Présentée par: Eugeniusz Kurowski (représenté par un conseil, M. Adam
Wiklik)
Au nom de: L'auteur
État partie: Pologne
Date de la communication: 30 septembre 1996 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 18 mars 2003,
Adopte la décision ci-après:
Décision concernant la recevabilité
1.1 Communication présentée par M. Eugeniusz Kurowski, polonais, né en 1949.
Il se déclare victime de violations par la Pologne de l'article 14, paragraphe
1 et de l'article 25 c), combiné avec le paragraphe 1 de l'article 2 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par
un conseil.
1.2 Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est
entré en vigueur pour la Pologne le 18 juin 1977, et le Protocole facultatif
le 7 février 1992.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a occupé de décembre 1976 à 1989 un poste dans les forces
de l'ordre en Pologne (milice nationale). En 1989, il a été nommé chef adjoint
de la sécurité du Bureau régional de l'intérieur dans la ville d'Andrychow.
Le 31 juillet, il a été révoqué en application de la loi sur le Bureau de
protection de l'État du 6 avril 1990, laquelle avait dissout la police secrète
en la transformant en un nouveau département.
2.2 Par décret no 69 du 21 mai 1990, le Conseil des Ministres avait prévu
des procédures de qualification et avait établi des critères pour la réintégration
des officiers démis de leurs fonctions au sein du nouveau département. Une
telle réintégration ne pouvait avoir lieu qu'après l'avis positif d'une
commission régionale de qualification ou, en appel, par la Commission centrale
de qualification à Varsovie. Le 22 juillet 1990, la Commission de qualification
de Bielsko-Biala a déclaré que l'auteur ne répondait pas aux exigences requises
pour les officiers ou travailleurs du Ministère de l'intérieur. La Commission
centrale de qualification a confirmé cet avis le 5 septembre 1990, à la
suite de l'appel interjeté par l'auteur le 28 juillet 1990.
2.3 Le 25 avril 1995 (1) l'auteur a demandé au Ministre de l'intérieur
d'annuler les décisions des Commissions de qualification et de le réintégrer
au sein de la police. Le 29 mai 1995, le Ministre lui a répondu qu'il n'était
pas compétent pour modifier les décisions des Commissions de qualification
ou procéder à un recrutement sans l'obtention d'un avis positif des commissions.
Le 1er février 1996, le Ministre a confirmé ses propos. L'auteur a interjeté
appel auprès de la Cour administrative centrale, mais cette dernière l'a
débouté, estimant qu'elle n'était pas compétente pour statuer sur les décisions
des Commissions de qualification.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur se déclare victime d'une violation par l'État partie de l'article
25 c) du Pacte, du fait que le Ministère de l'intérieur l'a révoqué de la
police (2) en raison de son appartenance au Parti des travailleurs
unis et de ses opinions politiques de gauche, et le Ministère de l'intérieur
l'a, en outre, qualifié injustement de fonctionnaire du service de sécurité,
bien qu'au moment de son admission au sein de la police, il avait été agent
de police et a porté l'uniforme tout au long de son service. L'auteur considère
que cette violation doit être examinée conjointement avec une violation
de l'article 2, paragraphe 1 du Pacte.
3.2 L'auteur se déclare également victime de violation par l'État partie
de son droit d'accès à un tribunal, étant donné que ni la question de sa
révocation, ni sa qualification rétroactive d'agent du service de sécurité,
ont pu être examinées par un tribunal.
