Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 17 mars 2003,
Ayant achevé l'examen de la communication no 896/1998 présentée
au nom de l'auteur en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et par l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication, datée du 14 avril 1997, est M. Kestutis Gelazauskas,
citoyen lituanien purgeant actuellement une peine de prison de 13 ans à la
maison centrale no 2 de Pravieniskes (République de Lituanie). Il affirme
être victime d'une violation par la Lituanie des paragraphes 1, 3 g) et 5
de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
(le Pacte). Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 4 mai 1994, l'auteur a été condamné, ainsi que son coaccusé, à 13
ans de prison pour le meurtre de M. Michailas Litvinenka, commis le 20 mars
1993. Selon le jugement, la victime a été assassinée à son domicile par
les deux accusés après avoir bu ensemble. La victime a été retrouvée dissimulée
dans son sofa et, selon les médecins légistes, le décès était dû à des coups
assénés sur le corps et à des coups de couteau portés aux yeux, au cœur
et aux poumons. Le corps de la victime portait 27 blessures et des traces
de tentative de lui scier une jambe. Plusieurs témoins ont affirmé que les
accusés leur avaient dit avoir tué la victime tous les deux. Les deux accusés
ont été reconnus coupables des faits reprochés et condamnés à la même peine
d'emprisonnement.
2.2 Des demandes de pourvoi en cassation ont été soumises à quatre reprises
au nom de l'auteur, mais le réexamen de son affaire a toujours été refusé.
Le 28 septembre 1995, la mère de l'auteur a présenté une demande de pourvoi
en cassation. (1) Le même jour, le conseil de l'auteur a également
présenté une demande de pourvoi en cassation, qui a été rejetée par le Président
de la Chambre criminelle de la Cour suprême le 8 décembre 1995. Le 2 avril
1996, le conseil de l'auteur a présenté une autre demande de pourvoi en
cassation, qui a été rejetée également par le Président de la Cour suprême.
Enfin, le 15 avril 1996, le conseil de l'auteur a présenté une dernière
demande de pourvoi qui a été rejetée le 12 juin 1996.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur allègue tout d'abord une violation du paragraphe 5 de l'article
14 du Pacte au motif qu'il n'a eu aucune possibilité de faire appel du jugement
du 4 mai 1994. Le tribunal de première instance a été en l'espèce la Cour
suprême, dont les jugements ne sont pas, en vertu du droit lituanien, susceptibles
d'appel. Pour un réexamen d'un tel jugement, il faut présenter une demande
de pourvoi en cassation devant la Cour suprême, la décision de réexamen
étant à l'entière discrétion du Président de la Cour suprême ou de celui
de la Chambre criminelle de la Cour suprême. Toutes les tentatives pour
faire aboutir pareille demande ont échoué.
3.2 L'auteur invoque également une violation du paragraphe 1 de l'article
14, parce que l'accusation n'a pas, à ses dires, prouvé qu'il avait l'intention
de commettre le délit ni qu'il avait un motif pour le faire et que la Cour
n'aurait pas mentionné cet aspect du crime dans le texte du jugement. L'auteur
estime donc avoir été reconnu coupable de meurtre avec préméditation de
manière illégale (2). L'auteur affirme également que l'accusation
n'a pas prouvé l'existence d'un lien de causalité entre les coups qui auraient
été portés par l'auteur et le décès de la victime. Selon l'auteur, la Cour
n'a pas établi la cause réelle de la mort. La déclaration de culpabilité
et le déroulement du procès n'auraient dès lors pas été équitables.
3.3 Enfin, l'auteur allègue une violation du paragraphe 3 g) de l'article
14 du Pacte car on l'aurait forcé à reconnaître, pendant l'enquête préliminaire,
qu'il avait frappé deux fois la victime. Dans une déposition ultérieure,
l'auteur a déclaré qu'il n'avait pas frappé la victime, que c'était son
coaccusé qui l'avait poignardée et qu'il avait aidé le coaccusé à se débarrasser
du corps. L'auteur prétend avoir avoué parce qu'il a été menacé, battu et
induit en erreur par le responsable de l'enquête, M. Degsnys, et que sa
mère, qui avait une relation intime avec ce dernier, a été utilisée pour
lui extorquer des aveux. D'après l'auteur, l'enquêteur a induit en erreur
sa mère en la convainquant d'écrire à l'auteur pour l'inciter à reconnaître
qu'il avait frappé la victime afin d'échapper à la peine de mort.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond de
la communication
4.1 Dans sa réponse du 21 décembre 1998, l'État partie a présenté ses observations
sur la recevabilité et le fond de la communication.
