Présentée par: M. Michaël Meiers (représenté par M. Roland Houver)
Au nom de: L'auteur
État partie: France
Date de la communication: 11 février 1997 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 16 juillet 2001,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Michaël Meiers, citoyen français domicilié
à Belfort. Il accuse les autorités françaises d'une violation de l'article
14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Rappel des faits
2.1 L'auteur a effectué un stage dans la Police nationale française de
novembre 1987 au 1er janvier 1990. À l'issue de ce stage, il n'a pas été
titularisé comme fonctionnaire et a été licencié par le Ministre de l'intérieur
le 27 décembre 1989.
2.2 Cette dernière décision a fait l'objet d'un recours devant le Tribunal
administratif de Versailles qui, par un jugement du 17 décembre 1991,
soit près de deux ans après la décision contestée, a annulé la non-titularisation
de l'auteur. Ensuite, étant donné la «mauvaise volonté» de l'administration
de se conformer à ladite décision, l'auteur s'est adressé à la section
des requêtes du Conseil d'État afin d'être réintégré. Ceci amena le Ministre
de l'intérieur à décider, en date du 17 avril 1992, de la réintégration
de l'auteur à compter du 1er janvier 1990.
2.3 Cependant, le 23 mars 1992, le Ministre de l'intérieur avait interjeté
appel du jugement du Tribunal administratif de Versailles devant le Conseil
d'État. À cause d'une erreur d'adresse, l'auteur ne fut notifié de ce
recours ainsi que des arguments à la base de ce dernier que le 19 novembre
1992 par la préfecture de Belfort. L'auteur s'est alors adressé à un avocat
qui a déposé auprès du Conseil d'État des observations en défense le 20
juillet 1993.
2.4 Ne recevant plus de nouvelles de cette affaire, l'auteur alla se renseigner
en date du 3 juillet 1995 à la sous-section du Conseil d'État compétente.
Suite à cette demande, le Conseil d'État informa ce dernier par un courrier
du 21 août 1995 que l'instruction de son dossier était terminée et que
le rapporteur avait déjà déposé son projet mais qu'il était en revanche
impossible de préciser une date d'audience.
2.5 Ladite audience eut «apparemment» lieu le 11 décembre 1996 mais l'auteur,
n'en ayant pas été averti, ne put s'y rendre. Le Conseil d'État réforma
le jugement rendu par le Tribunal administratif de Versailles et donna
raison à l'administration. L'arrêt fut notifié aux parties en date du
14 janvier 1997.
2.6 L'auteur fait remarquer que la procédure en première instance s'est
déroulée sur une période de deux ans, ce qui constitue à ses yeux un délai
déraisonnable pour une question de réintégration d'un fonctionnaire. Par
ailleurs, la procédure devant le Conseil d'État s'est déroulée, depuis
l'introduction de l'appel jusqu'à la notification de l'arrêt, sur une
période de quatre années et 10 mois, ce qui constitue également un délai
déraisonnable. La totalité de la procédure a donc duré près de sept ans.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur considère que la durée mise par les juridictions administratives
à statuer sur son cas est déraisonnable, que soit prise en compte la totalité
de la procédure ou uniquement celle s'étant déroulée devant le Conseil
d'État. À ce titre, elle constitue une violation flagrante de l'article
14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques.
3.2 L'auteur estime ce délai d'autant plus déraisonnable que le dossier
ne présentait aucune difficulté particulière, qu'il n'a lui-même posé
aucune entrave au bon déroulement de la procédure et qu'après le dépôt
de ses conclusions auprès du Conseil d'État en juillet 1993, le dossier
était prêt à être évoqué.
3.3 En outre, l'auteur rappelle que le Code des tribunaux administratifs
fixe un délai de 60 jours pour le dépôt des mémoires en réponse par les
parties, délai qui n'a presque jamais été respecté à l'égard de l'administration.
Ceci a valu à l'État partie d'être sanctionné plusieurs fois par la Cour
européenne des droits de l'homme (Vallée c. France, CEDH
26 avril 1994; Karakaya c. France, CEDH 8 février 1996).