3.3 Il estime que les décisions des Commissions de qualification ont été
rendues par des membres hostiles à la gauche et qui révoquaient toute candidature
de personnes ayant des opinions politiques différentes des leurs. Étant
donné que les décisions ainsi rendues n'étaient pas susceptibles d'appel
devant un tribunal ou autre organe, indépendants du Ministère de l'intérieur,
l'auteur s'estime victime de violation par l'État partie de son droit à
ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond
4.1 L'État partie a envoyé ses observations le 31 mai 2000. Après un bref
résumé des faits de l'affaire, il fait état de la législation nationale
pertinente. Il déclare qu'à la suite de la transformation politique 1989,
il a été nécessaire d'adopter des dispositions entièrement nouvelles concernant
la sécurité et l'ordre public. Le Parlement a pris la décision de réorganiser
les unités subordonnées au Ministère de l'intérieur et en particulier son
service politique. Il en est résulté la dissolution de la police secrète,
le licenciement des officiers et l'établissement du Bureau de protection
de l'État. L'État partie estime ces changements indispensables, vu le rôle
auparavant exercé par la police secrète (3). Le caractère idéologique
de la police secrète était également à l'origine de la décision de sa dissolution
(4). Toutefois, le remplacement de la police de sécurité par le Bureau
de protection de l'État visait principalement à créer des garanties plus
effectives pour la règle de droit et le respect des droits de l'homme. À
cet effet, des critères ont été adoptés. La conformité à ces critères donnait
le droit à d'anciens officiers de la police de sécurité d'être réadmis au
sein du service public. La base légale de la réorganisation du Ministère
de l'intérieur citée reposait sur deux lois, adoptées le 6 avril 1990 (sur
la police, LP et sur le Bureau de protection de l'État, LBPE), ainsi que
de l'Ordonnance du Comité des Ministres no 69 du 21 mai 1990. L'article
129 LBPE prévoit que la police de sécurité est dissoute à compter du jour
de l'établissement du Bureau de protection de l'État. En vertu de l'article
131, paragraphe 1 de ladite loi, les officiers de la police de sécurité
étaient licenciés ex lege. Cette disposition s'appliquait également
aux officiers de la milice, qui étaient des officiers de la police de sécurité
jusqu'au 31 juillet 1989, selon le paragraphe 2 de l'article cité.
4.2 L'article 132, paragraphe 2 LBPE précise que le Comité des Ministres
est autorisé à fixer les modalités procédurales et les critères de réadmission
des policiers de la police de sécurité au sein des nouveaux départements.
Le 21 mai 1990, le Comité des Ministres avait adopté l'Ordonnance no 69,
prévoyant la possibilité de réadmission uniquement pour des officiers de
la police de sécurité ayant obtenu une note positive de la part d'une commission
de qualification dans le cadre d'une procédure de vérification spéciale.
Les procédures de vérification étaient engagées à l'initiative de la personne
concernée même. Des Commissions de qualification régionales étaient compétentes
pour donner un avis en première instance. Par la suite, dans un délai de
sept jours, l'intéressé pouvait interjeter appel d'une note négative auprès
de la Commission de qualification centrale. La décision de cette dernière
était définitive. L'État partie soutient que les Commissions avaient l'obligation
d'examiner si les candidats remplissaient les critères établis pour les
officiers d'un service donné du Ministère de l'intérieur et s'ils répondaient
aux qualifications morales établies.
4.3 L'État partie poursuit, en indiquant que le nouveau Bureau de protection
de l'État était mis en place dans la perspective d'une société démocratique
et que cela expliquait la réduction substantielle du nombre de postes au
BPE. La loi n'obligeait pas le nouvel organe de recruter tout candidat ayant
obtenu une note positive au cours des procédures de qualification; d'ailleurs
le paragraphe 10 de l'Ordonnance nº 69 clarifie cela, en précisant que l'avis
positif constitue une condition, permettant uniquement aux candidats de
postuler au Ministère de l'intérieur et non pas d'y être admis.
4.4 Le 22 janvier 1990, le Ministre de l'intérieur a promulgué l'ordre
8/90 (5), comportant une liste des postes appartenant à la police
de sécurité et indiquant, entre autres, les postes alloués à la Section
de recherche et d'analyse de l'Office régional des affaires internes. Pour
des fins de qualification, le Ministre a promulgué l'ordre no 53/90 le 3
juillet 1990, pour confirmer et réitérer les catégories de postes reconnus
comme ayant fait partie de la police de sécurité. D'après cet ordre, les
officiers employés jusqu'au 10 mai 1990 sur des postes, entre autres, alloués
à la section de recherche et d'analyse du Bureau régional de l'intérieur,
avaient été classés officiers de la police de sécurité.
