COMITÉ DES DROITS
DE L’HOMME
Soixante‑quatorzième session
18 mars‑5 avril 2002
CONSTATATIONS
Communication no 845/1998
Présentée par: M. Rawle Kennedy (représenté par un conseil, M. Saul Lehrfreund, du cabinet d’avocats Saul Simons Muirhead & Burton)
Au nom de: L’auteur
État partie: Trinité‑et‑Tobago
Date de la communication: 7 décembre 1998 (date de la lettre initiale)
Références: ‑ Décision du Rapporteur spécial prise en application de l’article 86 et de l’article 91, communiquée à l’État partie le 15 janvier 1999 (non publiée sous forme de document)
‑ CCPR/C/67/D/845/1998. Décision concernant la recevabilité adoptée le 2 novembre 1999
Date de
l’adoption
des constatations: 26
mars 2002
Le 26 mars 2002, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 845/1998. Le texte est annexé au présent document.
[ANNEXE]
ANNEXE
CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS
CIVILS ET POLITIQUES
– Soixante‑quatorzième session –
concernant la
Communication no 845/1998**
Présentée par: M. Rawle Kennedy (représenté par un conseil, M. Saul Lehrfreund, du cabinet d’avocats Saul Simons Muirhead & Burton)
Au nom de: L’auteur
État partie: Trinité‑et‑Tobago
Date
de la communication: 7
décembre 1998 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 mars 2002,
Ayant achevé l’examen de la communication no 845/1998 présentée par M. Rawle Kennedy en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,
Adopte les constatations ci‑après:
Constatations
au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1. L’auteur de la communication est Rawle Kennedy, de nationalité trinidadienne; à l’époque où la communication a été présentée, il attendait d’être exécuté en application d’une sentence de mort qui, par la suite, a été commuée. Il purge actuellement une peine de 75 ans d’emprisonnement[1] à la prison d’État de Port of Spain. Il affirme être victime de violations par la Trinité‑et‑Tobago des articles 2 (par. 3), 6 (par. 1, 2 et 4), 7, 9 (par. 2 et 3), 10 (par. 1), 14 (par. 1, 3 c) et 5) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1 Le 3 février 1987, un certain Norris Yorke était blessé au cours d’un vol à main armée dans son garage et décédait de ses blessures le lendemain. L’auteur a été arrêté le 4 février 1987, accusé de meurtre avec un certain Wayne Matthews le 9 février 1987, et présenté à un magistrat le 10 février 1987. Il a été jugé du 14 au 16 novembre 1988 et reconnu coupable des faits qui lui étaient reprochés. Le 21 janvier 1992, la Cour d’appel a ordonné un nouveau procès, qui s’est tenu entre le 15 et le 29 octobre 1993. L’auteur a de nouveau été reconnu coupable et condamné à mort. Un nouvel appel a par la suite été introduit, mais le 26 janvier 1996, la Cour d’appel a refusé d’autoriser l’appel, et a donné les raisons de ce refus le 24 mars 1998. Le 26 novembre 1998, la Section judiciaire du Conseil privé a rejeté la requête présentée par l’auteur pour être autorisé à faire appel en qualité d’indigent.
2.2 Selon l’accusation, Norris Yorke travaillait dans sa station‑service avec son supérieur, une certaine Mme Shanghie, le soir du 3 février 1987. L’auteur et M. Matthews sont entrés dans la station‑service alors que M. Yorke comptait la recette du jour. Selon l’accusation, l’auteur a demandé un litre d’huile à Mme Shanghie et lorsque celle‑ci est revenue elle a trouvé M. Yorke avec un pistolet braqué sur le front et immobilisé par l’auteur. Matthews aurait dit à l’auteur que M. Yorke allait sortir une arme, a frappé ce dernier plusieurs fois à la tête avec un morceau de bois et a quitté la pièce. M. Yorke a alors dit à ses assaillants de prendre l’argent. Mme Shanghie, à la suggestion de M. Yorke, a jeté un verre en direction de Matthews, ce qui a amené l’auteur à réagir en braquant le pistolet sur elle pour lui intimer de se tenir tranquille. Matthews s’est précipité sur M. Yorke et l’a frappé une deuxième fois à la tête; M. Yorke s’est effondré. Les deux agresseurs ont ensuite pris la fuite avec l’argent dans un véhicule appartenant à M. Yorke. Le lendemain, M. Yorke est décédé de ses blessures à la tête.
