Comité des droits de l'homme
Soixante-quatorzième session
18 mars - 5 avril 2002
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4,
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
International relatif aux droits civils et politiques
- Soixante-quatorzième session
-
Communication No. 859/1999
Présentée par: |
M. Luis Asdrúbal Jiménez Vaca |
Au nom de: |
L'auteur |
État partie: |
Colombie |
Date de la communication: |
4 décembre 1998 (date de la lettre initiale). |
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 mars 2002,
Ayant achevé l'examen de la communication no 859/1999 présentée
par M. Luis Asdrúbal Jiménez Vaca en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
CONSTATATIONS AU TITRE DU PARAGRAPHE 4
DE L'ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF
1. L'auteur de la communication est M. Luis Asdrúbal Jiménez Vaca, de nationalité
colombienne, exilé depuis 1988 en Grande-Bretagne, où il a obtenu le statut
de réfugié en 1989. Il se déclare victime de violations par la Colombie du
paragraphe 3 de l'article 2, du paragraphe 1 de l'article 6, du paragraphe
1 de l'article 9, des paragraphes 1 et 4 de l'article 12, du paragraphe 1
de l'article 17, de l'article 19, du paragraphe 1 de l'article 22, et de l'article
25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 M. Jiménez Vaca exerçait la profession d'avocat plaidant à Medellín
et dans la région d'Urabá, et travaillait dans toute la municipalité de
Turbo. Dans cette région, il avait été le conseiller juridique de plusieurs
syndicats de travailleurs, d'organisations communautaires et d'organisations
de paysans, comme le Syndicat des travailleurs de l'agriculture et de l'élevage
d'Antioquia (SINTAGRO) et le Syndicat des chargeurs et des manuvres de Turbo
(SINDEBRAS), notamment.
2.2 Depuis 1980, l'auteur avait été membre des différentes commissions
constituées par le Gouvernement pour chercher une solution aux conflits
sociaux, aux conflits du travail et à la violence dans la région: par exemple
la «Commission tripartite», la «Commission spéciale pour Urabá», la «Commission
des garanties permanentes à Urabá» et la «Commission de haut niveau». Il
avait également fait partie de la direction nationale et régionale du Front
populaire du parti politique d'opposition jusqu'en 1988, où il avait dû
s'exiler.
2.3 À partir de 1980, l'auteur a commencé à recevoir des convocations provenant
du bataillon militaire Voltígeros, à être l'objet de harcèlements et de
courtes périodes de rétention, en raison de son travail au service des syndicats.
La détention arbitraire des travailleurs était devenue courante ainsi que
la participation de militaires aux réunions des syndicats, de même que le
fait de soumettre toute activité syndicale à l'autorisation préalable du
commandant du bataillon.
2.4 Le 15 décembre 1981, à Turbo, une patrouille avait arrêté les participants,
y compris l'auteur, d'une réunion du syndicat SINTAGRO, les avait interrogés
et avait pris des photos. Quelques-uns avaient été conduits à la caserne
du bataillon Voltígeros, où ils avaient été soumis à des tortures diverses.
L'auteur avait été remis en liberté trois heures après avoir été arrêté,
à la condition de se présenter devant le commandant du renseignement militaire
dans un délai de cinq jours. Quand il s'était présenté, l'auteur avait été
interrogé et exhorté à «collaborer» avec les autorités militaires s'il ne
voulait pas «avoir des problèmes plus tard».
2.5 De 1984 à 1985, l'auteur avait conseillé le syndicat SINTAGRO dans
les négociations de plus de 150 conventions collectives signées avec les
sociétés bananières. Au cours de ces négociations, des militaires, des policiers
et des agents secrets avaient exercé une surveillance constante sur les
allées et venues de l'auteur, sur son domicile et son cabinet. L'auteur
recevait des menaces de mort, des appels téléphoniques et des lettres anonymes.
On lui disait qu'il fallait qu'il quitte la région et on lui demandait à
quel endroit il voulait mourir, en précisant qu'on savait où vivait sa famille.
L'auteur a exposé le cas à la deuxième juridiction pénale de la circonscription
de Turbo, au bureau du Procureur régional, et à d'autres autorités régionales
et nationales.
2.6 Vu ce qui précède, l'auteur a déposé une plainte pénale pour menaces
de mort auprès de la deuxième juridiction de la circonscription de Turbo.
