Soixante-dixième session
16 octobre - 3 novembre 2000
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au
titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Soixante-dixième session -
Communication No. 858/1999
Présentée par : Mme Margaret Buckle
Au nom de : L'auteur
État partie : Nouvelle-Zélande
Date de la communication : 21 septembre 1998 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 octobre 2000,
Ayant achevé l'examen de la communication No 858/1999 présentée par
Mme Margaret Buckle en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été
communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Margaret Buckle, ayant la double nationalité
britannique et néo-zélandaise. Elle se déclare victime de violations par la
Nouvelle-Zélande des articles 17, 18, 23 et 24 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques. Elle n'est pas représentée par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a six enfants, âgé de 1 à 8 ans, qui lui ont été retirés en
1994 parce qu'elle était, selon la décision du juge, incapable de s'occuper
d'eux comme il convient.
2.2 En août 1997, l'auteur s'est pourvue devant la cour d'appel pour attaquer
la décision du tribunal des affaires familiales qui lui avait retiré la
garde de ses enfants. Le 25 février 1998, la cour d'appel a confirmé la
décision de la première juridiction. L'auteur a demandé une autorisation
de former recours auprès du Conseil privé, ce qui lui a été refusé en février
1998. Mme Buckle s'est malgré tout rendue au Royaume-Uni et a obtenu une
audience en mai 1998 devant la section judiciaire du Conseil privé. Sa demande
n'a pas abouti.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que la décision de lui retirer la garde de ses six
enfants est contraire aux articles 17 et 23 du Pacte, car elle constitue
une immixtion illégitime dans l'exercice de ses droits en tant que mère.
Elle considère que, quelles que soient les conditions dans lesquelles ses
enfants vivaient quand ils étaient avec elle, elle a le droit, en tant que
mère, de les avoir avec elle et qu'aucun motif ne peut justifier qu'ils
lui soient retirés.
3.2 L'auteur affirme que les autorités ont commis une immixtion arbitraire
dans sa vie et lui ont retiré ses enfants parce qu'elle est une adepte du
mouvement des "new-born Christians" et que la décision de lui
retirer les enfants constitue par conséquent une violation de l'article
18 du Pacte.
3.3 L'auteur ajoute qu'il y a également violation de l'article 24 du Pacte
à l'égard de ses six enfants qui sont privés du droit d'être élevés par
leur mère naturelle.
Arguments de l'État partie concernant la recevabilité et le fond
de la communication
4.1 Dans ses observations portant à la fois sur la recevabilité et sur
le fond, en date du 29 octobre 1999, l'État partie relève que les recours
internes ont été épuisés.
4.2 Il objecte toutefois que la communication est irrecevable parce que
les allégations de violation des articles 17, 18, 23 et 24 du Pacte n'ont
pas été étayées. Pour ce qui est de l'article 24, l'État partie fait valoir
de surcroît que l'auteur ne représente pas ses enfants et n'a pas expliqué
en quoi leurs droits pouvaient avoir été violés.
4.3 L'État partie estime que les allégations de l'auteur sont vagues et
imprécises. Pour ce qui est des articles 17, 18 et 23, l'État partie objecte
que l'auteur n'indique pas avec assez de précision en quoi consistent les
violations. Les allégations sont rédigées en termes si généraux qu'il n'est
pas possible de se faire une idée de leur bien-fondé. Aucun élément à l'appui
de ces griefs n'est apporté et la plainte repose sur les seules affirmations
de l'auteur. Selon l'État partie, les documents fournis indiquent que la
procédure à l'issue de laquelle les enfants ont été retirés à l'auteur a
été menée dans le respect de la loi, l'autorité judiciaire ayant fait preuve
de toute la circonspection voulue. Aucune des allégations ne peut valablement
être défendue faute d'être suffisamment étayée.
