Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 30 octobre 2003,
Ayant achevé l'examen de la communication no 868/1999, présentée
au nom de M. Albert Wilson en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations en vertu du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication, datée initialement du 15 juin 1999, est M.
Albert Wilson, ressortissant britannique qui a résidé aux Philippines de 1990
à 2000, avant d'aller vivre au Royaume-Uni. Il affirme être victime de violations
par les Philippines des paragraphes 2 et 3 de l'article 2, des articles 6,
7, 9, des paragraphes 1 et 2 de l'article 10 et des paragraphes 1, 2, 3 et
6 de l'article 14. Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 16 septembre 1996, l'auteur a été arrêté de force sans mandat suite
à une plainte déposée pour viol par le père biologique de sa belle-fille
de 12 ans, et conduit au commissariat de police. Il n'a pas été informé
de ses droits et, ne parlant pas la langue locale, il ignorait les raisons
de son arrestation. Au commissariat de police, il a été détenu dans une
cage de 1,2 m de côté avec trois autres hommes et accusé le lendemain de
tentative de viol sur la personne de sa belle-fille. Il a ensuite été transféré
à la prison municipale de Valenzuela où il a été alors accusé de viol. Là,
on l'a roué de coups et maltraité dans un «cercueil de béton». Quarante
hommes étaient détenus dans une cellule de 4,8 m de côté, aérée par une
ouverture de 15 cm à 3 m du sol. Un gardien en état d'ébriété a tiré sur
un détenu et, à plusieurs reprises, des gardiens ont pointé leur pistolet
sur sa tête. Un gardien l'a frappé de sa matraque sur la plante des pieds
et d'autres détenus lui ont donné des coups sur l'ordre des gardiens. On
lui a, à lui aussi, intimé l'ordre de frapper d'autres détenus et, comme
il refusait, on l'a roué de coups. Constamment il était soumis aux extorsions
d'autres détenus avec l'assentiment et, dans certains cas, directement sur
les instructions des autorités pénitentiaires et roué de coups lorsqu'il
refusait de payer ou de se plier aux ordres. Il n'y avait pas d'eau courante,
les conditions sanitaires laissaient à désirer (la cellule était équipée
d'une seule cuvette de toilettes sans chasse d'eau pour tous les détenus),
il n'existait pas de parloir et les rations étaient réduites au minimum.
Par ailleurs, l'auteur n'était pas séparé des détenus condamnés.
2.2 Du 6 novembre 1996 au 15 juillet 1998, l'auteur a été jugé pour viol.
Il a soutenu d'emblée que l'allégation était fabriquée de toutes pièces
et plaidé non coupable. La mère et le frère de sa belle-fille ont témoigné
à décharge, déclarant que l'un comme l'autre se trouvaient à la maison lorsque
l'incident aurait eu lieu et qu'il n'aurait pu se produire sans qu'ils en
aient connaissance. Le médecin de la police, qui a examiné la fillette dans
les 24 heures qui ont suivi le prétendu incident, a, selon l'auteur, dressé
un constat d'examen interne et externe «tout à fait incompatible» avec un
viol qui aurait été commis sous la contrainte. Les éléments de preuve médicaux
produits au cours du procès contredisaient aussi cette allégation et, selon
l'auteur, ont démontré en fait que l'acte incriminé ne pouvait pas s'être
produit comme on le prétendait. D'autres témoins ont aussi apporté la preuve
que cette histoire de viol avait été montée de toutes pièces par le père
naturel de la belle-fille pour extorquer de l'argent à l'auteur.
2.3 Le 30 septembre 1998, l'auteur a été reconnu coupable de viol et condamné
à mort ainsi qu'au versement de dommages-intérêts de 50 000 pesos par le
tribunal régional de Valenzuela. Selon l'auteur, la condamnation reposait
uniquement sur le témoignage de la jeune fille qui a reconnu avoir menti
lorsqu'elle avait tout d'abord formulé l'allégation de tentative de viol
et dont la déposition au procès était entachée d'incohérences multiples.
2.4 L'auteur a alors été incarcéré au quartier des condamnés à mort dans
la prison de Muntinlupa où un millier de condamnés à mort étaient détenus
dans trois dortoirs. Les détenus philippins ne cessaient d'extorquer de
l'argent aux étrangers avec l'assentiment et parfois sur les ordres des
autorités pénitentiaires. L'auteur se réfère à des articles parus dans la
presse selon lesquels la prison était sous la coupe de gangs et de fonctionnaires
corrompus, à la merci desquels l'auteur est resté tout le temps qu'il a
été détenu dans le quartier des condamnés à mort. Plusieurs membres de la
direction de la prison ont été condamnés pour avoir extorqué de l'argent
à des détenus et de grandes quantités d'armes ont été découvertes dans les
cellules. L'auteur a fait l'objet de pressions et de tortures pour qu'il
donne de l'argent aux gangs et aux autorités. Il n'y avait pas de gardiens
dans le dortoir ni dans les cellules qui abritaient plus de 200 détenus
et n'étaient jamais verrouillées. On lui avait retiré son argent et ses
effets personnels avant qu'il arrive à la prison et comme, pendant les trois
premières semaines, il n'avait reçu aucune visite, il s'était trouvé privé
de produits de première nécessité (savon, literie, etc.). On servait pour
toute nourriture aux détenus du riz cuit non lavé et d'autres substances
inadaptées. Les installations sanitaires se réduisaient à deux cuvettes
sans chasse d'eau dans une pièce qui faisait aussi office de douche collective
pour 200 personnes.