Le 22 octobre 1990, cette juridiction a informé le tribunal administratif
d'Antioquia qu'elle avait engagé une procédure pour chantage au détriment
de la direction de SINDEBRAS, la partie lésée indiquée étant M. Asdrúbal
Jiménez, qui avait apposé sa signature sur l'acte. L'auteur affirme qu'il
n'a jamais eu connaissance de l'issue de cette procédure. De même, l'auteur
affirme n'avoir jamais eu connaissance des résultats des enquêtes menées
au sujet de la plainte pénale qu'il a présentée au service du Procureur
régional de la municipalité de Turbo vers le milieu de 1984.
2.7 En septembre 1984, l'auteur a déposé une plainte pour menaces de mort
auprès du Bureau régional du Département administratif de sécurité (DAS)
de la municipalité de Turbo. L'auteur n'a jamais eu connaissance des résultats
de l'enquête.
2.8 Le 26 août 1985, des tracts avaient été distribués sous les portes,
portant l'inscription: «Vous êtes membre du SINTAGRO? Cela ne vous fait
rien d'appartenir à un ramassis de tueurs à gages et d'assassins du peuple,
de narcotrafiquants dirigés par Argemiro Correa, Asdrúbal Jiménez et Fabio
Villa?». Quelques jours plus tard, sur un autre tract distribué de la même
façon, on donnait à l'auteur le conseil d'éviter de se trouver dans certains
secteurs s'il ne voulait pas rejoindre ses collègues au cimetière. Après
ces incidents, l'un des frères de l'auteur a disparu et un autre a été assassiné.
2.9 En décembre 1985, avec d'autres membres de la direction de SINTAGRO,
l'auteur a porté plainte devant le Procureur général de la nation pour dénoncer
l'intervention du bataillon Voltígeros dans les conflits du travail, et
pour demander une enquête en vue de déterminer quels étaient les membres
de l'armée qui étaient impliqués dans les actes de harcèlement et dans les
menaces. L'auteur n'a jamais eu connaissance des résultats.
2.10 En octobre 1986, l'auteur a déposé une plainte auprès du «Foro por
el Derecho a la Vida», avec l'aide de diverses autorités telles que le Procureur
général de la nation et le Directeur du service national d'instruction criminelle.
2.11 Au début de 1987, à la suite des violences dont les travailleurs et
la population générale étaient victimes, le Gouvernement a constitué une
«commission de haut niveau» dont l'auteur était membre et dans laquelle
siégeaient des représentants des autorités civiles et militaires et des
services de sécurité. Pendant que se tenait cette commission, en février
1987, l'auteur a déposé des plaintes pour des menaces de mort et des actes
de harcèlement dont il faisait l'objet. Après sa participation aux travaux
de la Commission, l'auteur a été contraint de quitter Urabá et de se réfugier
à Medellín à cause de l'insécurité.
2.12 Le 6 septembre 1987, l'auteur s'est adressé de nouveau aux autorités
pour leur demander d'assurer sa protection car il continuait de recevoir
des menaces de mort dont le nombre avait augmenté depuis qu'il avait participé
aux travaux de la «Commission de haut niveau». L'auteur a reçu alors plusieurs
fois la visite d'inconnus, ce qui l'a conduit à fermer définitivement son
étude et à aller s'installer à Bogotá. Plus tard, l'auteur a reçu des conseils
l'invitant à quitter le pays.
2.13 Le 4 avril 1988, l'auteur se trouvait dans un taxi en compagnie d'une
personne du nom de Sonia Roldán; sur la route allant de l'aéroport à Medellín,
deux cyclistes en civil avaient tiré des coups de feu sur le taxi et l'auteur
avait été atteint par deux balles. Il avait été conduit à l'hôpital et,
au bout de cinq jours, il avait été transporté dans un autre établissement
pour des raisons de sécurité et y était resté jusqu'à ce que son état lui
permette de se rendre en Grande-Bretagne. Il avait demandé l'asile le 20
mai 1988 et été admis au bénéfice du statut de réfugié le 4 janvier 1989.
À la suite de cet attentat, l'auteur souffre entre autres d'une altération
partielle permanente du système locomoteur, de troubles gastro-intestinaux
et d'une perturbation du système cardiovasculaire dans une jambe.
