Comité des droits de l'homme
Soixante-dix-neuvième session
20 octobre - 7 novembre 2003
ANNEXE
Décision du Comité des droits de l'homme en vertu du protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques*
- Soixante-dix-neuvième session
-
Communication No. 874/1999
Présentée par: |
M. Yuri Vladimirovich Kuznetsov (représenté par un conseil,
M. Alexander G. Manov) |
Au nom de: |
L'auteur |
État partie: |
Fédération de Russie |
Date de la communication: |
16 mai 1996 (lettre initiale) |
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 7 novembre 2003,
Adopte ce qui suit:
DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ
1. L'auteur de la communication est M. Yuri Kuznetsov, citoyen russe né en
1964, de nationalité russe qui, à la date où il a envoyé la communication,
était incarcéré à Iekaterinbourg, en Russie. Il affirme être victime de violations
par la Fédération de Russie (1) des alinéas b, e et g
du paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques. Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur était camionneur dans une entreprise étatique de la ville
de Katchkanara, en Russie. Le soir du 6 septembre 1990, il se trouvait en
compagnie d'un autre camionneur, M. Fomkin, occupé à boire dans son camion,
garé sur le parking de l'entreprise. Plus tard dans la soirée, les deux
collègues ont pris le camion pour acheter d'autres bouteilles d'alcool et
ont rencontré un certain Alekseev, qu'ils ont ramené avec eux à l'entreprise
pour continuer à boire. S'étant disputé avec l'auteur, Alekseev est parti;
plus tard, l'auteur s'est dirigé en camion vers la sortie de la cour dans
l'intention de ramener Fomkin chez lui. Le gardien ne l'a pas laissé passer
parce qu'il n'avait pas les documents nécessaires. L'auteur a garé le camion
où Fomkin dormait toujours près de la sortie et il est rentré à pied chez
lui.
2.2 Le lendemain matin, l'auteur a appris que Alekseev avait été renversé
dans la cour de l'entreprise pendant la nuit et qu'il était mort. L'auteur
s'est demandé si Fomkin et lui-même auraient pu avoir écrasé Alekseev, mais
Fomkin l'a rassuré, lui disant que c'était impossible.
2.3 Par la suite, l'auteur a été arrêté à une date non précisée. Le 8 octobre
1991, le tribunal d'instance de Katchkanara l'a acquitté. Le 20 novembre
1991, la veuve d'Alekseev et un procureur ayant fait appel, le tribunal
d'oblast de Sverdlovsk a annulé la décision du tribunal de Katchkanara et
a ordonné un nouveau procès. Le 17 février 1992, le tribunal d'instance
de Katchkanara a réaffirmé que la culpabilité de l'auteur n'était pas établie.
Le 20 mars 1992, le tribunal d'oblast de Sverdlovsk a encore cassé ce jugement,
le déclarant illégal et infondé et demandant une nouvelle fois que l'affaire
soit rejugée, par le même tribunal mais composé différemment. Le 19 août
1992, le tribunal d'instance de Nijnetourinsk (oblast de Sverdlovsk) a déclaré
l'auteur coupable, en vertu du paragraphe 2 de l'article 211 du Code pénal,
d'avoir utilisé un camion défectueux et d'avoir ainsi provoqué la mort d'Alekseev,
et a prononcé une peine de quatre ans de prison et cinq ans de retrait du
permis de conduire. Cette décision a été confirmée par la Cour régionale
de Sverdlovsk, le 23 décembre 1992, ainsi que par la Cour suprême, le 26
février 1993.
Teneur de la plainte
3. L'auteur affirme qu'il n'a pas été assisté d'un conseil pendant l'instruction
malgré sa demande. Le 16 avril 1991, durant un contre-interrogatoire de
M. Fomkin, il aurait été l'objet de pressions, de menaces et de coups visant
à lui extorquer des aveux; sous la pression également, Fomkin aurait exhorté
l'auteur à accepter sa version des faits pour éviter une inculpation pour
meurtre. L'auteur affirme de plus que pendant les audiences tenues par le
tribunal d'instance de Nijnetourinsk, une vingtaine de personnes qui auraient
pu témoigner de son innocence n'ont pas été appelées à la barre. De l'avis
de l'auteur, il y a là une violation des alinéas b, e et g
du paragraphe 3 de l'article 14.