4.5 En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l'État partie
rappelle que le Pacte est entré en vigueur pour la Pologne le 18 juin 1977
et le Protocole facultatif - le 7 fÚvrier 1992, et estime que le
ComitÚ ne peut recevoir des communications individuelles que concernant
des allÚgations de violations des droits de l'homme qui ont eu lieu aprÞs
l'entrÚe en vigueur du Protocole, c'est-Ó-dire aprÞs le 7 fÚvrier 1992.
Or, les procÚdures de vÚrification Ó l'Úgard de l'auteur ont pris fin le
5 septembre 1990 (6). Toutes les lettres ultérieures du requérant
adressées à différentes institutions concernant sa réadmission à la police,
constituaient plutôt une correspondance ordinaire et non des décisions administratives
ou des actes de l'administration publique. Ainsi, comme il a été confirmé,
entre autres, dans la décision de la Cour administrative suprême le 7 mai
1996, en rejetant sa plainte relative à la lettre de refus de l'admettre
au sein des forces de police, une telle correspondance ne doit pas être
considérée comme faisant partie intégrante des procédures relatives au cas
de l'auteur. Selon l'État partie, cette correspondance ne représentait pas
non plus un recours légal effectif.
4.6 L'État partie estime également qu'il n'y a pas de raison de mettre
en cause dans le cas présent le principe d'application rétroactive du Protocole
facultatif, comme élaboré par le Comité, dans des circonstances exceptionnelles.
Selon l'État partie, les violations alléguées ne sont pas de caractère continu
et leurs effets ne sont pas constants. Il fait état de la jurisprudence
du Comité (communications 520/1992 et 568/1993), selon laquelle une violation
persistante s'entend de la prolongation, par des actes ou de manière implicite,
après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif, de violations commises
antérieurement par l'État partie. Les procédures relatives au cas de l'auteur,
selon l'État partie, se sont terminées le 5 septembre 1990, c'est-à-dire
avant le 7 février 1992. Pour ces raisons, indique l'État partie, la communication
doit être déclarée irrecevable ratione temporis par rapport
au Protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques.
4.7 En ce qui concerne l'épuisement des voies de recours internes, l'État
partie déclare que l'auteur a épuisé tous les recours disponibles prévus
par la loi polonaise, en interjetant appel auprès de la Commission centrale
de qualification à Varsovie à l'encontre de la décision de la Commission
régionale de qualification de Bielsko-Biala.
4.8 Sur le bien-fondé de l'affaire, l'État partie estime que le fait que
l'auteur ait servi au sein de la police secrète ne faisait pas de doute;
il avait également été membre du Parti uni des travailleurs polonais. L'Ordonnance
no 8/90 avait été promulguée le 22 janvier 1990 en tant que législation
spéciale par rapport à la loi sur la police de sécurité et la milice civique
de 1985, ce qui était avant l'adoption de nouvelles lois le 6 avril 1990.
L'État partie affirme sa conviction ferme selon laquelle le cas présent
n'a pas trait à la classification rétroactive, contrairement à ce que l'auteur
soutenait. L'auteur lui-même ne met pas en cause le fait qu'il ait servi
dans la police de sécurité, comme il ressort de sa lettre au Ministre de
l'intérieur du 5 avril 1995. Le fait d'avoir révoqué l'auteur en tant qu'officier
de la police de sécurité, en application de l'article 131 de la loi de protection
de l'État, ne constituait pas une sanction à son encontre. La décision du
Parlement, légale et légitime, visait à dissoudre la police de sécurité
infâme et à révoquer tous ses officiers ex lege.
4.9 L'État partie affirme qu'une distinction entre la milice civique et
la police de sécurité existait légalement, financièrement et en matière
d'organisation aussi bien avant qu'après 1990. Les deux unités faisaient
partie du Ministère de l'intérieur. Au sein des affaires de l'intérieur
au niveau régional et de district, il existait des sections spéciales de
la police de sécurité à la tête desquelles il y avait un officier occupant
le poste de chef adjoint de l'Office de l'intérieur local. Or, l'auteur
avait été dans la police de sécurité depuis février 1989.