2.14 Le 9 février 1990, l'auteur a présenté, par l'intermédiaire d'un représentant
dûment mandaté, une demande de réparation pour préjudice auprès du tribunal
administratif pour omission par les autorités de prendre des mesures en
vue de protéger sa vie et de garantir son droit d'exercer sa profession
d'avocat, demande qui a été rejetée le 8 juillet 1999 (1). De même,
le tribunal d'instruction pénale no 28 de Medellín a ouvert d'office une
enquête pénale sur l'attentat contre la vie de l'auteur, mais ce dernier
n'a pas eu non plus connaissance des résultats de cette procédure.
2.15 Une fois en exil, l'auteur a été en correspondance régulière avec
sa fille ainsi qu'avec d'autres personnes, ladite correspondance étant constamment
interceptée.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que l'État colombien a l'obligation légale d'ouvrir
d'office une enquête sur l'infraction constituée par l'attentat dont il
a été victime. En vertu de l'article 33 du Code de procédure pénale (décret
no 050 de 1987) en vigueur à l'époque des faits, l'enquête préliminaire,
l'instruction et le procès doivent durer en tout environ 240 jours. Or d'après
l'auteur, il s'est écoulé plus de 10 ans depuis l'attentat, et les résultats
des enquêtes ne sont toujours pas connus.
3.2 L'auteur se déclare victime d'une violation du paragraphe 3 de l'article
2 du Pacte parce que l'État colombien n'offre pas aux victimes de violations
des droits fondamentaux les garanties suffisantes pour que les recours exercés
puissent être considérés comme utiles. Il affirme que les enquêtes que l'État
aurait dû avoir menées d'office à la suite de l'attentat n'ont jamais donné
le moindre résultat. Il explique que, étant donné qu'il a dû quitter précipitamment
le pays et qu'il aurait été risqué d'engager un avocat pour assurer sa défense,
il a été privé de la possibilité de suivre personnellement et activement
la procédure. Par ailleurs, l'auteur dit qu'il a donné pouvoir à un avocat
pour engager une action en réparation devant le tribunal administratif d'Antioquia,
mais qu'il n'a jamais été statué sur sa demande. Ainsi, l'auteur considère
non seulement qu'il y a eu un retard excessif dans la procédure relative
aux recours internes, mais aussi que le recours disponible n'était pas utile
puisque les différents services officiels ont nié l'existence des actes,
courriers, plaintes et demandes de protection.
3.3 Pour ce qui est de la violation du paragraphe 1 de l'article 6 du Pacte,
l'auteur affirme que le simple fait d'avoir été victime d'un attentat, qui
l'a laissé entre la vie et la mort pendant un certain temps et qui a été
favorisé par l'inaction des autorités colombiennes qui n'ont jamais rien
fait pour empêcher cet attentat, porte atteinte au droit à la vie, dont
nul ne peut être privé arbitrairement.
3.4 L'auteur affirme qu'il y a eu violation du paragraphe 1 de l'article
9 du Pacte parce que l'État colombien était tenu d'adopter les mesures nécessaires
pour garantir sa sécurité personnelle et qu'il ne l'a jamais fait, alors
qu'il avait connaissance des multiples harcèlements, provocations et menaces
de mort dont l'auteur était la cible, y compris de la part des autorités
de l'armée et de la police elles-mêmes. À ce sujet, l'auteur affirme que
l'État partie a enfreint le paragraphe 1 de l'article 9 de la même manière
que dans l'affaire William Eduardo Delgado Páez c. Colombie
(communication n 195/1985), qui a donné lieu à des constatations dans ce
sens, adoptées le 12 juillet 1990.
3.5 De même, l'auteur estime que le droit de se déplacer librement sur
le territoire et de choisir sa résidence, garanti au paragraphe 1 de l'article
12 du Pacte, a été violé parce qu'il a été empêché d'habiter et d'exercer
sa profession d'avocat à l'endroit qu'il avait choisi et que le droit de
résider et d'exercer sa profession dans son pays ne lui a pas non plus été
garanti étant donné qu'il a été contraint de s'exiler. En ce qui concerne
le paragraphe 4 de l'article 12, l'auteur affirme que les autorités colombiennes
n'ont pas adopté de décision expresse lui interdisant d'entrer dans le pays,
ce droit lui étant refusé pour des considérations d'ordre militaire.
