Comité des droits de l'homme
Soixante-septième session
18 octobre - 5 novembre 1999
ANNEXE*
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Soixante-septième session -
Communication No 845/1999**
Présentée par : Rawle Kennedy
(représenté par le cabinet d'avocats londonien Simons Muirhead & Burton)
Au nom de : L'auteur
État partie : Trinité-et-Tobago
Date de la communication : 7 décembre 1998
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 2 novembre 1999,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est M. Rawle Kennedy, de nationalité trinidadienne, en attente d'exécution à la prison d'État de Port of Spain. Il se déclare victime de violations par la Trinité-et-Tobago du paragraphe 3 de l'article 2, des paragraphes 1, 2 et 4 de l'article 6, de l'article 7, des paragraphes 2 et 3 de l'article 9, du paragraphe 1 de l'article 10, des paragraphes 1, 3 c) et 5 de l'article 14 et de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par le cabinet d'avocats londonien Simons Muirhead & Burton.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 3 février 1987, un certain Norris Yorke a été blessé lors d'un vol qualifié commis dans son garage. Il est mort de ses blessures le jour suivant. L'auteur a été arrêté le 4 février 1987 et inculpé de meurtre, ainsi qu'un certain Wayne Matthews, le 9 février 1987. Il a été conduit pour la première fois devant un magistrat le 10 février 1987. Son procès a duré du 14 au 16 novembre 1988 et il a été reconnu coupable. Il a fait appel de sa condamnation et, le 21 janvier 1992, la cour d'appel a accepté son recours et ordonné qu'un nouveau procès ait lieu. Celui-ci s'est déroulé du 15 au 29 octobre 1993. L'auteur a été de nouveau reconnu coupable et condamné à mort. Le 26 janvier 1996, la cour d'appel a rejeté sa nouvelle demande d'autorisation de recours et a fait part des motifs de sa décision le 24 mars 1998. Le 26 novembre 1998, l'auteur a été débouté de la demande qu'il avait adressée à la section judiciaire du Conseil privé.
2.2 La thèse de l'accusation était que la victime, M. Norris Yorke, se trouvait à son travail dans une station-service, avec la patronne, une certaine Mme Shanghie, le soir du 3 février 1987, lorsque, après la fermeture, tandis qu'il faisait la caisse, l'auteur et M. Matthews avaient fait irruption. L'accusation a déclaré que l'auteur avait demandé un litre d'huile à Mme Shanghie et que, lorsque celle-ci était revenue après être allée le chercher, l'auteur avait immobilisé M. Yorke. Il le maintenait par la tête et tenait un revolver pointé sur son front. M. Matthews aurait alors averti l'auteur que M. Yorke avait un revolver et qu'il tentait de le saisir puis il s'était précipité dans la pièce et avait frappé M. Yorke sur la tête plusieurs fois avec un morceau de bois avant de ressortir. M. Yorke avait ensuite dit aux intrus de prendre l'argent. Au moment où Mme Shanghie, obéissant à M. Yorke, avait lancé un verre en direction de M. Matthews, l'auteur avait braqué son revolver sur elle en lui disant de se tenir tranquille. S'élançant, M. Matthews avait ensuite frappé M. Yorke à la tête une deuxième fois et celui-ci s'était écroulé. Puis, après avoir pris l'argent, les deux agresseurs s'étaient enfuis à bord d'un véhicule appartenant à M. Yorke. Celui-ci était mort le lendemain des blessures qu'il avait reçues lors du vol.
2.3 Le conseil déclare que tous les recours internes disponibles ont été épuisés aux fins du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif. L'auteur aurait pu, en théorie, déposer une requête constitutionnelle mais cela lui était impossible dans la pratique, parce que l'État partie ne voulait ou ne pouvait pas accorder l'aide juridictionnelle pour ce genre de requête et parce qu'il était extrêmement difficile de trouver un avocat trinidadien disposé à représenter gratuitement quelqu'un qui veut introduire une requête constitutionnelle.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur déclare être victime d'une violation des paragraphes 2 et 3 de l'article 9 car il n'a été informé des charges retenues contre lui que cinq jours après son arrestation et n'a été conduit devant un magistrat que six jours après. Le conseil cite le Pacte qui stipule que les deux choses doivent se faire "dans les meilleurs délais" et affirme que les dispositions du Pacte à cet égard n'ont pas été respectées. Il renvoie à ce sujet à l'Observation générale du Comité concernant l'article 9 HRI/GEN/1/Rev.3, 15 août 1997, p. 11 et suiv. ainsi qu'à la jurisprudence du Comité Communication No R.2/11, Motta c. Uruguay; communication No 257/1987, Kelly c. Jamaïque; communication No 373/1989, Stevens c. Jamaïque; communication No 597/1994, Grant c. Jamaïque..
