Présentée par: M. L. Yama et M. N. Khalid (représentés par un conseil,
M. Bohumir Bláha)
Au nom de: Les auteurs
État partie: Slovaquie
Date de la communication: 2 août 1999 (communication initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 octobre 2002,
Adopte la décision ci-après:
DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ
1. Les auteurs de la communication sont Latiphy Yama et Neda Khalid, citoyens
afghans résidant, au moment de la présentation de la communication, au Centre
humanitaire pour les réfugiés en République slovaque. Ils affirment être
victimes de violations par la République slovaque (1) des articles
2, 14 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Ils sont représentés par un conseil.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Le 10 mars 1997, Latiphy Yama et Neda Khalid sont arrivés en République
slovaque et ont immédiatement présenté une demande d'asile à l'Office
des migrations du Ministère de l'intérieur. M. Yama a expliqué dans sa
demande qu'il avait fui l'Afghanistan après l'occupation de Kaboul par
le groupe rebelle des Talibans, parce qu'il était membre du Parti démocratique
populaire afghan qui avait eu des affrontements avec les Talibans, et
qu'il craignait de ce fait pour sa vie. M. Khalid a expliqué qu'il avait
fui son pays à la suite de l'occupation de Kaboul, parce que son père
était général sous le régime de Najibullah et que son frère aîné, qui
était officier supérieur, avait été tué dans les rues de Kaboul au cours
de l'occupation.
2.2 Les demandes de M. Khalid et de M. Yama ont été rejetées en vertu
de décisions de l'Office des migrations; ces décisions ont été reçues
le 1er décembre 1997 et le 28 novembre 1998, respectivement. Les demandes
ont été rejetées parce que l'Office des migrations avait estimé qu'aucun
des auteurs ne remplissait les critères fixés à l'article 7 de la loi
du Conseil national (no 283/1995 Coll.) sur les réfugiés, à savoir qu'ils
aient des craintes bien fondées de persécution en raison de leur race,
de leur nationalité ou de leurs opinions religieuses ou politiques ou
de leur appartenance à un groupe social déterminé faisant qu'ils ne pouvaient
ou ne voulaient retourner chez eux.
2.3 Les auteurs ont fait appel de ces décisions auprès du Ministère de
l'intérieur qui est conseillé par une commission spéciale faisant partie
de ses services. Ils étaient tous deux représentés par un conseil. La
Commission spéciale du Ministère de l'intérieur fait ses recommandations
uniquement sur la base de documents écrits, aucune procédure orale n'étant
prévue. Les recours des auteurs ont été rejetés.
2.4 Les auteurs ont ensuite interjeté appel auprès de la Cour suprême
au motif que les autorités avaient incorrectement évalué les faits et
les éléments de preuve qu'ils avaient soumis. Les auteurs avaient présenté
à l'appui de leurs arguments des données matérielles sur la situation
qui régnait en Afghanistan. Leurs requêtes ont été examinées sans qu'ils
soient entendus et ont été toutes deux rejetées dans une décision en date
du 27 octobre 1998.
2.5 Après leur plainte initiale, les auteurs ont informé le Comité que,
conformément à une demande du ministère public, la Cour constitutionnelle
avait examiné les dispositions du Code civil qui autorisaient la Cour
suprême à examiner les recours contre les décisions des organes administratifs
sans entendre la victime présumée. Dans une décision datée du 22 juin
1999, la Cour a considéré cette loi anticonstitutionnelle. La loi a été
par la suite modifiée pour que des auditions puissent avoir lieu.
Teneur de la plainte
3.1 Dans leur lettre initiale, les auteurs affirment qu'il y a eu violation
de l'article 14 du Pacte, dès lors qu'ils n'avaient pas été entendus publiquement,
n'ayant pas eu la possibilité de formuler des remarques orales dans le
cadre de leurs recours auprès du Ministre de l'intérieur ou de la Cour
suprême.