2.3 Tous les recours internes disponibles auraient été épuisés aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. L’auteur pourrait en théorie déposer une requête constitutionnelle, mais cela lui est impossible dans la pratique parce que l’État partie ne veut pas ou ne peut pas accorder l’aide juridictionnelle pour de telles requêtes et qu’il est difficile de trouver localement un avocat qui accepte de représenter pro bono l’auteur d’une requête constitutionnelle.
Teneur de la plainte
3.1 L’auteur affirme que les paragraphes 2 et 3 de l’article 9 ont été violés, du fait qu’il n’a été informé des accusations portées contre lui et n’a été traduit devant un juge que cinq et six jours après son arrestation, respectivement. Le conseil rappelle que le Pacte exige que ces mesures soient prises dans «le plus court délai» et affirme que les périodes qui ont en l’espèce séparé l’arrestation de la notification des accusations et de la présentation à un magistrat ne satisfont pas à ce critère.
3.2 L’auteur affirme être victime d’une violation des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14 au motif qu’il y a eu des retards indus dans la procédure. Il rappelle que 1) 21 mois se sont écoulés entre la date où il a été accusé et le début de son premier procès, 2) 38 mois se sont écoulés entre la date de sa condamnation et l’examen de son recours en appel, 3) 21 mois se sont écoulés entre la décision de la Cour d’appel d’autoriser son appel et le début du nouveau procès, 4) 27 mois se sont écoulés entre la seconde condamnation et l’examen de son deuxième recours en appel, et 5) 26 mois se sont écoulés entre l’examen de son second appel et le prononcé de l’arrêt motivé de la Cour d’appel. Selon le conseil, rien ne peut raisonnablement justifier que le nouveau procès ait eu lieu quelque six ans après les faits et qu’il ait fallu quatre ans et quatre mois à la Cour d’appel pour statuer, et il estime que l’État partie doit assumer la responsabilité de ces retards.
3.3 L’auteur allègue des violations des articles 6, 7 et 14, paragraphe 1, au motif qu’à la Trinité‑et‑Tobago la peine de mort doit être obligatoirement prononcée en cas de meurtre. Il rappelle qu’à la différence de la législation de nombreux autres pays de common law[2], celle de la Trinité‑et‑Tobago ne distingue pas entre le meurtre entraînant la peine capitale (capital murder) et le meurtre simple[3]. Il soutient que la rigueur de la peine de mort obligatoire en cas de meurtre est aggravée par la règle en vigueur à la Trinité‑et‑Tobago selon laquelle une personne qui commet un crime accompagné de violences contre les personnes le fait à ses risques et périls et est coupable de meurtre si ces violences aboutissent au décès, même accidentel, de la victime. L’application de cette règle constituerait une mesure accablante pour les complices, qui peuvent avoir participé à la commission de l’infraction sans penser que des dommages corporels graves, voire la mort, pourraient résulter du vol.
3.4 L’auteur affirme qu’étant donné la grande diversité des circonstances dans lesquelles un meurtre peut être commis, une condamnation prononcée indifféremment quelles que soient les circonstances ne satisfait pas au critère de proportionnalité entre les circonstances et la peine, et devient par conséquent une peine cruelle et inhabituelle, en violation de l’article 7 du Pacte. L’auteur affirme de même que l’article 6 a été violé, car prononcer la peine de mort sans tenir compte des circonstances du crime constitue une peine cruelle, inhumaine et dégradante ainsi qu’une peine arbitraire et disproportionnée, qui ne saurait justifier que l’on prive une personne de son droit à la vie. En outre, selon l’auteur, le paragraphe 1 de l’article 14 a été violé parce que la Constitution de la Trinité‑et‑Tobago ne permet pas à l’auteur d’arguer que son exécution serait inconstitutionnelle au motif qu’elle constituerait un traitement cruel, inhumain ou dégradant, et parce qu’elle n’ouvre pas le droit de faire trancher par la justice la question de savoir si la peine de mort doit être prononcée ou exécutée pour le meurtre commis en l’espèce.
3.5 Le prononcé de la peine de mort sans tenir compte des circonstances atténuantes ni donner la possibilité de les exposer a été particulièrement rigoureux dans le cas de l’auteur, car les circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise montrent qu’il n’était que complice du meurtre et aurait donc été considéré comme moins coupable. Le conseil évoque un projet de loi portant amendement à la loi sur les infractions contre les personnes qui a été examiné mais jamais adopté par le Parlement trinidadien. Selon le conseil, si ce projet de loi avait été adopté, l’infraction commise par l’auteur aurait fait partie des infractions non passibles de la peine capitale.