3.2 L'auteur se déclare victime d'une violation des paragraphes 3 c) et 5 de l'article 14, au motif de retards indus dans la procédure. À ce sujet, le conseil rappelle que se sont écoulés 1) 21 mois entre la date d'inculpation de l'auteur et celle à laquelle son premier procès a commencé, 2) 38 mois entre sa condamnation et l'examen de son recours, 3) 21 mois entre la décision par laquelle la cour d'appel a accepté sa demande de recours et la date du début de son nouveau procès, 4) 27 mois entre sa deuxième condamnation et l'examen de sa deuxième demande de recours et 5) 26 mois entre l'examen de son deuxième recours et la présentation par la cour d'appel de sa décision motivée. Le conseil fait valoir qu'il n'y a aucune excuse valable pour expliquer que le nouveau procès ait eu lieu environ six ans après les faits et que la cour d'appel ait mis encore quatre ans et quatre mois pour se prononcer sur l'affaire et déclare que l'État partie doit assumer la responsabilité de ces retards. Il renvoie à cet égard à la jurisprudence du Comité Communication No 336/1988, Fillastre c. Bolivie; communication No 27/1978, Pinkney c. Canada; communication No 283/1988, Little c. Jamaïque; communications Nos 210/1986 et 226/1987, Pratt et Morgan c. Jamaïque; communication No 253/1987, Kelly c. Jamaïque; communication No 523/1992, Neptune c. TriniténetnTobago..
3.3 L'auteur se déclare victime de violations des articles 6 et 7 et du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, au motif qu'à la TriniténetnTobago le meurtre emporte obligatoirement la peine de mort. Le conseil indique que la distinction entre meurtre emportant la peine de mort et meurtre n'emportant pas la peine de mort qui a été introduite dans de nombreux autres pays de common law Il est fait référence à la loi du RoyaumenUni sur l'homicide (1957) dont l'article 5 restreint l'application de la peine de mort aux cas de meurtre aggravé (meurtre à l'arme à feu ou à l'explosif, meurtre à l'occasion d'un vol, meurtre pour résister à une arrestation ou pour s'enfuir lors d'une garde à vue et meurtres de policiers ou de personnel pénitentiaire en service), et l'article 6 au meurtre avec récidive. n'a jamais été appliquée à la TriniténetnTobago La législation trinidadienne contient cependant des dispositions qui disqualifient le meurtre en homicide involontaire en cas de meurtre avec responsabilité atténuée ou commis sur provocation.. Il note que la rigueur de l'obligation de prononcer la peine capitale en cas de meurtre est aggravée par la disposition de la législation trinidadienne relative aux meurtres et actes délictueux graves, en vertu de laquelle toute personne qui commet un acte délictueux grave avec recours à la violence contre des personnes agit à ses risques et périls et sera déclarée coupable de meurtre si la violence exercée a pour conséquence le décès même involontaire de la victime. L'application de cette disposition relative aux meurtres et actes délictueux graves est accablante pour les parties secondaires à un vol qui n'ont peut-être pas pensé à l'avance au risque d'incident pouvant causer des atteintes corporelles graves à des personnes ou leur décès.
3.4 Le conseil fait valoir qu'étant donné la grande diversité des circonstances dans lesquelles un meurtre peut être commis, l'imposition d'une peine uniforme dans tous les cas fait disparaître tout rapport de proportionnalité entre le crime commis et la sanction et devient par conséquent un châtiment cruel et inusité, en violation de l'article 7 du Pacte. De la même manière, il affirme que l'article 6 a été violé car imposer la peine capitale sans tenir compte des circonstances de l'infraction est cruel, inhumain et dégradant et constitue une peine arbitraire et disproportionnée, qui ôte sans justification la vie à quelqu'un. Il affirme en outre que le paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte a été violé, la Constitution trinidadienne n'autorisant pas l'auteur à opposer l'inconstitutionnalité de son exécution en tant que traitement inhumain, cruel ou dégradant, ni à faire examiner, dans le cadre d'une audition judiciaire ou d'une procédure de jugement, la question de savoir s'il y a lieu de prononcer ou d'appliquer la peine capitale pour le meurtre commis.
3.5 Le conseil affirme que, dans le cas de l'auteur, l'imposition de la peine capitale sans qu'il ait pu invoquer des circonstances atténuantes ni même que la question ait été examinée, est excessive car l'auteur a joué un rôle secondaire dans le meurtre commis et sa culpabilité aurait dû de ce fait être considérée comme moindre. À cet égard, le conseil fait référence à un projet de loi portant modification de la loi sur les délits contre les personnes que le Parlement trinidadien a examiné mais qu'il n'a jamais adopté. D'après le conseil, l'infraction commise par l'auteur aurait indubitablement été classée dans la catégorie des crimes n'emportant pas la peine capitale si ce projet de loi avait été adopté.
3.6 L'auteur se déclare victime d'une violation des paragraphes 2 et 4 de l'article 6 du Pacte, au motif que l'État partie ne lui a pas donné l'occasion d'être entendu équitablement en relation avec l'exercice du droit de grâce. Le conseil indique qu'à la Trinité-et-Tobago le Président a le pouvoir de commuer toute condamnation à mort, en vertu de l'article 87 de la Constitution, mais qu'il doit prendre l'avis d'un ministre désigné par ses soins, agissant lui-même sur l'avis du Premier Ministre. Selon l'article 88 de la Constitution, il existe également un Comité consultatif des grâces, présidé par le Ministre désigné. En vertu de l'article 89 de la Constitution, le Comité consultatif doit tenir compte de certains éléments, tels que le rapport du juge du fond, avant de rendre son avis. Le conseil indique que, dans la pratique, à la Trinité-et-Tobago, le Comité consultatif est l'organe qui a le pouvoir de commuer les condamnations à mort et qu'il fixe librement sa procédure sans être tenu de garantir au détenu une audition équitable ou au requérant toute autre forme de protection procédurale telle que le droit de présenter un exposé écrit ou oral ou d'avoir communication des pièces sur la base desquelles le Comité consultatif doit se prononcer Le conseil indique que ces principes ont été énoncés par la section judiciaire du Conseil privé dans l'affaire Reckley c. Ministre de la sûreté publique (No 2) (1996) 2WLR 281, ainsi que dans l'affaire De Freitas c. Benny (1976) A.C..