Observations de l'État partie
4. Dans une note verbale datée du 16 novembre 1999, l'État partie fait
valoir que le Comité n'est pas fondé à examiner la communication puisque
la Cour suprême a déjà traité de l'affaire à trois reprises et a accordé
une attention toute particulière au grief selon lequel il avait été condamné
sur la foi d'éléments de preuve peu sérieux et que son droit à la défense
avait été violé. L'État partie note qu'aucune violation du Code de procédure
pénale n'a été constatée concernant l'instruction et le procès. La Cour
suprême n'a trouvé aucun motif pour annuler les jugements rendus antérieurement.
L'État partie ajoute que l'auteur a été mis en liberté conditionnelle le
23 août 1996.
Commentaires de l'auteur
5.1 Dans une lettre datée du 24 octobre 2001, le conseil soutient que l'État
partie a passé sous silence certaines circonstances importantes de l'affaire:
plus de 20 témoins, présentés comme des «garants de l'innocence de M. Kuznetsov»,
n'ont pas été invités à déposer devant le tribunal; pendant huit mois, Fomkin
avait nié l'implication de l'auteur et n'avait modifié sa déposition qu'après
avoir été arrêté et sous la menace – d'après le conseil. Enfin, l'auteur
lui-même avait subi des pressions, des menaces et des coups visant à lui
extorquer des aveux.
5.2 Le conseil réaffirme que l'auteur n'avait confirmé la version de Fomkin
que parce que l'enquêteur avait promis de le relâcher; ce serait aussi à
l'initiative de l'enquêteur que l'auteur a écrit à sa femme une lettre,
qu'il a remise à l'enquêteur et dans laquelle il reconnaissait sa culpabilité.
Le conseil rappelle que l'instruction s'est déroulée sans que l'auteur soit
représenté par un avocat.
Examen de la recevabilité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité note que la même question n'est en cours d'examen devant
une autre procédure internationale d'enquête ou de règlement et que les
recours internes ont été épuisés. Les conditions énoncées aux alinéas a
et b du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif sont
donc réunies.
6.3 Le Comité a pris note des allégations de l'auteur au titre du paragraphe
3 g) de l'article 14 selon lesquelles il a été menacé et battu durant l'instruction
afin qu'il avoue. En l'absence de toute autre information pertinente émanant
de l'auteur et de tout autre élément à l'appui de ces allégations, le Comité
considère que l'auteur n'a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité,
cette partie de la communication, qui est par conséquent irrecevable en
vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.4 Le Comité note la plainte de l'auteur au titre du paragraphe 3 b) de
l'article 14 du Pacte selon laquelle il n'a pas bénéficié des services d'un
conseil bien qu'il en ait fait la demande. Cette plainte se rapporte à la
période de détention avant jugement à la suite de laquelle l'auteur a été
acquitté à deux reprises. L'auteur n'a fourni aucune information sur la
manière dont l'absence de représentation à l'époque, avant l'entrée en vigueur
du Protocole facultatif pour l'État partie, a eu des répercussions sur son
troisième procès, en avril 1992, d'une manière qui constituerait, si une
preuve est apportée, une violation du paragraphe 3 b) de l'article 14. En
conséquence, cette partie de la communication est irrecevable au titre des
articles 1er et 2 du Protocole facultatif.
6.5 Pour ce qui est des autres plaintes de l'auteur, au titre du paragraphe
3 e) de l'article 14, selon lesquelles plus de 20 personnes n'ont pas été
citées à comparaître pour témoigner en sa faveur devant le tribunal de Nizhne-Turinsky,
le Comité note que l'auteur n'affirme pas, dans les arguments qu'il présente
au Comité, qu'il a demandé audits témoins de témoigner ou qu'ils ont été
récusés par le tribunal ou empêchés de quelque autre manière de témoigner
par l'État partie. En conséquence, cette partie de la communication ne relève
pas du paragraphe 3 e) de l'article 14 du Pacte; elle est donc irrecevable
au titre de l'article 3 du Protocole facultatif.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:
a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 1er, 2 et
3 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur
de la communication.
____________________________
[Adopté en anglais (version originale) en espagnol et en français. Paraîtra
aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
du Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
présente communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
Natwarlal Bhagwati, M. Alfredo Castillero Hoyos, Mme Christine Chanet, M.
Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed
Tawfik Khalil, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin,
M. Ivan Shearer, M. Roman Wieruszewski et M. Maxwell Yalden.
Notes
1. Le Pacte est entré en vigueur pour l'État partie le 23 mars 1976 et
le Protocole facultatif le 1er janvier 1992.