Allégation de violation du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte
4.2 Au sujet de l'allégation de violation du paragraphe 5 de l'article
14 du Pacte, l'État partie expose les possibilités d'appel dans la procédure
lituanienne car le système a fait l'objet d'une réforme quelques mois après
la condamnation de l'auteur.
4.3 Au moment de la condamnation, le système judiciaire en vigueur était
à deux degrés, avec les tribunaux locaux et la Cour suprême. Les deux degrés
de juridiction pouvaient fonctionner en tant que juridiction de première
instance et, conformément au Code de procédure pénale en vigueur à l'époque,
deux types de recours étaient possibles:
- Les décisions judiciaires n'ayant pas encore force exécutoire pouvaient
faire l'objet d'un pourvoi en cassation formé devant la Cour suprême dans
les sept jours suivant le prononcé du jugement. Les arrêts de la Cour suprême
rendus en première instance étaient toutefois des jugements définitifs non
susceptibles d'un pourvoi en cassation;
- Les jugements rendus par les tribunaux locaux et la Cour suprême, dès
qu'ils avaient force exécutoire, pouvaient être contestés par un pourvoi
en contrôle (supervisory protest) dans un délai d'un an. Seuls le
Président de la Cour suprême, le Procureur général et leurs adjoints avaient
le droit de former un tel recours. La personne condamnée ou son conseil
avait seulement le droit de leur soumettre une demande à cet effet. Si un
tel pourvoi était présenté, le «Présidium» de la Cour suprême examinait
l'affaire et statuait (rejet du pourvoi en contrôle, classement de l'affaire
et acquittement, renvoi de l'affaire en première instance ou autre décision).
4.4 Cette procédure a été applicable jusqu'au 1er janvier 1995. Mais, dans
l'affaire à l'examen, ni l'auteur ni son conseil n'ont demandé la présentation
d'un pourvoi en contrôle une fois la condamnation devenue exécutoire à l'égard
de l'auteur.
4.5 Le 1er janvier 1995, plusieurs nouveaux textes législatifs portant
réforme de la procédure lituanienne sont entrés en vigueur:
- La loi du 31 mai 1994 («nouvelle loi d'organisation judiciaire»), entrée
en vigueur le 1er juillet 1994, a remplacé le système judiciaire à deux
degrés par un système à quatre degrés (tribunaux de district, tribunaux
d'arrondissement, cour d'appel, Cour suprême);
- La loi du 15 juin 1994, entrée en vigueur le 1er juillet 1994, a porté
entrée en vigueur de la «nouvelle loi d'organisation judiciaire» et fixé
les compétences des tribunaux lituaniens durant la période de transition;
- La loi du 17 novembre 1994 prévoyait de nouvelles modalités d'appel des
décisions n'ayant pas encore force exécutoire et de pourvoi en cassation
pour les décisions devenues exécutoires.
4.6 Selon la loi du 15 juin 1994, la Cour suprême, à compter du 1er janvier
1995, a compétence pour examiner les pourvois en cassation formés contre
toutes les décisions prises par la Cour suprême en première instance. La
personne condamnée ou son conseil a le droit de soumettre au Président de
la Cour suprême, aux présidents des tribunaux d'arrondissement ou aux présidents
des chambres criminelles des juridictions supérieures une demande de pourvoi
en cassation devant la Cour suprême. Selon l'article 419 du Code de procédure
pénale, le délai fixé pour la soumission d'une telle demande est d'un an.
4.7 Dans l'affaire à l'examen, l'auteur aurait pu présenter une demande
de pourvoi en cassation jusqu'au 4 mai 1995, c'est-à-dire un an après que
sa condamnation fut devenue exécutoire, mais il ne l'a pas fait.
4.8 Le conseil de l'auteur a déposé une demande de pourvoi en cassation
le 28 septembre 1995, alors que le délai d'un an avait expiré. Le Président
de la Chambre criminelle de la Cour suprême a décidé en conséquence, le
8 décembre 1995, que, conformément au paragraphe 6 de l'article 3 de la
loi du 15 juin 1994, la demande de pourvoi en cassation n'était pas recevable.
Le même raisonnement vaut pour la demande soumise par le conseil le 2 avril
1996.
