londres a rejeté la demande d'autorisation spéciale de former recours
de la condamnation et de la peine. En janvier 1997 la peine de mort a été
commuée en peine d'emprisonnement de 75 ans.
2.4 Depuis ce moment-là, l'auteur est détenu à la prison de Port-of-Spain,
où il est maintenu en permanence dans une cellule d'à peine 3 m sur 2, avec
de 9 à 12 codétenus, surpeuplement à l'origine d'affrontements violents
entre les prisonniers. La cellule étant équipée d'un unique lit, l'auteur
dort à même le sol. Le seau en plastique qui sert de tinette pour tous les
détenus est vidé une seule fois par jour ce qui fait que de temps en temps
il déborde. La lucarne de 60 cm2 munie de barreaux qui est la seule source
d'aération est insuffisante. Le prisonnier est enfermé environ 23 heures
par jour dans sa cellule, sans la moindre possibilité d'étudier, de travailler
ou de lire. Le local qui sert de cuisine se trouvant à environ 2 mètres
de l'endroit où les prisonniers vident leurs tinettes, il y a un risque
sanitaire évident. L'auteur insiste sur le fait que la nourriture qui lui
est donnée n'est pas adéquate au regard de ses besoins.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur se plaint essentiellement de retards excessifs dans la procédure
judiciaire et des conditions d'incarcération qu'il endure depuis son arrestation.
3.2 Pour ce qui est du premier grief, l'auteur fait valoir qu'il y a eu
violation du paragraphe 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 c de
l'article 14 du Pacte parce qu'il s'est écoulé 22 mois avant qu'il ne passe
en jugement, c'est-à-dire entre son arrestation, le 21 septembre 1988 –
qui était le jour même où le meurtre dont il a été ensuite reconnu coupable
a été commis – et l'ouverture du procès, le 23 juillet 1990. Il affirme
que la police n'a fait quasiment aucune enquête sur cette affaire.
3.3 L'auteur cite les constatations du Comité dans les affaires Celiberti
de Casariego c. Uruguay, Millan Sequeira c. Uruguay
et Pinkney c. Canada (3), dans lesquelles le Comité
a estimé que des durées avant jugement comparables constituaient une violation
du Pacte. Rappelant l'affaire Pratt and Morgan v. Attorney-General
of Jamaica (4), l'auteur fait valoir que l'État a la responsabilité
d'éviter une telle lenteur dans la justice pénale et que dans son cas il
a une responsabilité certaine. La longueur de la procédure est d'autant
plus grave que la police n'avait que peu d'enquête à mener puisqu'un seul
témoin oculaire avait apporté un témoignage direct et trois autres témoins
avaient apporté des éléments de preuve indirects. La seule expertise médico-légale
apportée au procès consistait en un rapport d'autopsie et en une attestation
d'analyse d'échantillon sanguin.
3.4 L'auteur se plaint aussi de violations des paragraphes 1, 3 c
et 5 de l'article 14 du Pacte en raison des quatre années et plus de sept
mois écoulés entre le moment où la cour d'appel a examiné sa demande de
recours et la date où elle l'a rejetée, ce qui est qualifié de délai déraisonnable.
L'auteur cite diverses affaires où le Comité a estimé que des durées comparables
(et même plus courtes) étaient incompatibles avec le Pacte (5). L'auteur
affirme que toutes sortes de démarches ont été faites auprès du greffier
de la cour d'appel, de l'Attorney-General et du Ministère de la sécurité
nationale ainsi que du médiateur. Quand l'appel a enfin été examiné il n'avait
toujours pas reçu les pièces qu'il avait demandées: les copies des dépositions,
des preuves écrites et du récapitulatif final du juge de première instance.
L'auteur affirme que pour évaluer si la longueur de la procédure a été raisonnable,
il faut tenir compte du fait qu'il était condamné à mort et qu'il était
incarcéré dans des conditions inacceptables.