2.5 L'auteur a été contraint de payer pour l'espace de 2,4 m de côté où
il dormait et de soutenir financièrement ses huit autres codétenus. Il a
été obligé de dormir à côté d'individus à l'esprit dérangé par la drogue
et de personnes qui délibérément et constamment le privaient de sommeil.
On l'a tatoué de force du signe distinctif d'un gang. On étendait des détenus
sur un banc à la vue de tous et on les frappait aux mollets avec un morceau
de bois ou, d'une façon ou d'une autre, on leur «apprenait à vivre». L'auteur
déclare avoir vécu dans une peur de tous les instants, à deux doigts de
la mort et proche de la dépression et du suicide; il a vu six détenus partir
pour être exécutés et cinq autres décéder de mort violente. Craignant de
mourir à l'issue d'un procès «cruellement inéquitable et partial», il avait
été en proie à une profonde détresse physique et mentale et s'était senti
«complètement désemparé et désespéré». Il se trouve donc à l'état de «loque
financièrement et, à bien des égards, psychiquement».
2.6 Le 21 décembre 1999, c'est-à-dire après qu'il eut envoyé sa communication
en vertu du Protocole facultatif, la Cour suprême, examinant son affaire
dans le cadre d'une révision automatique, a annulé la condamnation, la jugeant
fondée sur des allégations «indignes de foi» et ordonné la libération immédiate
de l'auteur. Le Solicitor general avait déposé un dossier auprès
de la Cour recommandant l'acquittement attendu que les contradictions importantes
dans la déposition du témoin, ainsi que les éléments de preuve matériels
à décharge, emportaient l'intime conviction que la culpabilité de l'auteur
n'avait pas été suffisamment établie.
2.7 Le 22 décembre 1999, lorsqu'il a été libéré du quartier des condamnés
à mort, le Bureau de l'immigration a levé l'interdiction de sortie du territoire
à condition que l'auteur s'acquitte de taxes et amendes s'élevant à 22 740
pesos pour avoir séjourné aux Philippines alors que son visa de touriste
avait expiré. Cette décision s'appliquait à toute la durée de sa détention
et, s'il n'avait pas obtempéré, jamais il n'aurait pu quitter le pays pour
rentrer au Royaume-Uni. Elle a été confirmée après que l'Ambassadeur du
Royaume-Uni aux Philippines eut fait recours et tous les efforts déployés
ultérieurement depuis le Royaume-Uni auprès du Bureau de l'immigration et
de la Cour suprême pour recouvrer cette somme se sont avérés vains.
2.8 À son retour au Royaume-Uni, l'auteur a demandé à être indemnisé conformément
à la loi philippine no 7309, portant création d'un conseil d'indemnisation
au sein du Département de la justice en faveur des victimes d'emprisonnement
ou de détention injuste, l'indemnisation étant proportionnelle au nombre
de mois passés en détention. Après enquête, il a été informé le 21 février
2001 que, le 1er janvier2001, on lui avait accordé une indemnité de 14 000
pesos, mais que, pour la toucher, il devrait se rendre en personne aux Philippines.
Le 12 mars 2001, il a écrit au Conseil d'indemnisation lui demandant de
reconsidérer le montant accordé au motif que, aux termes de la loi, les
40 mois qu'il avait passés en prison devaient lui valoir 40 000 pesos. Le
23 avril 2001, il a été informé que la somme réclamée «était fonction des
ressources disponibles» et que la personne à l'origine des malheurs de l'auteur
était le plaignant qui l'avait accusé de viol. L'auteur n'a reçu aucune
autre précision sur la différence entre la somme accordée et celle réclamée.
2.9 Le 9 août 2001, après avoir demandé un visa de touriste pour rendre
visite à sa famille, l'auteur a été informé qu'ayant séjourné aux Philippines
au-delà de la date d'expiration de son visa et ayant été condamné pour un
crime à mettre au compte de la turpitude morale, son nom figurait sur une
liste noire du Bureau de l'immigration. Lorsqu'il s'est enquis des raisons
pour lesquelles la condamnation avait un tel effet alors qu'elle avait été
annulée, on lui a fait savoir que pour obtenir une autorisation de voyage
il aurait à se rendre au Bureau de l'immigration aux Philippines mêmes.
2.10 L'auteur a alors voulu engager une action civile en réparation, attendu
que la mesure d'indemnisation administrative décrite plus haut ne tiendrait
pas compte de l'étendue des souffrances physiques et psychologiques qu'il
avait subies. Il n'avait pas droit à l'aide juridictionnelle aux Philippines
et depuis l'étranger ne pouvait pas obtenir d'aide juridique gratuite.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur fait valoir une violation des articles 6 et 7 en raison de
l'imposition obligatoire de la peine capitale aux termes de l'article 11
de la loi no 7659 pour le viol d'une mineure avec laquelle l'auteur a des
relations parentales (1). Un tel crime n'entre pas nécessairement
dans les «crimes les plus graves» puisqu'il n'entraîne pas la perte de la
vie et que les circonstances dans lesquelles une telle infraction est commise
peuvent varier considérablement d'un cas à un autre. C'est pour ces raisons
que l'imposition obligatoire de la peine capitale est disproportionnée par
rapport à la gravité du crime présumé et contraire à l'article 7. Elle est
aussi disproportionnée et inhumaine, car elle ne tient aucun compte des
faits propres à chaque cas (qu'il s'agisse du crime lui même ou de son auteur)
à titre de circonstances atténuantes.
