Convention Abbreviation: CCPR
Quatre-vingt-troisième session
14 mars - 1 avril 2005
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques*
- Quatre-vingt-troisième session -
Communication No. 823/1998
Au nom de: Les auteurs
État partie: République tchèque
Date de la communication: 4 décembre 1996 (lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 29 mars 2005,
Ayant achevé l'examen de la communication no 823/1998 présentée au nom de Rudolf Czernin en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
Rappel des faits
2.1 À la suite de l'occupation par les Allemands de la zone frontalière tchécoslovaque en 1939 et de la création du «protectorat», Eugen et Josefa Czernin, parents aujourd'hui décédés de l'auteur, sont automatiquement devenus citoyens allemands en vertu d'un décret allemand daté du 20 avril 1939. Après la Seconde Guerre mondiale, ils ont vu leurs biens confisqués au titre des décrets Benes no 12/1945 et no 108/1945, au motif qu'ils étaient citoyens allemands. Ils ont en outre été privés de leur citoyenneté tchécoslovaque en application du décret Benes no 33/1945 du 2 août 1945, pour les mêmes raisons. Ce décret prévoyait cependant que les personnes satisfaisant à certains critères de loyauté envers la République tchécoslovaque (2) pouvaient demander à conserver la citoyenneté tchécoslovaque.
2.2 Le 13 novembre 1945, Eugen et Josefa Czernin ont demandé, dans le délai requis, à bénéficier de la disposition permettant de conserver la citoyenneté tchécoslovaque, conformément au décret présidentiel no 33/1945. Après avoir examiné leurs demandes, une commission d'enquête du Comité national du district de Jindříchův Hradec a conclu que Eugen Czernin avait apporté la preuve de son attitude antinazie». Le Comité national a alors transmis les demandes au Ministère de l'intérieur pour que celui-ci prenne une décision définitive. En décembre 1945, après avoir été libéré de prison, où il avait été soumis au travail forcé et aux interrogatoires des services secrets soviétiques GPU et NKVD, Eugen Czernin est parti s'installer en Autriche avec sa femme. Le Ministère n'a pas pris de décision sur leurs demandes, ni répondu à la lettre du 19 mars 1946 par laquelle Eugen Czernin exhortait les autorités à se prononcer sur leurs cas. Les deux dossiers contiennent une note de 1947 dans laquelle il est dit que les demandes doivent être considérées comme sans objet du fait que les intéressés ont volontairement émigré en Autriche; les deux dossiers ont été classés.
2.3 Après le changement de régime survenu en Tchécoslovaquie fin 1989, l'auteur, seul descendant et héritier d'Eugen et Josefa Czernin, a engagé une action aux fins d'obtenir la restitution de leurs biens, en vertu des lois no 87/1991 et no 243/1992. Selon lui, la principale condition nécessaire pour obtenir cette restitution est que ses parents aient eu la citoyenneté tchécoslovaque après la guerre.
2.4 Le 19 janvier et le 9 mai 1995, respectivement, l'auteur a sollicité la reprise des procédures engagées par ses parents en vue de conserver leur citoyenneté tchécoslovaque. S'agissant d'Eugen Czernin, le bureau du district de Jindříchův Hradec a répondu à l'auteur, le 27 janvier 1995, que la procédure ne pouvait être reprise parce que l'affaire avait été définitivement réglée par application de la loi no 34/1953; ce texte accordait la citoyenneté tchécoslovaque aux citoyens allemands qui l'avaient perdue en application du décret no 33/1945 mais qui étaient domiciliés en République tchécoslovaque. (3) Dans une lettre datée du 13 février 1995, l'auteur a insisté pour qu'une décision soit prise sur sa demande de réouverture des procédures. Dans un courrier en date du 22 février 1995, les autorités l'ont informé qu'il n'était pas possible de traiter la demande de citoyenneté d'une personne décédée et que l'affaire était considérée comme classée. Le 3 mars 1995, l'auteur a écrit au Ministère de l'intérieur en lui demandant de se prononcer sur son cas. Après que le Ministère l'eut informé que la lettre ne lui était pas parvenue, l'auteur a renouvelé sa demande le 13 octobre 1995. Les 24 et 31 janvier 1996, il a de nouveau écrit au Ministère de l'intérieur. Entre-temps, au cours d'un entretien, le Ministre de l'intérieur a déclaré au second auteur qu'il existait des raisons non seulement juridiques mais également politiques et personnelles de ne donner aucune suite à cette affaire, et que «dans tout autre cas [que le sien], ce genre de demande relative à la nationalité aurait reçu une réponse favorable dans les deux jours». Le Ministre a également promis de convoquer une commission ad hoc formée de juristes indépendants, qui consulterait les avocats de l'auteur, mais cette commission ne s'est jamais réunie.
