Comité des droits de l'homme
Soixante-douzième session
9 - 27 juillet 2001
ANNEXE
Décision du Comité des droits de l'homme en vertu du protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques*
- Soixante-douzième session
-
Communication No. 832/1998
Présentée par: F. (nom supprimé)
Au nom de: Le fils de l'auteur, C. (nom supprimé)
État partie: Australie
Date de la communication: 22 juillet 1998 (communication initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 juillet 2001,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur est F. (nom supprimé), qui présente la communication, en date
du 22 juillet 1998, au nom de son fils C. (nom supprimé), né le 10 juillet
1979. Elle déclare que celui-ci est victime de violations par l'Australie
de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le fils de l'auteur a été exclu à titre provisoire de l'établissement
secondaire public de Miami (Queensland), où il était en 2e année, une première
fois du 24 février au 2 mars 1993 puis du 12 au 18 mars 1993, et son renvoi
définitif a été recommandé. Ces sanctions étaient motivées par une insolence
caractérisée, une désobéissance systématique et un comportement délibérément
provocateur qui perturbaient autant les enseignants que les élèves.
2.2 Du 21 avril au 15 décembre 1993, le fils de l'auteur a fréquenté le
Barrett Adolescent Centre, pensionnat accueillant des jeunes de 13 à 17
ans souffrant de troubles émotionnels et psychiatriques ou de troubles du
comportement pour des séjours de courte durée. Pendant cette période, les
médecins ont diagnostiqué chez lui un trouble d'opposition-défiance, aux
étiologies multiples. Selon ce diagnostic, cet état avait altéré directement
son comportement par le passé et continuerait probablement de retentir sur
celui-ci à l'avenir. Les médecins ont précisé que le fils de l'auteur était
apte à contrôler son comportement, qui pouvait être amélioré grâce à des
stratégies appropriées de gestion du comportement.
2.3 Au début de 1994, il a été recommandé d'inscrire le fils de l'auteur
à l'établissement secondaire public de Merrimac qui se trouvait à proximité
de chez lui et comportait une section pour les élèves ayant des besoins
spéciaux. Étant donné l'expérience passée, les responsables administratifs
de l'école ont toutefois proposé, en accord avec le Département de l'éducation
de l'État, que l'auteur et le principal de l'école signent un contrat de
gestion du comportement négocié avant l'inscription. Ce type de contrat
a pour objet de définir les rôles et responsabilités devant être assumés
par chaque partie afin de faciliter le retour de l'enfant à l'école dans
des conditions propres à encourager un comportement acceptable. Plusieurs
projets de contrat ont été établis mais l'auteur a mis fin aux consultations.
Elle a demandé que son fils puisse retourner à l'école sans qu'on attende
de lui qu'il contrôle son comportement.
2.4 Le 11 avril 1994, une plainte dénonçant la discrimination dont le fils
de l'auteur aurait été victime au motif de son handicap a été déposée auprès
de la Commission des droits de l'homme et de l'égalité des chances (ci-après
dénommée «la Commission»). Après une réunion de conciliation tenue le 6
novembre 1996, lors de laquelle l'auteur s'est déclarée préoccupée par le
fait que son fils n'ait pas pu mener à bien sa scolarité, il a été proposé
que celui-ci réintègre l'école, en 5e année de secondaire, pour y suivre
un programme spécialement adapté à ses besoins. L'auteur a rejeté cette
proposition en protestant que son fils avait trop souffert de ses expériences
passées pour retourner à l'école.
2.5 Le 20 mai 1997, la Commissaire chargée des questions de discrimination
à l'encontre des handicapés (membre de la Commission) a conclu que rien
ne permettait d'affirmer que le fait de demander au fils de l'auteur de
signer un accord préalable à son inscription constituait un acte illégal
de discrimination. Elle estimait qu'il n'avait pas été victime de discrimination
directe dans la mesure où cette condition lui avait été imposée en raison
de son comportement et de ses renvois antérieurs, comme cela était prévu
pour tout élève présentant des problèmes de comportement, et non en raison
d'un handicap. Il n'avait pas non plus fait l'objet de discrimination indirecte
puisque, selon les éléments de preuve disponibles, il était apte à atteindre
les objectifs fixés et à accepter l'autorité et contrôler son comportement
s'il le voulait. Les objectifs en question étaient progressifs et adaptés
à ses besoins et le personnel de l'école devait être spécialement préparé
à travailler avec le fils de l'auteur, en tenant compte de ses difficultés
propres. Dans ces conditions, le contrat apparaissait comme raisonnable
et non discriminatoire. Le 4 août 1997, le Président de la Commission a
confirmé cette décision et rejeté la plainte.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur formule diverses allégations qui découlent de sa plainte pour
discrimination fondée sur le handicap, en violation de l'article 26 du Pacte.