4.10 L'État partie déclare interpréter l'article 25 c) du Pacte dans l'esprit
des travaux préparatoires du Pacte et partage l'opinion que ses dispositions
visent à contrecarrer la monopolisation de l'appareil de l'État par des
groupes privilégiés. En tout état de cause, selon l'État partie, les rédacteurs
du Pacte ont été unanimes sur le fait qu'un État partie doit avoir la possibilité
d'instaurer certains critères sur l'accès de ses nationaux à la fonction
publique. Des critères éthiques entre autres ont été à la base de la dissolution
de la police de sécurité et de l'adoption de la loi sur la protection de
l'état, avec comme conséquence la décision de révoquer tous les officiers
de la sécurité.
4.11 L'État partie cite le commentaire général no 25, adopté par le Comité
des droits de l'homme le 12 juillet 1996, en attirant l'attention sur son
paragraphe 23, lequel énonce que pour garantir l'accès à la fonction publique
dans des conditions générales d'égalité, les critères et les procédures
de nomination, de promotion, de suspension et de révocation doivent être
objectifs et raisonnables. L'État partie estime que les critères appliqués
au cas présent remplissaient ces conditions. De plus, l'État partie note
que dans une affaire similaire le Comité n'a pas constaté de violation de
l'article 25 c) du Pacte (communication no 552/1993, Kall c. Pologne).
4.12 L'État partie souligne également que les procédures de vérification
engagées par l'auteur avaient un caractère volontaire et non pas obligatoire.
L'Ordonnance du Comité des Ministres no 69 du 21 mai 1990 énonçait cela
clairement dans son paragraphe 6.1. D'après les statistiques du Ministère
de l'intérieur, sur un total de 18 000 officiers révoqués, 14 034 d'entre
eux sont passés par les procédures de qualification et 3 595 ont obtenu
un avis négatif. Selon l'État partie, cela démontrait clairement que les
officiers n'avaient pas tous décidé de recourir à la qualification et, en
ce qui concerne ceux qui l'avaient fait, 25 % avaient été notés négativement.
Malgré le fait que virtuellement tous les officiers de la police de sécurité
faisaient partie des membres du parti communiste, les procédures de qualification
n'avaient pas conduit à une «vengeance» fondée sur une base politique. Tous
les officiers avec des notes négatives attribuées par les Commissions de
qualification ont perdu leur crédibilité sociale et ne pouvaient plus servir
dans le domaine de l'intérieur.
4.13 L'État partie soutient que dans le cas présent il n'y a pas de violation
de l'article 25 c) du Pacte et demande au Comité des droits de l'homme que
la communication soit irrecevable ratione temporis. Subsidiairement,
la communication devrait être considérée comme manifestement infondée.
Commentaires de l'auteur aux observations de l'État partie
5.1 L'auteur a présenté ses commentaires le 5 octobre 2000. Il déclare
rester sur ses positions antérieures et que contrairement à ce que l'État
partie estimait, l'article 25 c) du Pacte a bien été violé dans son cas.
La décision de le révoquer des forces de police avait été dictée par des
motivations politiques, sans qu'il y ait eu une autre raison. Dans le cas
contraire, explique l'auteur, ces raisons auraient été certainement exposées
dans la décision par la Commission de qualification. L'auteur estime qu'il
disposait des qualifications, aussi bien professionnelles que morales, pour
continuer à travailler dans la police. La preuve était son dossier personnel
au Ministère de l'intérieur, ainsi que l'opinion écrite à son sujet par
son supérieur (dans le texte son «employeur»).
5.2 Selon l'auteur, sa position exposée au Comité reposait sur des considérations
fondées et formelles à la fois, étant donné que l'échec d'un organe administratif
étatique à rassembler la preuve complète constituait une infraction aux
dispositions des procédures administratives, en particulier quand une des
parties invoque des circonstances particulières. Trancher une affaire administrative
en prenant une décision basée sur des faits faussement établis est contraire
au principe de la vérité objective, lequel est contraignant en ce qui concerne
les dispositions de procédure administrative, et viole entre autres les
articles 7, 75, 79 et 81 du Code de procédure administrative (7).