2.5 Le 22 février 1996, le Ministre de l'intérieur a écrit à l'auteur qu'«une décision défavorable a[vait] été rendue au sujet de [sa] demande». Le 8 mars 1996, l'auteur a attaqué la teneur de cette lettre devant le Ministère de l'intérieur. Dans une lettre datée du 24 avril 1996, le Ministère lui a répondu que la lettre du Ministre ne constituait pas une décision au sens de l'article 47 de la loi no 71/1967 relative aux procédures administratives et qu'il n'était pas possible de faire appel d'une décision inexistante. Le jour même, l'auteur a porté la teneur de la lettre du Ministre devant la Cour suprême. Celle-ci a conclu le 16 juillet 1996 que la lettre ne constituait pas une décision d'un organe administratif, que l'absence d'une telle décision faisait irrémédiablement obstacle à la procédure, et que le droit administratif interne ne permettait pas aux tribunaux d'intervenir pour remédier à l'inaction d'un organisme public.
2.6 Après avoir formé en vain un autre recours auprès du Ministère de l'intérieur, l'auteur a saisi la Cour constitutionnelle pour déni de justice. Dans un arrêt en date du 25 septembre 1997, la Cour a ordonné au Ministère de l'intérieur de mettre un terme à son inaction au motif que celle-ci portait atteinte aux droits du plaignant. À la suite de cette décision, l'auteur a retiré la communication qu'il avait présentée au Comité des droits de l'homme.
2.7 L'auteur affirme que le bureau du district de Jindříchův Hradec (ci-après dénommé le «bureau du district»), dans une décision du 6 mars 1998, a réinterprété la teneur de sa demande, la qualifiant arbitrairement de demande de certificat de citoyenneté. Le bureau du district a rejeté cette demande au motif que Eugen Czernin n'avait pas demandé à recouvrer la citoyenneté tchèque dont il avait été privé, la loi de 1993 sur la citoyenneté exigeant en effet, pour toute décision favorable à cet égard, qu'une procédure de citoyenneté ait préalablement abouti. Le bureau du district n'a pas traité la requête initiale de l'auteur, qui demandait la reprise des procédures engagées par ses parents pour conserver leur nationalité. À la suite de cette décision, l'auteur a mis à jour sa communication et l'a soumise de nouveau au Comité en mars 1998.
2.8 Le 28 juillet 1998, l'auteur a fait savoir au Comité que, le 17 juin 1998, le Ministre de l'intérieur avait confirmé la décision rendue le 6 mars 1998 par le bureau du district. En août 1998, l'auteur a demandé un réexamen judiciaire de l'affaire par la Haute Cour de Prague et a également saisi la Cour constitutionnelle. Celle-ci a rejeté sa demande le 18 novembre 1998 au motif que les voies de recours ouvertes n'avaient pas été épuisées, l'affaire étant toujours en instance devant la Haute Cour de Prague.
