Présentée par: Manuel Wackenheim (représenté par un conseil, Maitre
Serge Pautot)
Au nom de: Le requérant
État partie: France
Date de la communication: 13 novembre 1996 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 15 juillet 2002,
Ayant achevé l'examen de la communication no 854/1999 présentée
par Manuel Wackenheim en vertu du Protocole facultatif se rapportant au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et par l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif
1.1 L'auteur de la communication est M. Manuel Wackenheim, citoyen français,
né le 12 février 1967 à Sarreguemines (France). Il se déclare victime de
violations par la France du paragraphe 1 de l'article 2, du paragraphe 2
de l'article 5, du paragraphe 1 de l'article 9, de l'article 16, du paragraphe
1 de l'article 17 et de l'article 26 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques. Le requérant est représenté par un avocat.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1 Le requérant, atteint de nanisme, se produisait depuis juillet 1991
dans des spectacles dits de «lancer de nains» produits par la Société
Fun-Productions. Muni des protections nécessaires, il se faisait lancer
à une courte distance sur un matelas pneumatique par certains clients
de l'établissement dans lequel le spectacle était organisé (discothèque).
2.2 Le 27 novembre 1991, le Ministre français de l'intérieur a publié
une circulaire relative à la police des spectacles, en particulier à l'organisation
de spectacles dits de «lancer de nains». Celle-ci prescrivait aux préfets
d'user de leur pouvoir de police pour demander aux maires une grande vigilance
à l'égard des spectacles de curiosité organisés dans leur commune. La
circulaire précisait que l'interdiction des «lancers de nains» devrait
notamment se fonder sur l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
2.3 Le 30 octobre 1991, le requérant a demandé l'annulation devant le
tribunal administratif de Versailles d'un arrêté du 25 octobre 1991 par
lequel le maire de Morsang-sur-Orge avait interdit le spectacle de «lancer
de nains» prévu dans une discothèque de sa commune. Par jugement du 25
février 1992, le tribunal administratif a annulé l'arrêté du maire au
motif que:
«Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le spectacle
dont l'interdiction a été prononcée ait été de nature à porter atteinte
au bon ordre, à la tranquillité ou à la salubrité publiques dans la
ville de Morsang-Sur-Orge; que la seule circonstance que certaines personnalités
aient exprimé publiquement leur désapprobation de l'organisation d'un
tel spectacle ne pouvait être de nature à laisser présager la survenance
de trouble à l'ordre public; qu'à supposer même que ledit spectacle
ait porté atteinte à la dignité humaine et ait revêtu un aspect dégradant
ainsi que le soutient le maire, l'interdiction ne pouvait légalement
être décidée en l'absence de circonstances locales particulières; qu'ainsi
l'arrêté attaqué est entaché d'excès de pouvoir (...)».
2.4 Le 24 avril 1992, la commune de Morsang-sur-Orge représentée par son
maire en exercice a fait appel du jugement du 25 février 1992.
2.5 Par arrêt du 27 octobre 1995, le Conseil d'État a annulé ledit jugement
au motif d'une part, que le «lancer de nains» est une attraction qui porte
atteinte à la dignité de la personne humaine, dont le respect est une
composante de l'ordre public, l'autorité investie du pouvoir de police
municipale en étant la garante et, d'autre part, que le respect du principe
de la liberté du travail et du commerce ne fait pas obstacle à ce que
cette autorité interdise une activité même licite si elle est de nature
à troubler l'ordre public. Le Conseil d'État précisa que cette attraction
pouvait être interdite même en l'absence de circonstances locales particulières.
2.6 Le 20 mars 1992, le requérant a présenté une autre requête tendant
à l'annulation de l'arrêté du 23 janvier 1992 par lequel le maire de la
commune d'Aix-en-Provence avait interdit le spectacle du «lancer de nains»
prévu sur le territoire de sa commune. Par jugement du 8 octobre 1992,
le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du maire au
motif que l'activité en cause n'était pas de nature à porter atteinte
à la dignité humaine. Par requête datée du 16 décembre 1992, la ville
d'Aix-en-Provence représentée par son maire, a fait appel de ce jugement.