4.9 L'État partie souligne également que l'auteur avait le droit de demander
un «renouvellement du délai pour le pourvoi en cassation» mais ne s'en est
pas prévalu.
4.10 En conclusion, lorsque la condamnation a été prononcée le 4 mai 1994,
le Code de procédure pénale alors en vigueur ne laissait aucune possibilité
de se pourvoir en cassation. Toutefois, entre le moment où la condamnation
est devenue exécutoire et le 1er janvier 1995, l'auteur et son conseil avaient
le droit de demander au Président de la Cour suprême, au Procureur général
ou à leurs adjoints de présenter un pourvoi en contrôle. En outre, entre
le 1er juillet 1994, date d'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 1994,
et le 4 mai 1995, l'auteur et son conseil avaient le droit de demander au
Président de la Cour suprême, aux présidents des tribunaux d'arrondissement
ou aux présidents des chambres criminelles des juridictions supérieures
de former un pourvoi en cassation. L'auteur ne s'est prévalu d'aucune de
ces possibilités. Les demandes soumises par le conseil de l'auteur le 28
septembre 1995 et le 2 avril 1996 en vue de la formation d'un pourvoi en
cassation l'ont été après expiration du délai d'un an.
4.11 En ce qui concerne le paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte, l'État
partie note que la Cour suprême était l'instance judiciaire la plus élevée
de l'État partie à l'époque du jugement rendu dans l'affaire en question,
mais que le droit qu'avait l'auteur de demander la présentation d'un pourvoi
en contrôle, entre le 4 mai 1994 et le 1er janvier 1995, et de demander
la présentation d'un pourvoi en cassation entre le 1er juillet 1994 et le
4 mai 1995 devrait être considéré comme correspondant à l'exercice du droit
de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation au sens
de cette disposition du Pacte.
4.12 Par conséquent, l'auteur n'a pas épuisé les recours internes et cette
partie de la communication devrait être déclarée irrecevable au titre du
paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
Allégation de violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte
4.13 L'État partie a mentionné plusieurs dispositions de la Constitution
et du Code de procédure pénale en soulignant tout d'abord que, durant le
déroulement de la procédure à l'encontre de l'auteur, les principes de l'indépendance
de la magistrature, de l'égalité devant la loi, du droit à un conseil ou
du caractère public du procès, ont été respectés conformément aux dispositions
du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.
4.14 S'agissant des autres éléments de fait dans l'affaire à l'examen,
l'État partie se déclare dans l'impossibilité d'apprécier les preuves et
d'en mesurer la force probante étant donné la complexité des pièces et témoignages
contenus dans le dossier, ce pouvoir d'appréciation appartenant aux tribunaux.
4.15 L'État partie est par conséquent d'avis que les allégations concernant
une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte sont incompatibles
avec cette disposition du Pacte et que cette partie de la communication
devrait par conséquent être déclarée irrecevable en vertu de l'article 3
du Protocole facultatif.
Allégation de violation du paragraphe 3 g) de l'article 14
4.16 L'État partie appelle l'attention du Comité sur les dispositions de
son Code de procédure pénale en vertu desquelles il est interdit de chercher
à obtenir le témoignage des accusés ou d'autres personnes intervenant dans
un procès pénal en utilisant la violence, les menaces ou d'autres méthodes
illégales.
4.17 L'État partie note que l'auteur a allégué le recours à de telles pratiques
illégales sans pour autant avoir exercé le droit que lui reconnaît l'article
52 du Code de procédure pénale de faire appel des mesures et décisions prises
par les responsables des interrogatoires, de l'enquête, par le procureur
ou le tribunal. L'auteur aurait en outre pu signaler ces éléments au procureur,
lequel aurait alors été tenu d'enquêter officiellement à ce sujet.
4.18 L'État partie note également qu'après avoir déposé à l'audience l'auteur
n'a pas saisi la Cour d'une plainte en vertu de l'article 267 du Code de
procédure pénale. La Cour n'a par conséquent pas pris de décision à ce sujet.
En outre, toutes les déclarations faites par l'accusé durant le procès constituent
des éléments de preuve et sont examinées par le tribunal lorsqu'il prend
sa décision.
4.19 L'État partie estime donc que l'auteur n'a pas épuisé les recours
internes à cet égard et que cette partie de la communication devrait être
déclarée irrecevable.
