Présentée par : Christopher Bethel (représenté par Ashurst Morris Crisp, cabinet d'avocats à Londres)
Au nom de : L'auteur
État partie : Trinité-et-Tobago
Date de la communication : 25 août 1998
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 mars 1999,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication, datée du 25 août 1998, est Christopher Bethel, citoyen trinidadien, né en 1974, qui est actuellement incarcéré au pénitencier général de Port of Spain, dans l'attente d'être exécuté. Il déclare être victime d'une violation par la Trinité-et-Tobago de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Dans ce contexte, il invoque aussi les articles 6, 7, 9, 10 et 14 du Pacte. Il est représenté par Ashurst Morris Crisp, cabinet d'avocats sis à Londres (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord).
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été reconnu coupable de meurtre et condamné à mort le 26 janvier 1996. Son appel a été rejeté par la cour d'appel le 28 novembre 1996. Sa demande d'autorisation de former recours devant le Comité judiciaire du Conseil privé a été rejetée le 4 décembre 1997. Ainsi, toutes les voies de recours interne ont été épuisées.
2.2 Le 19 décembre 1997, une requête a été déposée au nom de l'auteur auprès de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, conformément aux directives publiées par l'État partie en octobre 1997, qui énonçaient un calendrier strict devant être respecté par les demandeurs. L'auteur a demandé à son conseil de présenter une communication au Comité des droits de l'homme de l'Organisation des Nations Unies, au cas où sa requête auprès de la Commission interaméricaine des droits de l'homme n'aboutirait pas.
2.3 Le 26 mai 1998, l'État partie a notifié qu'il dénonçait le Protocole facultatif. Il a publié aussi de nouvelles instructions fixant les délais qui devraient s'appliquer à la procédure de dép_t des requêtes par les prisonniers ou au nom des prisonniers ayant été condamnés à mort entre le 26 mai 1998 et la date à laquelle la dénonciation prendrait effet, le 26 août 1998. Le conseil note que l'auteur allait être privé de la possibilité de présenter une communication au Comité des droits de l'homme à partir du 26 août 1998 / À compter du 26 août 1998, la Trinité-et-Tobago a de nouveau adhéré au Protocole facultatif en formulant la réserve suivante : "Le Comité des droits de l'homme n'a pas compétence pour recevoir et examiner des communications ayant trait à un prisonnier condamné à mort, pour toute question ayant trait aux poursuites judiciaires dont il a fait l'objet, à sa détention, à son procès, à sa condamnation et à sa peine ou l'exécution de la peine de mort à son encontre ou à toute question connexe". Voir le rapport annuel du Comité des droits de l'homme à l'Assemblée générale pour 1998, A/53/40, chapitre I, note 2 de fin de chapitre./.
2.4 Le conseil note que, conformément aux instructions de l'État partie, la Commission interaméricaine des droits de l'homme devrait prendre une décision concernant la requête de l'auteur d'ici le 2 septembre 1998. Le conseil note que d'ici là, la dénonciation aura pris effet et que son client n'aura plus le droit de présenter une communication au Comité des droits de l'homme, alors qu'à partir d'octobre 1997 il avait pu raisonnablement espérer pouvoir exercer son droit d'accès au Comité des droits de l'homme.
Teneur de la plainte
3. Le conseil déclare que les mesures prises par l'État partie en dénonçant le Protocole facultatif, en décevant les attentes légitimes de son client, constituent une violation de l'article 1 du Protocole facultatif et de l'article 26 du Pacte. Il demande au Comité d'enregistrer la communication pour examen au titre du Protocole facultatif afin de garantir le droit de l'auteur à présenter une communication au Comité si sa plainte devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme devait être rejetée.
Observations de l'État partie et commentaires de l'auteur
4. Dans ses observations datées du 12 octobre 1998, l'État partie informe le Comité que l'affaire de l'auteur est encore en cours d'examen par la Commission interaméricaine des droits de l'homme. En outre, le conseil de l'auteur ayant déposé une demande d'autorisation de former recours devant le Comité judiciaire du Conseil privé, l'État partie fait valoir que la communication est irrecevable en vertu des alinéas a) et b) du paragraphe 2 de l'article 5.