Par arrêt du 27 octobre 1995, le Conseil d'État a annulé ledit jugement
pour les mêmes motifs que ceux developpés ci-dessus. Depuis cet arrêt,
la Société Fun-Productions a décidé d'abandonner ce type d'activité. Malgré
son souhait de poursuivre cette activité, le requérant est depuis lors
sans emploi en raison de l'absence d'organisateur de spectacles de «lancer
de nains».
Teneur de la plainte
3. Le requérant affirme que l'interdiction d'exercer son travail a eu
des conséquences négatives sur sa vie et représente une atteinte à sa
dignité. Il se déclare victime de la part de la France d'une violation
de son droit à la liberté, au travail, au respect de la vie privée et
à un niveau de vie suffisant ainsi que d'une discrimination. Il précise
d'une part qu'en France il n'y a pas d'emploi pour les nains, et d'autre
part que son travail ne constitue pas une atteinte à la dignité humaine
car la dignité est de trouver un emploi. Le requérant invoque le paragraphe
1 de l'article 2, le paragraphe 2 de l'article 5, (1) le paragraphe
1 de l'article 9, l'article 16, (2) le paragraphe 1 de l'article
17 et l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques.
Observations de l'État partie
4.1 Dans ses observations du 13 juillet 1999, l'État partie considère
en premier lieu que les violations alléguées du paragraphe 1 de l'article
9 et de l'article 16 doivent être écartées d'emblée dans la mesure où
ces griefs sont sans rapport avec les faits de l'espèce. L'État partie
précise que le grief tiré de la violation du paragraphe 1 de l'article
9 est, en substance, identique à celui relatif à la violation de l'article
5 de la Convention européenne, qui a déjà été porté par le requérant devant
la Commission européenne (3). Il estime que ce grief doit être
rejeté pour les mêmes raisons que celles invoquées par la Commission.
Selon l'État partie, le requérant n'a en effet fait l'objet d'aucune privation
de liberté. Concernant le grief de violation de l'article 16 du Pacte,
l'État partie précise que le requérant ne developpe aucune argumentation
de nature à démontrer que l'interdiction de spectacles de lancer de nains
aurait porté une quelconque atteinte à sa personnalité juridique. L'État
partie affirme en outre que ces mesures d'interdiction ne comportent aucune
atteinte à la personnalité juridique du requérant et donc ne remettent
nullement en cause sa qualité de sujet de droit. D'après l'État partie,
au contraire, elles le reconnaissent titulaire d'un droit au respect de
sa dignité en tant qu'être humain et assurent la jouissance effective
de ce droit.
4.2 Au sujet de la violation alléguée du paragraphe 1 de l'article 17
du Pacte, l'État partie déclare que les voies de recours internes n'ont
pas été épuisées. Il estime que la communication, étant fondée sur les
mêmes faits et procédures que ceux portés à la connaissance de la Commission
européenne, l'absence d'invocation du grief de violation du droit au respect
de la vie privée et familiale devant les juridictions nationales a ici
également pour conséquence de rendre la communication irrecevable. À titre
subsidiaire, s'agissant du droit du requérant au respect de sa vie privée,
l'État partie explique que l'interdiction litigieuse n'a emporté aucune
violation du paragraphe 1 de l'article 17 du Pacte. Selon l'État partie,
dans un premier temps, il apparaît que le droit dont se prévaut le requérant
– et qui lui permettrait de se faire «lancer» publiquement et à
titre professionnel – n'appartient pas à la sphère de la vie privée
et familiale. Il n'est pas davantage certain qu'il ressortisse au domaine
de la vie privée. L'État partie argue que la pratique du lancer de nains
est une pratique publique et constitue pour le requérant une véritable
activité professionnelle. Pour ces raisons, l'État partie conclut qu'il
semble exclu qu'elle puisse être protégée au nom de considérations tirées
du respect dû à la vie privée. Elle relève davantage, comme le souligne
la motivation retenue par le Conseil d'État, de la liberté du travail
ou de la liberté du commerce et de l'industrie. Dans un second temps,
l'État partie ajoute qu'en admettant même, au nom d'une conception particulièrement
extensive de cette notion, que la possibilité de se faire «lancer» à titre
professionnel relève bien du droit au respect de la vie privée du requérant,
la limitation apportée à ce droit ne serait pas contraire aux dispositions
du paragraphe 1 de l'article 17 du Pacte. Ladite limitation est en effet,
d'après l'État partie, justifiée par des considérations supérieures tirées
du respect dû à la dignité de la personne humaine. Elle repose donc sur
un principe fondamental et ne constitue dès lors ni une atteinte illégale,
ni une atteinte arbitraire au droit des individus au respect de leur vie
privée et familiale.