3.6 L’auteur se déclare victime d’une violation des paragraphes 2 et 4 de l’article 6 du Pacte, au motif que l’État partie ne lui a pas donné l’occasion d’être entendu équitablement en relation avec l’exercice du droit de grâce. À la Trinité‑et‑Tobago, le Président a le pouvoir de commuer toute condamnation à mort, en vertu de l’article 87 de la Constitution mais il doit prendre l’avis d’un ministre désigné par ses soins, agissant lui‑même sur l’avis du Premier Ministre. En vertu de l’article 88 de la Constitution, il existe un comité consultatif des grâces, présidé par le ministre désigné. En vertu de l’article 89 de la Constitution, le Comité consultatif doit tenir compte de certains éléments, tels que le rapport du juge du fond, avant de rendre son avis. Le conseil indique que, dans la pratique, à la Trinité‑et‑Tobago, le comité consultatif est l’organe qui a le pouvoir de commuer les condamnations à mort et qu’il fixe librement sa procédure sans être tenu de garantir au détenu une audition équitable ou au requérant toute autre forme de protection procédurale telle que le droit de présenter un exposé écrit ou oral ou d’avoir communication des pièces sur la base desquelles le Comité consultatif devra se prononcer[4].
3.7 Pour le conseil, le droit de solliciter la grâce au titre du paragraphe 4 de l’article 6 du Pacte doit être interprété dans un sens qui en fasse un droit effectif, c’est‑à‑dire un droit réel et concret et non théorique ou illusoire. C’est ainsi que celui qui sollicite la grâce doit jouir des droits procéduraux suivants:
– Le droit d’être informé de la date à laquelle le Comité consultatif va examiner son cas;
– Le droit d’avoir communication des pièces que le Comité consultatif aura à sa disposition à l’audition;
– Le droit de présenter avant l’audition des observations tant d’ordre général que sur les éléments dont le Comité consultatif est saisi;
– Le droit d’être entendu oralement par le Comité consultatif;
– Le droit de communiquer au Comité consultatif, pour qu’il les examine, les conclusions et recommandations de tout organe international, tel que le Comité des droits de l’homme de l’ONU.
3.8 Dans le cas de l’auteur, le conseil relève que le Comité consultatif s’est sans doute réuni plusieurs fois pour examiner la requête de l’auteur sans que celui‑ci en sache rien, et décidera sans doute de se réunir à nouveau, sans l’en informer, sans lui donner l’occasion de présenter des observations et sans lui communiquer les éléments à examiner. Le conseil affirme qu’il y a là une violation des paragraphes 4 et 2 de l’article 6 du Pacte car le Comité consultatif ne peut dire d’un crime, de manière fiable, qu’il appartient à la catégorie des «crimes les plus graves» que si le détenu est autorisé à participer pleinement au processus décisionnel.
3.9 L’auteur affirme être victime d’une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte car, après son arrestation, il a été torturé et frappé par la police alors qu’il attendait d’être inculpé et d’être traduit devant un magistrat. Il aurait été roué de coups à plusieurs reprises et on l’aurait torturé pour lui faire avouer sa culpabilité. Il déclare qu’on l’a frappé sur la tête avec un panneau de signalisation, qu’on lui a donné des coups dans les côtes avec la crosse d’un fusil, que des policiers, dont il donne les noms, l’ont piétiné, que l’un d’eux, dont il donne le nom également, l’a frappé aux yeux, qu’on l’a menacé avec un scorpion, qu’on l’a menacé de le noyer et qu’on l’a privé de nourriture. Il s’est plaint d’avoir été battu et il a montré les traces des coups reçus lorsqu’il a comparu devant le magistrat le 10 février 1987, et le juge a ordonné qu’il soit emmené à l’hôpital après l’audition.