4.4 À propos des allégations de violation de l'article 24, l'État partie
objecte que la plainte est irrecevable étant donné que l'article 24 confère
des droits à des sujets autres que l'auteur elle-même et que celle-ci n'a
pas envoyé sa communication au nom des autres sujets et n'avait pas eu l'intention
de le faire. La communication est rédigée du seul point de vue de la mère
et dénonce des violations de ses propres droits. On ne peut pas non plus
dire que la communication soit adressée au nom des enfants. Si le paragraphe
1 b) de l'article 90 du règlement intérieur autorise la présentation d'une
communication au nom d'une prétendue victime sans autorisation expresse
quand il appert que celle-ci est dans l'incapacité de présenter elle-même
la communication, cette procédure vise le cas où la communication aurait
été faite au nom des enfants, à leur égard et de leur point de vue. Or ici
l'auteur ne se préoccupe que de ses propres droits et ne présente pas de
griefs au nom des enfants pour dénoncer une violation des droits, selon
la procédure prévue au paragraphe 1 b) de l'article 90 du règlement intérieur
du Comité. De surcroît, contrairement aux dispositions de cet article, l'auteur
ne montre pas en quoi il est impossible à ses enfants de présenter eux-mêmes
la plainte.
5.1 En ce qui concerne le fond, l'État partie fait valoir que si l'auteur
fait un certain nombre de références à la religion dans la communication,
elle ne précise pas en quoi son droit à la liberté de religion a pu être
violé, d'une façon générale ou à raison des faits spécifiques partiellement
décrits. Le seul fait qu'un individu a des convictions religieuses ne signifie
pas, en l'absence de la moindre précision, qu'une violation d'un autre droit
constitue également une violation du droit à la liberté de religion. En
conséquence, pour l'État partie l'auteur n'a pas démontré en quoi l'article
18 pourrait être invoqué et encore moins en quoi il pourrait avoir été enfreint.
5.2 De l'avis de l'État partie, l'article 23 est une garantie institutionnelle
pour la cellule familiale en tant que telle. Alors que l'article 17 prévoit
des garanties contre les immixtions arbitraires ou illégales dans la famille,
l'article 23 a un objectif différent et fait aux États parties l'obligation
de reconnaître la cellule familiale en tant qu'élément fondamental de la
société et de lui accorder la reconnaissance légale nécessaire. En droit
néo-zélandais, la cellule familiale est largement reconnue et il existe
tout un ensemble de dispositions régissant les droits et les obligations
de la famille et de leurs membres dans une gamme étendue de domaines, allant
de l'éducation aux prestations financières, à la prise en charge des enfants
et aux conséquences de la séparation et du divorce. L'auteur n'a montré
en aucune manière en quoi la législation néo-zélandaise était lacunaire
relativement à cette obligation institutionnelle générale.
5.3 En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 17, l'État
partie reconnaît qu'une mesure de retrait de la garde pourrait constituer
une immixtion dans la vie de famille; toutefois, en l'espèce, les mesures
prises n'étaient ni illégales ni arbitraires et le but de l'intervention
était légitime au sens du Pacte, en particulier au regard de l'article 24.
L'État partie fait valoir que dans le cas d'espèce, le retrait de la garde
des enfants a été décidé dans le strict respect de la loi. Premièrement,
des efforts ont été faits pour aider cette famille sans faire intervenir
la justice. Des travailleurs sociaux ont rencontré de façon informelle la
famille pour régler la question des enfants, conformément à la volonté d'intervenir
le moins possible et à l'objectif qui est de responsabiliser les familles.
Il avait été décidé de renforcer le réseau extérieur d'appui à la famille,
de multiplier les contacts des personnels de santé et des travailleurs sociaux
avec les enfants et de chercher à obtenir plus régulièrement davantage de
renseignements en retour. Quand il est devenu évident que ces mesures ne
suffisaient pas compte tenu de l'incapacité croissante de l'auteur de s'occuper
de ses enfants, un conseil de famille a été réuni. Le conseil de famille,
qui se composait de huit personnes membres de la famille, a décidé de recommander
au tribunal de demander le placement de la plupart des enfants auprès de
membres de la famille. Malheureusement, l'état de l'auteur ne s'est pas
amélioré et la décision de placer les enfants a été confirmée à l'issue
de chaque examen périodique obligatoire de la situation et après le recours
déposé par l'auteur contre les décisions du tribunal (1).
.