3.6 Par ailleurs, l'auteur dit que sa correspondance avec sa fille, Diana
Lucía Jiménez, ainsi qu'avec d'autres personnes a été interceptée plusieurs
fois par la police nationale, en violation du paragraphe 1 de l'article
17 du Pacte.
3.7 L'auteur soutient que ceux qui ont commis cet attentat l'on fait pour
le punir de ses opinions politiques et sociales, contrairement aux dispositions
de l'article 19 du Pacte.
3.8 Enfin, l'auteur affirme qu'il y a violation du paragraphe 1 de l'article
22 ainsi que de l'article 25 du Pacte, à cause de son engagement en faveur
de la défense du droit d'association et des droits des travailleurs, et
parce qu'il est militant du parti politique Front populaire, pour le compte
duquel il accomplissait diverses activités sociales et démocratiques.
Renseignements et observations de l'État partie concernant la recevabilité
et commentaires de l'auteur
4.1 Dans ses observations datées du 21 septembre 1999, l'État partie fait
référence à l'article 1 et à l'article 2 du Protocole facultatif où sont
énumérées les conditions de recevabilité d'une communication, et affirme
que M. Luis Asdrúbal Jiménez Vaca n'a pas épuisé les recours internes car
il a engagé une action en dommages-intérêts devant le tribunal administratif
d'Antioquia. Ce tribunal a rendu sa décision en première instance le 8 juillet
1999, en rejetant les prétentions de l'auteur, et on attend actuellement
la décision de la juridiction d'appel auprès de laquelle un recours a été
formé en août 1999.
4.2 Pour ce qui est du paragraphe 1 de l'article 17 du Pacte, l'État partie
affirme garantir le droit constitutionnel à l'inviolabilité de la correspondance
et précise que tout acte arbitraire doit faire l'objet d'une plainte pour
qu'il puisse y avoir une enquête. Pour ce faire, la police nationale a reçu
pour instruction de mener une enquête afin d'établir les faits.
4.3 Dans ses commentaires en date du 16 novembre 1999, l'auteur répond
que l'argument de l'État partie, qui affirme que les recours internes ne
sont pas épuisés parce que la décision du Conseil d'État, la juridiction
du second degré, est attendue, est dénué de fondement et rappelle la jurisprudence
du Comité des droits de l'homme qui a établi que les recours internes ne
doivent pas seulement être disponibles mais doivent aussi être utiles(2).
Par ailleurs, l'auteur affirme que, selon l'État partie, la juridiction
administrative ne fait pas partie de la branche judiciaire. Il fait valoir
que le tribunal administratif a rendu une décision, neuf ans et cinq mois
plus tard, parce que la communication que l'auteur avait soumise au Comité
a fait pression. Ainsi, il considère que les recours internes ont été épuisés
puisque la procédure a été excessivement longue.
4.4 Dans ses observations supplémentaires datées du 26 octobre 1999, l'État
partie précise que d'après les renseignements reçus du bureau du Défenseur
du peuple, après examen des archives de la Direction nationale de réception
et de transmission des plaintes, aucune plainte portant sur les faits exposés
par l'auteur n'a été trouvée. Par ailleurs, le bureau du Procureur général
a certifié qu'aucune enquête disciplinaire contre des membres de l'armée
pour menaces, harcèlement, provocation et tentative d'homicide dont l'auteur
aurait été l'objet n'avait été diligentée par le service du Procureur délégué
aux forces armées ni par le service du Procureur délégué à la défense des
droits de l'homme ou le service du Procureur départemental d'Antioquia,
ni enfin par la Direction nationale des enquêtes spéciales.
4.5 L'État partie explique en outre que le major Oscar Vírguez Vírguez
a porté plainte contre l'auteur auprès de la juridiction d'instruction pénale
militaire pour calomnie et dénonciation mensongère. Le motif de cette plainte
était les accusations formulées auprès des organes d'information par l'auteur
et par Aníbal Palacio Tamayo, pour des menaces dont l'auteur et Argemiro
Miranda auraient été la cible. Ces accusations avaient conduit le service
du Procureur délégué aux forces armées à décider d'ouvrir une enquête sur
le comportement du major Vírguez, et il n'avait trouvé aucun motif justifiant
les accusations.