3.10 L’auteur affirme être victime d’une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte pour avoir été détenu, tant pendant sa détention provisoire que dans le quartier des condamnés à mort, dans des conditions épouvantables. Ainsi, pendant toute la durée de sa détention provisoire (soit 21 mois avant le premier procès et 21 mois avant le deuxième), l’auteur est resté enfermé dans une cellule d’à peine deux mètres sur trois, qu’il partageait avec 5 à 10 autres détenus. En ce qui concerne la période qu’il a passée dans le quartier des condamnés à mort, soit en tout près de huit ans, il est affirmé que l’auteur a été détenu au secret dans une cellule d’à peine deux mètres sur trois, ne contenant qu’un lit en fer, une table et un banc, sans lumière naturelle ni installation sanitaire et n’ayant qu’un seau en plastique pour toilettes. L’auteur déclare qu’il n’est autorisé à sortir de sa cellule qu’une fois par semaine pour prendre de l’exercice, que la nourriture est insuffisante et presque immangeable et que ses besoins alimentaires particuliers ne sont pas pris en compte. Les soins médicaux et dentaires sont peu fréquents, même si on en fait la demande.
3.11 Compte tenu du paragraphe 3.10 ci‑dessus, l’auteur déclare que l’exécution de la peine de mort constituerait une violation de ses droits, tels qu’ils sont énoncés aux articles 6 et 7 du Pacte. Il renvoie à la décision de la Section judiciaire du Conseil privé dans l’affaire Pratt et Morgan où il est dit que la détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort violerait l’interdiction des traitements inhumains et dégradants énoncée dans ce cas‑là dans la Constitution jamaïcaine. D’après le conseil, le même raisonnement doit être suivi dans le cas à l’examen.
3.12 Enfin, l’auteur affirme être victime d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte au motif que, ne disposant pas de l’aide juridictionnelle, il est de fait privé du droit de s’adresser à la Haute Cour pour demander réparation des violations de ses droits fondamentaux. Il relève que le coût d’une action devant la Haute Cour dépasse de beaucoup ses moyens financiers, comme d’ailleurs ceux de la majorité des personnes condamnées pour des crimes entraînant la peine capitale.
3.13 À propos de la réserve formulée par l’État partie lorsqu’il a de nouveau adhéré au Protocole facultatif le 26 mai 1998, l’auteur affirme que le Comité a compétence pour examiner la présente communication bien qu’elle concerne «un prisonnier condamné à mort, pour [des questions] ayant trait aux poursuites judiciaires dont il a fait l’objet, à sa détention, à son procès, à sa condamnation et à sa peine ou l’exécution de la peine de mort à son encontre».
Observation de l’État partie et commentaires de l’auteur
4.1 Dans une communication du 8 avril 1999, l’État partie renvoie à l’instrument par lequel il a adhéré de nouveau au Protocole facultatif, le 26 mai 1998, qui était assorti de la réserve ci‑après:
«... Le Gouvernement de la Trinité‑et‑Tobago accède de nouveau au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en formulant une réserve à l’article 1 selon laquelle le Comité des droits de l’homme n’est pas compétent pour recevoir et examiner les communications relatives à un détenu condamné à mort et concernant de quelque manière que ce soit les poursuites engagées contre lui, sa détention, son procès, sa condamnation, la peine prononcée contre lui ou l’exécution de la peine de mort prononcée à son encontre et toute question connexe.»
4.2 L’État partie déclare qu’en raison de cette réserve et du fait que l’auteur est un détenu condamné à mort, le Comité n’a pas compétence pour examiner la communication. En enregistrant la communication et en prétendant imposer des mesures conservatoires conformément à l’article 86 de son règlement intérieur, le Comité a outrepassé ses pouvoirs et l’État partie considère donc que les actes du Comité concernant cette communication sont nuls et sans effet contraignant.
5. Dans ses commentaires du 23 avril 1999, l’auteur déclare que l’affirmation de l’État partie selon laquelle le Comité a outrepassé ses pouvoirs en enregistrant la communication est fausse au regard du droit international. Il souligne que, conformément au principe général selon lequel l’organe dont la compétence fait l’objet d’une réserve décide de la validité et de l’effet de cette réserve, c’est au Comité et non à l’État partie qu’il appartient de décider de la validité de la réserve formulée. Il renvoie au paragraphe 18 de l’Observation générale no 24 du Comité[5] ainsi qu’à l’arrêt rendu par la Cour internationale de Justice le 4 décembre 1998 dans l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada).
Décision du Comité concernant la recevabilité
6. Le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication à sa soixante‑septième session. Il a décidé que la réserve ne pouvait être déclarée compatible avec l’objet et le but du Protocole facultatif, et que, par conséquent, il ne pouvait être empêché d’examiner la communication en vertu du Protocole facultatif. Le Comité a noté que l’État partie n’avait contesté la validité d’aucune des plaintes de l’auteur si ce n’est au motif de la réserve qu’il avait formulée et il a estimé que les plaintes de l’auteur étaient suffisamment fondées pour être examinées quant au fond. En conséquence, le 2 novembre 1999, le Comité des droits de l’homme a déclaré la communication recevable[6].
