Présentée par: Sergei Romanov (non représenté par un conseil)
Au nom de: L'auteur
État partie: Ukraine
Date de la communication: 11 août 1998 (lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 30 octobre 2003,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1 L'auteur de la communication est Sergei Nicholaiovich Romanov, citoyen
russe, né en 1976 et résidant en Ukraine. Il affirme être victime de violations
par l'Ukraine des paragraphes 1 et 3 a) de l'article 2, de l'article 7, du
paragraphe 1 de l'article 9 et des paragraphes 1, 2 et 5 de l'article 14 du
Pacte. Il n'est pas représenté par un conseil.
1.2 Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l'Ukraine le 25 octobre
1991.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 À la fin de 1995, l'auteur, qui avait un besoin urgent d'argent, a
conçu un plan pour voler un certain M. Maksimenko, qui était une connaissance
de la jeune femme avec qui l'auteur vivait à l'époque, Mlle Podlesnaya.(1)
En novembre 1995, cette dernière a rendu visite à M. Maksimenko chez lui
et a versé de la clophéline (substance narcotique) dans son verre. Une fois
M. Maksimenko endormi, Mlle Podlesnaya a téléphoné à l'auteur puis l'a fait
entrer dans l'appartement. L'auteur a tenté d'ouvrir un coffre au moyen
d'une hachette trouvée sur place. M. Maksimenko s'est subitement réveillé
et l'auteur, prenant peur, l'a frappé avec la hachette, le faisant tomber.
L'auteur et sa compagne ont alors emporté divers biens lui appartenant.
M. Maksimenko a survécu et l'auteur a été arrêté et traduit en justice.
Il affirme qu'à aucun moment il n'avait eu l'intention de tuer M. Maksimenko.
2.2 Le 30 octobre 1996, le tribunal de Kiev a déclaré l'auteur coupable
de quatre infractions pénales: tentative de meurtre, vol qualifié, tentative
de vol et incitation d'un mineur à commettre un acte criminel. Il l'a condamné
à 15 ans d'emprisonnement, peine assortie de la confiscation de tous ses
biens personnels. En ce qui concerne le chef de tentative de meurtre, le
tribunal a conclu que la dose de clophéline administrée à la victime pouvait
être mortelle et que l'auteur avait l'intention de tuer la victime lorsqu'il
l'avait frappée avec la hachette. Sur ce dernier point, le tribunal a établi
que l'auteur avait porté plusieurs coups à la tête, causant des blessures
graves, et ce alors que la victime était encore inconsciente sous l'effet
de la drogue. L'auteur a fait appel de sa condamnation pour tentative de
meurtre auprès de la Cour suprême ukrainienne. Il a été débouté le 10 juillet
1997.
2.3 L'auteur affirme que les preuves matérielles et médicales concernant
les blessures de la victime ainsi que l'expertise psychiatrique au sujet
de son propre état mental ne permettent pas d'étayer sa condamnation pour
tentative de meurtre. Le tribunal n'aurait pas dû accepter le témoignage
de Mlle Podlesnaya concernant l'état mental de l'auteur au moment où il
avait frappé la victime. L'auteur affirme en effet que la jeune fille a
pour ainsi dire perdu la tête après avoir drogué la victime et que tout
ce qu'elle sait des événements survenus par la suite elle le tient en fait
de lui. En tout état de cause, elle s'est ensuite rétractée, affirmant que,
si elle avait déclaré que l'auteur avait eu l'intention de tuer M. Maksimenko,
c'était parce qu'elle avait appris que l'auteur encourait la peine de mort
et qu'elle risquait le même sort si elle ne coopérait pas. Le tribunal de
première instance et la juridiction saisie du recours ont l'un et l'autre
examiné le nouveau témoignage de Mlle Podlesnaya, et l'ont rejeté considérant
que celui-ci avait été fait à la demande de l'auteur.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur fait valoir qu'il n'aurait pas dû être reconnu coupable de
tentative de meurtre puisqu'il ignorait que la dose de clophéline administrée
à la victime pouvait être mortelle et qu'il n'avait pas conscience de ce
qu'il faisait lorsqu'il a frappé la victime à la tête. Il conteste les modes
de preuve retenus par les tribunaux, en particulier l'utilisation du témoignage
de sa complice, et considère ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable.
Il fait valoir que le principe de la présomption d'innocence n'a pas été
respecté et que ses arguments concernant les preuves pertinentes et ce qui
s'est réellement passé dans l'appartement de M. Maksimenko n'ont pas été
pris en compte par la Cour suprême, ce qui constitue une violation du droit
de faire examiner sa condamnation par une juridiction supérieure. Dans ces
circonstances, l'État partie a violé les articles 2, 7, 9 et 14 du Pacte.