3.5 La deuxième partie de la plainte porte sur les conditions dans lesquelles
l'auteur a été incarcéré avant le jugement et après sa condamnation, et
dans lesquelles il se trouve actuellement, maintenant que la peine a été
commuée, et qui sont décrites plus haut. D'après l'auteur, les conditions
de détention ont été condamnées à maintes reprises par des organisations
internationales de défense des droits de l'homme qui les ont considérées
comme incompatibles avec les normes de protection minimales internationalement
reconnues (6). L'auteur ajoute que depuis que sa peine a été commuée,
il reste incarcéré dans des conditions manifestement contraires à diverses
règles pénitentiaires nationales et à l'Ensemble de règles minima des Nations
Unies pour le traitement des détenus (7).
3.6 En se fondant sur les Observations générales 7 et 9 du Comité, relatives
à l'article 7 et à l'article 10 (8), et sur plusieurs affaires dans
lesquelles le Comité a considéré que les conditions de détention constituaient
une violation du Pacte (9), l'auteur fait valoir que les conditions
dans lesquelles il a été incarcéré à chaque stade de la procédure enfreignaient
les normes minimales intangibles en matière de conditions de détention (minimum
que les États parties doivent assurer quel que ce soit leur niveau de développement)
et constituent donc une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article
10. L'auteur se réfère plus particulièrement à l'affaire Estrella
c. Uruguay (10), dans laquelle, pour déterminer si
l'intéressé était victime d'un traitement inhumain dans la prison Libertad,
le Comité s'était fondé en partie sur d'autres communications qu'il avait
examinées et qui confirmaient que dans cette prison «les détenus sont systématiquement
soumis à de mauvais traitements». Dans l'affaire Neptune c. Trinité-et-Tobago
(11), le Comité avait estimé que les conditions – très
semblables à celles qui sont décrites dans la présente affaire – étaient
incompatibles avec le paragraphe 1 de l'article 10 et avait demandé à l'État
partie de prendre des mesures pour améliorer les conditions générales de
détention, de façon à éviter que de pareilles violations ne se produisent
à l'avenir. Pour étayer ses arguments concernant la violation de l'article
7 et du paragraphe 1 de l'article 10, l'auteur renvoie à diverses décisions
de la jurisprudence internationale établissant que des conditions de détention
excessivement dures constituent un traitement inhumain (12).
3.7 Enfin, l'auteur fait valoir qu'il y a violation du paragraphe 1 de
l'article 14 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l'article
2, parce qu'il n'a pas eu accès aux tribunaux. Il fait valoir que le droit
de présenter une requête constitutionnelle n'est pas un recours utile dans
son cas, en raison du coût prohibitif de la procédure qu'il faut engager
devant la juridiction supérieure pour obtenir réparation constitutionnelle,
de l'absence d'aide juridictionnelle pour le dépôt des requêtes constitutionnelles
et du manque notoire d'avocats trinidadiens qui acceptent de représenter
gratuitement les condamnés qui veulent former ce recours. L'auteur cite
l'affaire Champagnie et consorts c. Jamaïque (13) dans
laquelle le Comité a estimé qu'en l'absence d'aide juridictionnelle, une
requête constitutionnelle n'était pas un recours utile pour l'auteur de
la communication, qui était dans l'indigence. L'auteur cite des décisions
de la Cour européenne des droits de l'homme (14) pour montrer
que l'exercice effectif du droit d'accès aux tribunaux peut exiger que l'aide
juridictionnelle soit assurée aux indigents. L'auteur fait valoir que l'aide
est d'autant plus nécessaire dans le cas d'une condamnation à mort et donc
que l'absence d'aide juridictionnelle pour déposer la requête constitutionnelle
constitue en soi une violation du Pacte.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1 Dans sa réponse datée du 6 septembre 1999, l'État partie conteste à
la fois la recevabilité et le bien-fondé de la communication. En ce qui
concerne la durée écoulée entre l'arrestation et le procès et entre le dépôt
de la demande de recours et l'examen du recours par la cour d'appel, qui
serait incompatible avec le paragraphe 3 de l'article 9 et avec les paragraphes
3 c et 5 de l'article 14 du Pacte, l'État partie fait valoir qu'avant
d'adresser sa communication, l'auteur n'a jamais cherché à contester cet
aspect de l'affaire. Étant donné ce dont se plaint l'auteur, s'il considérait
qu'il y avait violation de ses droits, il le savait au plus tard au moment
du procès; or, il n'a pas soulevé la question à ce moment-là ni en appel.