2.9 Le 29 septembre 1998, l'auteur a informé le Comité que, ce même jour, le bureau du district no 1 de Prague avait répondu par la négative à la demande présentée par Josefa Czernin aux fins de conserver sa nationalité.
2.10 En ce qui concerne l'obligation d'épuiser les recours internes, l'auteur rappelle que les demandes présentées aux fins de conserver la nationalité datent de novembre 1945, et que c'est en janvier 1995 que l'on a cherché à rouvrir les procédures pour les mener à bien. Il estime par conséquent que ces procédures ont excédé des délais raisonnables. Dans la mise à jour de sa communication, en 1998, l'auteur affirme que la décision rendue par le bureau du district n'est pas «une décision sur sa demande». Il fait valoir que les recours restants sont vains, puisque la décision du bureau du district est contraire à l'esprit de celle de la Cour constitutionnelle, et que la Cour suprême ne pourrait qu'infirmer une décision du bureau du district, sans trancher définitivement la question. Par conséquent, en exerçant les recours offerts, l'auteur ne ferait qu'attaquer sans cesse des décisions pour satisfaire à des conditions de pure forme, sans jamais obtenir qu'une décision soit prise sur le fond de sa demande.
2.11 L'auteur assure que la même question n'est pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur invoque une violation de son droit à une égale protection de la loi sans discrimination ainsi que de son droit à une procédure régulière.
3.2 L'auteur affirme être victime d'une violation de l'article 26 du Pacte, rappelant que ses parents et lui-même ont été privés de leur droit à une égale protection de la loi sans discrimination, non seulement en raison d'une application inégale de la loi mais également du fait d'une inégalité inhérente à la loi elle-même, qui ne lui permet pas d'engager une action pour négligence contre les autorités. La discrimination tient au fait que les autorités n'ont pas rendu de décision sur leurs demandes, alors même que celles-ci satisfaisaient aux conditions de forme et de fond requises par le décret no 33/1945. L'auteur fait également valoir que le droit interne ne lui offre pas de recours contre l'inaction des autorités et qu'il est privé de la possibilité de faire respecter ses droits. Il affirme que les personnes dont la demande a fait l'objet d'une décision disposent d'un recours, alors que lui n'en a pas, ce qui équivaut selon lui à une forme de discrimination contraire à l'article 26.
3.3 L'auteur affirme être victime d'une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, du fait que les autorités, en restant inactives face à sa demande de réouverture des procédures engagées par ses parents pour conserver leur nationalité, n'ont pas permis que «sa cause soit entendue équitablement … par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi»; l'auteur soutient également que la procédure administrative le concernant a été excessivement lente.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond de la communication
4.1 Le 3 février 1999, l'État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité de la communication, puis, le 10 août 1999, de ses observations sur le fond. Il affirme que les auteurs n'ont pas épuisé les recours internes et que leurs griefs de violation des articles 14, paragraphe 1, et 26 sont manifestement dénués de fondement.
4.2 L'État partie souligne qu'après que la Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 25 septembre 1997, eut fait droit à la demande de l'auteur et ordonné aux autorités de mettre un terme à leur inaction continue, le bureau du district de Jindříchův Hradec a examiné l'affaire et rendu une décision le 6 mars 1998. Le 17 juin 1998, le Ministère de l'intérieur s'est prononcé sur le recours formé contre cette décision. Le 5 août 1998, l'auteur a contesté la décision du Ministère devant la Haute Cour de Prague. Cette procédure suivant toujours son cours au moment où l'État partie a soumis ses observations, les recours internes n'ont donc pas été épuisés. L'État partie fait valoir que la dérogation qui peut être faite à la règle de l'épuisement des recours internes en cas de prolongement des procédures au-delà de délais raisonnables ne s'applique pas en l'espèce; il estime en effet que, compte tenu des dates des décisions susmentionnées et de la complexité de l'affaire et des recherches qu'elle exige, les procédures de recours internes n'ont pas excédé des délais raisonnables. L'État partie ajoute qu'en ce qui concerne l'utilité de ces recours, l'auteur ne saurait préjuger de l'issue de son action, et que dans la pratique, lorsqu'un tribunal conclut que l'avis juridique d'une autorité administrative est erroné, la décision du Ministère de l'intérieur contestée est infirmée. L'État partie rappelle qu'en vertu du paragraphe 3 de l'article 250 j) du Code de procédure civile tchèque, les conclusions juridiques d'un tribunal sont contraignantes pour les autorités administratives.