Toutefois, l'auteur ne rattache pas spécifiquement les actions de l'État
partie aux violations qu'il dénonce.
3.2 L'auteur affirme que plusieurs dispositions du Code de procédure pénale
ukrainien ont été violées pendant le procès et en appel, principalement
du fait des irrégularités que les tribunaux auraient commises dans l'examen
de ses arguments et des éléments de preuve.
Observations de l'État partie concernant la recevabilité et le
fond
4.1 Dans une note datée du 27 mars 1999, l'État partie objecte que la communication
de l'auteur est sans fondement et donc irrecevable. Il fait valoir que la
culpabilité de l'auteur a été établie sur la base de son propre témoignage,
des déclarations de sa complice et de plusieurs autres témoins, ainsi que
des preuves médico-légales et autres.
4.2 Dans une note datée du 1er juin 1999, l'État partie conteste le fond
de la communication. Il réaffirme que les allégations de l'auteur, qui soutient
qu'il n'avait pas l'intention de tuer la victime, ont été dûment examinées
par les tribunaux ukrainiens, conformément au droit applicable, avant d'être
rejetées.
Commentaires de l'auteur sur les observations de l'État partie
5.1 Dans ses commentaires datés du 24 août 1999, l'auteur affirme que l'État
partie n'a pas tenu compte de ses arguments concernant les éléments de preuve.
Il réitère qu'il a été condamné à tort. Il fait valoir que dans sa réponse
l'État partie se retranche derrière les décisions des tribunaux alors que
celles-ci ne sont pas conformes aux faits tels qu'ils se sont réellement
produits et sont injustes. Il ajoute que l'État partie n'a pas tenu compte
de ses griefs concernant les prétendues irrégularités du procès en première
instance et du fait que la Cour suprême n'a pas dûment examiné tous ses
arguments, ce qui constitue selon lui une violation du Code de procédure
pénale.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe
2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n'était
pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement.
6.3 En ce qui concerne les plaintes en vertu des articles 2, 7 et 9 du
Pacte, le Comité considère que l'auteur n'a pas fourni suffisamment d'informations
pour étayer ses allégations et les déclare donc irrecevables aux termes
de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.4 Pour ce qui est des griefs tirés des paragraphes 1 et 2 de l'article
14, le Comité considère que les allégations de l'auteur portent en réalité
sur l'appréciation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux
ukrainiens au cours de la procédure judiciaire. Il renvoie à sa jurisprudence
réaffirmant que c'est aux juridictions des États parties au Pacte, et non
à lui-même qu'il appartient généralement d'examiner ou d'évaluer les faits
et les éléments de preuve, sauf à établir que la conduite du procès ou l'évaluation
des faits et des éléments de preuve ont été manifestement arbitraires ou
ont représenté un déni de justice (2). Les pièces portées à la connaissance
du Comité ne montrent pas que la procédure ait été entachée de telles irrégularités.
En conséquence, le Comité considère que la plainte de l'auteur au titre
des paragraphes 1 et 2 de l'article 14 est irrecevable en vertu de l'article
3 du Protocole facultatif.
6.5 En ce qui concerne le droit de faire examiner la déclaration de culpabilité
et la condamnation par une juridiction supérieure conformément à la loi,
garanti au paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte, le Comité relève que,
selon sa jurisprudence, toute procédure d'appel devrait comprendre un examen
approfondi de la condamnation et de la peine, ainsi que du dossier de première
instance. À cet égard, le Comité observe que, d'après les éléments dont
il est saisi, la législation ukrainienne fait obligation à la juridiction
d'appel d'examiner tous les éléments de preuve et les arguments pertinents.
Il ressort en outre de l'arrêt de la Cour suprême que celle-ci a bien pris
en considération les arguments de l'auteur, notamment en ce qui concerne
les déclarations de sa complice, et a examiné sa version des faits. La Cour
suprême a conclu après avoir examiné la décision en première instance qu'il
n'y avait pas lieu d'autoriser l'appel. Compte tenu de ce qui précède, le
Comité considère que l'auteur n'a pas étayé ses plaintes au titre du paragraphe
5 de l'article 14, et il les déclare donc irrecevables en vertu de l'article
2 du Protocole facultatif.
__________________________________
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
présente communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
Natwarlal Bhagwati, M. Alfredo Castillero Hoyos, M. Franco Depasquale, M.
Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer
Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M.
Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood, M. Roman Wieruszewski
et M. Maxwell Yalden.
Notes
1. Mlle Podlesnaya était mineure au moment des faits.
2. Voir par exemple les communications no 790/1997, Cheban c. Fédération
de Russie, constatations adoptées le 24 juillet 1997.