3.2 Les auteurs affirment également qu'ils n'ont pas bénéficié des services
d'un interprète pour leurs recours auprès du Ministre de l'intérieur ou
de la Cour suprême. Ils font valoir que l'égalité des droits des parties
à une affaire devant un tribunal ainsi que leur droit à l'égalité devant
la loi, qui sont garantis par les articles 2 et 26 du Pacte, ont par conséquent
été violés. En outre, les auteurs affirment que bien qu'en vertu de la
législation slovaque, les décisions judiciaires doivent être prononcées
en public et le contenu du jugement doive être traduit à la victime dans
sa propre langue, ce droit leur a été dénié.
Observations de l'État partie sur la recevabilité
4.1 Dans une note verbale datée du 16 novembre 1999, l'État partie a formulé
ses observations sur la recevabilité de la communication. Il estime que
les auteurs n'ont pas épuisé les recours internes et prie le Comité de
déclarer la communication irrecevable. En vertu des alinéas e et
f de l'article 243 du Code de procédure pénale, qui est entré en
vigueur le 1er juillet 1998, les auteurs avaient la possibilité de former
un recours extraordinaire auprès du «Procureur général» s'ils estimaient
qu'une décision valable d'un tribunal constituait une violation de la
loi. En vertu de cette procédure, explique l'État partie, si le Procureur
général estime que la loi a été violée, il peut former un recours extraordinaire
auprès de la Cour suprême. Une autre chambre de la Cour suprême que celle
qui a examiné l'affaire en troisième instance examinerait alors le recours
extraordinaire.
4.2 L'État partie indique en outre que le 13 novembre 1998, les deux
auteurs ont présenté une deuxième demande pour l'obtention du statut
de réfugié qui a été rejetée par une décision datée du 10 février
1999 parce qu'ils n'avaient pas rempli les critères fixés à l'article
7 de la loi du Conseil national (no 283/1995 Coll.) sur les réfugiés.
Les recours ultérieurs des auteurs auprès du Ministre de l'intérieur ont
été également rejetés; l'affaire étant actuellement examinée par la Cour
suprême, l'État partie fait valoir que les auteurs n'ont pas encore épuisé
les recours internes.
Commentaires de l'auteur
5.1 Pour ce qui est de la question du non-épuisement des recours internes,
les auteurs contestent l'argument de l'État partie selon lequel un appel
introduit auprès du «Procureur général» constituerait un recours utile.
Ils affirment que l'engagement d'une telle procédure dépendant exclusivement
du Procureur général, ce recours n'est ni disponible ni accessible (2).
5.2 Pour ce qui est de l'affirmation de l'État partie selon laquelle
les recours internes n'ont pas été épuisés puisqu'une procédure est en
cours en ce qui concerne la deuxième demande pour l'obtention du statut
de réfugié, les auteurs font valoir que ces recours se rapportant
à une autre demande, non visée dans la présente communication, l'épuisement
des recours internes n'est pas requis.
5.3 Les auteurs concèdent que la loi concernant l'absence de procédure
orale lors de l'examen d'appels par la Cour suprême a été modifiée mais
font valoir que le paragraphe 3 de l'article 14 a été violé puisque les
parties sont informées avant l'audience que leur présence au tribunal
n'est pas obligatoire; de l'avis des auteurs, cela a pour but de les empêcher
d'exercer leur droit d'être entendu.
Autres observations de l'État partie et commentaires de l'auteur
6.1 Dans une note verbale datée du 7 mars 2001, l'État partie a fourni
des renseignements supplémentaires concernant la présente communication.
Il confirme que les premières demandes d'asile des auteurs n'ont
été examinées par la Cour suprême que sur la base d'informations écrites,
étant donné que la décision, par laquelle la Cour constitutionnelle a
déclaré inconstitutionnelle la loi excluant les auditions n'a été adoptée
que le 22 juin 1999 et que les recours des auteurs devant la Cour suprême
avaient été introduits le 27 octobre 1998. L'État partie affirme cependant
que la décision a été prononcée en public et que les parties à la procédure
avaient été dûment informées de la date à laquelle elle serait prononcée.