4.3 L'État partie soutient que le grief de violation de l'article 26 du Pacte est manifestement infondé, puisque l'auteur n'a pas étayé sa plainte ni fait valoir le moindre fait ou élément de preuve démontrant l'existence d'une quelconque forme de discrimination visée à l'article 26. L'État partie ajoute que l'auteur n'a pas invoqué l'interdiction de la discrimination et l'égalité des droits devant les juridictions internes, de sorte qu'il n'a pas épuisé les recours internes à cet égard.
4.4 En ce qui concerne le non-respect présumé du paragraphe 1 de l'article 14, l'État partie admet que l'auteur était fondé à invoquer une violation de son droit à un procès équitable au moment de sa demande initiale. Il fait cependant valoir qu'après que la Cour constitutionnelle eut statué le 25 septembre 1997, le bureau du district a rendu le 6 mars 1998 une décision administrative qui était conforme à l'arrêt de la Cour constitutionnelle, et qui donnait pleinement effet au droit de l'auteur à un procès équitable. Renvoyant aux dates des décisions susmentionnées, l'État partie ajoute qu'il n'y a pas eu de retard excessif. Il considère par conséquent que le grief de violation du paragraphe 1 de l'article 14 formulé dans la communication est manifestement infondé. Il énumère la liste des voies de recours qui sont ouvertes aux auteurs si ceux-ci estiment que la durée de la procédure a été excessive. L'auteur aurait pu saisir le Ministère de l'intérieur ou le Président de la Haute Cour. Une autre voie de recours possible était la requête en inconstitutionnalité. L'État partie indique qu'il doit être répondu à toute demande dans les deux mois à compter de la date à laquelle elle est transmise à l'administration compétente. Il rappelle que l'auteur n'a pas fait usage de ces moyens et n'a donc pas épuisé les voies de recours internes.
Commentaires des auteurs sur les observations de l'État partie
5.1 Les 19 novembre 1999, 25 juin 2002 et 29 janvier, 25 février, 16 et 22 décembre 2004, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l'État partie et ont informé le Comité de l'avancement des actions engagées devant les juridictions tchèques. L'auteur maintient que la décision du bureau du district en date du 6 mars 1998 a été prise pour satisfaire dans les formes aux obligations énoncées par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 25 septembre 1997. Il soutient que les autorités ont réinterprété, de manière arbitraire et contre son gré, la requête par laquelle il demandait la réouverture des procédures engagées par ses parents pour conserver leur nationalité; considérant cette requête comme une demande de vérification de citoyenneté, elles l'ont examinée à la lumière des lois de l'État partie relatives à la citoyenneté, alors que c'est le décret no 33/1945 qui était applicable. L'auteur affirme que les mécanismes d'appel ont confirmé cette décision, sans examiner plus avant la question et sans motiver leur décision. À son sens, le fait qu'un organe administratif ait réinterprété sa demande, arbitrairement et proprio motu, et sans l'en informer au préalable, et qu'il ne se soit donc pas prononcé sur sa demande initiale, constitue une violation de son droit à une procédure régulière et de son droit à faire entendre sa cause en vue d'obtenir une décision, droits qui sont protégés par l'article 14.