3.2 L'auteur soutient que le temps qu'il a passé dans le quartier des condamnés
à mort a constitué une violation de l'article 7, d'autant que le procès
a été entaché de vices de forme massifs. Il y aurait en l'espèce violation
de l'article 7 parce que le procès a été clairement inéquitable et que le
verdict, manifestement dénué de fondement, a entraîné désarroi et anxiété
chez l'auteur puisqu'il a été condamné à tort. Le traitement et les conditions
spécifiques auxquels il a été soumis pendant son séjour dans le quartier
des condamnés à mort n'ont fait qu'aggraver les choses.
3.3 S'agissant de l'article 9, l'auteur fait valoir que son arrestation
initiale a eu lieu en l'absence de mandat et en violation du droit interne
applicable aux arrestations. Il n'a pas été informé non plus au moment de
son arrestation des raisons qui la motivaient dans une langue qu'il pouvait
comprendre, ni déféré rapidement devant un juge.
3.4 S'agissant de la violation des paragraphes 1, 2 et 3 de l'article 14,
l'auteur affirme tout d'abord que son procès était inéquitable. Il soutient
que dans les affaires propres à déchaîner les passions, comme le viol d'un
enfant, un juge unique n'est pas forcément à l'abri de pressions, que son
indépendance et son impartialité peuvent en souffrir et qu'il ne devrait
pas être autorisé à prononcer la peine de mort; au contraire, un juge et
un jury ou un collège composé de plusieurs magistrats devraient être saisis
des affaires passibles de la peine capitale. Le juge du fond aurait subi
d'«énormes pressions» de personnes du quartier qui avaient rempli la salle
d'audience et attendaient la condamnation de l'auteur. Selon ce dernier,
on avait aussi fait venir des gens d'autres quartiers.
3.5 Deuxièmement, l'auteur fait valoir que l'analyse du tribunal du fond
était manifestement infondée et violait son droit à la présomption d'innocence,
lorsque le juge a fait observer que le moyen de défense choisi par l'auteur,
tendant à nier que les faits dénoncés aient bien eu lieu «ne pouvait prévaloir
sur les assertions positives de la jeune victime». Vu l'irréversibilité
de la peine de mort, l'auteur fait valoir que les procès qui peuvent se
solder par l'imposition de la peine capitale doivent observer scrupuleusement
toutes les normes internationales. Se référant aux Garanties pour la protection
des droits des personnes passibles de la peine de mort, l'auteur remarque
qu'une peine capitale doit reposer «sur des preuves claires et convaincantes
ne laissant place à aucune autre interprétation des faits».
3.6 S'agissant du paragraphe 6 de l'article 14, l'auteur fait observer
que, au regard tout spécialement de la procédure d'indemnisation prévue
en droit philippin, l'État partie était tenu d'indemniser équitablement
et correctement les victimes d'erreurs judiciaires. En l'espèce, les dommages-intérêts
accordés effectivement représentaient environ un quart de ce à quoi l'auteur
avait droit en vertu de ce régime, or cette somme était pratiquement réduite
à néant par le fait qu'il devait s'acquitter de taxes et amendes d'immigration.
Dans une plainte connexe dénonçant la violation du paragraphe 3 de l'article
2, l'auteur soutient qu'au lieu d'avoir été indemnisé en bonne et due forme
de ces violations, il a été contraint de payer pour le temps passé injustement
en détention et demeure sur la liste d'étrangers indésirables, quand bien
même il a été entièrement lavé de tout soupçon, ce qui viole son droit à
un recours utile, revient à lui imposer une double peine et va à l'encontre
de ses droits familiaux.
3.7 Pour ce qui est des questions de recevabilité, l'auteur déclare n'avoir
soumis de plainte à aucune autre procédure internationale et, en ce qui
concerne les conditions de détention, qu'il a sans succès cherché à appeler
l'attention sur le traitement qui lui avait été réservé en prison et ses
conditions de détention. Ce recours ne pouvait aboutir car il n'avait accès
qu'aux personnes elles-mêmes responsables des incidents qu'il dénonçait.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1 Dans une lettre du 5 août 2002, l'État partie conteste la communication
quant à sa recevabilité et au fond, faisant valoir que l'auteur pourrait
engager toutes sortes de recours judiciaires, quasi-judiciaires ou administratifs.
L'article 32 du Code civil fait obligation à tout fonctionnaire ou particulier
d'indemniser quiconque a été victime d'une atteinte à ses droits et libertés,
y compris à son droit de ne pas faire l'objet d'une arrestation arbitraire,
de peines cruelles, etc. L'auteur peut aussi demander des dommages-intérêts
pour poursuites malveillantes et/ou engager une action pour violation du
Code pénal révisé, au titre d'atteintes à la liberté et à la sécurité ou
à l'honneur. Il peut aussi déposer plainte auprès de la Commission philippine
des droits de l'homme, mais s'en est abstenu. L'arrêt de la Cour suprême
annulant le jugement rendu par la juridiction inférieure, qui découlait
d'un examen systématique des affaires entraînant l'imposition de la peine
capitale, montre que le système judiciaire offre les garanties d'un procès
équitable et des voies de recours satisfaisantes.