3.7 Le conseil fait valoir que le droit de solliciter la grâce, énoncé au paragraphe 4 de l'article 6 du Pacte, doit être interprété dans un sens qui en fasse un droit effectif, c'est-à-dire, conformément aux principes généraux, un droit réel et concret et non théorique ou illusoire. C'est ainsi que celui qui sollicite la grâce doit jouir des droits procéduraux suivants :
- Le droit d'être informé de la date à laquelle le Comité consultatif va examiner son cas;
- Le droit d'avoir communication de tous les éléments que le Comité consultatif aura à sa disposition à l'audition;
- Le droit de présenter des observations avant l'audition, tant d'ordre général que sur les éléments dont le Comité consultatif est saisi;
- Le droit d'être entendu oralement par le Comité consultatif;
- Le droit de communiquer au Comité consultatif, pour qu'il les examine, les conclusions et recommandations de tout organe international, tel que le Comité des droits de l'homme de l'ONU.
3.8 En ce qui concerne le cas précis de l'auteur, le conseil indique que le Comité consultatif s'est sans doute réuni plusieurs fois pour examiner la requête de l'auteur sans que celui-ci en sache rien, et décidera sans doute de se réunir à nouveau, sans l'en informer, sans lui donner l'occasion de faire des observations et sans lui communiquer les éléments à examiner. Le conseil affirme que cela constitue une violation des paragraphes 4 et 2 de l'article 6 du Pacte car le Comité consultatif ne peut dire d'un crime, de manière fiable, qu'il appartient à la catégorie des "crimes les plus graves" que si le détenu est autorisé à participer pleinement au processus décisionnel.
3.9 L'auteur affirme être victime d'une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte car, après avoir été arrêté le 4 février 1987, il a été torturé et frappé par la police alors qu'il attendait d'être inculpé et d'être conduit devant un magistrat. Il aurait été roué de coups à plusieurs reprises et on l'aurait torturé pour lui faire avouer sa culpabilité. L'auteur déclare notamment qu'on l'a frappé sur la tête avec un panneau de signalisation, qu'on lui a donné des coups dans les côtes avec la crosse d'un fusil, que des policiers, dont il donne les noms, ne cessaient de le piétiner, que l'un d'eux, dont il donne le nom également, l'a frappé aux yeux, qu'on l'a menacé avec un scorpion, qu'on l'a menacé de le noyer et qu'on l'a privé de nourriture. Il dit qu'il s'est plaint d'avoir été battu et qu'il a montré les traces des coups reçus lorsqu'il a comparu devant la justice le 10 février 1987 et que le juge a ordonné qu'il soit emmené à l'hôpital après l'audition mais qu'on lui a néanmoins refusé tout traitement.
3.10 L'auteur affirme être victime d'une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte pour avoir été détenu, tant pendant sa détention provisoire que dans le quartier des condamnés à mort, dans des conditions épouvantables. Il est affirmé que pendant toute la durée de sa détention provisoire (soit 21 mois avant le premier procès et 21 mois avant le deuxième), l'auteur est resté enfermé dans une cellule d'à peine deux mètres sur trois, qu'il partageait avec cinq à dix autres détenus. En ce qui concerne la période qu'il a passée dans le quartier des condamnés à mort, soit en tout près de huit ans, il est affirmé que l'auteur a été détenu au secret dans une cellule d'à peine deux mètres sur trois, ne contenant qu'un lit en fer, une table et un banc, sans lumière naturelle ni installation sanitaire et n'ayant qu'un seau en plastique pour toilettes. L'auteur ajoute qu'il n'est autorisé à sortir de sa cellule qu'une fois par semaine pour prendre de l'exercice, que la nourriture est insuffisante et presque immangeable et que ses besoins alimentaires particuliers ne sont pas pris en compte. Les soins médicaux et dentaires sont peu fréquents, même si on en fait la demande. Il est fait référence à des rapports d'organisations non gouvernementales sur les conditions de détention à la Trinité-et-Tobago, à des extraits de déclarations du Secrétaire général de l'Association des personnels pénitentiaires parus dans un journal national ainsi qu'à l'Ensemble de règles minima de l'ONU pour le traitement des détenus.
3.11 En plus des violations de l'article 7 du Pacte et du paragraphe 1 de l'article 10 dont il affirme être victime, en raison du caractère épouvantable des conditions de détention, l'auteur déclare que l'exécution dans ces circonstances de la peine de mort prononcée à son encontre constituerait une violation de ses droits, tels qu'ils sont énoncés aux articles 6 et 7 du Pacte. Il renvoie à la décision de la section judiciaire du Conseil privé dans l'affaire Pratt et Morgan c. The Attorney General of Jamaica (1994) 2 AC1, où il est dit que la détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort violerait l'interdiction des traitements inhumains et dégradants énoncée dans la Constitution jamaïcaine. D'après le conseil le même raisonnement doit être suivi dans le cas à l'examen, avec pour conséquence qu'une exécution après une détention dans de telles circonstances serait illégale.