Commentaires de l'auteur
5.1 Dans une lettre du 30 juin 1999, l'auteur a présenté ses commentaires
sur les observations de l'État partie.
5.2 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 5 de l'article
14, l'auteur considère que le droit de soumettre au Président de la Cour
suprême, au Procureur général ou à leurs adjoints une demande en vue de
la présentation d'un pourvoi en contrôle ou d'un pourvoi en cassation ne
correspond pas au droit de faire examiner la condamnation ou la déclaration
de culpabilité au sens du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte mais constitue
bien un recours extraordinaire dont l'exercice est soumis à la seule discrétion
desdites autorités, qui n'ont aucune obligation de donner suite.
5.3 La possibilité de présenter un pourvoi en cassation au sens des prescriptions
du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte n'existe que depuis le 1er janvier
1995.
5.4 En ce qui concerne le délai d'un an à respecter pour se pourvoir en
cassation, qui aurait été dépassé en l'espèce, l'auteur affirme que cette
limite fixée par l'article 419 du Code de procédure pénale n'était applicable
qu'aux pourvois en cassation tendant à aggraver la situation d'un condamné.
Aux termes de cette disposition, «un pourvoi en cassation peut être formé
contre une condamnation en vue de l'application d'une loi visant des crimes
plus graves […] ou à d'autres fins, tendant à aggraver la situation
de la personne condamnée […]».(3) Or les demandes de présentation
d'un pourvoi en cassation soumises les 28 septembre 1995 et 2 avril 1996
l'ont été en vue de faire acquitter l'auteur, et donc d'améliorer sa situation.
Ces demandes étaient donc régulières et en l'occurrence le délai d'un an
n'était pas applicable.
5.5 L'auteur, signalant une contradiction manifeste entre l'argumentation
de l'État partie et la teneur des lettres rejetant les demandes de pourvoi
en cassation, explique en outre que la décision du 8 décembre 1995 rejetant
sa demande de pourvoi en cassation n'avait pas pour fondement la prescription
du délai d'un an mais le fait que «les motifs invoqués dans votre pourvoi
en cassation … sont démentis par les éléments de preuve qui ont été
examinés par la Cour et pris en considération dans le prononcé du jugement».
5.6 Lors de la deuxième demande de présentation d'un pourvoi en cassation,
présentée le 2 avril 1996, le Président de la Cour suprême a indiqué par
écrit le 5 avril 1996 qu'aux termes de la loi, la Cour suprême n'est pas
une instance de cassation pour les jugements qu'elle a
elle-même prononcés. Il a ajouté que les jugements rendus par la Cour suprême
étaient définitifs et non susceptibles d'appel, d'où l'impossibilité d'un
nouveau procès. Le Président de la Cour suprême n'a pas mentionné le délai
d'un an. La plainte formulée au titre du paragraphe 5 de l'article 4 est
donc suffisamment étayée.
5.7 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 1 de l'article
14, l'auteur réaffirme que les principes régissant la procédure pénale n'ont
pas été respectés et que les conclusions de la Cour ne s'appuient pas sur
les faits de la cause.
5.8 En ce qui concerne la violation du paragraphe 3 g) de l'article 14,
l'auteur réaffirme qu'il avait avoué pendant l'enquête préliminaire parce
qu'il avait été induit en erreur par l'enquêteur et avait subi des violences
pendant l'enquête. À l'appui de sa plainte, l'auteur mentionne une lettre
écrite par son coaccusé aux parents de l'auteur, les dépositions de M. Saulius
Peldzius, qui était en détention avec l'auteur, ainsi que des enregistrements
de conversation entre l'auteur et le responsable de l'enquête. De plus,
l'auteur déclare avoir porté plainte les 15 et 30 mai 1996 contre le responsable
de l'enquête auprès du Procureur général de Lituanie, lequel a décidé, le
12 juin 1996, de ne pas donner suite à sa plainte.
5.9. L'État partie n'a pas formulé d'observations supplémentaires concernant
les derniers commentaires de l'auteur.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe
2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était
pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement.
6.3 En ce qui concerne l'allégation de violation des paragraphes 1 et 3
g) de l'article 14, le Comité note que l'auteur affirme que l'arrêt rendu
par la Cour suprême le 4 mai 1994 ne reprend pas les faits de la cause et
que, pendant l'enquête, on l'a forcé à avouer avoir commis le meurtre pour
lequel il a été condamné par la suite. À cet égard, le Comité a pris note
de la déclaration non datée faite par le coaccusé de l'auteur ainsi que
du témoignage donné le 15 juin 1995 par un compagnon de cellule, Saulius
Peldzius.