L'État partie fait valoir qu'on ne devrait pas laisser les plaignants rester
silencieux sur leurs droits pendant des années, et ensuite présenter au
Comité une communication en prétendant qu'il y a eu violation de leurs droits.
Par conséquent, il n'est pas déraisonnable de demander que les personnes
qui se plaignent d'une violation de leurs droits cherchent à obtenir réparation
soit en formant le recours constitutionnel soit en s'adressant au Comité
au moment où la violation alléguée se produit et non pas des années plus
tard; cette partie de la communication devrait donc être déclarée irrecevable.
4.2 En ce qui concerne le fond de la plainte relative au délai écoulé, l'État
partie répond que ce délai n'était pas déraisonnable à l'époque des faits,
car c'était dans les années suivant immédiatement une tentative de coup
d'État. L'augmentation de la criminalité faisait qu'à cette époque les tribunaux
étaient engorgés et que les affaires s'accumulaient. Les difficultés rencontrées
pour établir des dossiers judiciaires complets et précis avaient entraîné
des retards dans l'ouverture des procès par les juridictions de jugement
aussi bien que par les juridictions d'appel. L'État partie affirme qu'il
a apporté des réformes dans la procédure pénale devant permettre d'éviter
de tels retards, par exemple en nommant de nouveaux magistrats pour les
juridictions du premier comme du second degré. Une augmentation des ressources
financières et matérielles, en particulier des moyens informatiques de transcription,
ont permis aux tribunaux de traiter les recours dans l'année qui suit la
condamnation. Le Comité devrait tenir compte de ces améliorations.
4.3 En ce qui concerne les conditions pénitentiaires, qui seraient contraires
à l'article 7 et au paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte, l'État partie
conteste que les conditions dans lesquelles l'auteur était incarcéré quand
il était dans le quartier des condamnés à mort et dans lesquelles il est
actuellement détenu constituent une violation du Pacte (15).
L'État partie rappelle que d'autres personnes condamnées et incarcérées
dans la même prison ont fait des allégations au sujet des conditions qui
règnent dans la même prison, que les tribunaux nationaux ont jugées acceptables
et sur lesquelles le Comité n'a pas pu se prononcer, estimant que les renseignements
dont il disposait ne permettaient pas d'établir qu'il y avait eu violation
(16). Dans l'affaire Thomas c. Baptiste (17),
le Conseil privé avait estimé que des conditions carcérales inacceptables,
qui étaient contraires aux règlements pénitentiaires, n'étaient pas telles
qu'elles constituaient un traitement inhumain, et avait accepté la décision
de la cour d'appel qui avait statué dans ce sens. L'État partie avance que
ces diverses conclusions des juridictions nationales, du Conseil privé et
du Comité devraient avoir plus de poids que les allégations générales et
non étayées faites par l'auteur.
4.4 Pour ce qui est de la violation du droit d'accès aux tribunaux, consacré
au paragraphe 1 de l'article 14, l'État partie nie qu'il soit impossible
de s'adresser aux tribunaux en déposant la requête constitutionnelle pour
obtenir réparation en cas de violation de droits fondamentaux. Dix-neuf
condamnés ont déposé des requêtes constitutionnelles et il est donc inexact
et fallacieux d'affirmer qu'il y a violation du paragraphe 1 de l'article
14 du Pacte.
Commentaires de l'auteur sur les observations de l'État partie
5.1 Dans une lettre datée du 19 novembre 1999, l'auteur répond aux observations
de l'État partie. En ce qui concerne la lenteur de la procédure, l'auteur
relève une contradiction dans la réponse de l'État partie qui fait valoir
que les retards déraisonnables se sont produits en raison de problèmes généraux
dans l'administration de la justice pénale survenus au cours de cette période.