3.12 Enfin, l'auteur affirme être victime d'une violation du paragraphe 3 de l'article 2 et de l'article 14 du Pacte au motif que, ne disposant pas de l'aide juridictionnelle, il est de fait privé du droit de s'adresser à la Haute Cour conformément au paragraphe 1 de l'article 14 de la Constitution trinidadienne, pour demander réparation pour violation de ses droits fondamentaux. Il affirme que le coût d'une action devant la Haute Cour est extrêmement élevé et dépasse ses moyens financiers, comme d'ailleurs ceux de la grande majorité des personnes condamnées pour des crimes entraînant la peine capitale. Il fait référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme Golder c. RoyaumenUni (1975) A18; Airey c. Irlande (1979) A32. et à celle du Comité Communication No 377/1989, Currie c. Jamaïque..
3.13 À propos de a réserve formulée par l'État partie lorsqu'il a de nouveau adhéré au Protocole facultatif le 26 mai 1998, l'auteur affirme que le Comité a compétence pour examiner la présente communication bien qu'elle concerne "un prisonnier condamné à mort, pour [des questions] ayant trait aux poursuites judiciaires dont il a fait l'objet, à sa détention, à son procès, à sa condamnation et à sa peine ou l'exécution de la peine de mort à son encontre".
3.14 Bien que la réserve ait pour effet d'exclure les communications en rapport avec une condamnation à mort présentées après le 26 août 1998, l'auteur objecte que cette réserve porte gravement atteinte à la compétence qui est celle du Comité en matière d'examen des communications, en vertu du Protocole facultatif, car elle l'empêche d'examiner toute une série de cas, dont beaucoup pourraient contenir des allégations de violations de droits non susceptibles de dérogation. Il affirme qu'étant incompatible avec l'objet et le but du Protocole, la réserve est nulle et sans effet et ne peut empêcher le Comité d'examiner la présente communication.
3.15 À l'appui de cette thèse, le conseil présente plusieurs arguments. Tout d'abord, il rappelle qu'en vertu du préambule du Protocole facultatif ainsi que de ses articles 1er et 2, le Comité est habilité à recevoir et à examiner des communications émanant de particuliers relevant de la juridiction d'un État partie qui prétendent être victimes d'une violation, par cet État partie, de l'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. Un État partie au Protocole est donc, affirme le conseil, tenu d'une obligation unique concernant tous les droits énoncés dans le Pacte et il ne saurait formuler de réserve excluant l'examen de la violation d'un droit particulier. Cette position est corroborée par les points suivants :
- Au nombre des droits énoncés dans le Pacte figurent des droits de l'homme non susceptibles de dérogation ayant statut de jus cogens. Un État partie ne peut limiter la compétence qu'a le Comité pour examiner des cas mettant en cause des droits de cette nature et donc ne peut, par exemple, imposer de limite aux communications de prisonniers condamnés à mort affirmant avoir été torturés;
- Le Comité se trouvera confronté à de réelles difficultés s'il ne peut examiner que les communications qui concernent certains droits car de nombreuses plaintes contiennent nécessairement des allégations de violation de plusieurs articles du Pacte;
- La réserve de la TriniténetnTobago, telle qu'elle est conçue, est sans précédent, et d'ailleurs rares ou inexistants sont les défenseurs de la pratique consistant à formuler des réserves en considération de la personne ou à raison de la matière en ce qui concerne le Protocole facultatif.
3.16 Le conseil fait observer par ailleurs que, pour déterminer si la réserve est compatible avec l'objet et le but du Protocole facultatif, il convient de se rappeler qu'un État ne saurait retirer son adhésion au Protocole pour éviter que ne soit examinée au niveau international la façon dont il s'acquitte des obligations de fond lui incombant en vertu du Pacte. La réserve de la Trinité-et-Tobago viserait à cela et conduirait donc à ce genre d'abus.
3.17 Enfin, le conseil déclare que l'ampleur de la réserve est suspecte car elle exclut l'examen des communications qui non seulement mettent en cause l'imposition de la peine de mort elle-même, mais contiennent aussi des plaintes directement ou même indirectement liées au cas examiné, pour la simple raison que la peine de mort a été prononcée.
Observations de l'État partie et commentaires du conseil
4.1 Dans sa communication du 8 avril 1999, l'État partie renvoie à l'instrument par lequel il a adhéré de nouveau au Protocole facultatif le 26 mai 1998 et qui contenait la réserve suivante :
"... La Trinité-et-Tobago adhère de nouveau au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques en formulant une réserve à l'article premier du Protocole, à savoir que le Comité des droits de l'homme n'aura pas compétence pour recevoir et examiner des communications concernant un détenu condamné à mort pour ce qui est de toute question ayant trait aux poursuites judiciaires dont il aura fait l'objet, à sa détention, à son procès, à sa condamnation et à sa peine ou à l'exécution de la peine de mort à son encontre ou à toute question connexe."
4.2 L'État partie déclare qu'en raison de cette réserve et du fait que l'auteur est un condamné à mort, le Comité n'a pas compétence pour examiner la communication. Il ajoute qu'en enregistrant la communication et en prétendant imposer des mesures conservatoires conformément à l'article 86 de son règlement intérieur, le Comité a outrepassé ses pouvoirs et que l'État partie considère donc que les actes du Comité concernant cette communication sont nuls et sans effet contraignant.