La violation des dispositions de la procédure administrative a eu une influence
sur l'établissement des faits dans la présente affaire, et des erreurs,
comme dans le cas présent, ont conduit à une décision différente de celle
qui aurait été prise si l'établissement des faits avait été approprié. Selon
l'auteur, l'établissement de faits, autant que la violation de dispositions
lors de la prise de la décision de révocation de la police aurait dû être
sujet à un contrôle par un tribunal, suivant le paragraphe 1 de l'article
6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Toutefois la Cour administrative suprême n'a pas examiné la requête introduite
par l'auteur à l'encontre du refus de lui offrir la possibilité de travailler
à nouveau dans la police, et ceci malgré le fait que dans une décision similaire
ayant trait à l'article 14 du Pacte, la Cour constitutionnelle avait statué,
que «toute personne a le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement
et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial». La
position de la Cour administrative suprême est contraire, selon l'auteur,
au jugement de la Cour de justice des communautés européennes de Luxembourg
(8). L'auteur demande que ce fait soit pris en compte lors de l'examen
de sa communication.
5.3 L'auteur soutient également que contrairement au paragraphe 1 de l'article
10 et du paragraphe 2 de l'article 79 du Code de procédure administrative,
il avait été privé de son droit à participer à la procédure administrative,
malgré le fait que les dispositions garantissaient à chacune des parties
le droit de participer à chaque stade de la procédure devant un organe administratif
étatique. Il déclare également que l'article 8 du Code de procédure administrative
prévoit que les circonstances réelles peuvent être reconnues prouvées si
les parties ont eu l'opportunité d'exprimer leur opinion concernant les
preuves orales avant qu'une décision soit prise. Les circonstances réelles,
établies dans le cadre de la procédure concernant le présent cas, où M.
Kurowski n'a pas pris part et n'a pas pu exprimer son opinion sur les preuves
orales devant la Commission de qualification avant d'être révoqué de la
police, ne peuvent pas être considérées prouvées à la lumière du droit polonais.
Le respect des conditions des articles 79 et 81 du Code de procédure administrative
est obligatoire pour les organes étatiques administratifs, sans égard au
poids et au contenu des preuves orales (9). Les ordres (instructions)
du Ministère de l'intérieur sur la révocation des officiers membres de service
de sécurité communiste et de la milice communiste, comme exposée par l'État
partie, ne peuvent pas être reconnus, en droit polonais, comme des actes
légaux donnant la base légale pour inclure M. Kurowski au service de sécurité
communiste. En plus, le seul fait d'inclure un policier dans le service
de sécurité communiste ne devrait pas résulter par sa révocation de la police,
s'il n'a pas été prouvé qu'il avait agi au détriment des citoyens ou de
l'État, et s'il disposait de la qualification professionnelle appropriée
et remplissait les conditions éthiques et morales.
5.4 L'auteur s'oppose également aux observations de l'État partie sur les
objectifs et les tâches du Bureau de protection de l'État, étant donné que,
depuis longtemps déjà, cette institution était de plus en plus considérée
comme étant politique, la preuve étant ses actions contre le Président de
la République, ainsi que les propos tenus par le Ministre de la protection
de l'État à l'adresse de l'opposition et du Président de la République,
et la surveillance de l'opposition. Par conséquent, selon l'auteur, l'objectif
visé principalement par le remplacement de la police de sécurité par le
Bureau de protection de l'État - ½crÚer des garanties plus effectives
pour la rÞgle de droit et le respect des droits de l'homme╗ -
est fort discutable. Ce que le remplacement visait Útait l'Úlimination des
membres de la police dont les opinions politiques Útaient diffÚrentes des
leurs. Les Commissions rÚgionales et centrales de qualification avaient
ÚtÚ constituÚes d'adversaires de la gauche polonaise, lesquels rendaient
des dÚcisions motivÚes politiquement et lesquels ont rÚvoquÚ de la police
tous ceux qui avaient des opinions politiques diffÚrentes des leurs. Les
avis rendus, laconiques et non fondÚs, Útaient un exemple de nÚpotisme.
Ces avis ne pouvaient pas Ûtre vÚrifiÚs par un tribunal ou par un autre
organe administratif, indÚpendant du MinistÞre de l'intÚrieur. Les avis
rendus par ces commissions Úquivalaient Ó la rÚvocation de la fonction publique
et par consÚquent n'avaient rien en commun avec le droit ou ordre dÚmocratique,
mais, au contraire, Útaient l'exemple du style autoritaire dans l'exercice
du pouvoir de la part des gouvernants aprÞs 1989.