L'auteur estime que l'État partie a par cette réponse admis que la procédure
avait été prolongée de façon excessive car sinon il n'aurait pas été nécessaire
d'apporter des améliorations pour éviter une telle situation. L'auteur se
réfère aussi à la décision dans l'affaire Smart c. Trinité-et-Tobago
(18) dans laquelle le Comité a estimé qu'un intervalle supérieur
à deux ans entre l'arrestation et le jugement constituait une violation
du paragraphe 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 c de l'article
14.
5.2 L'auteur objecte qu'il ne pouvait pas soumettre plus tôt ses griefs
concernant l'intervalle écoulé entre l'arrestation et le jugement, parce
que ce n'est qu'avec le refus de l'autoriser à former recours opposé par
le Conseil privé le 10 octobre 1996 que tous les recours internes ont été
épuisés. L'auteur fait valoir qu'en tout état de cause il n'existe pas de
recours constitutionnel pour contester la durée excessive de la procédure,
le Conseil privé ayant estimé dans l'affaire DPP c. Tokay
(19) que la Constitution trinidadienne garantit bien le droit
à un procès équitable mais ne prévoit pas de droit à un procès sans délai
excessif ou dans des délais raisonnables.
5.3 Pour ce qui est des mauvaises conditions de détention, incompatibles
avec l'article 7 et le paragraphe 1 de l'article 10, l'auteur fait remarquer
que dans l'affaire Thomas c. Baptiste que l'État partie
cite pour étayer son argumentation, le Conseil privé a reconnu que les recourants
étaient entassés dans des cellules où régnait une odeur fétide et ne faisaient
pas d'exercice ou ne pouvaient prendre l'air pendant de longues périodes.
Quand ils faisaient de l'exercice en plein air, ils étaient menottés. À
la majorité de ses membres, le Conseil privé a considéré que ces conditions
étaient incompatibles avec les règles pénitentiaires et illégales sans nécessairement
constituer un traitement cruel et inhumain, précisant qu'un jugement de
valeur n'était pas possible car tout dépendait des conditions locales dans
les prisons et à l'extérieur. Il considérait que, bien que les conditions
décrites soient «totalement inacceptables dans une société civilisée», ce
ne serait pas servir la cause des droits de l'homme que de fixer des normes
si élevées qu'elles seraient constamment violées.
5.4 L'auteur fait observer que la majorité des membres du Conseil privé
ont pu accepter des normes moins élevées parce que les pays du tiers monde
ont souvent des conditions considérablement en deçà du minimum qui serait
acceptable dans les pays riches, mais que de son côté le Comité a insisté
sur le fait qu'un seuil minimum pour les conditions de détention devait
dans tous les cas être respecté, quel que soit le niveau de développement
du pays (20). L'auteur maintient par conséquent qu'une violation
fondamentale des normes minimales irréductibles reconnues dans les nations
civilisées représente bien un traitement cruel et inhumain.
5.5 En ce qui concerne le droit d'accès aux tribunaux, l'auteur s'appuie
sur la décision de recevabilité prise par le Comité dans l'affaire Smart
c. Trinité-et-Tobago (21) dans laquelle le Comité a estimé
qu'en l'absence d'aide judiciaire pour le dépôt d'un recours constitutionnel,
la motion ne pouvait pas être considérée comme un recours utile dans les
circonstances de l'affaire. L'auteur dit qu'il voudrait savoir, sur les
19 personnes qui ont déposé une requête constitutionnelle et dont l'État
partie fait mention, combien ont bénéficié de l'aide judiciaire (juridictionnelle)
étant donné que, d'après ce qu'il sait, la plupart étaient représentées
gratuitement (affaires qui n'étaient généralement pas défendues par des
avocats trinidadiens) (22).