3.4 En ce qui concerne les conséquences du délai de la procédure, l'auteur
considère que suite à la décision du Conseil d'État, il se retrouvait
dans la situation dans laquelle il était cinq ans auparavant. Par conséquent,
même si l'auteur ne conteste pas que le salaire perçu par lui durant ces
années devrait lui rester acquis en vertu de «la règle du service fait»,
il soutient que l'administration lui réclamera la restitution de l'indemnité
versée par l'administration pour la durée de la procédure en première
instance durant laquelle il n'était pas en fonction.
3.5 En outre, depuis sa réintégration à l'administration, l'auteur n'a
cessé de rencontrer des problèmes avec sa hiérarchie qui ont finalement
conduit à sa révocation le 4 avril 1996 en raison de son refus de se rendre
à différentes expertises psychiatriques qui lui paraissaient inopportunes.
Entre-temps, l'auteur a initié un nombre important de procédures (recours
pour excès de pouvoir, procédure en responsabilité, procédures devant
le Conseil de l'ordre des médecins, ...) qui n'auraient pas été mises
en œuvre si le Conseil d'État s'était prononcé dans un délai raisonnable.
3.6 L'auteur évalue l'ensemble du préjudice subi suite à la durée de la
procédure à 3 millions de francs français (plus ou moins 428 000 dollars
des États-Unis).
3.7 En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l'auteur précise
qu'il n'a pu introduire de recours devant la Cour européenne des droits
de l'homme car celle-ci considère que le contentieux disciplinaire des
fonctionnaires titulaires ne fait pas partie des «obligations à caractère
civil» au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
3.8 Par contre, sur le principe de la recevabilité devant le Comité, l'auteur
renvoie expressément à la jurisprudence de ce dernier dans son affaire
Casanovas (Casanovas c. France, 441/1990, 19 juillet 1994)
lors de laquelle il avait considéré qu'une procédure de révocation dirigée
contre un fonctionnaire constituait bien une contestation sur des droits
civils au sens de l'article 14, paragraphe 1, du Pacte. L'auteur revendique
l'application de cette jurisprudence à son cas.
Renseignements et observations de l'État partie concernant la
recevabilité et le fond de la communication
4.1 L'État partie considère que la communication doit être déclarée irrecevable
parce qu'elle ne rentre pas dans le champ d'application de l'article 14,
paragraphe 1, du Pacte.
4.2 Tout d'abord, le principe de non-titularisation après un stage ne
présente pas le caractère d'une procédure disciplinaire et, par conséquent,
ne constitue en aucun cas une accusation en matière pénale. L'État partie
fait à ce sujet une distinction entre une procédure disciplinaire qui
peut avoir lieu durant le stage ou à son issue et une décision constatant
la fin du stage et refusant la titularisation pour des motifs liés à l'aptitude
professionnelle du candidat, ce qui est le cas de l'auteur. Or, si la
loi attache des conséquences importantes à la procédure disciplinaire
comme la motivation des décisions et la communication du dossier, il n'en
va pas de même pour une décision de non-titularisation, ce qui confirme
l'absence de caractère disciplinaire de cette dernière.
4.3 Ensuite, si l'État partie n'ignore pas la jurisprudence du Comité
dans son affaire Casanovas citée plus haut, il considère néanmoins qu'elle
ne peut s'appliquer au cas d'espèce. En effet, même s'il présente un enjeu
pécuniaire pour l'auteur, le litige porte sur un moment de la carrière
des fonctionnaires où les pouvoirs discrétionnaires de l'administration
sont les plus sensibles et où le contrôle du juge se limite à l'erreur
manifeste d'appréciation.
4.4 À cet égard, l'État partie rappelle la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l'homme selon laquelle les litiges relatifs au recrutement,
la carrière et la cessation d'activité des fonctionnaires ne font pas
partie du champ d'application de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention
européenne des droits de l'homme sauf à ce qu'ils présentent un caractère
essentiellement patrimonial, ce dernier étant interprété de manière très
restrictive.