4.3 En ce qui concerne la violation alléguée du paragraphe 1 de l'article
2 du Pacte, l'État partie estime que les dispositions de cet article sont
voisines de celles figurant à l'article 14 de la Convention européenne
et rappelle que la Commission avait considéré que cet article, invoqué
par le requérant dans sa requête devant cette instance, ne trouvait pas
à s'appliquer en l'espèce, car le requérant n'invoquait pas par ailleurs
le bénéfice d'aucun droit protégé par la Convention. L'État partie fait
valoir qu'il en est de même dans la présente communication au motif que
le requérant ne démontre pas davantage que le droit de se faire lancer
professionnellement, dont il se prévaut, serait reconnu par le Pacte ou
qu'il se rattacherait à l'un des droits qui y figurent. L'État partie
ajoute qu'à supposer que le requérant entende se prévaloir de tels droits,
il convient de rappeler que la liberté du travail et la liberté du commerce
et de l'industrie ne sont pas au nombre des droits protégés par le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques.
4.4 Au sujet de la violation alléguée de l'article 26 du Pacte, l'État
partie souligne que le Conseil d'État considère que la clause de non-discrimination
de cet article est le pendant de celle figurant au paragraphe 1 de l'article
2 du Pacte, et que comme c'est le cas pour ce dernier article, son champ
d'application se limite aux droits protégés par le Pacte (4). Cette
interprétation conduit, selon l'État partie, à la conclusion déjà exposée
relativement à la violation alléguée du paragraphe 1 de l'article 2 du
Pacte, que le droit pour un nain de se faire lancer à titre professionnel
ne se rattache à aucun des droits protégés par le Pacte, et que dès lors,
la question de la non-discrimination ne se pose pas. L'État partie ajoute
que, si pour les besoins du raisonnement, l'on suppose que la clause de
non-discrimination de l'article 26 du Pacte vaut pour l'ensemble des droits
consacrés dans le Pacte et dans l'ordre juridique interne, se pose alors
la question du caractère discriminatoire de l'interdiction litigieuse.
L'État partie affirme qu'à l'évidence, cette interdiction n'est pas discriminatoire.
Par définition, elle ne s'applique qu'aux personnes atteintes de nanisme,
car elles sont seules susceptibles d'être concernées par l'activité interdite
et l'indignité de cette activité résulte tout particulièrement des particularités
physiques de ces personnes. D'après l'État partie, il ne peut lui être
fait grief de traiter différemment les nains et ceux qui ne le sont pas,
puisqu'il s'agit là de deux catégories différentes d'individus, dont l'une
ne peut être concernée par le phénomène du «lancer» pour d'évidentes raisons
physiques. L'État partie note par ailleurs que la question de l'indignité
d'une activité consistant à lancer des personnes de taille normale, c'est-à-dire
non affectées d'un handicap particulier, se poserait dans des termes très
différents (5). L'État partie conclut que la différence de traitement
repose sur une différence objective de situation entre les personnes atteintes
de nanisme et celles qui ne le sont pas, et à ce titre et compte tenu
de l'objectif de préservation de la dignité humaine sur lequel elle repose,
elle est légitime et, en tout état de cause, conforme à l'article 26 du
Pacte.
