Comité des droits de l'homme
Soixante-douzième session
9 - 27 juillet 2001
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du
paragraphe 4 de l'article 5 du protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques
- Soixante-douzième session
-
Communications nos 839/1998, 840/1998 et 841/1998
Présentées par: M. Anthony B. Mansaraj et consorts M. Gborie Tamba
et consorts M. Abdul Karim Sesay et consorts
Au nom de: Les auteurs
État partie: Sierra Leone
Date des communications: 12 et 13 octobre 1998 (date des lettres
initiales)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 16 juillet 2001,
Ayant achevé l'examen des communications nos 839/1998, 840/1998 et 841/1998
présentées au Comité des droits de l'homme par M. Anthony B. Mansaraj et
consorts, M. Gborie Tamba et consorts et M. Abdul Karim Sesay et consorts
en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif
aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été
communiquées par les auteurs des communications et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif
1.1 Les auteurs des communications sont MM. Anthony B. Mansaraj, Gilbert Samuth
Kandu-Bo et Khemalai Idrissa Keita (communication no 839/1998), Tamba Gborie,
Alfred Abu Sankoh (alias Zagalo), Hassan Karim Conteh, Daniel Kobina Anderson,
Alpha Saba Kamara, John Amadu Sonica Conteh et Abu Bakarr Kamara (communication
no 840/1998), Abdul Karim Sesay, Kula Samba, Nelson Williams, Beresford R.
Harleston, Bashiru Conteh, Victor L. King, Jim Kelly Jalloh et Arnold H. Bangura
(communication no 841/1998). Les auteurs sont représentés par un conseil.
1.2 Le 16 juillet 2001, le Comité a décidé d'examiner ces communications
conjointement.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Les auteurs des communications (présentées les 12 et 13 octobre 1998)
étaient, au moment où ils ont présenté leur plainte, en attente d'exécution
dans l'une des prisons de Freetown. Sur les 18 auteurs, 12 ont été fusillés
le 19 octobre 1998: Gilbert Samuth Kandu-Bo, Khemalai Idrissa Keita, Tamba
Gborie, Alfred Abu Sankoh (alias Zagalo), Hassan Karim Conteh, Daniel Kobina
Anderson, John Amadu Sonica Conteh, Abu Bakarr Kamara, Abdul Karim Sesay,
Kula Samba, Victor L. King et Jim Kelly Jalloh.
2.2 Les auteurs sont tous des membres ou d'anciens membres des forces armées
de la République de Sierra Leone. Accusés, notamment, de trahison et de
non-répression d'une mutinerie, ils ont été reconnus coupables par un tribunal
militaire de Freetown et ont été condamnés à mort le 12 octobre 1998 (1).
La condamnation n'était pas susceptible d'appel.
2.3 Les 13 et 14 octobre 1998, le Rapporteur spécial pour les nouvelles
communications a prié le Gouvernement sierra-léonais, conformément à l'article
86 du règlement intérieur du Comité, de surseoir à l'exécution des auteurs
tant que les communications étaient en cours d'examen par le Comité.
2.4 Le 4 novembre 1998, le Comité a examiné la question du refus de l'État
partie, en exécutant 12 des auteurs, d'accéder à la demande qui lui avait
été adressée en vertu de l'article 86. Le Comité a déploré que l'État partie
n'ait pas donné suite à sa demande et a décidé de poursuivre l'examen des
communications en question en vertu du Protocole facultatif (2).
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil considère qu'en n'accordant pas le droit de faire appel d'une
condamnation prononcée par un tribunal militaire, l'État partie a violé
le paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte.
3.2 Le conseil indique que le droit de faire appel existait à l'origine
en vertu du chapitre IV de l'ordonnance de 1961 sur les forces militaires
royales sierra-léonaises, mais que cette ordonnance a été révoquée en 1971.
Observations de l'État partie
4. L'État partie n'a fourni aucune information concernant ces communications,
bien que le Comité l'ait invité à le faire à plusieurs reprises.
Délibérations du Comité
5.1 Tout État partie qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le
Comité des droits de l'homme a compétence pour recevoir et examiner des
communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations
de l'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. premier).
En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s'engagent implicitement
à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner
les moyens d'examiner les communications qui lui sont soumises et, après
l'examen, de faire part de ses constatations à l'État partie et au particulier
(art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie l'adoption d'une mesure, quelle
qu'elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d'une communication
et d'en mener l'examen à bonne fin, et l'empêche de faire part de ses constatations,
est incompatible avec ses obligations.
5.2 Indépendamment donc d'une violation du Pacte qui lui est imputée dans
une communication, un État partie contrevient gravement aux obligations
qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif s'il adopte une mesure
qui empêche le Comité de mener à bonne fin l'examen d'une communication
faisant état d'une violation du Pacte, ou qui rend l'action du Comité sans
objet et l'expression de ses constatations sans valeur et de nul effet.