5.1 Dans sa réponse aux observations de l'État partie, le conseil note que la requête qu'il a déposée auprès de la Commission interaméricaine des droits de l'homme ne concerne pas la question dont le Comité est saisi, à savoir que l'État partie a dénié à son client le droit d'avoir accès au Comité des droits de l'homme. Il déclare que la Commission interaméricaine des droits de l'homme n'est pas saisie de la question des attentes légitimes.
5.2 Le conseil confirme avoir plaidé devant le Conseil privé au nom de l'auteur en juillet et en octobre 1998, mais fait valoir que la question dont est saisi le Conseil privé ne concerne pas la question soulevée dans sa communication au Comité des droits de l'homme.
6.1 Dans une nouvelle réponse datée du 9 février 1999, l'État partie explique qu'à la suite du rejet, en décembre 1997, de la demande de l'auteur visant à obtenir l'autorisation de former recours devant le Comité judiciaire du Conseil privé, l'auteur avait eu le choix entre déposer une requête auprès de la Commission interaméricaine des droits de l'homme ou présenter une communication au Comité des droits de l'homme de l'ONU. Il a choisi la première option. L'État partie rejette l'affirmation selon laquelle il a empêché l'auteur de saisir le Comité des droits de l'homme et déclare que c'était le choix de l'auteur, pour des raisons tactiques, de saisir alors la Commission interaméricaine des droits de l'homme.
6.2 L'État partie soutient que déposer des requêtes auprès de deux organes des droits de l'homme est un abus du droit de présenter une communication et un motif d'irrecevabilité en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif. De l'avis de l'État partie, le Comité ne devrait pas tolérer qu'un requérant cherche à soumettre certains éléments de sa plainte à la Commission interaméricaine des droits de l'homme et à en réserver d'autres au Comité des droits de l'homme de l'ONU. Lorsque l'auteur a présenté sa communication au Comité, sa plainte était encore en cours d'examen par la Commission interaméricaine des droits de l'homme et l'État partie fait donc valoir que sa communication au Comité est irrecevable en vertu de l'alinéa a) du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif. L'État partie rejette l'affirmation selon laquelle l'auteur aurait le droit de présenter une communication au Comité une fois que la Commission interaméricaine des droits de l'homme se sera prononcée sur la communication qu'elle a reçue. À ce propos, l'État partie note que la Convention américaine relative aux droits de l'homme énonce qu'une communication est irrecevable si elle est fondamentalement identique à une autre communication déjà examinée par une autre instance internationale.
6.3 L'État partie souligne aussi que le Comité judiciaire du Conseil privé a accordé à l'auteur l'autorisation spéciale de se pourvoir en appel, le 22 octobre 1998, et a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Trinité-et-Tobago. Le Comité judiciaire du Conseil privé a en outre indiqué que si la condamnation de l'auteur était confirmée par la cour d'appel, l'auteur pourrait déposer une requête auprès du Comité judiciaire. Sur cette base, l'État partie a fait valoir que les recours internes n'étaient pas épuisés.
7.1 Dans ses observations, le conseil conteste l'argument de l'État partie selon lequel la communication serait irrecevable parce que l'auteur a déposé une requête devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Il réitère que la question dont est saisi le Comité est le déni par l'État partie du droit de l'auteur à adresser une communication au Comité des droits de l'homme une fois que la Commission interaméricaine des droits de l'homme se sera prononcée sur la requête de l'auteur. Le conseil rappelle que la question découle de la décision unilatérale de l'État partie de dénoncer le Protocole facultatif cinq mois environ après le dép_t de la requête de l'auteur auprès de la Commission interaméricaine des droits de l'homme.
7.2 De même, le conseil estime que la plainte énoncée dans la communication présentée au Comité n'a trait à aucune question déjà portée devant le Conseil privé. Il ressort des motifs donnés par le Comité judiciaire du Conseil privé autorisant l'appel que la question dont il était saisi était le comportement du conseil lors du procès, qui aurait été inapproprié. Le conseil demande au Comité, s'il devait toutefois conclure que la communication est irrecevable, de surseoir au classement de la communication jusqu'à la fin du processus d'appel.