4.5 Concernant la violation alléguée du paragraphe 2 de l'article 5 du
Pacte, l'État partie déclare que le requérant ne développe aucune argumentation
en vue de démontrer en quoi l'interdiction du lancer de nains serait contraire
aux dispositions en cause. D'après l'État partie, il est difficile de
percevoir en quoi les autorités nationales auraient, en se fondant sur
le Pacte, indûment restreint l'exercice des droits reconnus en droit interne.
Mentionnant que peut-être le requérant considère que les autorités ont
manifesté une conception trop extensive de la notion de dignité humaine,
qui l'a empêché de jouir de ses droits au travail et à exercer l'activité
qu'il a librement choisie, l'État partie argue que le droit de la personne
humaine au respect de sa dignité n'est pas au nombre des droits figurant
dans le Pacte, même si certaines dispositions qui y figurent s'inspirent
bien de cette notion – et notamment celles relatives à l'interdiction
des traitements inhumains et dégradants. Pour cette première raison, l'État
partie conclut que le paragraphe 2 de l'article 5 ne trouve pas à s'appliquer
ici. L'État partie ajoute qu'à supposer que l'on retienne, par pure hypothèse,
l'applicabilité de cet article, ses dispositions ne seraient pas méconnues.
L'État partie explique que la démarche des autorités ne procède pas de
la volonté de restreindre abusivement la liberté du travail et la liberté
du commerce et de l'industrie en invoquant le respect dû à la personne
humaine. Cette démarche consiste, d'après l'État partie, de façon très
classique en matière de police administrative, à concilier l'exercice
de libertés économiques avec le souci de faire respecter l'ordre public,
dont l'une des composantes est la moralité publique. L'État partie précise
que la conception retenue ici ne présente aucun caractère excessif puisque,
comme l'a relevé le Commissaire du Gouvernement Frydman (6) dans
ses conclusions, d'une part l'ordre public intègre de longue date des
considérations de moralité publique et, d'autre part, il serait choquant
que le principe fondamental du respect dû à la personne humaine cède devant
des considérations matérielles propres au requérant – et par ailleurs
peu répandues – portant ainsi préjudice à l'ensemble de la communauté
à laquelle il appartient.
4.6 Pour tous ces motifs, l'État partie conclut que la communication doit
être rejetée comme étant dépourvue de fondements en tous ses griefs.
Commentaires du conseil du requérant aux observations de l'État
partie
5.1 Dans ses commentaires datés du 19 juin 2000, le conseil du requérant
considère que l'État partie se retranche tout d'abord derrière deux arrêts
identiques rendus le 27 octobre 1995 par le Conseil d'État qui reconnaît
aux maires le droit d'interdire les spectacles de «lancer de nains» dans
leur commune, au motif que «la dignité humaine est une composante de l'ordre
public», même en l'absence de circonstances locales particulières, et
malgré l'accord de la personne concernée. Le Conseil rappelle les faits,
objet de la communication et notamment l'annulation des arrêtés municipaux
d'interdiction de spectacles par les tribunaux administratifs ainsi que
la circulaire du Ministre de l'intérieur.
5.2 Le conseil déclare que les décisions importantes prises sur le plan
des principes dans le cas de M. Wackenheim sont décevantes. Il note qu'à
la conception classique de la trilogie de l'ordre public français, le
bon ordre (la tranquillité), la sûreté (la sécurité), la salubrité publique,
on ajoute la moralité publique, le respect de la dignité humaine entrant
dans cette quatrième composante. D'après le conseil, cette jurisprudence,
à l'aube du XXIe siècle, réactive la notion d'ordre moral en direction
d'une activité aussi marginale qu'inoffensive comparée aux nombreux comportements
réellement violents et agressifs que tolère actuellement la société française.