5. Dans ses commentaires du 23 avril 1999, le conseil déclare que l'affirmation de l'État partie selon laquelle le Comité des droits de l'homme a outrepassé ses pouvoirs en enregistrant la communication est fausse, la question étant réglée par le droit international. Il souligne que, conformément au principe général selon lequel l'organe, dont la compétence fait l'objet d'une réserve, décide de la validité et de l'effet de cette réserve, c'est au Comité et non à l'État partie qu'il appartient de décider de la validité de la réserve formulée. Le conseil renvoie au paragraphe 18 de l'Observation générale No 24 du Comité HRI/GEN/1/Rev.3, 15 août 1997, p. 53. ainsi qu'à l'arrêt rendu par la Cour internationale de Justice le 4 décembre 1998 dans l'affaire de la Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada).
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le 26 mai 1998, le Gouvernement de la Trinité-et-Tobago a dénoncé le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le même jour, il a de nouveau adhéré au Protocole facultatif, en formulant dans son instrument de réadhésion la réserve citée ci-dessus au paragraphe 4.1.
6.3 Pour expliquer pourquoi il a pris ces mesures, l'État partie renvoie à la décision rendue par la section judiciaire du Conseil privé dans l'affaire Pratt et Morgan c. The Attorney General for Jamaica 2 A.C. 1, 1994., dans laquelle il était dit que dans tous les cas où l'exécution devait avoir lieu plus de cinq ans après la condamnation, il y avait tout lieu de penser que ce délai constituait "un châtiment ou autre traitement inhumain ou dégradant", en violation de l'article 17 de la Constitution jamaïcaine. L'effet de cette décision en ce qui concerne la Trinité-et-Tobago est que l'application de la peine capitale dans des délais excessifs serait contraire au paragraphe 2 b) de l'article 5 de la Constitution trinidadienne, qui contient une disposition semblable à celle de l'article 17 de la Constitution jamaïcaine. L'État partie explique qu'étant donné que la décision de la section judiciaire du Conseil privé a valeur de norme constitutionnelle pour la TriniténetnTobago, le Gouvernement est tenu de veiller à diligenter la procédure d'appel en éliminant les retards au sein du système, de manière que les peines capitales prononcées conformément à la législation trinidadienne puissent être exécutées. C'est pourquoi l'État partie a choisi de dénoncer le Protocole facultatif :
"Dans les circonstances, le Gouvernement trinidadien, tenant à ce que nul ne soit l'objet de châtiments ou traitements inhumains et dégradants, conformément à sa législation interne, et à respecter ce faisant les obligations qu'il a contractées aux termes de l'article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, s'est vu dans l'obligation de dénoncer le Protocole facultatif. Avant de le faire, toutefois, il a eu des consultations, le 31 mars 1998, avec le Président et le Bureau du Comité des droits de l'homme dans le but d'obtenir l'assurance que les affaires concernant des condamnés à mort seraient examinées rapidement et leur examen achevé dans les huit mois suivant leur enregistrement. Pour des raisons que le Gouvernement trinidadien respecte, l'assurance n'a pu être donnée que l'examen de ces affaires serait achevé dans les délais demandés."
6.4 Comme le fait observer le Comité dans l'Observation générale No 24, c'est à lui qu'il appartient, en tant qu'organe conventionnel compétent pour ce qui est du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et des Protocoles facultatifs s'y rapportant, d'interpréter les réserves concernant ces instruments et d'en déterminer la validité. Le Comité rejette l'affirmation de l'État partie selon laquelle il a outrepassé ses pouvoirs en enregistrant la communication et en décidant de demander des mesures provisoires conformément à l'article 86 du règlement intérieur. À cet égard, le Comité fait observer qu'il va de soi qu'il a nécessairement compétence pour enregistrer une communication afin de déterminer si celle-ci est recevable ou non en raison d'une réserve. Quant à l'effet de cette réserve, à supposer qu'elle soit valable, il semble à première vue n et l'auteur n'a pas soutenu le contraire n qu'il soit que le Comité n'aura pas compétence pour examiner la présente communication au fond. Le Comité doit cependant déterminer si une réserve de ce genre peut être faite valablement.
6.5 Il convient de noter tout d'abord que le Protocole facultatif ne se prononce pas sur l'admissibilité des réserves à ses dispositions. Conformément à l'article 19 de la Convention de Vienne sur le droit des traités et aux principes du droit international coutumier, des réserves peuvent donc être faites pour autant qu'elles soient compatibles avec l'objet et le but de l'instrument concerné. La question qui se pose donc est de savoir si la réserve émise par la Trinité-et-Tobago peut être considérée comme compatible avec l'objet et le but du Protocole facultatif.