Elle affirme que la Commission n'a pas pris en compte ni appliqué la Déclaration
relative aux droits de l'enfant, la Déclaration des droits des personnes
handicapées et la Constitution australienne lorsqu'elle a examiné sa plainte
pour discrimination. Elle ajoute que la Commission n'a rien fait pour recueillir
des éléments de preuve et s'est appuyée uniquement sur les informations
et documents fournis par les autorités scolaires.
3.2 L'auteur affirme que son fils a été victime d'une discrimination fondée
sur le handicap dans la mesure où son admission était subordonnée à une
condition (la signature d'un contrat préalable à l'inscription), qui n'était
pas imposée aux élèves sans handicap. Elle fait valoir en outre que les
termes du contrat proposé étaient déraisonnables. L'engagement de s'efforcer
de modifier son comportement qui était demandé à son fils en particulier
était impossible à respecter étant donné la nature de son handicap, qui
serait une dysfonction cérébrale organique pour laquelle il n'existe pas
de traitement. Enfin, l'auteur soutient que le fait d'exiger un tel contrat
constitue en soi une violation de la législation nationale et des dispositions
de la Déclaration relative aux droits de l'enfant et de la Déclaration des
droits des personnes handicapées.
Observations de l'État partie concernant la recevabilité et le
fond de la communication et réponse de l'auteur
4.1 En ce qui concerne la recevabilité, l'État partie estime que l'auteur
n'est pas habilitée à présenter la communication. Il fait valoir que le
fils de l'auteur avait 18 ans au moment où la plainte a été adressée et
qu'il aurait dû, sauf circonstances exceptionnelles, soit la présenter lui-même
soit mandater expressément sa mère pour le représenter. Faute d'une telle
autorisation et en l'absence de circonstances exceptionnelles, la communication
est donc considérée comme irrecevable ratione personae.
4.2 L'État partie objecte également que les recours internes disponibles
n'ont pas été épuisés. L'auteur aurait pu attaquer la décision de la Commission
devant la Cour fédérale. Si la décision était injustifiée au vu des preuves
fournies ou si elle constituait un abus de pouvoir, la Cour pouvait la rapporter,
renvoyer l'affaire en vue d'un nouvel examen ou statuer sur les droits des
parties. En conséquence, l'État partie considère que la communication est
irrecevable en vertu du paragraphe 2 b de l'article 5 du Protocole
facultatif.
4.3 L'État partie affirme que les allégations relatives à la décision de
la Commission ne relèvent pas de la compétence du Comité et sont irrecevables
en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif. Rien ne permet à son avis
de conclure que la loi a été interprétée ou appliquée de façon arbitraire
ou que la décision équivaut à un déni de justice. En outre, selon la jurisprudence
constante du Comité, l'interprétation de la législation nationale appartient
avant tout aux juridictions et autorités de l'État partie concerné.
4.4 L'État partie fait valoir aussi que l'auteur n'a pas étayé sa plainte
et il expose à cet égard ses arguments sur le fond. En ce qui concerne la
procédure, il note que la Commission a examiné toutes les informations qui
lui avaient été fournies par les deux parties et qu'elle n'était pas tenue
de chercher à obtenir d'autres informations. L'État partie fait observer
en outre que les deux déclarations mentionnées par l'auteur ne sont pas
directement applicables pour lui et qu'en tout état de cause elles n'influent
pas strictement sur l'interprétation de l'article 26.
4.5 Pour ce qui est du fond, l'État partie souligne que les enfants présentant
des problèmes de comportement doivent signer un contrat de gestion du comportement,
qu'ils soient handicapés ou non. Ces contrats, qui prévoient des engagements
réalisables pour toutes les parties, sont couramment utilisés dans le cas
de divers problèmes de comportement. Ils relèvent à la fois des politiques
et stratégies officielles des autorités scolaires en matière de gestion
du comportement et de la responsabilité légale directe des chefs d'établissement,
qui sont tenus d'assurer le bon fonctionnement, l'ordre et la discipline
dans leur école et de veiller à ce que tous les élèves puissent étudier
dans les meilleures conditions. Ces contrats permettent d'assurer le soutien
des élèves «à risque» en établissant une position commune sur les attentes
ainsi que les responsabilités de chaque partie de façon à favoriser les
changements de comportement nécessaires au maintien de ces élèves dans le
système scolaire. Se référant à diverses études psychiatriques, l'État partie
fait observer que ces contrats représentent un outil efficace dans la mesure
où ils sont le fruit de consultations qui conduisent toutes les parties
à s'impliquer davantage dans la réalisation des objectifs fixés. Le fils
de l'auteur n'a donc fait l'objet d'aucune distinction qui constitue une
discrimination.
4.6 En tout état de cause, l'État partie affirme que toute distinction était
fondée sur des critères objectifs et raisonnables et motivée par un souci
légitime au regard du Pacte, qui était de garantir au fils de l'auteur et
aux autres élèves le meilleur enseignement possible. Il soutient que les
termes du contrat proposé, pris séparément ou dans leur ensemble, étaient
justes, réalistes et réalisables. Ils reposaient sur une évaluation objective
des problèmes de comportement du fils, traduisaient ce qui était attendu
– concernant le comportement et les responsabilités – de sa
mère, de l'école et des autorités scolaires.