Il ajoute qu'il s'agit de la consécration d'un nouveau pouvoir de police
risquant d'ouvrir la porte à tous les abus, et pose la question de savoir
si le maire va s'ériger en censeur de la moralité publique et en protecteur
de la dignité humaine. Il se demande également si les tribunaux vont décider
du bonheur des citoyens. Selon le conseil, jusqu'à présent le juge pouvait
prendre en compte la protection de la moralité publique en tant qu'elle
a des répercussions sur la tranquillité publique. Or, le conseil affirme
que cette condition n'était pas réunie pour le spectacle du lancer de
nains.
5.3 Le conseil maintient les éléments fondant sa plainte et souligne que
le travail est un élément de la dignité de l'homme et que priver un homme
de son travail revient à lui ôter une partie de sa dignité.
Délibérations du Comité sur la recevabilité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Bien que la France ait une réserve à l'article 5, paragraphe 2a, le
Comité constate que l'Etat-partie n'a pas invoqué cette réserve et que
dès lors, il n'est pas fait obstacle à l'examen de la communication par
le Comité.
6.3 Relativement aux plaintes de violations du paragraphe 1 de l'article
9 et de l'article 16 du Pacte, le Comité a pris note des arguments de
l'État partie concernant l'incompatibilité ratione materiae de
ces allégations avec les dispositions du Pacte. Il considère que les éléments
présentés par le requérant ne permettent pas d'invoquer une violation
des dispositions incriminées et d'établir la recevabilité des griefs au
titre de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.4 En ce qui concerne les allégations de violation du paragraphe 1 de
l'article 17 du Pacte, le Comité relève qu'à aucun moment le grief de
violation du droit au respect de la vie privée et familiale n'a été invoqué
par le requérant devant les juridictions nationales. Le requérant n'a
donc pas épuisé en l'espèce tous les recours dont il aurait pu user. Le
Comité déclare en conséquence cet aspect de la communication irrecevable
au regard du paragraphe 2 b de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.5 Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 2 de l'article
5 du Pacte, le Comité note que l'article 5 du Pacte constitue un engagement
général des Etats parties et ne peut être invoqué par des particuliers
pour fonder à lui seul une communication au titre du Protocole facultatif.
Par conséquent, cette plainte est irrecevable au titre de l'article 3
du Protocole facultatif. Par conséquent, cette plainte est irrecevable
au titre de l'article 3 du Protocole facultatif. Néanmoins, cette conclusion
n'empêche pas le Comité de prendre en considération l'article 5 dans l'interprétation
et l'application d'autres dispositions du Pacte
6.6 En ce qui concerne l'allégation de discrimination au titre de l'article
26 du Pacte, le Comité a pris note de l'observation de l'État partie d'après
laquelle le Conseil d'État considère que le champ d'application de l'article
26 se limite aux droits protégés par le Pacte. Le Comité souhaite cependant
rappeler sa jurisprudence qui a établi que l'article 26 ne reprend pas
simplement la garantie déjà énoncée à l'article 2, mais prévoit par lui-même
un droit autonome. L'application du principe de non-discrimination énoncé
à l'article 26 n'est donc pas limitée aux droits stipulés dans le Pacte.
L'État partie n'ayant pas soulevé d'autres arguments contre la recevabilité,
le Comité déclare la communication recevable dans la mesure où elle semble
soulever des questions au regard de l'article 26 du Pacte et procède à
l'examen de la plainte sur le fond, conformément au paragraphe
2 de l'article 5 du Protocole facultatif.
Examen sur le fond
7.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les
parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
7.2 Le Comité doit déterminer si l'interdiction par les autorités de l'activité
de «lancer de nains» constitue une discrimination au regard de l'article
26 du Pacte, comme l'affirme le requérant.
7.3 Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle toute distinction
entre les personnes ne constitue pas obligatoirement une discrimination,
interdite par l'article 26 du Pacte. Une distinction constitue une discrimination
lorsqu'elle ne repose pas sur des motifs objectifs et raisonnables. La
question, en l'espèce, est de savoir si la distinction entre les personnes
visées par l'interdiction prononcée par l'État partie et celles auxquelles
cette interdiction ne s'applique pas peut être valablement justifiée.