Examen au fond
7.1 L’État partie avait jusqu’au 3 juillet 2000 pour soumettre des informations sur le bien‑fondé de la plainte de l’auteur. À ce jour, il n’avait communiqué aucune information pertinente à ce sujet, en dépit des deux rappels qui lui avaient été adressés les 28 février 2001 et 13 août 2001.
7.2 Le Comité a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties comme prévu au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.3 Le conseil affirme que la règle de la condamnation obligatoire à la peine de mort et son application à M. Kennedy constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. L’État partie n’a pas réfuté cette affirmation. Le Comité note qu’au regard du droit de la Trinité‑et‑Tobago, la condamnation obligatoire à la peine de mort est uniquement fonction de la nature du crime dont l’accusé a été reconnu coupable et qu’aucune autre circonstance − comme la situation personnelle de l’accusé ou les conditions dans lesquelles le crime a été commis − ne peut être prise en considération. Dans le cas de la Trinité‑et‑Tobago, le Comité note que la condamnation à la peine de mort est obligatoire en cas de meurtre et qu’elle peut et doit même en fait être imposée lorsque quelqu’un commet un crime violent qui est à l’origine du décès, même accidentel, de la victime. Le Comité considère que ce système de condamnation obligatoire à la peine de mort tend à priver l’auteur du droit à la vie sans considérer si, dans les circonstances particulières du crime, cette forme exceptionnelle de châtiment est ou non compatible avec les dispositions du Pacte[7]. En conséquence, le Comité estime qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.
7.4 Le Comité a noté que le conseil de M. Kennedy avait affirmé que ce dernier n’avait à aucun moment été entendu au sujet de sa demande de grâce et n’avait pas non plus été informé de l’état d’avancement des délibérations concernant sa requête et que par conséquent le droit consacré au paragraphe 4 de l’article 6 du Pacte avait été violé. En d’autres termes, le conseil affirme que l’exercice du droit de demander une grâce ou une commutation de peine est soumis aux garanties de procédure définies à l’article 14 (voir plus haut par. 3.8). Le Comité remarque toutefois que le libellé du paragraphe 4 de l’article 6 ne prévoit pas de procédure particulière concernant les modalités d’exercice du droit à la clémence. Il en découle que les États parties gardent un pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de fixer les modalités de l’exercice des droits reconnus au paragraphe 4 de l’article 6. Il n’apparaît pas que la procédure existant à la Trinité‑et‑Tobago et les modalités fixées par les articles 87 à 89 de la Constitution de ce pays aient pour effet de nier dans la pratique le droit consacré au paragraphe 4 de l’article 6. Le Comité ne constate par conséquent aucune violation de cette disposition.
7.5 En ce qui concerne l’affirmation du conseil selon laquelle la durée des poursuites judiciaires dans l’affaire en question constituait une violation de l’article 14, paragraphes 3 c) et 5, le Comité note que plus de 10 ans se sont écoulés entre le procès de l’auteur et le refus de sa demande d’appel auprès de la Section judiciaire du Conseil privé. Il considère que les retards évoqués par le conseil (voir plus haut par. 3.2) et en particulier le retard pris dans la procédure judiciaire après qu’un nouveau procès eut été ordonné au début de 1992, soit plus de six ans entre cette décision et le rejet du second appel formé en mars 1998, était inacceptable au sens des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14, lus conjointement. Le Comité conclut donc à une violation de ces dispositions.
7.6 L’auteur invoque des violations des paragraphes 2 et 3 de l’article 9 parce qu’il n’a été accusé que cinq jours après son arrestation et n’a été déféré devant un juge que neuf jours après son arrestation. Le fait que l’auteur n’a été formellement accusé que le 9 février 1987 et n’a été déféré devant un juge que le 10 février 1987 n’a pas été contesté. Si l’interprétation à donner à l’expression «dans le plus court délai» aux paragraphes 2 et 3 de l’article 9 est à déterminer suivant le cas, le Comité rappelle le principe appliqué dans le cadre du Protocole facultatif, selon lequel les délais ne devraient pas excéder quelques jours. Si les informations dont il est saisi ne permettent pas au Comité de déterminer si M. Kennedy a été informé «dans le plus court délai» des accusations portées contre lui, le Comité considère qu’en tout état de cause, il n’a pas été déféré «dans le plus court délai» devant un juge, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 de l’article 9.