6.2 L'État partie confirme que les appels introduits par les auteurs
auprès de la Cour suprême en ce qui concerne leurs deuxièmes demandes
d'asile qui n'avaient pas été tranchées à la date de la première note
verbale ont été rejetés le 16 novembre 1999.
6.3 L'État partie affirme qu'en ce qui concerne les deuxièmes demandes
d'asile, les auteurs ont tous deux bénéficié de services d'interprètes
lors de l'examen de leur appel par la Cour suprême. Or M. Yama n'en a
pas tiré parti car il était absent lors de la procédure bien qu'il ait
reçu une convocation, (3) et que son avocat n'a pas insisté pour
que la procédure ait lieu en présence de son client. Pour ce qui est de
M. Khalid, l'État partie indique qu'il était présent, qu'il a eu la possibilité
d'être entendu par la Cour suprême et qu'il a utilisé les services de
l'interprète (4).
6.4 L'État partie affirme en outre que même si les auteurs n'ont pas
obtenu le statut de réfugié, un permis de résidence permanent leur a été
délivré en 1999 (le 7 septembre 1999 dans le cas de M. Yama, et le 5 novembre
1999 dans celui de M. Khalid) en sorte qu'ils n'ont plus à craindre un
retour en Afghanistan.
7. En réponse aux observations de l'État partie, les auteurs réitèrent
leurs affirmations et font remarquer que sur 1 556 demandeurs d'asile,
10 seulement ont obtenu le statut de réfugié en République slovaque en
2000.
Délibérations du Comité
8.1 Avant d'examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
8.2 Le Comité s'est assuré, comme le requiert l'alinéa a du paragraphe
2 de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'est pas
en cours d'examen devant une autre procédure internationale d'enquête
ou de règlement. Pour ce qui est de l'alinéa b du paragraphe 2
de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité considère que les auteurs
ont épuisé les recours internes disponibles et utiles.
8.3 En ce qui concerne les allégations selon lesquelles les droits des
auteurs en vertu des articles 14 et 26 ont été violés car ils n'ont pas
eu la possibilité d'être entendus ou de bénéficier de services d'interprètes
lorsque leurs demandes d'asile ont été examinées en appel, le Comité note
que l'État partie a fait savoir que les auteurs pouvaient se prévaloir
de ces droits lors de l'examen en appel par la Cour suprême de leurs deuxièmes
demandes d'asile. Les auteurs n'ayant pas nié que tel ait été le cas,
le Comité estime que cette partie de la communication est irrecevable
car les auteurs n'ont pas prouvé qu'ils étaient fondés à présenter une
plainte au sens de l'article 2 du Protocole facultatif.
9. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole
facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée aux auteurs et à l'État partie.
______________________________
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport
annuel du Comité à l'Assemblée générale.
* Les membres dont le nom suit ont pris part à l'examen de la communication:
M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati,
M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M.
Eckart Klein, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael
Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M.
Hipólito Solari Yrigoyen et M. Maxwell Yalden.
Notes
1. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la République fédérale
tchèque et slovaque le 12 mars 1991. La République fédérale tchèque et slovaque
a cessé d'exister le 31 décembre 1992. Le 1er janvier 1993, la nouvelle
République slovaque a notifié sa succession au Pacte et au Protocole facultatif.
2. Le Conseil se réfère à l'avis de Daniel Svaby, qui a donné une conférence
à Bratislava sur l'épuisement des recours internes en vertu de l'article
26 de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans cette conférence,
Daniel Svaby a évoqué une affaire portée devant la Cour européenne des droits
de l'homme, H. c. Belgique (no 8950/80, jugement 16.5 1984,
DR no 37, P.5), dans laquelle il avait été estimé que les recours internes
avaient été épuisés alors qu'un recours aurait pu être formé devant le Procureur
général, car l'engagement d'une telle procédure dépendait exclusivement
de ce dernier et non du plaignant.
3. L'État partie a présenté à l'appui de cette affirmation une lettre de
l'administrateur du tribunal qui a mentionné les minutes de l'audience.
4. L'État partie a présenté à l'appui de cette affirmation une lettre
de l'administrateur du tribunal.