6.6 Dans son Observation générale No 24, le Comité a exprimé l'avis qu'une réserve visant à exclure de la compétence conférée au Comité par le Protocole facultatif certaines dispositions du Pacte ne satisfaisait pas à la condition susdite :
"La fonction [du premier Protocole facultatif] est de permettre que les réclamations dont [les droits énoncés dans le Pacte] peuvent faire l'objet soient présentées au Comité. En conséquence, une réserve touchant l'obligation d'un État de respecter et de garantir un droit énoncé dans le Pacte, formulée au titre du premier Protocole facultatif, alors qu'elle n'a pas été émise auparavant au titre du Pacte, ne porte pas atteinte au devoir de l'État de respecter ses obligations de fond. Une réserve ne peut être émise au Pacte par le biais du Protocole facultatif; ce type de réserve aurait pour effet d'obtenir que le Comité ne contrôlerait pas, en vertu du premier Protocole facultatif, la façon dont l'État remplit l'obligation considérée. Et comme l'objet et le but du premier Protocole facultatif sont de permettre au Comité de vérifier que les dispositions ayant force obligatoire pour les États sont bien appliquées, une réserve tendant à l'en empêcher serait contraire à l'objet et au but du premier Protocole, si ce n'est au Pacte" HRI/GEN/1/Rev.3, 15 août 1997, p. 50 et 51. (non souligné dans le texte).
6.7 La réserve en question ne vise pas à exclure de la compétence conférée au Comité par le Protocole facultatif une disposition particulière du Pacte mais l'ensemble du Pacte pour un groupe particulier de requérants, à savoir les détenus condamnés à mort. Elle n'en est pas pour autant davantage compatible avec l'objet et le but du Protocole facultatif. Au contraire, le Comité ne peut pas accepter une réserve qui vise expressément un groupe d'individus pour lui accorder une protection en matière de procédure moindre que celle dont bénéficie le reste de la population. De l'avis du Comité, cela constitue une discrimination qui va à l'encontre de certains principes fondamentaux consacrés dans le Pacte et les Protocoles s'y rapportant; pour cette raison, la réserve ne peut être déclarée compatible avec l'objet et le but du Protocole facultatif. La conséquence est que le Comité n'est pas empêché d'examiner la présente communication en vertu du Protocole facultatif.
6.8 Le Comité, notant que l'État partie n'a contesté la recevabilité d'aucune des plaintes de l'auteur si ce n'est au motif de la réserve qu'il a formulée, estime que la plainte de l'auteur est suffisamment étayée pour être examinée quant au fond.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est recevable;
b) Que, conformément au paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, l'État sera prié de lui faire tenir, dans les six mois qui suivront la date à laquelle la présente décision lui aura été communiquée, des explications ou des déclarations écrites éclairant l'affaire et de l'informer de toutes mesures qui auraient été prises;
c) Que toutes les explications ou déclarations reçues de l'État partie seront communiquées par le Secrétaire général à l'auteur, conformément au paragraphe 3 de l'article 93 du règlement intérieur, assorties de la demande que tous commentaires que celui-ci pourrait souhaiter faire soient adressés, dans les six semaines qui suivront la date de transmission, au Haut-Commissariat aux droits de l'homme, à l'Office des Nations Unies à Genève;
d) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie, à l'auteur et à ses représentants.
_______________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati, Mme Christine Chanet, Mme Elizabeth Evatt, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski et M. Maxwell Yalden.
** Le texte d'une opinion individuelle, signée par un membre, et d'une opinion dissidente, signée par quatre membres, est joint au présent document.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Annexe
Opinion dissidente de Nisuke Ando, Prafulachandra N. Bhagwati,
Eckart Klein et David Kretzmer
1. Nous pensons, comme l'a conclu le Comité dans sa décision, qu'il avait compétence pour enregistrer la communication et pour adresser une demande de mesures provisoires en application de l'article 86 du règlement intérieur afin de permettre au Comité de déterminer si la réserve que l'État partie a émise au Protocole facultatif rend la communication irrecevable. En revanche, nous ne pouvons pas approuver la conclusion du Comité qui estime que la communication est recevable.
2. La reconnaissance par un État partie que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction repose exclusivement sur la ratification du Protocole facultatif ou l'adhésion à cet instrument. L'article premier du Protocole facultatif dispose expressément que le Comité ne reçoit aucune communication intéressant un État partie au Pacte qui n'est pas partie au Protocole facultatif.
3. Le Protocole facultatif est un traité international distinct, qui est délibérément séparé du Pacte afin de permettre aux États parties d'accepter les dispositions du Pacte sans être tenus de reconnaître la compétence du Comité pour examiner des communications émanant de particuliers. Contrairement au Pacte, qui ne contient aucune disposition permettant de le dénoncer, le Protocole facultatif permet expressément, en son article 12, la dénonciation. Il va sans dire que dénoncer le Protocole facultatif ne peut pas avoir le moindre effet juridique sur les obligations contractées par un État partie en vertu du Pacte lui-même.
4. Dans l'affaire à l'examen, l'État partie a exercé sa faculté de dénoncer le Protocole facultatif. En y réadhérant, il s'est de nouveau engagé à reconnaître la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers. Toutefois cet acte de réadhésion n'était pas absolu. Il était assorti de la réserve qui nous intéresse ici.
5. Le Protocole facultatif ne règle pas la question de l'admissibilité des réserves formulées à l'égard de ses dispositions. Conformément aux règles du droit international coutumier telles qu'elles sont reflétées dans l'article 19 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, des réserves peuvent donc être faites, à condition d'être compatibles avec l'objet et le but du Protocole facultatif. Ainsi un certain nombre d'États parties ont émis des réserves afin d'exclure de la compétence du Comité les communications qui ont déjà été examinées dans le cadre d'une autre procédure internationale d'enquête ou de règlement. Le Comité a respecté ces réserves.