4.5 Or, il s'avère que l'article 14, paragraphe 1, du Pacte est rédigé
dans des termes similaires à ceux de l'article 6 susmentionné. Donc, dans
la mesure où il semble bien que le présent litige porte sur la non-titularisation
de l'auteur et par souci de cohérence dans l'interprétation des instruments
internationaux, l'État partie estime qu'il serait souhaitable que le Comité
déclare la communication irrecevable au motif qu'elle ne rentre pas dans
le champ d'application de l'article 14, paragraphe 1, du Pacte.
4.6 À titre subsidiaire, et en ce qui concerne le bien-fondé de la communication,
l'État partie fait valoir que l'auteur ne peut se prévaloir de la qualité
de victime dans la mesure où le délai de la procédure devant le Conseil
d'État n'a pas préjudicié ses droits. La décision initiale du Tribunal
administratif de Versailles avait en effet annulé la décision de refus
de titularisation, ce qui a eu pour conséquence que l'auteur a continué
à exercer son activité et à percevoir normalement son salaire au titre
de service fait.
Réponse du requérant aux observations de l'État partie
5.1 L'auteur rappelle que dans l'affaire Casanovas, le Comité avait considéré
qu'une procédure de révocation d'un fonctionnaire constituait bien une
contestation sur les droits civils au sens de l'article 14 du Pacte.
5.2 L'auteur estime que la même jurisprudence doit s'appliquer au cas
présent. La procédure de révocation dans l'affaire Casanovas est en effet
la perte d'un emploi avec les conséquences pécuniaires qui en découlent.
De la même manière, la non-titularisation d'un fonctionnaire stagiaire
constitue un refus d'employer l'auteur de manière définitive, ce qui a
des conséquences pécuniaires identiques. Il s'agit donc bien d'une contestation
sur un droit civil, son principal aspect étant son caractère patrimonial.
5.3 D'autre part, l'auteur soulève qu'il ne s'agit pas ici de contester
la décision de non-titularisation mais bien la durée de la procédure,
ce dernier problème étant assurément visé par les termes de l'article
14 du Pacte.
5.4 Par rapport au bien-fondé de la communication, l'auteur estime que
le préjudice matériel et moral résultant du délai déraisonnable de la
procédure est incontestable. Les procédures que l'auteur a initiées après
la décision initiale du Tribunal administratif se sont en effet achevées
par un non-lieu suite à l'arrêt du Conseil d'État. Or, si l'auteur avait
été informé en temps utile de l'appel introduit par l'administration et
si le Conseil d'État avait rendu sa décision dans un délai raisonnable,
les frais occasionnés par les procédures suivantes auraient pu être évités.
Décision du Comité concernant la recevabilité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité note les observations de l'État partie sur la recevabilité
ratione materiae de la communication ainsi que son argumentation
et celle de l'auteur sur l'applicabilité de la jurisprudence Casanovas
au cas présent.
6.3 Le Comité est d'avis cependant que, sans devoir considérer l'étendue
du champ d'application de l'article 14, paragraphe 1 du Pacte, et tout
en exprimant une certaine préoccupation quant à la durée de la procédure,
l'auteur n'a pas, dans le cas présent, suffisamment établi que la durée
de la procédure relative à la décision de non-titularisation du 23 décembre
1989 et qui s'est déroulée devant les juridictions administratives françaises
lui avait causé un préjudice réel, étant donné d'une part qu'il avait
perçu des indemnités pour la période précédant sa réintégration en 1992
et d'autre part qu'il avait continué à exercer son activité et à percevoir
son salaire jusqu'à sa révocation en 1996.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:
- Que la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole
facultatif;
- Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et au représentant
de l'auteur de la communication.
______________
* Les membres suivants du Comité ont participé à l'examen de la présente
communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
Natwarlal Bhagwati, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer,
M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada,
M. Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito
Solari Yrigoyen, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Patrick Vella et M. Maxwell
Yalden.
Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.