6.4 Rappelant qu'il appartient généralement aux juridictions des États
parties, et non au Comité, d'apprécier les faits dans un cas d'espèce, le
Comité note que les allégations en question ont été formulées pendant le
procès et examinées par la Cour suprême. En outre, les éléments d'information
portés à la connaissance du Comité et les arguments avancés par l'auteur
ne montrent pas que l'appréciation des faits par les tribunaux ait été manifestement
arbitraire ou qu'elle ait représenté un déni de justice. En conséquence,
le Comité estime que l'auteur n'a pas suffisamment étayé son allégation
de violation des paragraphes 1 et 3 g) de l'article 14 du Pacte et que cette
plainte est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.5 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 5 de l'article
14 du Pacte, le Comité note l'affirmation de l'État partie selon laquelle
cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable pour
un non-épuisement des recours internes. Le Comité note également que l'auteur
a tenté à quatre reprises d'obtenir la présentation d'un pourvoi en cassation
visant la décision de la Cour suprême, mais que ses demandes ont été rejetées
ou sont restées sans réponse. Considérant que les parties reconnaissent
qu'aucun recours interne n'est plus disponible et que la plainte de l'auteur
est fondée sur l'absence présumée d'une possibilité de réexamen du jugement
du 4 mai 1994, le Comité estime que la plainte doit être examinée simultanément
quant à la recevabilité et quant au fond.
Examen quant au fond
7.1 Au sujet de la demande de présentation d'un «pourvoi en contrôle »,
le Comité note l'affirmation de l'État partie selon laquelle, entre le 4
mai 1994 et le 1er janvier 1995, l'auteur avait le «droit de soumettre au
Président de la Cour suprême de Lituanie, au Procureur général et à leurs
adjoints une demande en vue de la présentation d'un pourvoi en contrôle»,
que cette possibilité correspond à un droit de réexamen au sens du paragraphe
5 de l'article 14 du Pacte et que l'auteur ne s'en est pas prévalu. Le Comité
note aussi l'affirmation de l'auteur selon laquelle la décision de présenter
un «pourvoi en contrôle» est un droit extraordinaire dont l'exercice est
laissé à la seule discrétion de l'autorité à laquelle est soumise la demande
et ne constitue par conséquent pas une obligation de réexaminer une affaire
jugée en première instance par la Cour suprême.
7.2 En l'espèce, le Comité note qu'aux termes de la dernière phrase du
jugement du 4 mai 1994, «ce jugement est définitif et n'est pas susceptible
d'appel ou de pourvoi en cassation». Il note également que l'État partie
ne conteste pas que la présentation d'un «pourvoi en contrôle» constitue
un recours extraordinaire dont l'exercice est laissé à l'entière discrétion
du Président de la Cour suprême, du Procureur général ou de ses adjoints.
Le Comité estime donc, en l'espèce, que pareille possibilité ne constitue
pas un recours à épuiser en vertu du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Pacte.
Renvoyant en outre à ses constatations concernant la communication no 701/1996,
(4) le Comité fait observer que le paragraphe 5 de l'article 14 implique
le droit à un réexamen complet des points de droit et des faits par une
juridiction supérieure. Le Comité considère que la soumission d'une demande
en vue de la présentation d'un pourvoi en contrôle ne constitue pas un droit
à réexamen par une juridiction supérieure de la déclaration de culpabilité
et de la condamnation au sens du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte.
7.3 Au sujet de la demande de présentation d'un pourvoi en cassation, le
Comité note l'affirmation de l'État partie selon laquelle, entre le 1er
juillet 1994 et le 4 mai 1995, il était possible au Président de la Cour
suprême, aux présidents des tribunaux d'arrondissement ou aux présidents
des chambres criminelles des juridictions supérieures d'admettre une demande
de l'auteur en vue de la présentation d'un pourvoi en cassation, et que
cette possibilité constitue un droit au réexamen, au sens du paragraphe
5 de l'article 14 du Pacte, et que l'auteur ne s'est pas prévalu de ce droit
dans le délai d'un an fixé à compter de la date où le jugement est devenu
exécutoire, c'est-à-dire avant le 4 mai 1995, conformément à l'article 419
du Code de procédure pénale de l'État partie. Le Comité note également par
ailleurs que l'auteur affirme que la présentation d'un pourvoi en cassation,
de même que d'un «pourvoi en contrôle», est un recours extraordinaire dont
l'exercice est à la discrétion de l'autorité à laquelle est soumise la demande
et ne constitue donc pas une obligation de réexaminer une affaire jugée
en première instance par la Cour suprême. Le Comité note en outre l'affirmation
de l'auteur selon laquelle le délai d'un an mentionné par l'État partie
ne s'applique qu'aux pourvois en cassation ayant pour but d'aggraver la
situation de l'accusé.