Délibération du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Concernant les allégations de l'auteur touchant les lenteurs de la procédure,
le Comité note l'argument que fait valoir l'État partie, à savoir que les
recours internes n'ont pas été épuisés car i) la question des délais n'a
pas été soulevée au procès, ni en appel, et ii) l'auteur n'a pas présenté
de requête constitutionnelle. L'État partie n'a pas montré qu'en soulevant
la question des délais au procès ou en appel, l'auteur aurait bénéficié
d'un recours utile. En ce qui concerne l'argument de l'État partie qui objecte
que la requête constitutionnelle a été et est encore un recours disponible
pour l'auteur, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle, pour
qu'un recours soit utile dans le cas d'un indigent, il faut que l'aide juridictionnelle
soit assurée. Certes l'État partie a indiqué le nombre de prisonniers qui
ont engagé ce recours, mais il n'a pas montré que le recours pouvait être
exercé par l'auteur de la communication, étant donné l'indigence dans laquelle
il dit se trouver. Quoi qu'il en soit, en ce qui concerne l'intervalle excessif
écoulé, le Comité note que, selon l'interprétation donnée par le Conseil
privé des dispositions constitutionnelles applicables, aucun recours constitutionnel
n'est offert pour une plainte de cette nature. Le Comité estime donc qu'il
n'est pas empêché, en vertu du paragraphe 2 b de l'article 5 du Protocole
facultatif, d'examiner la communication.
6.3 En ce qui concerne les allégations au sujet des mauvaises conditions
de détention incompatibles avec les articles 7 et 10, le Comité relève que
l'auteur a présenté des allégations précises et détaillées sur les conditions
d'incarcération. Au lieu de répondre aux diverses allégations, l'État partie
se borne à dire qu'elles ne sont pas étayées. Le Comité considère en l'espèce
que les éléments présentés par l'auteur sont suffisants pour étayer ces
plaintes, aux fins de la recevabilité.
7.1 Par conséquent, le Comité conclut que la communication est recevable
et procède à un examen du fond à la lumière de tous les renseignements portés
à sa connaissance par les deux parties, conformément au paragraphe 1 de
l'article 5 du Protocole facultatif.
7.2 Pour ce qui est de la durée excessive avant le procès, le Comité rappelle
que, selon sa jurisprudence, «une personne inculpée d'un crime grave, homicide
ou meurtre par exemple à qui la libération sous caution a été refusée par
le tribunal, doit être jugée aussi rapidement que possible» (23).
Dans le cas d'espèce, vu que l'auteur a été arrêté le jour même des faits,
inculpé de meurtre et placé en détention d'où il n'est plus sorti jusqu'au
jugement, et que les preuves directes étaient claires et ne nécessitaient
apparemment de la part de la police que des investigations limitées, le
Comité considère qu'il faut avancer des motifs sérieux pour justifier une
détention avant jugement de 22 mois. L'État partie n'évoque que des difficultés
générales et une situation d'instabilité faisant suite à une tentative de
coup d'État et reconnaît qu'il en est résulté des retards. Dans ces conditions,
le Comité conclut que les droits consacrés au paragraphe 3 de l'article
9 et au paragraphe 3 c de l'article 14 ont été violés.
7.3 Pour ce qui est de l'intervalle de quatre ans et huit mois écoulé entre
la condamnation et le jugement en appel, le Comité rappelle aussi sa jurisprudence,
estimant que les droits consacrés aux paragraphes 3 c et 5 de l'article
14, lus conjointement, confèrent un droit de faire réexaminer une décision
judiciaire sans retard (24). Dans l'affaire Johnson c. Jamaïque
(25), le Comité a établi qu'en l'absence de circonstances exceptionnelles,
un intervalle de quatre ans et trois mois était excessif. En l'espèce, l'État
partie a ici encore simplement évoqué la situation générale et a accepté
implicitement que la durée écoulée avant qu'une décision soit prise en appel
était excessive en expliquant les mesures adoptées pour garantir que les
causes en appel soient tranchées dans un délai d'un an. En conséquence,
le Comité constate une violation des paragraphes 3 c et 5 de l'article
14 du Pacte.
7.4 Pour ce qui est de la plainte de l'auteur relative aux conditions de
détention aux divers stades de son incarcération, qui constitueraient une
violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10, le Comité prend
note de l'argument général de l'État partie selon lequel les conditions
qui règnent dans les prisons du pays sont compatibles avec le Pacte. Cependant,
à défaut de réponse précise de l'État partie à propos des conditions de
détention décrites par l'auteur (26), le Comité se doit d'accorder
le crédit voulu aux allégations de celui-ci, qui n'ont pas été dûment réfutées.