5.4 L'État partie fait valoir que l'intervention n'avait rien d'arbitraire
mais avait été décidée et exécutée après qu'il eut été établi que cette
mesure "était justifiée par un but qui semblait légitime au regard
du Pacte dans son ensemble et que l'application de la loi ne pouvait aboutir
qu'à cette mesure et, en particulier, qu'elle était raisonnable (proportionnée)
par rapport au but à atteindre" (2).
5.5 L'État partie note que, selon la loi de 1989 relative aux enfants,
aux jeunes et à leur famille, d'une façon générale aucune intervention ne
peut avoir lieu sans notification préalable ou de façon impromptue. Un conseil
de famille qui étudie avec la famille toutes les possibilités est convoqué
avant qu'une déclaration de justice soit faite en vertu de l'article 67,
et c'est ce qui s'est passé en l'espèce. Le seuil d'intervention à partir
duquel la juridiction peut faire une déclaration en vertu de l'article 67
est défini à l'article 14 de la loi, comme suit :
"L'enfant ou le jeune a besoin d'assistance ou de protection ... si
: a) l'enfant ou le jeune est ou risque d'être victime d'une atteinte (physique,
affective ou sexuelle), de mauvais traitements, d'agression ou de privation
grave; b) le développement de l'enfant ou du jeune ou son bien-être physique,
psychique ou affectif est ou risque d'être entravé ou négligé et que cette
atteinte ou cette négligence est ou risque d'être grave et évitable; ou
f) Les parents ou les tuteurs ou toute autre personne s'occupant de l'enfant
ou du jeune ne veulent pas ou ne peuvent pas s'occuper de lui."
5.6 L'État partie fait valoir que les termes employés ont, certes, un caractère
général, mais qu'ils ne sauraient être plus spécifiques ou précis compte tenu
de la diversité des situations qu'ils doivent refléter. La législation néo-zélandaise
prévoit toute une série de garanties qui peuvent s'appliquer avant même qu'une
déclaration soit faite et comprennent plusieurs mécanismes de recours et de
réexamen des décisions. Parmi ces garanties figurent le droit d'être entendu
dans le cadre d'une demande de placement aux fins de protection, le réexamen
périodique des dispositions en matière de garde et le droit de demander le
réexamen d'une décision. De plus, la loi relative aux enfants, aux jeunes
et à leur famille garantit que l'immixtion dans la vie de famille sera proportionnelle
au but recherché. L'action judiciaire n'est enclenchée qu'en dernier recours,
si le tribunal est convaincu qu'il n'est pas possible ou approprié d'assurer
par aucun autre moyen la garde ou la protection de l'enfant ou de l'adolescent.
Pour décider de l'opportunité d'une décision, le tribunal se fonde sur le
principe selon lequel la cellule familiale doit être responsabilisée de façon
à prendre les décisions appropriées et un enfant ou un adolescent ne doit
être retiré à son père ou à sa mère qu'en dernier recours. Le bien-être et
les intérêts de l'enfant doivent être la considération primordiale.
5.7 L'État partie affirme que le tribunal, en faisant en octobre 1992 une
déclaration établissant que les enfants avaient besoin de soins et de protection,
donnait effet aux conclusions auxquelles la famille et les travailleurs
sociaux étaient parvenus devant le conseil de famille. Les deux aînées ont
été placées chez leurs grands-parents maternels et une fille dans le foyer
de sa tante maternelle. Les autres enfants ont été placés dans des familles
d'accueil habitant près de la mère. L'auteur a conservé ses droits de garde,
lesquels devaient être exercés en corrélation avec les droits de garde conférés
aux familles d'accueil. Cette situation s'est modifiée en décembre 1997
lorsque, à la suite du jugement rendu par la Haute Cour le 18 août 1997,
les enfants ont été placés sous la tutelle exclusive du Directeur général
de la protection sociale, ce qui a suspendu dans les faits les droits de
garde de l'auteur. Bien que ses droits de garde eussent été suspendus, l'auteur
conservait le droit de rendre visite à ses enfants sous réserve d'entreprendre
une thérapie de soutien, ce qu'elle a refusé de faire. L'appel du jugement
de la Haute Cour introduit par l'auteur a été rejeté le 25 février 1998.