4.6 Dans des observations supplémentaires datées du 5 août 2000, l'auteur
fait valoir que l'institution du Défenseur du peuple a été créée après les
principaux faits dénoncés dans la plainte, c'est-à-dire avec la Constitution
de 1991, alors que l'auteur était déjà en exil. De plus, il affirme que
les plaintes étaient précises et avaient été portées à la connaissance des
autorités: il indiquait que les quatrième et dixième brigades pouvaient
être les responsables des harcèlements et des menaces de mort dont il était
victime. Bien qu'elles eussent connaissance des faits, les autorités n'ont
jamais pris la moindre mesure. Tout au contraire, la seule enquête qui ait
jamais été ouverte a été déclarée terminée, ce qui avait empêché la manifestation
de la vérité. En outre, la teneur des plaintes et la gravité du danger n'ont
jamais été appréciées et personne n'a cherché à identifier les auteurs intellectuels
et matériels.
4.7 En ce qui concerne la plainte pour calomnie et dénonciation mensongère
déposée par le major Vírguez, l'auteur objecte qu'elle avait pour seul motif
d'entraver le déroulement des enquêtes, qui risquaient de compromettre l'institution
militaire, et de freiner le cours de l'enquête ordonnée contre le major.
De plus, jamais il n'a été cité par une autorité judiciaire pour confirmer
les faits. L'auteur affirme que la justice pénale militaire n'était pas
compétente pour instruire les infractions citées puisqu'il n'a rigoureusement
aucun lien avec les forces armées colombiennes.
4.8 Enfin, l'auteur réitère que les recours internes doivent être non seulement
disponibles mais aussi utiles.
Renseignements et observations de l'État partie sur le fond et commentaires
de l'auteur
5.1 Dans ses observations en date du 21 septembre 1999, l'État partie précise,
en se référant à l'allégation de violation du paragraphe 3 de l'article
2, que dans certaines circonstances il peut être difficile d'enquêter sur
des faits attentatoires aux droits de l'individu. De surcroît, le fait que
les résultats définitifs de l'enquête pénale ne soient pas connus ne veut
pas automatiquement dire que l'État partie n'ait pas agi comme il devait,
car il faut tenir compte de la complexité des faits ainsi que de l'activité
de l'intéressé. De plus, d'après l'État partie, il est indiqué dans les
conclusions de la deuxième juridiction pénale de la circonscription de Turbo
que l'action engagée au nom des dirigeants de SINDEBRAS était pour chantage
et non pour tentative d'homicide. De toute façon, la conclusion est que
le chantage visait les dirigeants de SINDEBRAS, et sous «victimes» la plainte
porte la signature de M. Jiménez, ce qui ne veut pas dire qu'il ait été
lui-même l'objet de ce chantage. Si l'auteur a raison d'affirmer que l'État
colombien est tenu d'ouvrir d'office une enquête sur des infractions déterminées,
notamment les atteintes à la vie, la plainte pénale à laquelle il se réfère
n'a aucun rapport avec l'attentat dont il déclare avoir été victime.
5.2 L'État partie conteste que l'auteur n'ait pas engagé un avocat une
fois qu'il a quitté le pays à cause des risques que cela comporterait. Il
a eu néanmoins la possibilité de porter plainte auprès du tribunal administratif,
mais pas contre le procès sur l'attentat dont il aurait été victime. L'État
partie conteste également qu'il y ait eu violation de l'obligation d'assurer
un «recours utile» étant donné qu'au procès mené par le tribunal administratif
d'Antioquia des certificats du commandant de police d'Urabá ont été produits,
établissant qu'en 1986, 1987 et 1988 aucune demande de protection de son
intégrité personnelle n'a été reçue de l'auteur. Le commandant du Département
de police d'Antioquia, le chef du Service des renseignements (SIJIN) d'Antioquia,
la Direction générale de la police générale et le service du Procureur délégué
aux forces armées ont tous déclaré la même chose.