4.2 Pour ce qui est de la plainte à propos de l'article 7, l'État partie
soutient qu'il ne peut pas répondre comme il faut aux allégations formulées
car elles méritent un complément d'enquête. En tout état de cause, l'auteur
aurait dû soumettre sa plainte à une instance appropriée, comme la Commission
philippine des droits de l'homme.
4.3 Pour ce qui est de la plainte à propos de l'article 14, l'État partie
déclare que l'affaire a été jugée devant un tribunal compétent, que l'auteur
a pu produire des preuves et procéder à l'interrogatoire contradictoire
des témoins et qu'il a joui d'un droit de recours dont l'issue lui a d'ailleurs
été favorable. Rien ne donne à penser non plus que le juge du fond se soit
prononcé en se fondant sur autre chose qu'une appréciation de bonne foi
des éléments de preuve dont il était saisi.
4.4 Quant à l'insuffisance de l'indemnisation versée, l'État partie fait
observer que, le 24 août 2001, le Conseil d'indemnisation a accordé à l'auteur
une somme complémentaire de 26 000 pesos, portant à 40 000 pesos le montant
total de son indemnité, comme il le réclamait. Bien qu'il ait été prévenu
qu'il pouvait venir toucher son chèque, l'auteur ne s'était pas encore présenté
et le chèque n'était donc plus valable, mais un autre pouvait être facilement
établi. Quant à l'affirmation que l'auteur n'a pas pu faire valoir de recours
civils, l'État partie fait observer que le Conseil d'indemnisation lui avait
conseillé de consulter un avocat mais que l'auteur n'avait pas demandé réparation
devant les tribunaux.
Commentaires de l'auteur sur les observations de l'État partie
5.1 Par une lettre du 6 avril 2002, l'auteur répond à d'autres aspects
des observations de l'État partie. S'agissant des questions relatives à
un procès équitable, il fait observer que le Solicitor general lui-même
a estimé que l'accusation portée contre lui avait été sérieusement entachée
de vices de forme et que, par conséquent, surtout dans les affaires passibles
de la peine capitale, «l'intime conviction», de bonne foi, du juge du fond
ne suffisait pas à légitimer une condamnation abusive. La décision prise
par la Cour suprême montre bien que la procédure ne respectait pas ce que
l'auteur considère comme les normes minimales énoncées à l'article 14. L'auteur
soutient que le juge du fond avait fait preuve de partialité à son encontre
parce que l'accusé était un homme, avait substitué sa propre appréciation
des éléments de preuve d'ordre médical à celle de l'expert compétent et
n'avait pas respecté le principe de la présomption d'innocence.
5.2 Qui plus est, la demande qu'avait faite l'auteur d'interdire l'accès
des médias au procès avait été rejetée et les portes du prétoire avaient
été ouvertes à la presse avant même la mise en accusation. Nul n'ignore
qu'aux Philippines la police a pour pratique de faire défiler les suspects
devant les médias et, en l'espèce, la présence des médias dès le moment
où l'auteur a été conduit devant le procureur a entamé l'équité du procès.
Au cours de celui-ci, la salle d'audience était remplie de personnes représentant
des «organisations de défense des enfants, féministes et de lutte contre
la criminalité» qui faisaient pression pour qu'il fût condamné. La présence
du public et des médias accroît la crainte d'une procédure partiale dans
les affaires qui risquent de déchaîner les passions.
5.3 L'auteur estime par ailleurs, en se référant à la décision rendue par
le Comité dans l'affaire Mbenge c. Zaïre, (2) que la
violation de ses droits au titre de l'article 14 a entraîné l'imposition
de la peine de mort, en violation des dispositions du Pacte et par conséquent
en violation de l'article 6. Il fait aussi valoir, en renvoyant à la décision
prise dans l'affaire Johnson c. Jamaïque, (3) que,
attendu que l'imposition de la peine capitale était contraire au Pacte,
sa détention qui en découlait, au regard notamment du traitement et des
conditions auxquels il avait été soumis, constituait une peine cruelle et
inhumaine, contraire à l'article 7.
5.4 De façon générale, l'auteur fait valoir, en se référant à l'Observation
générale du Comité sur l'article 6, que le rétablissement de la peine capitale
dans un État partie est contraire à l'objet et au but du Pacte et viole
les paragraphes 1 à 3 de l'article 6. En tout état de cause, la façon dont
les Philippines ont réintroduit la peine capitale viole le paragraphe 2
de l'article 6, ainsi que l'obligation énoncée au paragraphe 2 de l'article
2 de donner effet aux droits reconnus dans le Pacte. La loi no 7659, en
punissant de la peine de mort 46 infractions (dont 23 systématiquement),
est entachée de vices et n'accorde aucune protection aux droits proclamés
dans le Pacte.
5.5 Au moment du procès de l'auteur, la procédure pénale applicable exigeait
que la victime, ses parents ou la personne qui en avait la charge, s'ils
n'avaient pas expressément pardonné à l'auteur de l'infraction, portent
plainte pour viol. L'auteur soutient que prévoir l'imposition obligatoire
de la peine capitale pour une infraction qui ne se prête pas même à l'ouverture
automatique de poursuites de la part de l'État revient à faire le jeu de
quiconque veut pratiquer l'extorsion - en fabriquant des allÚgations
et en demandant de l'argent en Úchange d'un pardon exprÞs. L'auteur n'a
cessÚ de dÚclarer au procÞs que le plaignant lui avait rÚclamÚ 25 000 dollars
des ╔tats-Unis en contrepartie d'une ½dÚclaration sous serment de
renonciation╗. Les souffrances endurÚes par l'auteur dÚcoulent directement
de ce que l'╔tat ne garantit pas le respect des procÚdures et sauvegardes
lÚgales les plus ÚlÚmentaires dans les affaires susceptibles d'entra¯ner
l'imposition de la peine capitale en gÚnÚral, et que l'auteur, en particulier,
a pÔti de cette carence.