Délibérations du Comité
8.1 Avant d'examiner toute plainte figurant dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si elle est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
8.2 Le Comité prend note de l'argument du conseil selon lequel le droit de l'auteur d'avoir accès au Comité a été violé par l'État partie du fait que, si la Commission interaméricaine des droits de l'homme devait rejeter la requête de l'auteur, celui-ci ne pourrait plus présenter une communication au Comité suite à la dénonciation par l'État partie du Protocole facultatif. Le Comité considère toutefois que le droit invoqué par l'auteur n'est pas un droit protégé par le Pacte. En conséquence, la communication est irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
9. En conséquence, le Comité décide :
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et au conseil de l'auteur.
_______________
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati, M. Thomas Buergenthal, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Eckart Klein, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden, M. Abdallah Zakhia.
** Le texte de l'opinion individuelle de deux membres du Comité est joint en annexe au présent document./
[Adopté en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Opinions individuelles de Fausto Pocar et Martin Scheinin (concordantes)
Tout en souscrivant à la conclusion selon laquelle la communication est irrecevable, nous sommes en désaccord avec la majorité quant au motif de l'irrecevabilité. Conformément au paragraphe 3 de l'article 91 du Comité des droits de l'homme, par une lettre en date du 17 septembre 1998 l'État partie a été informé que s'il souhaitait contester la recevabilité de la communication, il devait le faire dans les deux mois - en l'occurrence au plus tard le 16 novembre 1998. Dans un mémoire en date du 16 octobre 1998, l'État partie a contesté la recevabilité de la communication en invoquant les deux motifs visés au paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif, à savoir : i) le fait que la même question était déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquêtes ou de règlements; ii) le non-épuisement de tous les recours internes disponibles. Ce n'est que le 9 (puis le 17) février 1999 que l'État partie a invoqué un troisième motif d'irrecevabilité, à savoir l'abus du droit de requête (art. 3 du Protocole facultatif), sans toutefois apporter suffisamment d'éléments établissant le caractère abusif de la communication.
Nous pensons que la communication aurait dû être déclarée irrecevable pour l'un des deux motifs invoqués à l'origine par l'État partie, à savoir le non-épuisement des recours internes. Par conséquent, et conformément au paragraphe 2 de l'article 92 du règlement intérieur du Comité des droits de l'homme, la décision d'irrecevabilité aurait dû être prise sous réserve de la possibilité d'un réexamen une fois levé l'obstacle rendant irrecevable la communication. Pareillement, la demande de mesures provisoires de protection formulée par le Comité en application de l'article 86 du règlement intérieur du Comité des droits de l'homme aurait dû être maintenue. Cette démarche aurait fait comprendre clairement à l'auteur, à son conseil et à l'État partie que le retrait de l'État partie du Protocole facultatif suivi de sa réadhésion, assortie d'une réserve, en date du 26 mai 1998 et prenant effet le 26 août 1998, ne constituaient pas un obstacle à un examen ultérieur par le Comité de la requête de l'auteur.
En dépit de tout ce qui a été dit plus haut, il faut souligner que la démarche retenue par le Comité ne revient pas à une décision tendant à priver l'auteur de l'accès au Comité au titre du Protocole facultatif, au cas où il souhaiterait soumettre une nouvelle communication individuelle afin d'empêcher son exécution. En effet, la position du Comité - exposée dans son rapport annuel (voir note de bas de page No 1 de la décision d'irrecevabilité) - est qu'il se penchera sur la validité et l'effet juridiques de la réserve formulée par Trinité-et-Tobago le moment venu et dans le contexte concret de requêtes individuelles en rapport avec la peine de mort ayant été soumises après le 26 août 1998. Contrairement à ce que le conseil de l'auteur semble supposer (voir par. 2.3), la réserve en question ne saurait se concevoir comme fermant, in abstracto, à l'auteur, ou à tout autre détenu sous le coup d'une sentence de mort, l'accès au Comité dans l'exercice de ses fonctions au titre du Protocole facultatif.