5.3 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 1 de l'article
6, ajoute l'État partie, il ressort des faits présentés dans la demande
que l'auteur considère le Gouvernement comme responsable de ne pas avoir
protégé sa vie, et va même jusqu'à lui imputer une participation directe
dans la perpétration de l'attentat qui aurait été commis par des agents
de l'État anonymes. Or, pour que l'État soit responsable d'un manquement
à son obligation d'assurer la sécurité, il faut que la victime ait fait
une demande de protection auprès des autorités pour un danger latent et
que les autorités aient refusé cette protection, aient négligé de la fournir
ou l'aient assurée de façon insuffisante. D'après l'État partie, les demandes
générales formulées par le biais de dénonciations publiques ne sont pas
un moyen efficace pour obtenir des autorités qu'elles assurent à un individu
une protection efficace. Sans vouloir se soustraire à son obligation constitutionnelle
d'assurer la protection à ses citoyens, l'État partie doit souligner que
chaque cas particulier doit être traité en fonction de ses caractéristiques
propres.
5.4 Enfin, l'État partie a pris de nouveaux trains de mesures pour assurer
la protection des personnes, et dans le cas précis des dirigeants syndicaux,
il met actuellement en uvre un programme de protection pour les témoins
et les personnes menacées. Dans le cadre de ce programme, des mesures ont
été adoptées: création d'un centre de documentation sur la protection, fourniture
de services d'assistance technique, réalisation d'activités de prévention,
octroi d'aide d'urgence, acquisition de moyens de communication et de véhicules,
protection individuelle et protection des locaux des organisations non gouvernementales
et des organismes syndicaux. De plus, s'il décidait de rentrer en Colombie,
l'auteur bénéficierait de toutes les garanties de la part des autorités
et obtiendrait la protection nécessitée par sa situation particulière.
5.5 D'après l'État partie, en ce qui concerne les paragraphes 1 et 4 de
l'article 12, l'article 19, le paragraphe 1 de l'article 22 et l'article
25 du Pacte, la violation de droits fondamentaux dans le cas de différents
secteurs sociaux entraîne des atteintes à d'autres droits fondamentaux de
la population comme la liberté de pensée, la jouissance des biens économiques,
la liberté d'association, et le droit de choisir sa résidence ou de se déplacer
librement. Or il n'est pas possible de prétendre que de telles violations
seraient imputables à l'État partie comme conséquence indirecte d'actions
violentes ayant porté atteinte à un ensemble de droits fondamentaux. Les
actes de violence visent généralement des membres de la société de façon
aveugle, quelle que soit leur situation économique ou sociale. Dans bien
des cas, le facteur déterminant tient davantage aux circonstances, comme
le lieu de résidence ou les activités quotidiennes que mène l'intéressé.
Toutefois, étant donné que les actes de violence n'ont pas pour objectif
premier la violation de ces droits et d'autres encore, les actions visant
à contrecarrer ces effets de la situation de violence doivent agir sur la
cause principale qui est à l'origine, c'est-à-dire le conflit armé interne.
5.6 Ainsi l'État partie conteste l'argumentation présentée par l'auteur,
car il ne se dégage de sa relation des faits aucune situation ponctuelle
qui pourrait mettre en évidence la responsabilité d'agents de l'État dans
la violation présumée de ses droits fondamentaux.
5.7 Dans ses commentaires en date du 16 novembre 1999, l'auteur répond
aux arguments de l'État partie sur le fond en soulignant qu'il existe des
éléments de preuve suffisants dans la communication pour conclure à la responsabilité
de l'État partie dans la violation du Pacte.
5.8 L'auteur affirme que, comme l'a lui-même reconnu l'État partie et comme
il ressort du dossier du tribunal administratif, il a informé la deuxième
juridiction pénale de la circonscription de Turbo des menaces de mort dont
il était l'objet. Il entendait par cette plainte mettre en mouvement l'action
pénale afin de déterminer les auteurs des menaces ainsi que d'obtenir la
protection voulue. Si les menaces de mort (chantage) constituent effectivement
des actes différents de la tentative d'homicide dont il a été l'objet ultérieurement,
il existe néanmoins une relation de cause à effet étant donné que les autorités,
pleinement au fait de la situation, n'ont rien fait pour prévenir ou empêcher
l'attentat. En outre l'auteur affirme que, conformément aux dispositions
de l'article 33 du Code de procédure pénale, l'État doit faire ouvrir d'office
une enquête suite à la plainte pour atteinte à la vie qu'il a déposée.
5.9 Par ailleurs, les certificats démentant les affirmations de l'auteur
établis par le commandant de la police et le Procureur délégué aux forces
armées peuvent s'inscrire dans la stratégie générale en faveur de l'impunité,
de façon à rendre inopérant un recours utile.