Dans la présente communication, le conseil fait valoir que les auteurs ont
été l'objet de violation de leurs droits au titre du paragraphe 5 de l'article
14 du Pacte. Une fois qu'il a été notifié de la communication, l'État partie
a contrevenu à ses obligations en vertu du Protocole facultatif en procédant
à l'exécution des victimes présumées, à savoir Gilbert Samuth Kandu-Bo,
Khemalai Idrissa Keita, Tamba Gborie, Alfred Abu Sankoh (alias Zagalo),
Hassan Karim Conteh, Daniel Kobina Anderson, John Amadu Sonica Conteh, Abu
Bakarr Kamara, Abdul Karim Sesay, Kula Samba, Victor L. King et Jim Kelly
Jalloh, avant que le Comité n'ait mené l'examen à bonne fin et n'ait pu
formuler ses constatations. Il était particulièrement inexcusable pour l'État
partie d'agir ainsi après que le Comité lui eut demandé, en application
de l'article 86 du règlement intérieur, de s'abstenir de le faire.
5.3 L'adoption de mesures provisoires en application de l'article 86 du
règlement intérieur conformément à l'article 39 du Pacte est essentielle
au rôle confié au Comité en vertu du Protocole facultatif. Le non-respect
de cet article, en particulier par une action irréparable comme l'exécution
d'une victime présumée ou son expulsion, sape la protection des droits consacrés
dans le Pacte que le Protocole facultatif vise à assurer.
5.4 Le Comité des droits de l'homme a examiné les communications en tenant
compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises par les parties,
comme le prévoit le paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
Il note avec préoccupation que l'État partie n'a donné aucune information
permettant d'éclaircir les questions soulevées par les communications. Il
rappelle qu'il découle implicitement du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole
facultatif que tout État partie doit examiner en toute bonne foi les allégations
qui sont dirigées contre lui et apporter au Comité toutes les informations
dont il dispose. Étant donné que l'État partie n'a pas coopéré avec le Comité
dans l'affaire à l'examen, il convient d'accorder le crédit voulu aux allégations
des auteurs, dans la mesure où elles ont été étayées.
5.5 Le Comité a vérifié, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe
2 a de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n'avait
pas été soumise à une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
Il note que l'État partie n'a pas fait valoir qu'il restait des recours
internes que les auteurs devraient exercer et n'a soulevé aucune objection
à la recevabilité de la communication. En se fondant sur les informations
qui lui ont été transmises, le Comité conclut que la communication est recevable
et procède sans plus tarder à l'examen quant au fond.
5.6 Le Comité note l'affirmation des auteurs selon laquelle l'État partie
a violé le paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte en n'accordant pas le droit
de faire appel d'une condamnation prononcée par un tribunal militaire,
a fortiori dans une affaire de condamnation à mort. Il note que l'État
partie n'a ni réfuté ni confirmé l'allégation des auteurs, mais constate
que 12 des auteurs ont été exécutés quelques jours seulement après leur
condamnation. Le Comité considère en conséquence que l'État partie a violé
le paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte et, de ce fait, également l'article
6 qui protège le droit à la vie, en ce qui concerne l'ensemble des 18 auteurs
des communications. Il ressort clairement de la jurisprudence du Comité
qu'en vertu du paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte, la peine de mort ne
peut être prononcée, entre autres sauvegardes, que quand toutes les
garanties d'un jugement équitable, y compris le droit de faire appel, ont
été respectées.
6.1 Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il
est saisi font apparaître une violation par la Sierra Leone de l'article
6 et du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte.
6.2 Le Comité réaffirme sa conclusion selon laquelle l'État partie a commis
un manquement grave aux obligations qui lui incombent en vertu du Protocole
facultatif en exécutant 12 des 18 auteurs avant que l'examen de leur communication
n'ait été achevé (3).
6.3 Conformément au paragraphe 3 a de l'article 2 du Pacte, l'État
partie est tenu d'assurer à Anthony Mansaraj, Alpha Saba Kamara, Nelson
Williams, Beresford R. Harleston, Bashiru Conteh et Arnold H. Bangura, un
recours utile. Les auteurs ont été condamnés à l'issue d'un procès dans
le cadre duquel les garanties fondamentales d'un jugement équitable n'ont
pas été respectées. Par conséquent, le Comité considère que les auteurs
devraient être remis en liberté sauf si la législation sierra-léonaise prévoit
la possibilité de nouveaux procès respectant toutes les garanties requises
par l'article 14 du Pacte. Le Comité considère aussi que les proches parents
de Gilbert Samuth Kandu-Bo, Khemalai Idrissa Keita, Tamba Gborie, Alfred
Abu Sankoh (alias Zagalo), Hassan Karim Conteh, Daniel Kobina Anderson,
John Amadu Sonica Conteh, Abu Bakarr Kamara, Abdul Karim Sesay, Kula Samba,
Victor L. King et Jim Kelly Jalloh ont droit à une réparation appropriée,
sous la forme d'une indemnisation.
6.4 Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a
reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou
non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, l'État
partie s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son
territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte
et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie,
le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
____________________
** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen des communications:
M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati,
M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina
Quiroga, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Ahmed
Tawfik Khalil, M. Patrick Vella et M. Maxwell Yalden.
[Adopté en anglais (version originale, en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
1. Le conseil ne donne pas d'autres informations sur les condamnations.
2. A/54/40, vol. 1, chap. 6, par. 420 et annexe X.
3. Piandiong, Morallos et Bulan c. Philippines (869/1999).