5.2 En ce qui concerne la mère de l'auteur, les autorités municipales de Prague ont conclu, le 6 janvier 1999, qu'«à la date de son décès, Josefa Czernin était citoyenne de la République tchécoslovaque». L'auteur fait observer que, dans le cas de sa mère, les autorités ont fait droit à la demande sans difficulté, contrairement à ce qui s'est passé pour son père, alors que les éléments de preuve produits étaient bien plus ténus. L'auteur avance que cette inégalité de traitement entre ses parents peut s'expliquer par le fait que sa mère possédait des biens beaucoup moins importants que ceux de son père, dont la plupart sont aujourd'hui propriété de l'État.
5.3 Le 19 octobre 2000, la Haute Cour de Prague a infirmé la décision rendue le 17 juin 1998 par le Ministère de l'intérieur, concluant que le texte de référence en l'espèce était le décret no 33/1945 et que la décision querellée était non seulement illégale mais également contraire à l'arrêt juridiquement contraignant de la Cour suprême et qu'elle bafouait en outre des règles fondamentales de procédure.
5.4 L'affaire a été renvoyée devant le Ministère de l'intérieur pour un nouvel examen. Le 31 mai 2002, le Ministère a conclu que Eugen Czernin, membre du groupe ethnique allemand, n'avait pas fait valoir des «motifs exonératoires» suffisants, conformément au décret no 33/1945, et que «par conséquent, il avait perdu la citoyenneté tchécoslovaque». L'auteur a fait appel de cette décision, mais elle a été confirmée par le Ministre de l'intérieur le 1er janvier 2003. Il a alors saisi le tribunal municipal de Prague, lequel a infirmé la décision le 5 mai 2004, concluant que le Ministre, dans sa décision du 1er janvier 2003, de même que le Ministère, dans sa décision du 31 mai 2002, avaient tranché la question «sans l'argumentation requise», de manière arbitraire, et sans examiner les éléments de preuve produits par le père de l'auteur. L'affaire a alors été renvoyée devant le Ministère de l'intérieur pour un troisième examen, qui est actuellement en cours.
5.5 Dans tous ses commentaires, l'auteur répète que les autorités, qui l'obligent à repasser continuellement par les mêmes étapes d'appel, en principe ad infinitum, ne veulent pas traiter l'affaire le concernant et font traîner la procédure à dessein. Il invoque la situation visée au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif, à savoir des procédures «excédant des délais raisonnables».
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité a établi que la même question n'était pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement, conformément au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.3 En ce qui concerne l'obligation d'épuisement des recours internes, le Comité note que l'État partie a contesté la recevabilité de la communication en termes généraux. Il relève également que la demande de l'auteur est actuellement pendante devant le Ministère de l'intérieur, et que ce dernier l'a examinée deux fois en quatre ans, depuis que la Cour constitutionnelle, dans son arrêt de septembre 1997, l'a enjoint de mettre un terme à son inaction continue. Les deux décisions rendues en l'affaire par le Ministère de l'intérieur ont été infirmées, respectivement, par la Haute Cour de Prague et par le tribunal municipal de Prague, avant d'être renvoyées pour un nouvel examen devant ce même ministère. Le Comité est d'avis, eu égard au fait que le Ministère de l'intérieur n'a pas respecté les décisions applicables des tribunaux, qu'un troisième examen de la demande par le même organe n'offrirait pas à l'auteur une possibilité raisonnable d'obtenir réparation et ne saurait donc constituer un recours utile qu'il lui faudrait épuiser pour satisfaire aux dispositions du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.4 Le Comité estime en outre que les procédures engagées par le second auteur et par feu son père ont été considérablement prolongées, s'étendant sur une période de 10 ans, et que l'on peut par conséquent considérer qu'elles «excèdent des délais raisonnables» au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif. Le Comité ne pense pas que ces délais soient imputables au second auteur ou à feu son père.