4.7 L'État partie souligne en particulier que, de l'avis des experts et
de la Commission, le fils de l'auteur était capable de contrôler son comportement.
Le contrat reconnaissait qu'il fallait procéder de façon progressive et
continue et disposait simplement que l'enfant devait «s'efforcer» de contrôler
son comportement. Les éléments du contrat qui concernaient sa mère lui demandaient
d'accepter de répondre de son fils lorsqu'il n'était pas en cours, de se
conformer au règlement de l'établissement et de le soutenir dans le programme
de gestion du comportement mis sur pied par celui-ci. Ces dispositions avaient
pour but d'établir une relation constructive entre l'auteur et l'école et
correspondaient aux responsabilités de tout parent.
4.8 En résumé, l'État partie fait valoir que l'élaboration d'un contrat
concerté avait été requise en raison des problèmes de comportement de l'enfant
et non d'un handicap quelconque et visait à améliorer les conditions dans
lesquelles lui-même et les autres élèves pourraient étudier. Les termes
du contrat proposé étaient justes et réalisables et se fondaient sur une
évaluation individuelle du cas de l'enfant par des experts ainsi que sur
une évaluation psychiatrique positive de ce type d'instrument de gestion
du comportement en général. En conséquence, l'État partie considère que
les allégations de violation des dispositions du Pacte sont sans fondement
et en d'autres termes, qu'il n'a commis aucune violation du Pacte.
5.1 L'auteur rejette les arguments de l'État partie, auxquelles elle répond
par des explications détaillées concernant la conduite ayant entraîné les
mesures de renvoi et les troubles dont souffre son fils. Elle réaffirme
qu'il n'existe aucun traitement pour ce type d'affection et que son fils
est handicapé. En ce qui concerne les arguments de l'État partie concernant
le fait qu'elle représente son fils, elle affirme que celui-ci ne peut pas
soumettre sa communication lui-même. Elle affirme, sans fournir la moindre
pièce, que son fils l'a désignée pour déposer la communication.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Pour ce qui est de l'argument de l'État partie pour qui l'auteur de
la communication n'a pas suffisamment étayé ses allégations aux fins de
la recevabilité, le Comité relève que la communication repose sur une évaluation
des faits et des éléments de preuve se rapportant aux troubles dont souffre
le fils de l'auteur et à sa capacité de contrôler et d'améliorer son comportement.
Après avoir évalué ces éléments ainsi que d'autres facteurs, la Commission
australienne des droits de l'homme et de l'égalité des chances est parvenue
à la conclusion que l'enfant avait été traité en fonction de son comportement
passé et prévisible, comme tout autre l'aurait été dans cette situation,
que le contrat était raisonnable étant donné les circonstances et que l'enfant
n'avait pas été victime de discrimination. Compte tenu des conclusions de
la Commission, le Comité estime que l'auteur n'a pas montré que le contrat
exigé n'était pas fondé sur des critères raisonnables et objectifs et n'a
donc pas étayé sa plainte aux fins de la recevabilité. En conséquence, la
communication est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.3 Le Comité relève l'argument de l'État partie selon lequel l'auteur n'est
pas habilitée à présenter la communication, tout en considérant que l'on
est en droit de se demander en l'espèce si le fils de l'auteur était à même
de lui donner une autorisation formelle. Toutefois, étant donné les conclusions
ci-dessus, il est inutile pour le Comité de traiter de cet argument ou de
tout autre argument qui a pu être avancé sur la question de la recevabilité.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article premier et
de l'article 2 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur et à l'État partie.
_________________
** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
communication: M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati,
M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer,
M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin
Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Patrick
Vella et M. Maxwell Yalden.
Le texte d'une opinion individuelle signée d'un membre du Comité est joint
au présent document.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Annexe
Opinion individuelle de M. Abdelfattah Amor (dissidente)
Je ne partage pas le fondement de l'irrecevabilité de cette communication,
tel que retenu par le Comité. L'irrecevabilité aurait dû être déclarée sur
une autre base qui constitue un préalable à l'examen de la communication,
en ce sens que la mère (Mme F.) n'a pas qualité pour représenter son fils
(C.).
1. C. était, déjà, majeur au moment de la présentation de la communication
au Comité en 1998;
2. Mme F. n'a pas reçu procuration de son fils majeur à cet effet;
3. Même si C. semble avoir des difficultés de comportement, aucun document
émanant d'une autorité compétente n'établit son handicap ou son incapacité
juridique;
4. En tout état de cause, il ne suffit pas que la mère affirme que son
fils est handicapé pour que celui-ci soit dûment représenté par elle devant
le Comité.
(Signé) M. Abdelfattah Amor
[Fait en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra
ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]