5.5 L'auteur dÚclare Úgalement que l'╔tat partie n'avait pas raison
en statuant que sa rÚvocation de la police Útait due Ó une rÚduction des
postes du Bureau de la protection de l'╔tat et de la police. En effet,
le nombre de policiers avait augmentÚ, selon l'auteur. En consÚquence les
explications donnÚes par l'╔tat partie Ó ce sujet ne mÚriteraient
pas d'Ûtre considÚrÚes.
5.6 Enfin, l'auteur estime que le ComitÚ des droits de l'homme est en position
d'examiner sa communication, Útant donnÚ que la Pologne avait ratifiÚ le
Pacte international relatif aux droits civils et politiques le 3 mars 1977,
d'autant plus si l'on tenait compte du fait que l'auteur avait engagÚ des
actions contre la dÚcision de sa rÚvocation en 1995. Tenant compte de cela,
ainsi que du fait que la violation des articles 39 et 40 du Code du travail
par le MinistÞre de l'intÚrieur – vu que l'auteur avait ÚtÚ rÚvoquÚ
de la police le 31 juillet 1990, malgrÚ le fait qu'il Útait malade entre
fÚvrier 1990 et le 26 ao¹t 1990 Ó cause d'un accident de travail, et du
fait qu'il n'Útait qu'Ó un an de la retraite – la communication au
ComitÚ des droits de l'homme devrait Ûtre considÚrÚe fondÚe.
Délibération du Comité
Examen de la recevabilité
6.1 Avant de procéder à l'examen d'une communication, le Comité des droits
de l'homme doit s'assurer, en vertu de l'article 87 de son règlement intérieur,
que la communication est recevable conformément au Protocole facultatif
relatif au Pacte.
6.2 Le Comité note que l'affaire n'est pas en cours d'examen par une autre
instance internationale et que les recours internes ont été épuisés. Les
conditions fixées au paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif
sont donc remplies.
6.3 Le Comité note que l'État partie affirme que la communication est irrecevable
ratione temporis, étant donné que les procédures de vérification
pour l'auteur ont pris fin le 5 septembre 1990, c'est-à-dire avant que le
Protocole facultatif n'entre en vigueur pour la Pologne le 7 février 1992.
L'auteur s'oppose à cet argument en répondant que l'État était partie au
Pacte depuis le mois de juin 1977, que le Protocole facultatif était entré
en vigueur en 1992, et qu'il n'avait engagé des actions contre sa révocation
qu'à partir de 1995 (après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif).
6.4 Le Comité rappelle que les obligations que l'État partie a souscrites
en vertu du Pacte le lient à compter de la date où celui-ci entre en vigueur
à son égard. Conformément à sa jurisprudence, le Comité estime qu'il ne
peut connaître de violations qui se seraient produites avant que le Protocole
facultatif entre en vigueur à l'égard de l'État partie, à moins que lesdites
violations ne persistent après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif.
Une violation persistante s'entend de la poursuite, par des actes ou de
manière implicite, après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif, de
violations commises antérieurement par l'État partie.
6.5 En l'espèce, l'auteur a été révoqué en 1990, en application de la loi
en vigueur, et s'était présenté la même année, sans succès, devant l'une
des Commissions régionales de qualification afin de déterminer s'il satisfaisait
aux nouveaux critères fixés par la loi en vue d'occuper un poste au sein
des organes du Ministère de l'intérieur tels qu'ils ont été restructurés.
Le fait qu'il n'a pas eu gain de cause à l'issue des procédures qu'il avait
engagées en 1995, après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif, ne
constitue pas en soi une violation potentielle du Pacte. Le Comité ne peut
pas conclure à l'existence d'une violation antérieure à l'entrée en vigueur
du Protocole facultatif pour l'État partie qui aurait persisté par la suite.
Par conséquent, le Comité déclare que la communication est irrecevable ratione
temporis, conformément à l'article premier du Protocole facultatif.
7.1´ En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article premier
du Protocole facultatif se rapportant au Pacte;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et aux auteurs
de la communication.