Quant à savoir si les conditions dont il est donné description sont contraires
au Pacte, le Comité prend note des arguments de l'État partie selon lesquels
les tribunaux nationaux ont, à l'occasion d'autres affaires, jugé acceptables
les conditions qui règnent dans les prisons (27). Le Comité ne saurait
considérer que les décisions des tribunaux dans d'autres affaires répondent
aux plaintes expresses présentées par l'auteur dans la présente affaire.
Le Comité considère, comme il l'a fait à maintes reprises au sujet d'allégations
de même nature qui étaient étayées (28), que les conditions de détention
telles qu'elles sont décrites représentent une violation du droit de l'auteur
d'être traité avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à
l'être humain, et sont par conséquent contraires au paragraphe 1 de l'article
10 du Pacte. Compte tenu de cette conclusion touchant l'article 10, disposition
du Pacte qui traite spécifiquement de la situation des personnes privées
de liberté et englobe, s'agissant de ces personnes, les éléments énoncés
à l'article 7, il n'est pas nécessaire d'examiner séparément les plaintes
relevant de l'article 7.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est
saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l'article 9, du paragraphe
1 de l'article 10 et des paragraphes 3 c et 5 de l'article 14 du
Pacte.
9. En vertu du paragraphe 3 a de l'article 2 du Pacte, l'État partie
est tenu d'offrir à M. Sextus un recours utile, sous la forme d'une indemnisation
adéquate. L'État partie est également tenu d'améliorer les conditions de
détention de l'auteur, ou de le libérer.
10. En adhérant au Protocole facultatif l'État partie a reconnu que le Comité
avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte.
La communication a été adressée au Comité avant que la dénonciation par
la Trinité-et-Tobago du Protocole facultatif ne prenne effet – 27
juin 2000 –, conformément au paragraphe 2 de l'article 12 du Protocole
facultatif, les dispositions de cet instrument continuent d'être applicables
à l'État partie. Conformément à l'article 2 du Pacte, celui-ci s'est engagé
à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant
de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours
utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie. Le Comité souhaite
recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements
sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
_______________
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen de
cette communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein,
M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir
Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen,
M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Patrick Vella et M. Maxwell Yalden.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
Appendice
Opinion dissidente de Hipólito Solari Yrigoyen, membre du Comité,
jointe conformément à l'article 98 du règlement intérieur
Je formule une opinion dissidente concernant le paragraphe 9, qui devrait
à mon avis se lire comme suit :
«En vertu du paragraphe 3 c de l'article 2 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, l'État partie est tenu d'offrir
à M. Sextus un recours utile, sous la forme d'une indemnisation adéquate.
L'État partie a également l'obligation de libérer l'auteur.»
(Signé) Hipólito Solari Yrigoyen
[Fait en espagnol (version originale), et traduit en anglais et en français.
Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport
annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Notes
1. Le conseil tient ces renseignements de l'auteur, qui les lui a donnés
dans ses lettres ainsi que d'une visite qu'il a rendue personnellement à
l'auteur en prison en juillet 1996.
2. Ce jour-là après avoir entendu l'argumentation en faveur de l'auteur,
la cour d'appel a refusé l'autorisation de recours et a confirmé la condamnation
et la peine. Les motifs de la décision (20 pages) ont été rendus peu de
temps après, le 10 avril 1995.
3. Communications nos 56/1979, 6/1977 et 27/1978.
4. [1994] 2 AC 1 (Conseil privé).
5. L'auteur cite les communications n 27/1978 (Pinkney c. Canada),
n 283/1998 (Little c. Jamaïque), nos 210/1986 et 226/1987
(Pratt et Morgan c. Jamaïque), n 253/1987 (Kelly c.
Jamaïque), et no 523/1992 (Neptune c. Trinité-et-Tobago).
6. L'auteur renvoie à une étude générale des conditions qui règnent dans
la prison de Port of Spain et qui sont décrites dans un livre de Vivian
Stern intitulé Deprived of their Liberty (1990).