7.7 Le Comité a noté que l’auteur affirmait avoir été battu après son arrestation, pendant sa garde à vue. Il note que l’État partie n’a pas nié ce fait; que l’auteur a décrit dans le détail les mauvais traitements subis et a même identifié les policiers qui en étaient les auteurs; et que le juge devant lequel il est comparu le 10 février 1987 a ordonné qu’il soit transféré à l’hôpital pour y être soigné. Le Comité considère que le traitement subi par M. Kennedy pendant sa garde à vue constitue une violation de l’article 7 du Pacte.
7.8 L’auteur affirme que ses conditions de détention étaient contraires à l’article 7 et au paragraphe 1 de l’article 10. Là encore, l’État partie n’a pas répondu à cette accusation. Le Comité note que l’auteur a passé au total 42 mois, avec entre 5 et 10 autres détenus, dans une cellule mesurant 2 mètres sur 3; que, pendant presque huit ans, en attendant son exécution, il a été soumis au régime cellulaire dans une petite cellule sans sanitaire, sauf un seau qui servait de tinette, sans lumière, sans pouvoir en sortir plus d’une fois par semaine, et avec une nourriture inadéquate qui ne correspondait pas à son régime alimentaire particulier. Le Comité considère que ces conditions de détention − que l’État partie n’a pas niées − constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.
7.9 Le Comité a noté l’affirmation de l’auteur (voir plus haut par. 3.11) selon laquelle son exécution constituerait une violation des articles 6 et 7 du Pacte. Toutefois, le Comité considère que, du fait de la commutation de la peine, la plainte concernant ce point particulier est devenue sans objet.
7.10 L’auteur affirme enfin que l’absence d’aide juridictionnelle offerte aux fins de former un recours constitutionnel était une violation du paragraphe 1 de l’article 14 interprété à la lumière du paragraphe 3 de l’article 2. Le Comité note que le Pacte ne contient pas de disposition expresse obligeant tout État partie à fournir une aide juridictionnelle dans tous les cas et qu’il n’impose une telle obligation que dans les cas où l’intérêt de la justice l’exige [art. 14 3) d)]. Il constate en outre que le rôle de la Cour constitutionnelle n’est pas de décider de la culpabilité d’un prévenu mais de s’assurer que les personnes faisant appel ont eu un procès équitable. L’État partie a, en vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’obligation de garantir un recours utile auprès de la Cour constitutionnelle comme prévu à l’article 14 1) de la Constitution de la Trinité‑et‑Tobago, s’agissant des allégations de violation des droits énoncés dans le Pacte. Étant donné que l’auteur n’a pas pu bénéficier de l’aide juridictionnelle pour faire valoir auprès de la Cour constitutionnelle que son droit à un procès équitable avait été violé, le Comité considère que le non‑octroi de l’aide juridictionnelle constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14, interprété à la lumière du paragraphe 3 de l’article 2.
8. Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, considère que les faits qui lui sont soumis font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, du paragraphe 3 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14 et des paragraphes 1 et 3 d) du même article, ces deux derniers paragraphes étant interprétés à la lumière du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.
9. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’assurer à M. Rawle Kennedy un recours utile, notamment un dédommagement et la possibilité d’une libération anticipée. L’État partie est tenu de prendre des mesures pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.
10. Le Comité n’ignore pas que la Trinité‑et‑Tobago a dénoncé le Protocole facultatif. Il a toutefois été saisi de la présente affaire avant que cette dénonciation ne prenne effet, soit le 27 juin 2000; conformément au paragraphe 2 de l’article 12 du Protocole facultatif, les dispositions de cet instrument continuent d’être applicables à l’État partie. Conformément à l’article 2 du Pacte, celui‑ci s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]
Appendice
Opinion individuelle de MM. Nisuke Ando, Eckart Klein et David Kretzmer
Lorsque le Comité a examiné la recevabilité de la présente communication, nous étions d’avis qu’à la lumière de la réserve émise par l’État partie, réserve citée au paragraphe 4.1 des constatations du Comité, celui‑ci n’avait pas compétence pour examiner ladite communication, qui devrait donc être déclarée irrecevable. Le Comité n’a pas accepté notre point de vue et a estimé qu’il était compétent pour examiner cette communication. Nous respectons la conclusion du Comité quant à sa compétence et nous avons donc participé à l’examen de la communication sur le fond.