5.6 S'agissant des descriptions des conditions de dÚtention dont il a souffert
dans la prison de Valenzuela avant d'Ûtre condamnÚ, l'auteur renvoie Ó la
jurisprudence du ComitÚ qui n'a cessÚ de juger ce type de traitement inhumain
et contraire aux articles 7 et 10 (4). Les rapports d'Amnesty International
et les médias ont rendu compte dans le détail des conditions de détention
à Valenzuela qui sont manifestement loin de répondre aux exigences faites
par le Pacte à tous les États parties, indépendamment de leur situation
budgétaire. L'auteur dénonce aussi une violation spécifique du paragraphe
2 de l'article 10 dans la mesure où il n'a pas été détenu à part des prisonniers
condamnés.
5.7 L'auteur fait valoir qu'il n'y a pas à faire rapport ou à porter plainte
contre des conditions de détention lorsque, de toute évidence, une telle
démarche ne peut qu'entraîner des représailles (5). Il fournit les
copies de trois lettres qu'il a bel et bien adressées à la Commission
philippine des droits de l'homme en 1997, à la suite de quoi il a été passé
à tabac et enfermé dans sa cellule pendant plusieurs jours. En 1999, alors
qu'il se trouvait dans le quartier des condamnés à mort, le Département
de la justice a été alerté de menaces qui pesaient sur la vie de l'auteur
et prié de faire le nécessaire pour le protéger. Cela a eu pour résultat
que sa vie s'est trouvée sérieusement menacée, un garde pointant un pistolet
contre sa tête (à l'époque, il avait vu tirer sur un autre détenu). L'auteur
affirme que l'incapacité de l'État partie de répondre à ces allégations
dans ses observations ne fait que souligner l'absence de «mécanisme de contrôle»
interne efficace et la nécessité d'enquêter et de l'indemniser pour les
violations de l'article 7.
5.8 Quant aux conditions de détention dans le quartier des condamnés à
mort, elles auraient porté aussi gravement préjudice à sa santé mentale
et constituaient une violation de plus de l'article 7. L'auteur a été en
proie à une angoisse extrême et à de graves souffrances du fait de sa détention
et il ressortait d'un examen psychiatrique général qu'il était «très déprimé
et souffrait depuis longtemps de [troubles post-traumatiques] sévères susceptibles
de se traduire par un comportement autodestructeur soudain et sévère». L'auteur
renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle si, en principe, le
stress mental qui suit la condamnation ne viole pas l'article 7, «il pourrait
en aller autrement dans les affaires où la peine capitale est en jeu» (6)
et que «chaque affaire doit être considérée sur le fond, compte tenu
de la responsabilité de l'État partie … et compte tenu des conditions
carcérales propres à l'établissement pénitentiaire en cause et des effets
psychologiques sur l'intéressé».(7)
5.9 Dans le cas présent, la condamnation et les conditions de détention
de l'auteur étaient loin de répondre aux normes minimales et étaient manifestement
imputables à l'État partie. En outre, les condamnés à mort qui faisaient
appel n'étaient pas séparés de ceux dont la condamnation était devenue définitive.
Pendant la détention de l'auteur, six détenus avaient été exécutés (dont
trois pour viol). Dans un cas, un problème de communication avait empêché
un détenu de jouir d'un sursis à l'exécution accordé par le Président. Dans
un autre, trois détenus avaient été exécutés alors même que le Comité des
droits de l'homme avait demandé l'adoption de mesures provisoires de protection.(8)
Ces faits, qui se sont produits tandis que l'auteur se trouvait dans le
quartier des condamnés à mort, ont accru son anxiété et son sentiment de
désarroi, au détriment de son état de santé mentale et ont donc constitué
une violation de l'article 7.
5.10 S'agissant de l'affirmation par l'État partie qu'il existe des voies
de recours suffisantes, l'auteur fait valoir que le système ne prévoit pas
de voies de recours utiles pour les personnes accusées en détention et que
la décision prise par la Cour suprême ne représente qu'une réparation partielle
qui ne remédie en rien aux violations du droit de ne pas être soumis par
exemple à la torture ou à une détention illégale. La décision de la Cour
suprême ne saurait en soi être considérée comme une forme d'indemnisation
car elle n'a fait que mettre un terme à une violation imminente de son droit
à la vie, que rien n'aurait su compenser. La Cour n'a pas ordonné d'indemniser
l'auteur, de le rembourser de ses frais de justice, de réparer ni d'enquêter.
Rien n'a été fait pour remédier au préjudice et aux souffrances d'ordre
mental qu'il a subis, non plus qu'au tort causé à sa réputation et à son
mode de vie, y compris à la publicité qui a été faite autour de lui au Royaume-Uni
comme d'un violeur d'enfant et d'un pédophile.