7.4 Le Comité note que l'État partie n'a communiqué aucune observation
sur les arguments de l'auteur concernant les prérogatives du Président de
la Cour suprême, des présidents des tribunaux d'arrondissement ou des présidents
des chambres criminelles des juridictions supérieures en matière de présentation
d'un pourvoi en cassation et le délai fixé pour soumettre une demande en
vue de la présentation d'un pourvoi en cassation. Sur ce point, le Comité
renvoie aux deux lettres, transmises par l'auteur, en date du 28 décembre
1998 (émanant du Président de la Chambre criminelle de la Cour suprême)
et du 5 avril 1996 (émanant du Président de la Cour suprême), rejetant toutes
deux une demande en vue de la présentation d'un pourvoi en cassation parce
que, respectivement, «les motifs invoqués dans le pourvoi en cassation …
sont démentis par les éléments de preuve qui ont été examinés par le tribunal
et pris en considération dans le prononcé du jugement» et «la Cour suprême
n'est pas une instance de cassation pour les jugements qu'elle a elle-même
prononcés. Les jugements rendus par la Cour suprême sont définitifs et non
susceptibles d'appel». Le Comité note que dans ces lettres, il n'est pas
fait référence à un délai.
7.5 Le Comité, prenant en considération les observations de l'auteur relatives
au caractère extraordinaire et à la nature discrétionnaire de la présentation
d'un pourvoi en cassation, l'absence de réponse de l'État partie sur ces
points et la forme et la teneur des lettres rejetant les demandes en vue
de la présentation d'un pourvoi en cassation, estime que les éléments dont
il est saisi démontrent suffisamment que, dans l'affaire à l'examen, les
demandes soumises par l'auteur en vue de la présentation d'un pourvoi en
cassation, même si elles auraient dû l'être avant le 4 mai 1995 comme le
signale l'État partie, ne constituent pas un recours à épuiser aux fins
du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Pacte.
7.6 Renvoyant au raisonnement qu'il a développé plus haut au paragraphe
7.2, le Comité estime en outre que ce recours ne correspond pas à un droit
de réexamen au sens du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte parce que le
pourvoi en cassation ne peut pas être formé devant une juridiction supérieure,
contrairement à ce que requiert ladite disposition.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant conformément au paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est
saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques.
9. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est
tenu de fournir à l'auteur un recours utile, comportant notamment la possibilité
de former un nouveau recours, ou si cela n'est plus possible, d'envisager
de le remettre en liberté. L'État partie est tenu de veiller aussi à ce
que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.
10. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a
reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou
non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est
engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et
relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité
souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements
sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie
est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.
___________________________
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, chinois et russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres suivants du Comité ont participé à l'examen de la présente
communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal
Bhagwati, M. M. Alfredo Casillero Hoyos, Mme Christine Chanet, M. Franco
Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik
Khalil, M. Rafael Rivas Posada, M. Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M.
Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood, M. Roman Wieruszewski
et M. Maxwell Yalden.
Notes
1.L'auteur indique ne pas avoir reçu la moindre réponse à cette demande, le
30 juin 1999, aucune décision n'avait été prise.
2. Aux termes du jugement de la Cour suprême en date du 4 mai 1994, les «blessures
infligées à la victime ont provoqué une intense souffrance et les accusés
pouvaient s'en rendre compte. Les accusés ont infligé ces blessures délibérément
et telle était leur volonté. Ils se sont rendus coupables d'un meurtre avec
préméditation et leurs actes ont donc été à juste titre qualifiés d'assassinat
accompagné d'actes de barbarie (conformément à l'article 105 5) du Code pénal
lituanien)».
3. Traduit par l'auteur.
4. Cesario Gómez Vásquez c. Espagne; affaire no 701/1996, Constatations
adoptées le 20 juillet 2000.