(Signé)
Nisuke Ando
(Signé) Eckart Klein
(Signé) David Kretzmer
[Fait en anglais, espagnol (version originale) et français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]
Opinion individuelle (concordante) de M. David Kretzmer,
cosignée par M. Maxwell Yalden
Dans la communication no 806/1998 (Thompson c. Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines), j’ai indiqué que je ne pouvais pas souscrire à l’avis du Comité qui a estimé qu’étant donné que la sentence de mort était obligatoire de par la loi de l’État partie en cas de meurtre, il s’ensuivait nécessairement qu’en condamnant l’auteur à la peine de mort, l’État partie avait violé le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte. Mon opinion était fondée principalement sur le fait que, en vertu de la loi de l’État partie, la peine de mort n’était obligatoire que dans le cas d’un acte intentionnel ayant entraîné la mort d’autrui; en pareil cas, une telle peine, tout en répugnant profondément aux soussignés, ne constituait pas, à notre sens, une violation du Pacte. Toutefois, dans la présente affaire, qui met en jeu l’imposition obligatoire d’une sentence de mort, il a été démontré que la définition du meurtre peut inclure la participation à un crime accompagné de violences qui entraînent la mort accidentelle d’autrui. De surcroît, dans cette affaire, l’accusation n’a pas prétendu que l’auteur avait tué intentionnellement Norris Yorke.
Dans ces conditions, il n’apparaît pas de manière incontestable que l’acte dont l’auteur a été reconnu coupable constituait l’un des crimes les plus graves, seul cas dans lequel, aux termes du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte, une sentence de mort puisse être prononcée. De surcroît, le caractère obligatoire de la sentence a ôté au tribunal la possibilité d’examiner si le crime spécifique commis par l’auteur constituait effectivement l’un des crimes les plus graves au sens du paragraphe 2 de l’article 6. En conséquence, j’estime qu’en prononçant une sentence de mort, l’État partie a violé le droit à la vie de l’auteur protégé en vertu du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte.
(Signé) David Kretzmer
(Signé) Maxwell Yalden
[Fait en anglais (version originale), espagnol et français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]
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* Constatations rendues publiques sur décision du Comité des droits de l’homme.
** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Patrick Vella et M. Maxwell Yalden.
Le texte d’une opinion individuelle signé de MM. Nisuke Ando, Eckart Klein et David Kretzmer et celui d’une opinion individuelle signé de MM. David Kretzmer et Maxwell Yalden sont joints à la présente décision.
[1] À une date non spécifiée, après expiration du délai de cinq ans fixé par le Conseil privé, dans lequel la peine de mort peut être commuée, la sentence de mort prononcée à l’encontre de l’auteur a été commuée en une peine d’emprisonnement de 75 ans − ce dont l’auteur a été informé le 8 février 2000.
[2] Est évoquée la loi de 1957 sur l’homicide, du Royaume‑Uni, selon laquelle seuls sont punis de la peine de mort le «meurtre passible de la peine capitale» (meurtre commis à l’aide d’une arme à feu ou d’une explosion, meurtre commis dans le cadre d’un vol, meurtre commis pour résister à une arrestation ou pour s’évader et meurtre de policiers et fonctionnaires pénitentiaires dans l’exercice de leurs fonctions) en application de l’article 5 et le meurtre commis en plus d’une occasion, en application de l’article 6.
[3] La législation trinidadienne contient toutefois des dispositions qui disqualifient le meurtre en homicide, en cas de meurtre avec responsabilité atténuée ou commis en réponse à une provocation.
[4] Le conseil évoque les principes énoncés par la Section judiciaire du Conseil privé dans l’affaire Reckley c. Ministre de la sûreté publique (no 2) (1996) 2WLR 281, ainsi que dans l’affaire De Freitas c. Benny (1976) A. C.
[5] I/GEN HR/1/Rev.3, 15 août 1997, p. 53.
[6] Pour le texte de la décision, voir le Rapport du Comité des droits de l’homme pour 2000, A/55/40, vol. 2, annexe XI.A.
[7] Voir Constatations sur la communication no 806/1998 (Thompson c. Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines) adoptées le 18 octobre 2000, par. 8.2 (A/56/40, vol. II, annexe X.H).