5.11 Loin de recevoir une réparation appropriée pour la violation dont
il a souffert, l'auteur a été en fait doublement puni en ayant à payer des
taxes d'immigration et en étant empêché d'entrer aux Philippines, deux problèmes
restés sans réponse malgré des représentations faites auprès des autorités
philippines. Le fait qu'il ne puisse retourner aux Philippines empêche aussi
l'auteur de tirer utilement parti des voies de recours disponibles aux Philippines,
même si elles étaient satisfaisantes, ce qu'il nie. En particulier, les
voies de recours civiles que l'État partie invoque ne sont ni «disponibles»
ni «utiles» s'il ne peut entrer dans le pays et, partant, il n'a pas besoin
de les épuiser.
5.12 Quoi qu'il en soit, selon l'auteur, le droit interne de l'État partie
exclut toute voie de recours dans son cas. En effet, la Constitution exige
le consentement de l'État pour l'ouverture de poursuites contre lui, (9)
consentement qu'il n'a donné ni expressément ni implicitement en l'espèce.
D'après la législation, l'État est uniquement responsable du comportement
illicite d'«agents spéciaux» (personnes spécialement mandatées pour remplir
une tâche donnée). Les fonctionnaires qui agissent dans l'exercice de leurs
fonctions sont tenus personnellement responsables du préjudice causé (mais
peuvent invoquer l'immunité si l'action engage les biens, les droits ou
les intérêts de l'État). Ainsi, l'État n'est pas tenu responsable d'actes
illicites d'abus de pouvoir, commis en violation des droits et libertés
d'un individu (10). L'auteur avance par conséquent qu'aucune voie
de recours civile ne lui est ouverte qui remédierait correctement aux préjudices
subis et que l'État partie n'a pas pris les mesures d'indemnisation voulues,
notamment pour remédier à un préjudice découlant de la violation de droits
fondamentaux protégés par les articles 6, 7 et 14. En conséquence, il a
manqué à son obligation d'assurer les voies de recours utiles prévues au
paragraphe 3 de l'article 2.
5.13 Enfin, l'auteur fait valoir que les voies de recours autres que judiciaires
qui pourraient exister ne sont pas utiles en raison de l'extrême gravité
des violations et seraient inappropriées au regard du montant de l'indemnisation
réclamée. En premier lieu, si, comme le soutient l'État partie, il n'y a
pas trace des plaintes adressées par l'auteur à la Commission philippine
des droits de l'homme, l'inefficacité et l'insuffisance de ce mécanisme,
surtout pour protéger les droits qui font l'objet des articles 6 et 7 du
Pacte, n'en sont que plus flagrantes. En tout état de cause, la Commission
ne fait qu'apporter une aide financière, plutôt qu'une indemnisation à proprement
parler, et ce recours non judiciaire qui n'offre pas d'indemnisation ne
saurait être considéré comme une voie de recours efficace et utile au regard
des violations des articles 6 et 7.
5.14 Deuxièmement, le mécanisme d'indemnisation administratif qui a un
peu dédommagé l'auteur ne saurait être considéré comme remplaçant une voie
de recours civile. Le Comité a observé que l'on «ne saurait considérer que
des recours … administratifs constituent des recours adéquats et utiles
au sens du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte en cas de violation particulièrement
grave des droits de l'homme»; (11) au contraire, il est indispensable
de pouvoir avoir accès aux tribunaux. En tout état de cause, l'indemnisation
prévue est insuffisante au regard du paragraphe 6 de l'article 14 et l'impossibilité
dans laquelle se trouve l'auteur d'entrer dans le pays fait perdre toute
utilité pratique à cette voie de recours. Même si la somme de 40 000 pesos
qui lui a été accordée correspondait au montant maximal autorisé, elle ne
représentait qu'un montant dérisoire et symbolique quand bien même on tiendrait
compte des différences d'un pays à l'autre en matière d'indemnisation. Après
déduction des taxes d'immigration dont il était redevable, il lui resterait
environ 18 260 pesos (soit 343 dollars).
Délibérations du Comité
Examen quant à la recevabilité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Pour ce qui est de l'épuisement des voies de recours internes, l'État
partie soutient que l'auteur pourrait déposer plainte auprès de la Commission
philippine des droits de l'homme et saisir les tribunaux au civil. Le Comité
observe que l'auteur s'est effectivement plaint auprès de la Commission
tandis qu'il était incarcéré, mais n'avait reçu aucune réponse et que la
Commission était habilitée à accorder une «aide financière» plutôt qu'une
«indemnisation». Il relève aussi qu'une action civile ne peut être engagée
contre l'État sans son consentement et que le droit interne limite considérablement
la possibilité d'obtenir gain de cause contre un agent de l'État déterminé.
Considérant ces éléments à la lumière du fait que l'auteur est interdit
d'entrée aux Philippines, le Comité estime que l'État partie n'a pas montré
que les recours invoqués étaient à la fois disponibles et utiles et que
le Comité n'était pas empêché, aux termes du paragraphe 2 b) de l'article
5 du Protocole facultatif, d'examiner la communication.
6.3 L'État partie fait valoir que la décision de la Cour suprême et l'indemnisation
ultérieure de l'auteur plaidaient contre la recevabilité de certaines, voire
de l'ensemble, des plaintes de l'auteur. Le Comité observe que la communication
a été initialement soumise bien avant que la Cour suprême statue sur cette
affaire. Dans les cas où il est remédié à une violation du Pacte sur le
plan intérieur avant la soumission d'une communication, le Comité peut juger
une communication irrecevable au motif par exemple que l'auteur n'a pas
le statut de «victime» ou qu'il n'est pas «fondé à se plaindre». En revanche,
si la voie de recours invoquée se présente postérieurement à la soumission
d'une communication, le Comité peut néanmoins examiner si le Pacte a été
violé avant de se demander si la voie de recours offerte répondait aux besoins.