5.10 Enfin, en ce qui concerne le programme de protection des témoins et
des personnes menacées dont l'État partie signale l'existence, l'auteur
estime que pour garantir la vie et la sécurité des citoyens il faut plus
que des promesses.
5.11 L'État partie, dans ses observations complémentaires datées du 30
août 2001, explique que l'auteur, en dépit des fréquentes menaces dont il
a fait l'objet, n'a suivi ni les résultats des plaintes ni les recommandations
de la deuxième juridiction pénale de la circonscription de Turbo, et qu'il
ne s'est pas non plus adressé à d'autres instances nationales.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe
2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n'avait
pas été soumise à une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
6.3 Pour ce qui est de l'obligation d'épuiser les recours internes, le
Comité note que l'État partie objecte que lesdits recours n'ont pas été
épuisés. Toutefois, le Comité relève que les menaces dont l'auteur a été
l'objet plusieurs fois avant d'être victime de l'attentat ont été dénoncées
auprès de la deuxième juridiction pénale de la circonscription de Turbo
et du service du Procureur régional de la municipalité de Turbo sans qu'à
ce jour les résultats d'éventuelles enquêtes soient connus. Le Comité note
également que l'État partie ne nie pas l'existence de ces plaintes déposées
auprès du service du Procureur régional, mais qu'il se borne à dire qu'aucune
enquête n'a été menée. Il note de même que l'État partie se borne à indiquer
qu'il existe d'autres recours internes, mais qu'il ne précise ni leur nature
ni devant quelles autorités ils doivent être formés. À ce sujet, le Comité
rappelle que les recours internes doivent être non seulement disponibles
mais également utiles. Il considère qu'il n'a pas été démontré que les recours
internes avaient été utiles en l'espèce.
6.4 En ce qui concerne l'état d'avancement de la procédure en réparation
pour préjudice engagée devant le tribunal administratif, le Comité doute
qu'une action en dommages-intérêts soit le seul recours disponible dans
le cas d'une personne qui a subi une violation de ce type. En outre, le
Comité constate que, dans cette affaire, l'application des recours internes
a été abusivement longue puisque la juridiction administrative n'a statué
sur la décision prise en première instance qu'au bout de neuf ans.
6.5 En ce qui concerne les allégations de violation du paragraphe 1 de
l'article 17 du Pacte, le Comité considère que l'auteur n'a pas saisi les
tribunaux de cette question avant de la soumettre au Comité. Par conséquent
cette partie de la communication est irrecevable conformément aux dispositions
du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.6 En conséquence, le Comité estime que les autres parties de la communication
sont recevables et procède à les examiner quant au fond à la lumière des
informations fournies par les deux parties, conformément aux dispositions
du paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
Examen quant au fond
7.1 L'auteur fait valoir qu'il y a eu violation du paragraphe 1 de l'article
9 du Pacte car l'État partie avait l'obligation, vu les menaces de mort
reçues par l'auteur, de prendre les mesures nécessaires pour garantir sa
sécurité personnelle, ce qu'il n'a jamais fait. Le Comité rappelle sa jurisprudence
(3) au sujet du paragraphe 1 de l'article 9, et réaffirme que le
Pacte protège le droit à la sécurité de la personne même dans le cas où
l'intéressé n'est pas privé de liberté. Interpréter l'article 9 de telle
façon qu'il serait permis à un État partie d'ignorer les menaces connues
contre la vie d'un individu placé sous sa juridiction pour la simple raison
que cet individu n'est pas prisonnier ou détenu viderait de leur substance
les garanties du Pacte.
7.2 En l'espèce, M. Jiménez Vaca était objectivement fondé à attendre de
l'État partie qu'il prévoie des mesures de protection pour garantir sa sécurité
étant donné les menaces qu'il avait reçues. Le Comité prend note des observations
de l'État partie qui sont consignées dans le paragraphe 5.1, mais relève
que ce dernier ne mentionne pas la plainte que l'auteur affirme avoir déposée
auprès du service du Procureur régional de la municipalité de Turbo et ne
présente aucun argument pour prouver que le processus qualifié de «chantage»
n'a pas été déclenché à la suite de la plainte déposée par l'auteur pour
menaces de mort devant la deuxième juridiction pénale de la circonscription
de Turbo. De surcroît, le Comité ne peut pas ne pas relever que l'État ne
dément pas non plus l'auteur lorsque celui-ci affirme n'avoir reçu aucune
réponse à sa demande d'enquête sur ces menaces et de mesure pour garantir
sa protection. L'auteur a été victime d'un attentat après ces menaces, ce
qui confirme que l'État partie n'a pas adopté ou n'a pas été capable d'adopter
des mesures suffisantes pour garantir le droit à la sécurité de la personne,
qui est reconnu à M. Asdrúbal Jiménez au paragraphe 1 de l'article 9.