L'État partie estime que l'auteur a pleinement utilisé les mécanismes existants
pour faire réexaminer la situation de ses enfants exposée précédemment.
À aucun moment toutefois, elle n'a présenté, ou fait présenter en son nom,
des éléments qui auraient montré que sa capacité d'élever ses enfants avait
suffisamment évolué pour qu'elle puisse en recouvrer la garde. De fait,
les éléments du dossier tendaient à prouver l'inverse, à savoir qu'une décision
de restitution des enfants à l'auteur aurait été contraire à l'intérêt supérieur
de ces derniers, traumatisante et préjudiciable. Dix-huit témoins ont été
entendus durant la principale audience de la Haute Cour, en août 1997.
5.8 L'État partie soutient en outre que l'auteur avait tout loisir d'aider
les experts et le tribunal à évaluer plus justement sa capacité d'être le
parent auquel les enfants doivent être confiés, mais qu'elle a refusé de
coopérer d'une quelconque façon. L'État partie fait valoir que l'intervention
était nécessaire et raisonnable et que l'application des garanties prévues
a permis que la mesure soit proportionnelle.
6. L'auteur a informé le secrétariat qu'elle n'avait rien à ajouter aux
observations de l'État partie. Elle réaffirme que les droits qui lui sont
garantis par le Pacte ont été violés.
Délibérations du Comité
7.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
7.2 Pour ce qui est du critère de l'épuisement des recours internes, l'État
partie reconnaît que maintenant que la section judiciaire du Conseil privé
a débouté l'auteur, tous les recours internes ont bien été épuisés aux fins
du Protocole facultatif.
7.3 Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur qui affirme être victime
d'une violation de l'article 18 du Pacte en ce qui concerne la liberté de
religion parce que, d'après elle, la raison pour laquelle on lui a retiré
ses enfants est qu'elle est adepte du mouvement des "new-born Christians",
le Comité estime que l'auteur n'a pas étayé cette allégation aux fins de
la recevabilité. Cette partie de la communication est donc irrecevable en
vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
8. Le Comité considère que les autres griefs de l'auteur sont recevables
et procède à leur examen quant au fond, à la lumière de toutes les informations
portées à sa connaissance par les parties, selon les dispositions du paragraphe
1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
9.1 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle l'article
17 du Pacte aurait été violé, le Comité prend note des renseignements communiqués
par l'État partie et des nombreuses procédures suivies dans cette affaire.
En particulier il note que le placement des enfants fait l'objet d'un examen
périodique et que l'auteur a eu la possibilité de voir ses enfants. Il constate
en l'espèce que l'immixtion dans la famille de l'auteur n'avait rien d'illicite
ni d'arbitraire et qu'il n'y a donc pas violation de l'article 17 du Pacte.
9.2 L'auteur invoque aussi l'article 23 du Pacte. Le Comité reconnaît que
la décision de séparer une mère de ses enfants est une décision grave, mais
il note que les autorités compétentes et les tribunaux de l'État partie
ont examiné soigneusement tous les éléments dont ils disposaient et qu'ils
ont agir dans l'intérêt supérieur de l'enfant, et que rien n'indique qu'ils
aient manqué à leur devoir de protéger la famille au titre de l'article
23.
9.3 En ce qui concerne la violation alléguée de l'article 24 du Pacte,
le Comité estime que les questions que soulèvent les arguments de l'auteur
et les renseignements dont il dispose n'appellent pas de constatations autres
que celles qui sont énoncées ci-dessus.
10. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est
saisi ne font pas apparaître de violation de l'un quelconque des articles
du Pacte.
______________
** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme
Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitan de
Pombo, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia
Medina Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman
Wieruszewski, M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Notes
1. L'État partie joint des copies des diverses décisions de justice (environ
255 pages de documents).
2. L'État partie fait référence à l'Observation générale No 16, du 8 avril
1988, relative à l'article 24 du Pacte dans laquelle le Comité indique :
"L'introduction de la notion d'arbitraire a pour objet de garantir
que même une immixtion prévue par la loi soit conforme aux dispositions,
aux buts et aux objectifs du Pacte et soit, dans tous les cas, raisonnable
eu égard aux circonstances particulières".