6.5 S'agissant de l'argument de l'État partie qui affirme que les auteurs n'ont pas épuisé les recours internes en ce qui concerne le grief de discrimination, le Comité rappelle que les auteurs n'ont pas invoqué la question précise de la non-discrimination devant les juridictions tchèques; ils n'ont donc pas épuisé les recours internes à cet égard. Le Comité en conclut que cette partie de la communication est irrecevable au titre du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.6 S'agissant du grief formulé par l'auteur selon lequel il aurait été victime d'une application inégale de la loi en violation de l'article 26, le Comité estime que ce grief peut soulever des questions sur le fond.
6.7 En ce qui concerne la violation présumée du droit des auteurs à ce que leur cause soit entendue équitablement, conformément au paragraphe 1 de l'article 14, le Comité relève que les auteurs contestent non pas les procédures engagées devant les tribunaux mais la non-application de décisions judiciaires par les autorités administratives. Il rappelle que l'expression «ses droits et obligations de caractère civil», qui figure au paragraphe 1 de l'article 14, s'applique aux litiges relatifs aux droits de propriété. Le Comité estime qu'aux fins de la recevabilité l'auteur a suffisamment étayé sa thèse, à savoir que la réinterprétation, par les autorités administratives tchèques, de sa demande et des lois applicables, ainsi que le temps excessif mis pour prendre une décision finale et le non-respect des décisions judiciaires par les autorités peuvent soulever des questions au titre du paragraphe 1 de l'article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l'article 2. Le Comité conclut que ce grief doit être examiné au fond.
Examen au fond
7.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations reçues, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
7.2 Le Comité doit principalement déterminer si les autorités administratives (le bureau du district de Jindříchův Hradec et le Ministère de l'intérieur) ont agi d'une manière portant atteinte au droit des auteurs à ce que leur cause soit entendue équitablement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, conformément au paragraphe 1 de l'article 14, compte tenu du droit à un recours utile, tel que garanti au paragraphe 3 de l'article 2.
7.3 Le Comité prend note des arguments des auteurs, qui affirment que le bureau du district et le Ministère de l'intérieur, dans leurs décisions respectives du 6 mars et du 17 juin 1998, ont réinterprété arbitrairement la requête par laquelle était demandée la réouverture des procédures engagées aux fins de conserver la nationalité, et ont appliqué les lois de l'État partie relatives à la citoyenneté plutôt que le décret no 33/1945, sur lequel était fondée la demande initiale. Le Comité relève en outre que cette seconde décision a été infirmée par la Haute Cour de Prague, qui a renvoyé l'affaire pour un nouvel examen. Lorsqu'il a examiné la demande pour la deuxième fois, le Ministère de l'intérieur a appliqué le décret no 33/1945 et l'a rejetée.
7.4 Le Comité renvoie à sa jurisprudence, réaffirmant que l'interprétation et l'application du droit interne appartiennent au premier chef aux tribunaux et autorités de l'État partie. Toutefois, la personne qui poursuit une action en vertu du droit interne doit avoir accès à des recours utiles, ce qui suppose que les autorités administratives doivent se conformer aux décisions contraignantes des juridictions nationales, comme l'a admis l'État partie lui-même. Le Comité note que la décision du Ministère de l'intérieur en date du 31 mai 2002, ainsi que celle du même ministère qui l'a confirmée le 1er janvier 2003, ont toutes deux été infirmées par le tribunal municipal de Prague le 5 mai 2004. Selon les auteurs, le tribunal municipal a conclu que les autorités avaient pris les décisions en cause sans les motiver, de manière arbitraire, et sans examiner les éléments de preuve concrets produits par les demandeurs, notamment par le père de l'auteur, Eugen Czernin. Le Comité observe que l'État partie n'a pas contesté cette partie de l'exposé des faits par les auteurs.
7.5 Le Comité relève en outre que les auteurs, depuis qu'ils ont demandé la réouverture des procédures en 1995, n'ont cessé de se heurter à la frustration découlant du refus des autorités d'exécuter les décisions judiciaires applicables. Le Comité estime que l'inaction des autorités administratives et le retard excessif dans l'exécution des décisions judiciaires applicables constituent une violation du paragraphe 1 de l'article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l'article 2, qui garantit le droit à un recours utile.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif, est d'avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. En ce qui concerne la constatation ci-dessus, le Comité estime qu'il n'est pas nécessaire d'examiner le grief de violation de l'article 26 du Pacte.
9. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu de fournir à l'auteur un recours utile, notamment en obligeant ses autorités administratives à se conformer aux décisions judiciaires.
10. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
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[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]
** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Edwin Johnson, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Michael O'Flaherty, Mme Elisabeth Palm, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari-Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood et M. Roman Wieruszewski.
Une opinion individuelle signée de Mme Ruth Wedgwood est jointe au présent document.
Opinion individuelle de Mme Ruth Wedgwood
Dans quatre constatations concernant la République tchèque, le Comité a conclu que le droit à la propriété privée, en tant que tel, n'était pas protégé par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, mais les conditions de la restitution des biens ne devaient pas être indûment discriminatoires.
Dans la première des affaires examinées, Simunek c. République tchèque (communication no 516/1992), le Comité a invoqué la norme de l'«égale protection de la loi» telle qu'elle est énoncée à l'article 26 du Pacte. Le Comité a estimé qu'un État n'était pas habilité à imposer des conditions arbitraires pour la restitution de biens confisqués. En particulier, il a jugé que même des requérants qui n'étaient plus citoyens d'un État et des résidents permanents dans cet État devaient avoir la possibilité de recouvrer leurs biens − du moins lorsque l'ancien régime communiste qui était en place dans l'État partie était «responsable du départ» des requérants (voir les constatations du Comité concernant la communication no 516/1992, par. 11.6).
Le Comité s'est ultérieurement conformé à ces constatations, notamment dans les affaires Adam c. République tchèque (communication no 586/1994), Blazek et consorts c. République tchèque (communication no 857/1999) et Des Fours Walderode c. République tchèque (communication no 747/1997).
Un membre du Comité, M. Nisuke Ando, exprimant une opinion individuelle dans l'affaire Adam c. République tchèque (communication no 586/1994), a souligné à juste titre que, traditionnellement, le droit international privé autorisait les États à restreindre le droit de leurs citoyens à la propriété de biens immobiliers. Mais un régime totalitaire qui force ses opposants politiques à fuir constitue un cas particulier. Par ailleurs, la République tchèque n'exige nullement des nouveaux acheteurs de biens immobiliers qu'ils aient la nationalité tchèque ou qu'ils soient des résidents permanents.
C'est dans ce contexte que le Comité a été saisi de l'affaire Czernin c. République tchèque (communication no 823/1998). En l'espèce, le Comité s'est opposé à l'État partie non pas au motif qu'il y a eu déni du droit à l'égalité de traitement mais sur une question d'équité de la procédure concluant que les autorités administratives de l'État partie avaient «refusé d'appliquer les décisions pertinentes des tribunaux nationaux» concernant la restitution de biens.
Le père de l'auteur a quitté l'Autriche en décembre 1945, accompagné de sa femme, après avoir été interrogé en prison par les services secrets soviétiques (GPU et NKVD). En 1989, après la chute du régime communiste dans l'ex-Tchécoslovaquie, l'auteur en tant qu'unique héritier a réclamé la restitution des biens de son père puis a essayé, en 1995, de renouveler les demandes de conservation de la citoyenneté tchèque déposées par ses parents. Depuis lors, la Cour constitutionnelle tchèque, la Haute Cour de Prague et le tribunal municipal de Prague ont, chacun, critiqué le Ministère tchèque de l'intérieur pour ne pas avoir pris de décision au sujet de la demande de l'auteur, pour s'être fondé à tort sur la loi sur la citoyenneté de 1993 et, s'agissant de l'attitude antinazie présumée du père de l'auteur (qui était nécessaire pour la conservation de la citoyenneté tchèque en vertu du décret no 33/1945 adopté après la guerre par le Président Eduard Benes au sujet des personnes de souche allemande), pour avoir tranché la question sans l'argumentation requise.