6. L'objet et le but du Protocole facultatif sont de promouvoir les buts du Pacte et la mise en œuvre de ses dispositions en prévoyant l'examen par un organe international de plaintes envoyées par un individu dénonçant une violation des droits consacrés dans le Pacte par un État partie. Les buts et l'application du Pacte seraient assurément favorisés si le Comité était compétent pour examiner chaque plainte adressée par un particulier qui dénonce une violation de ses droits tels que consacrés dans le Pacte par un État partie. Or le fait pour un État d'assumer l'obligation de garantir et de protéger tous les droits énoncés dans le Pacte ne confère pas au Comité compétence pour examiner des plaintes individuelles. Cette compétence ne lui est acquise que si l'État partie au Pacte adhère également au Protocole facultatif. Dès lors qu'un État partie est libre d'accepter ou de ne pas accepter un mécanisme international de surveillance, on voit mal pourquoi il ne serait pas libre d'accepter ce mécanisme uniquement à l'égard de certains droits ou situations, pour autant que le traité lui-même n'exclue pas cette possibilité. En matière de droit relatif aux droits de l'homme, le "tout ou rien" n'est pas raisonnable.
7. Le Comité est d'avis que la réserve de l'État partie en l'espèce est inacceptable parce qu'elle vise expressément un groupe de personnes – les condamnés à mort – pour leur accorder une protection en matière de procédure moindre que celle dont bénéficie le reste de la population. Selon le raisonnement du Comité, il y a là une discrimination incompatible avec certains principes fondamentaux consacrés dans le Pacte et ses deux Protocoles s'y rapportant. Nous trouvons cet argument peu convaincant.
8. Il va sans dire qu'un État partie ne pourrait pas émettre une réserve qui contrevienne aux règles impératives du droit international. Ainsi, par exemple, une réserve émise au Protocole facultatif qui établirait entre les individus une discrimination au motif de la race, de la religion ou du sexe ne serait pas valable. Toutefois cela ne veut assurément pas dire que toute distinction entre des catégories de victimes potentielles de violations par l'État partie est inacceptable. Tout dépend de la distinction elle-même et des motifs objectifs de cette distinction.
9. Chaque fois qu'il a dû s'occuper de la question de la discrimination, interdite par l'article 26 du Pacte, le Comité a constamment soutenu que toute différence de traitement entre les personnes n'équivalait pas à une discrimination. Il n'y a aucune raison de ne pas appliquer ici cette approche. Étant donné qu'il s'agit d'une réserve émise au Protocole facultatif et non au Pacte, il faut se demander non pas s'il devrait y avoir une différence dans l'exercice des droits fondamentaux entre les personnes condamnées à mort et les autres mais s'il y a une différence entre les communications adressées par des condamnés à mort et les communications adressées par toute autre personne. Le Comité a choisi d'ignorer cet aspect de la question, qui constitue pourtant le fondement même de la réserve émise par l'État partie.
10. Les motifs pour lesquels l'État partie a dénoncé le Protocole facultatif sont exposés au paragraphe 6.3 de la décision du Comité et il n'y a pas lieu d'y revenir ici. Ce qui est clair c'est que la différence entre les communications adressées par des condamnés à mort et les communications adressées par d'autres individus tient au fait qu'elles ont des résultats différents. Étant donné les contraintes constitutionnelles, le seul fait qu'un condamné à mort présente une communication peut empêcher l'État partie d'exécuter la sentence de mort, même s'il apparaît qu'il s'est acquitté de ses obligations en vertu du Pacte. En d'autres termes, le résultat de la communication ne dépend pas de la décision du Comité – qui détermine s'il y a eu une violation et, dans l'affirmative, qui recommande une réparation – mais dépend du seul dépôt de la communication. Ce résultat ne se produit avec aucune autre catégorie de personnes susceptibles de soumettre une communication.
11. Il faut souligner que si les contraintes constitutionnelles auxquelles se heurte l'État partie l'avaient mis dans une situation où il aurait violé des droits fondamentaux consacrés dans le Pacte, il n'aurait pas été légitime pour lui de dénoncer le Protocole facultatif et d'y adhérer de nouveau, car l'objet de la réserve aurait été précisément de lui permettre de continuer à violer le Pacte en toute impunité. Heureusement tel n'est pas le cas ici. Même si le Comité a émis un avis différent de celui du Conseil privé (dans l'affaire citée au paragraphe 6.3 de la décision) sur la question de savoir si la durée passée dans le quartier des condamnés à mort fait que le retard dans l'exécution de la condamnation en fait une peine cruelle et inhumaine, un État partie qui, lui, adhère à la position du Conseil privé ne viole pas les obligations découlant du Pacte.
12. Compte tenu de ce qui précède nous ne voyons aucune raison de considérer que la réserve émise par l'État partie est incompatible avec l'objet et le but du Protocole facultatif. Comme cette réserve s'applique à l'évidence à la communication à l'examen (ce que l'auteur ne conteste pas), nous la tenons pour irrecevable.
13. Vu que nous concluons que la communication est irrecevable pour les raisons exposées plus haut, il n'est pas nécessaire de traiter d'une autre question qui découle de la décision du Comité : les effets d'une réserve déclarée non valable. Toutefois, étant donné l'importance de la question et comme le Comité a exprimé son avis sur la question, nous ne pouvons pas l'ignorer.