7. Pour évoquer la situation carcérale générale, l'auteur cite également
les propos – rapportés dans un journal daté du 5 mars 1995 –
du Secrétaire général de l'Association des personnels pénitentiaires, qui
a déclaré que les conditions sanitaires sont «tout à fait déplorables, inacceptables
et dangereuses pour la santé», ajoutant que les bas salaires et la propagation
des maladies graves contagieuses rendent le métier de surveillant pénitentiaire
extrêmement pénible.
8. Ces Observations générales ont été remplacées depuis par les Observations
générales 20 et 21.
9. Valentini de Bazzano c. Uruguay (n 5/1977), Buffo Carballal
c. Uruguay (n 33/1978), Sendic Antonaccio c. Uruguay
(n 63/1979), Gomez De Voituret c. Uruguay (n 109/1981), Wight
c. Madagascar (n 115/1982), Pinto c. Trinité-et-Tobago
(n 232/1987), Mukong c. Cameroun (n 458/1991).
10. Communication n 27/1980.
11. Communication n 523/1992. Les conditions pénitentiaires qui étaient
décrites (et que l'État partie n'a pas contestées) étaient les mêmes: une
cellule d'environ trois mètres sur deux avec six ou parfois neuf autres
prisonniers, trois lits, pas d'éclairage, une demi-heure d'exercice toutes
les deux ou trois semaines et une nourriture immangeable.
12. Décision de la Cour européenne: affaire concernant la Grèce 12 YB 1
(1969) et Chypre c. Turquie (requêtes nos 6780/74 et 6950/75);
Cour suprême du Zimbabwe: Conjwayo v. Minister of Justice,
Legal and Parliamentary Affairs et al (1992) 2 SA 56, Gubbay CJ pour
la Cour.
13. Communication n 445/1991, déclarée recevable le 18 mars 1993.
14. Golder c. Royaume-Uni [1975] 1 EHRR 524 et Airey
c. Irlande [1979] 2 EHRR 305. L'auteur cite également les constatations
du Comité dans l'affaire Currie c. Jamaïque (communication
n 377/1989) où le Comité a estimé que quand les intérêts de la justice l'exigent,
un condamné qui veut déposer une requête constitutionnelle pour irrégularité
dans un procès pénal devrait pouvoir bénéficier de l'aide juridictionnelle.
15. L'État partie ne fait pas mention des conditions pendant la détention
avant jugement.
16. Voir l'opinion de la majorité des membres du Comité dans l'affaire
Chadee c. Trinité-et-Tobago (communication n 813/1998).
17. [1999] 3 WLR 249.
18. Communication n 672/1995.
19. [1996] 3 WLR 149.
20. Mukong c. Cameroun (communication no 458/1991). L'opinion
dissidente de Lord Steyn dans l'affaire Thomas & Hilaire
va dans le même sens.
21. Communication déjà citée.
22. L'auteur affirme que dans le cas où la peine de mort a été prononcée,
les condamnés bénéficient d'une représentation judiciaire gratuite.
23. Barroso c. Panama (communication n 473/1991, par. 8.5).
24. Lubuto c. Zambia (communication n 390/1990) et Neptune
c. Trinité-et-Tobago (communication n 523/1992).
25. Communication n 588/1994.
26. Dans l'affaire Chadee c. Trinité-et-Tobago (communication
n 813/1998) à laquelle se réfère l'État partie, l'État partie a fourni des
données de fait et le Comité, à la majorité, n'a pas été finalement en mesure
d'établir qu'il y avait eu violation.
27. Il s'agissait dans ces affaires de l'interprétation d'une disposition
de la Constitution conçue en des termes analogues à l'article 7 du Pacte
qui pourrait avoir des incidences sur l'analyse des plaintes présentées
en l'espèce au titre de l'article 7 uniquement, et non au regard de la norme
énoncée à l'article 10, qui est différente.
28. Voir par exemple Kelly c. Jamaïque (communication n 253/1987)
et Taylor c. Jamaïque (communication n 707/1996).