7.4 L'interdiction du lancer prononcée par l'État partie dans la présente
affaire s'applique uniquement aux nains (comme décrit au paragraphe 2.1).
Toutefois, si ces personnes sont visées à l'exclusion des autres, la raison
en est qu'elles sont seules susceptibles d'être lancées. Ainsi, la distinction
entre les personnes visées par l'interdiction, à savoir les nains, et
celles auxquelles elle ne s'applique pas, à savoir les personnes qui ne
sont pas atteintes de nanisme, est fondée sur une raison objective et
n'a pas d'objet discriminatoire. Le Comité considère que l'État partie
a démontré, en l'espèce, que l'interdiction du lancer de nains tel que
pratiqué par le requérant ne constituait pas une mesure abusive mais était
nécessaire afin de protéger l'ordre public, celui-ci faisant notamment
intervenir des considérations de dignité humaine qui sont compatibles
avec les objectifs du Pacte. En conséquence, le Comité conclut que la
distinction entre le requérant et les personnes auxquelles l'interdiction
prononcée par l'État partie ne s'applique pas reposait sur des motifs
objectifs et raisonnables.
7.5 Le Comité n'ignore pas qu'il existe d'autres activités qui ne sont
pas interdites mais qui pourraient l'être éventuellement sur la base de
motifs analogues à ceux qui justifient l'interdiction du lancer de nains.
Toutefois, le Comité est d'avis que, compte tenu du fait que l'interdiction
du lancer de nains est fondée sur des critères objectifs et raisonnables
et que le requérant n'a pas établi que cette mesure avait une visée discriminatoire,
le simple fait qu'il puisse exister d'autres activités susceptibles d'être
interdites ne suffit pas en soi à conférer un caractère discriminatoire
à l'interdiction du lancer de nains. Pour ces raisons, le Comité estime
qu'en prononçant ladite interdiction, l'État partie n'a pas violé, en
l'espèce, les droits du requérant tels qu'ils sont énoncés à l'article
26 du Pacte.
7.6 Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il
est saisi ne font apparaître aucune violation du Pacte.
__________________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de
la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
Natwarlal Bhagwati, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart
Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada,
M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Patrick
Vella et M. Maxwell Yalden.
Notes
1. Le requérant ne développe pas d'argumentation quant à la violation
alléguée de cet article.
2. Le requérant ne développe pas d'argumentation quant à la violation
alléguée de cet article.
3. Il ressort des pièces du dossier que, le 4 février 1994, la
Commission européenne des droits de l'homme a été saisie par M. Manuel
Wackenheim de sa plainte contre la France. Le 16 octobre 1996, la Commission
a déclaré la plainte irrecevable au motif, d'une part, que le requérant
n'avait pas épuisé les voies de recours internes relativement aux violations
alléguées des articles 8 et 14 (discrimination dans l'exercice du droit
au travail) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales, et d'autre part, que les griefs du requérant
au regard du paragraphe 1 de l'article 5, et de l'article 14 de la Convention
étaient incompatibles ratione materiae.
4. Conseil d'État, Vve Doukoure, avis de Section du 15
avril 1996, N. 176399.
5. Conclusions du Commissaire du Gouvernement Patrick Frydman,
RTDH 1996, p. 664.
6. Le Commissaire du Gouvernement n'est pas un représentant de
l'administration. Il s'agit, en fait, d'un membre de la formation de jugement
au Conseil d'État, appelé à donner son avis, en toute indépendance «sur
les circonstances de fait de l'espèce et les règles de droit applicables,
ainsi que son opinion sur les solutions qu'appelle, suivant sa conscience,
le litige soumis à la juridiction». Cette définition donnée par le Conseil
d'État lui-même dans une de ses décisions (CE Sect. 10 juillet 1957, Gervaise,
Leb. P.467) a été reprise à l'article L7 du Code de justice administrative
(Source: «Justice et institutions judiciaires» La documentation française,
2001).