7.3 En ce qui concerne les allégations de l'auteur selon lesquelles il
y aurait eu violation du paragraphe 1 de l'article 6 pour le simple fait
que l'attentat dont il a fait l'objet constitue une violation du droit à
la vie et de ne pas en être privé arbitrairement, le Comité fait observer
que l'article 6 du Pacte établit que l'État partie a l'obligation de protéger
le droit à la vie de toute personne qui se trouve sur son territoire et
est soumise à sa juridiction. En l'espèce, l'État partie n'a pas démenti
les affirmations de l'auteur selon lesquelles les menaces et les actes de
harcèlement qui ont abouti à l'attentat contre sa vie ont été commis par
des agents de l'État et il n'a pas non plus mené une quelconque enquête
en vue d'identifier des responsables. Étant donné les circonstances de l'affaire,
le Comité estime qu'il y a eu violation du paragraphe 1 de l'article 6 du
Pacte.
7.4 En ce qui concerne les allégations de l'auteur selon lesquelles il
y aurait eu violation des paragraphes 1 et 4 de l'article 12 du Pacte, le
Comité prend note des observations de l'État partie dans lesquelles ce dernier
explique que la violation d'autres droits tels que celui de circuler librement
ne peut être imputée à l'État puisqu'il s'agit de faits qui ont résulté
indirectement d'actes violents. Cependant, étant donné que le Comité a conclu
qu'il y a eu violation du droit à la sécurité personnelle de l'auteur (par.
1 de l'article 9) et estimé que le droit interne n'offrait pas des voies
de recours utiles susceptibles de permettre à l'auteur de rentrer dans son
pays de son exil forcé dans des conditions de sécurité, le Comité estime
que l'État partie n'a pas garanti le droit de l'auteur de demeurer dans
son propre pays, d'y retourner et d'y résider. Il y a donc eu violation
des paragraphes 1 et 4 de l'article 12 du Pacte, violation qui a forcément
des incidences négatives sur la jouissance par l'auteur d'autres droits
garantis par le Pacte.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est
saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l'article 6, du paragraphe
1 de l'article 9, et des paragraphes 1 et 4 de l'article 12.
9. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie a
l'obligation d'assurer à M. Luis Asdrúbal Jiménez Vaca un recours utile,
y compris une réparation pour le préjudice subi, et d'adopter des mesures
efficaces pour protéger sa sécurité et sa vie d'une manière qui lui permette
de retourner dans le pays. Le Comité engage l'État partie à mener à bien
des enquêtes indépendantes pour faire la lumière sur l'attentat et à faire
diligenter une action pénale engagée contre les responsables. L'État partie
est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent
pas à l'avenir.
10. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a
reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou
non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est
engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et
relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité
souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements
sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. Il prie l'État
partie de rendre la présente décision publique.
__________________________
** Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, Mme Christine
Chanet, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David
Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, Sir Nigel Rodley,
M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Patrick
Vella et M. Maxwell Yalden.
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
Notes
1. Il ressort du jugement rendu par le tribunal administratif d'Antioquia
le 8 juillet 1999 que dans sa demande l'auteur fait valoir que son droit
tant à la liberté qu'à la sécurité a été violé du fait des menaces dont
il a fait l'objet et contre lesquelles il a sollicité une protection, ainsi
que du fait de l'attentat dont il a été victime ultérieurement.
2. Communication n 612/1995, José Vicente et Amado Villafañe
Chaparro, Dioselina Torres Crespo, Hermes Enrique Torres Solís et Vicencio
Chapparo Izquierdo c. Colombie, constatations du 19 août 1997.
3. Communication no 195/1985, William Eduardo Delgado Páez
c. Colombie, constatations en date du 12 juillet 1990.