(Voir, par exemple, Dergachev c. Bélarus). (12) Il
s'ensuit que le Comité considère que les démarches invoquées par l'État
partie comme constituant des voies de recours intéressent davantage les
points à prendre en considération aux fins de l'examen de la communication
quant au fond et de l'utilité du recours à accorder à l'auteur pour toute
violation des droits qui lui sont reconnus par le Pacte qu'elles ne font
obstacle à la recevabilité des plaintes déjà soumises.
6.4 Pour ce qui est de l'allégation au titre des paragraphes 1 et 3 de
l'article 14 du Pacte, selon laquelle l'auteur n'a pas bénéficié d'un procès
équitable, le Comité constate que cette plainte n'a pas été étayée par des
arguments convaincants. Contrairement à ce qu'affirme l'auteur, la Cour
suprême n'a pas jugé son procès inéquitable mais a plutôt annulé sa condamnation
après avoir réévalué les faits de la cause. En conséquence cette partie
de la communication est irrecevable au titre de l'article 2 du Protocole
facultatif.
6.5 Pour ce qui est des plaintes de l'auteur au titre du paragraphe 2 de
l'article 14 du Pacte concernant la présomption d'innocence, le Comité relève
que les événements survenus à compter du moment où l'auteur n'était plus
accusé d'une infraction pénale, et ne relèvent pas du paragraphe 2 de l'article
14. Cette partie de la communication est donc irrecevable ratione materiae
conformément à l'article 3 du Protocole facultatif.
6.6 Pour ce qui est de la plainte formulée au titre du paragraphe 6 de
l'article 14 du Pacte, le Comité note que la condamnation de l'auteur a
été annulée dans le cadre d'une procédure d'appel ordinaire et non pas sur
la base d'un fait nouveau ou d'un élément venant d'être découvert. Dans
ces circonstances, cette plainte ne relève pas du paragraphe 6 de l'article
14; en conséquence elle est irrecevable ratione materiae en vertu
de l'article 3 du Protocole facultatif.
6.7 En l'absence de tout autre obstacle à la recevabilité, le Comité considère
les autres plaintes de l'auteur comme suffisamment étayées aux fins de la
recevabilité et procède à leur examen quant au fond.
Examen quant au fond
7.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations communiquées par les parties,
conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
7.2 Pour ce qui est des plaintes de l'auteur relatives à l'imposition de
la peine capitale, y compris sa condamnation à la peine de mort pour une
infraction qui, aux termes d'une loi de l'État partie - adoptÚe aprÞs
que la peine de mort eut ÚtÚ une premiÞre fois supprimÚe du Code pÚnal -,
emportait obligatoirement la peine capitale sans que le tribunal qui prononce
cette peine ait la possibilitÚ de prendre d¹ment en compte des circonstances
particuliÞres de la cause et de l'accusÚ, le ComitÚ observe que l'auteur
n'est plus sous le coup d'une telle peine puisque sa condamnation et, par
consÚquent, la peine ont ÚtÚ annulÚes par la Cour suprÛme fin dÚcembre 1999
aprÞs qu'il eut passÚ prÞs de 15 mois en prison suite Ó sa condamnation
Ó la peine capitale. Dans ces circonstances, le ComitÚ juge bon d'aborder
les autres griefs de l'auteur relatifs Ó la peine de mort au titre de l'article
7 du Pacte plut¶t que de les examiner sÚparÚment au titre de l'article 6.
7.3 Pour ce qui est des plaintes de l'auteur au titre des articles 7 et
10 concernant le traitement et les conditions dont il a souffert en détention,
tant avant qu'après sa condamnation, le Comité observe que l'État partie,
au lieu de répondre aux allégations spécifiques qui étaient formulées, a
fait savoir qu'elles méritaient un complément d'enquête. Dans ces conditions,
par conséquent, le Comité se voit obligé de donner tout leur poids aux allégations
de l'auteur, détaillées et précises. Il estime que les conditions de détention
décrites, tout comme le comportement violent et abusif de certains gardiens
de prison et d'autres détenus, apparemment avalisé par les autorités pénitentiaires,
constituent des atteintes graves au droit de l'auteur, en tant que prisonnier,
d'être traité avec humanité et dans le respect de sa dignité inhérente,
en violation du paragraphe 1 de l'article 10. Comme au moins certains de
ces actes de violence à l'encontre de l'auteur ont été commis soit par les
gardiens de prison, soit à leur instigation, soit avec leur consentement,
il y a aussi eu violation de l'article 7. Le paragraphe 2 de l'article 10
a été aussi spécifiquement violé du fait qu'avant son procès l'auteur n'a
pas été tenu séparé des prisonniers condamnés.
7.4 Pour ce qui est des plaintes de l'auteur concernant les souffrances
mentales et l'angoisse qu'il a subies par suite de sa condamnation à la
peine capitale, le Comité observe que la situation de l'auteur sur le plan
mental a été exacerbée par la façon dont il a été traité et les conditions
de sa détention, et s'est traduite par un préjudice psychologique durable
à l'appui duquel il a fourni des pièces. Vu ces facteurs aggravants qui
constituent autant de circonstances déterminantes en sus de la simple longueur
du temps passé par l'auteur en prison suite à une condamnation à mort, (13)
le Comité conclut que les souffrances de l'auteur en tant que condamné
à mort ont constitué une violation supplémentaire de l'article 7. L'arrêt
de la Cour suprême portant annulation de la condamnation et de la peine
imposées à l'auteur n'a remédié à aucune de ces violations après qu'il eut
passé près de 15 mois en prison sous le coup d'une condamnation à mort.