_____________________________
[Adopté en anglais, en français (version originale) et en espagnol. Paraîtra
aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
du Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres suivants du Comité ont participé à l''examen de la présente
communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal
Bhagwati, M. Alfredo Castillero Hoyos, Mme Christine Chanet, M. Franco Depasquale,
M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M.
Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, M. Nigel Rodley, M. Martin
Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood
et M. Maxwell Yalden.
Notes
1. L'auteur justifie le délai entre sa révocation en 1990 et la date d''introduction
du recours en indiquant que du fait de son mauvais état de santé entre 1991
et 1995, il n''avait pas eu de forces ni de possibilités de lutter pour ses
droits, mais il l''a fait dès qu''il avait retrouvé sa santé. Il joint à cet
effet deux justificatifs: la conclusion d''une commission d''enquête, attestant
le 13 juin 1990 que l''auteur a eu une crise des reins en accomplissant ses
fonctions, à la suite de quoi il avait reçu un arrêt de travail du 10 au 27
septembre 1988. Les conséquences pour l''auteur avaient été difficultés de
mouvement dans la partie des reins et faculté sensitive réduite des jambes.
L''autre justificatif est un extrait du carnet médical de l''auteur, faisant
état du suivi médical en 1990 des suites de son accident.
2. L'auteur a insisté dans sa demande qu''il avait perdu son emploi pour
des raisons politiques. Il reprend son parcours dans la police et explique
que c''était au vu de son bon travail qu''on lui avait offert comme promotion
le poste de chef adjoint de la sécurité d''Andrychow en 1989. Il indique
qu''à cette époque, le refus éventuel d''une telle offre équivalait à un
empêchement de tout avancement de l''intéressé et même de continuer le travail
sur son ancien poste. Il a déclaré également qu''en tant que chef adjoint
de la sécurité jamais ni lui, ni l''un de ses subordonnésn''avaient exercé
de représailles contre l''opposition de l''époque. Il a expliqué également
qu''il estimait qu''il avait été privé de son droit de se défendre, étant
donné que la décision de la Commission de qualification régionale ne donnait
aucun motif pour sa révocation, mais uniquement indiquait qu''il ne répondait
pas aux exigences prévues.
3. L'État précise à cet effet que la police secrète jouait un rôle jusqu''en
1989 de surveiller les citoyens et en particulier de persécuter les activistes
de l''opposition prodémocratique, en usant de méthodes et moyens illégaux.
4. L'État partie cite l''article premier de la loi de juillet 1985 sur
le service des officiers de la police secrète et de la milice civique de
la République populaire de Pologne, selon lequel les employés de la police
de sécurité doivent se distinguer par (…) l''accomplissement du programme
du Parti Uni des travailleurs polonais.
5. L''ordre 8/90 amendait l''ordre 60/87 sur le service des officiers de
la police de sécurité et la milice civique. Ces ordres sont pris par délégation,
conformément à la loi du 31 juillet 1985 sur le service des officiers de
la police de sécurité et la milice civique de la République populaire de
Pologne.
6. Avec la décision en appel rendue par le Comité de qualification central.
L''État insiste sur le fait que cette décision était finale et n''était
pas susceptible d''appel.
7. L'auteur n''a pas fourni le texte des articles cités.
8. L'auteur utilise le terme de «Tribunal européen de justice de Luxembourg».
En ce qui concerne les rapports existant entre le droit communautaire et
le droit national, la Cour de justice des communautés européennes a affirmé
la primauté du droit communautaire sur le droit national depuis son arrêt
du 15 juillet 1964, Costa, 6/64, Rec. p. 1141. Dans cet arrêt, confirmé
à plusieurs reprises par la suite dans sa jurisprudence, la Cour a statué
en ces termes: «"... issu d''une source autonome, le droit né du traité
ne pourrait donc, en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement
opposer un texte interne quel qu''il soit, sans perdre son caractère communautaire
et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même»".
9. L'auteur donne à cet effet les références d''un arrêt de la Cour administrative
suprême du 13 février 1998 II SA 2015/86 ONSA no 1, item 13, sans toutefois
en fournir la copie.