Dans un sens le cas à l'examen est plus simple que les cas précédents dans la mesure où l'affaire porte sur la question de l'équité de la procédure plutôt que sur les limites de motifs de fonds légitimes. Il y a lieu de noter que les tribunaux de la République tchèque ont, en fin de compte, tenté d'assurer un recours utile aux auteurs dans l'examen de leurs griefs. On a déjà vu dans de nombreuses démocraties des organes administratifs se montrer réticents à parvenir à certaines conclusions, et la question qui se pose est celle de savoir s'il y a un recours dans le cadre du système en place lorsqu'une requête n'est pas traitée de manière impartiale par un organe de l'État partie. On ne saurait en déduire dans l'absolu comme règle que le fait que trois procédures d'appel successives n'aboutissent pas constitue la preuve qu'un requérant a été privé de son droit à une procédure équitable devant un tribunal compétent, indépendant et impartial d'autant plus que les juridictions d'appel de l'État partie ont agi pour récuser les motifs sur lesquels s'est fondé l'organe administratif concerné pour rejeter les demandes de l'auteur. Le Comité n'est pas d'avis que les procédures administratives entrent dans le champ d'application de l'article 14.
De même, le cas d'espèce est sans rapport avec le transfert forcé de la population sudète allemande après la guerre, mesure prise en riposte à l'utilisation abusive par les nazis, avec les résultats catastrophiques que l'on connaît, de l'idée de l'autodétermination allemande. Bien que les transferts de population ne seraient pas aussi facilement acceptés dans le cadre du droit moderne relatif aux droits de l'homme, même dans le contexte d'un règlement de paix, l'état de ruine dans lequel était l'Europe après la guerre avait conduit à une autre conclusion. L'auteur n'a pas non plus contesté − et le Comité ne met pas en question − l'autorité du décret présidentiel de 1945 en vertu duquel les personnes de souche allemande du pays des Sudètes qui souhaitaient rester en Tchécoslovaquie devaient apporter la preuve de leur opposition au régime fasciste allemand durant la guerre. Une nouvelle démocratie avec une économie émergente peut également se heurter à certaines difficultés pratiques si elle décide de tirer au clair des violations du droit à la propriété privée qui ont duré 50 ans. À tous ces égards, si l'État partie est tenu de respecter le Pacte, le Comité doit, lui, agir en étant conscient de ses limites.
(Signé) Ruth Wedgwood
1. La Tchécoslovaquie a ratifié le Pacte en décembre 1975 et le Protocole facultatif en mars 1991. La République fédérative tchèque et slovaque a cessé d'exister le 31 décembre 1992. Le 22 février 1993, la République tchèque a notifié sa succession au Pacte et au Protocole facultatif.
2. Le paragraphe 2 1) du décret no 33/1945 stipule que les personnes «qui peuvent démontrer qu'elles sont restées fidèles à la République tchécoslovaque, qu'elles n'ont jamais commis d'acte contraire aux intérêts des peuples tchèque et slovaque, et qu'elles ont activement participé à la lutte pour la libération ou souffert sous la terreur nationale-socialiste ou fasciste, conservent leur citoyenneté tchécoslovaque».
3. La loi no 34/1953 du 24 avril 1953 («De l'acquisition par certaines personnes des droits inhérents à la citoyenneté tchèque») dispose, au paragraphe 1.1, que «[l]es personnes de nationalité allemande qui ont perdu la jouissance des droits inhérents à la citoyenneté tchécoslovaque en application du décret no 33/1945, et qui sont domiciliées sur le territoire de la République tchécoslovaque à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, deviennent citoyens tchèques pour autant qu'elles n'aient pas déjà acquis les droits inhérents à la citoyenneté tchèque».