14. Au paragraphe 6.7 de sa décision, le Comité indique qu'il considère que la réserve ne peut pas être déclarée compatible avec l'objet et le but du Protocole facultatif. Étant parvenu à cette conclusion, il ajoute que "[l]a conséquence est que le Comité n'est pas empêché d'examiner la présente communication en vertu du Protocole facultatif". Il n'explique pas la raison de cette "conséquence", qui est loin d'être évidente. En l'absence d'explication dans la décision elle-même du Comité, il nous faut supposer que l'explication se trouve dans le raisonnement suivi par le Comité dans son Observation générale No 24, consacrée aux réserves émises au Pacte.
15. Dans son Observation générale No 24, le Comité a examiné les facteurs qui rendent une réserve incompatible avec l'objet et le but du Pacte. Au paragraphe 18 il expose les conséquences d'une réserve incompatible et conclut :
"La conséquence normale d'une réserve inacceptable n'est pas que le Pacte restera totalement lettre morte pour l'État auteur de la réserve. Une telle réserve est dissociable c'est-à-dire que le Pacte s'appliquera à l'État qui en est l'auteur, sans bénéficier de la réserve."
Chacun sait que cette conclusion du Comité a fait l'objet de sérieuses critiques. De nombreux experts du droit international estiment qu'elle est incompatible avec les fondements de tout régime conventionnel, qui sont que les obligations contractées par un État en vertu d'un traité sont déterminées par sa volonté d'assumer ces obligations. Si une réserve est incompatible avec l'objet et le but du traité, objectent les critiques, l'État qui émet la réserve ne devient pas partie à ce traité sauf s'il la retire. De l'avis des détracteurs, il n'y a aucune raison valable de s'écarter des principes généraux du droit des traités quand il s'agit de réserves émises au Pacte.
16. Nous n'avons pas l'intention, dans le cadre de la présente affaire, de rouvrir le débat concernant l'Observation générale No 24. Nous nous contenterons de dire que même s'agissant de réserves au Pacte lui-même, le Comité n'a pas considéré que dans tous les cas une réserve inacceptable ne serait pas applicable et qu'en conséquence l'État auteur de la réserve deviendrait partie au Pacte sans en bénéficier. Comme il ressort du passage de l'Observation générale N 24 cité plus haut, le Comité a simplement indiqué qu'il en serait normalement ainsi. La situation normale serait celle où la ratification ou l'adhésion ne dépendrait pas de l'acceptabilité de la réserve et où l'inacceptabilité de la réserve n'entacherait pas la volonté de l'auteur de la réserve d'être partie au Pacte. Toutefois tel n'est pas le cas lorsqu'il est parfaitement clair que la volonté de l'État auteur de la réserve de devenir partie au Pacte est subordonnée à l'acceptabilité de la réserve. Il en va de même pour les réserves émises au Protocole facultatif.
17. Comme il est expliqué au paragraphe 6.2 de la décision du Comité, le 26 mai 1998 l'État partie a dénoncé le Protocole facultatif et y a réadhéré immédiatement en émettant une réserve. L'État a également expliqué pourquoi il ne pouvait pas reconnaître la compétence du Comité pour se saisir de communications émanant de condamnés à mort. Dans ces circonstances particulières, il est tout à fait évident que la Trinité-et-Tobago n'était pas disposée à être partie au Protocole facultatif sans émettre cette réserve précise et que sa réadhésion était subordonnée à l'acceptabilité de la réserve. Il s'ensuit que si nous avions accepté la conclusion du Comité qui estime que la réserve n'est pas valable, nous aurions dû considérer que la Trinité-et-Tobago n'est pas partie au Protocole facultatif. La communication aurait évidemment été tout aussi irrecevable.
18. Pour conclure notre opinion dissidente, nous voulons souligner que nous pensons comme le Comité que la réserve émise par l'État partie est regrettable. Nous estimons également que la réserve a une portée plus large que ce qui est nécessaire pour permettre à l'État partie de tenir compte de ses contraintes constitutionnelles, car elle empêche d'examiner les communications émanant de condamnés à mort même si la durée maximale fixée par le Conseil privé est déjà dépassée (ce qui semble être le cas dans la communication à l'étude). Nous croyons comprendre que depuis que l'État partie a dénoncé le Protocole facultatif et y a réadhéré, la jurisprudence du Conseil privé a évolué de telle façon que la réserve devient inutile. Ces éléments ne touchent en rien à la question de la compatibilité de la réserve avec l'objet et le but du Protocole facultatif mais nous n'en considérons pas moins opportun d'exprimer l'espoir que l'État partie réexaminera la nécessité de la réserve et la retirera. Nous soulignons enfin une évidence : l'acceptabilité de la réserve n'amoindrit en aucune manière l'obligation de l'État partie de s'acquitter de toutes ses obligations de fond en vertu du Pacte. Les droits des condamnés à mort tels qu'ils sont garantis dans le Pacte doivent être garantis et protégés en toute circonstance.
(Signé) N. Ando (Signé) P. N. Bhagwati
(Signé) E. Klein (Signé) D. Kretzmer
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle de Louis Henkin
J'approuve les conclusions.