7.5 Se référant aux plaintes de l'auteur au titre de l'article 9, le Comité
note que l'État partie n'a pas contesté les faits allégués par l'auteur.
Aussi les informations fournies par l'auteur doivent-elles être prises dûment
en considération. Le Comité conclut que l'auteur n'a pas été informé, au
moment de son arrestation, des raisons qui la motivaient et ni tenu rapidement
au courant des charges qui pesaient contre lui, qu'il a été arrêté sans
mandat et par conséquent en violation du droit interne et qu'après son arrestation
il n'a pas été déféré rapidement devant un juge. En conséquence, il y a
eu violation des paragraphes 1, 2 et 3 de l'article 9 du Pacte.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant conformément au paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, considère que les faits, tels qu'il
les a établis, font apparaître des violations par les Philippines de l'article
7, des paragraphes 1, 2 et 3 de l'article 9 et des paragraphes 1 et 2 de
l'article 10 du Pacte.
9. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie
est tenu d'assurer à l'auteur de la communication un recours utile. En ce
qui concerne les violations de l'article 9, l'État partie devrait indemniser
l'auteur. Pour ce qui est des violations des articles 7 et 10 dont il a
souffert en détention, y compris suite à sa condamnation à mort, le Comité
observe que l'indemnisation prévue par l'État partie en vertu de son droit
interne ne visait pas ce type de violations et que l'indemnisation due à
l'auteur devrait tenir compte à la fois de la gravité des violations et
du préjudice qui lui a été causé. Le Comité rappelle à ce propos le devoir
qui incombe à l'État partie de procéder à une enquête approfondie et impartiale
sur les incidents survenus pendant la détention de l'auteur et de tirer
les conséquences pénales et disciplinaires qui s'imposent pour les personnes
qui en seront jugées responsables. S'agissant de l'imposition de taxes d'immigration
et de l'interdiction de visa, le Comité est d'avis que, pour remédier aux
violations du Pacte, l'État partie devrait rembourser à l'auteur les sommes
perçues. Tout dédommagement pécuniaire ainsi dû à l'auteur incombant à l'État
partie devrait lui être versé au lieu de son choix que ce soit sur le territoire
de l'État partie ou à l'étranger. L'État partie a aussi l'obligation d'éviter
que des violations similaires ne se reproduisent à l'avenir.
10. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a
reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou
non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est
engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et
relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité
souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements
sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie
est également invité à rendre publiques les constatations du Comité.
____________________________
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal
Bhagwati, M. Alfredo Castillero Hoyos, Mme Christine Chanet, M. Franco Depasquale,
M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M.
Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin,
M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood, M. Roman
Wieruszewski et M. Maxwell Yalden.
Notes
1. L'article 11 de la loi no 7659 prévoit ce qui suit: «… la peine capitale
est aussi imposée si le viol est commis dans l'une quelconque des circonstances
ci-après: 1. Lorsque la victime a moins de 18 ans et que l'auteur est le père
ou la mère, un ascendant, un beau-père ou une belle-mère, une personne en
ayant la garde…».
2. Affaire no 16/1977, constatations adoptées le 25 mars 1983.
3. Affaire no 592/1994, constatations adoptées le 20 octobre 1998.
4. L'auteur renvoie à titre d'exemple aux affaires nos 33/1978, Carballal
c. Uruguay, constatations adoptées le 27 mars 1981; 25/1978,
Massiotti c. Uruguay, constatations adoptées le 26 juillet
1982; 115/1982, Marais c. Madagascar, constatations adoptées
le 1er avril 1985; 63/1979, Antonaccio c. Uruguay, constatations
adoptées le 28 octobre 1971; 74/1989, Estrella c. Uruguay,
constatations adoptées le 29 mars 1983; 115/1981, Wight c. Madagascar,
constatations adoptées le 1er avril 1985; et 242/1987, Tshisekedi c.
Zaïre, constatations adoptées le 2 novembre 1989.
5. L'auteur cite l'affaire no 594/1992, Philip c. Jamaïque,
constatations adoptées le 20 octobre 1998.
6. Pratt et Morgan c. Jamaïque, affaire nos 210/1986 et 225/1987,
constatations adoptées le 6 avril 1989.
7. Francis c. Jamaïque, affaire no 606/1994, constatations
adoptées le 25 juillet 1995.
8. Piandiong et consorts c. Philippines, affaire no 869/1999,
constatations adoptées le 19 octobre 2000.
9. Article XVI, par. 3.
10. C. Sangco: Philippine Law on Torts and Damages (1994).
11. Bautista Arellana c. Colombie, affaire no 563/1993, constatations
adoptées le 27 octobre 1995.
12. Affaire no 921/2000, constatations adoptées le 2 avril 2002.
13. Johnson c. Jamaïque, affaire no 588/1994, constatations
adoptées le 22 mars 1996, et Francis c. Jamaïque, affaire
no 606/1994, constatations adoptées le 25 juin 1995.