Comité des droits de l'homme
Soixante-septième session
18 octobre - 5 novembre 1999
ANNEXE*
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Soixante-septième session -
Communication No 883/1999
Présentée par : MM. L.E. et J. Mansur (représentés par M. Jan
M. Sjöcrona et M. John H. van der Kuyp)
Au nom de : Les auteurs
État partie : PaysnBas
Date de la communication : 12 octobre 1999
Le Comité des droits de l'homme, établi en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 5 novembre 1999
Adopte la décision cinaprès :
Décision concernant la recevabilité
1. Les auteurs de la communication sont Luis Emilio Mansur et Jossy Mehsen
Mansur, citoyens néerlandais résidant à Aruba. Ils affirment être victimes
de violations par les PaysnBas des droits qui leur sont reconnus aux articles
2 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Ils sont représentés par M. Jan M. Sjöcrona de La Haye (PaysnBas) et M.
John H. van der Kuyp d'Oranjestad (Aruba).
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Les auteurs font partie du monde des affaires à Aruba. Parmi les
entreprises dont est propriétaire M. Luis Emilio Mansur figure, entre
autres, une compagnie de transport maritime; M. Jossy Mehren Mansur est,
quant à lui, propriétaire et rédacteur en chef d'un journal et copropriétaire
d'une société de négoce.
2.2 En vertu d'un décret royal daté du 22 octobre 1994, A. Koerten, Chef
par intérim des Services de sécurité d'Aruba, a été chargé d'effectuer
une enquête sur la sécurité et la probité à Aruba. À l'issue de cette
enquête, il a présenté, le 20 avril 1995, un rapport intitulé Security
and Integrity of Aruba: Context and Perspective.
2.3 Le rapport, qui était un document ultransecret, n'a été envoyé qu'à
un nombre limité de responsables politiques et d'institutions dont le
nom y est indiqué.
2.4 Le rapport brosse un tableau de la situation à Aruba dans le domaine
de la sécurité et précise que les organismes étrangers qui combattent
la criminalité dans la région sont "quasi unanimes à considérer que
les milieux d'affaires d'Aruba sont généralement perçus comme des collaborateurs
(spécialistes du blanchiment d'argent) des cartels de la drogue de la
région". Le rapport mentionne par leurs noms les auteurs et les décrit
comme des délinquants liés à des organisations criminelles impliquées
dans le trafic de drogue, le trafic d'armes et le blanchiment d'argent
provenant d'activités criminelles.
2.5 Bien que le rapport ait été classé ultransecret, la presse, et partant
le public, ont eu vent de son contenu. L'origine des fuites n'a pas été
déterminée. Une enquête menée par le Service de sécurité intérieure néerlandais
aurait révélé que la photocopie obtenue par la presse ne provenait pas
du document détenu par le Ministre des affaires des Antilles néerlandaises
et d'Aruba ou un autre responsable néerlandais. Le rapport issu de l'enquête
n'indique pas d'où provenait la photocopie.
2.6 Les auteurs affirment que les allégations faites contre eux dans
le rapport sont totalement fausses et que le fait que le rapport ait été
rendu public a gravement nui à leur réputation, ce qui a porté un sérieux
préjudice à leurs intérêts économiques. Ils affirment qu'en permettant
la publication du rapport l'État partie a violé leurs droits de ne pas
faire l'objet d'atteintes illégales à leur honneur et à leur réputation
qui sont protégés par l'article 17 du Pacte.
2.7 Les auteurs ont demandé au Ministre des affaires des Antilles néerlandaises
et d'Aruba de se désolidariser du rapport. Quand il a refusé, ils ont
engagé une procédure sommaire devant le Tribunal de première instance
d'Aruba. Dans le cadre de cette procédure, ils ont demandé que l'État
partie, le Ministre des affaires des Antilles néerlandaises et d'Aruba
et le Chef par intérim des Services de sécurité d'Aruba reconnaissent
qu'ils n'avaient aucune preuve attestant que les auteurs étaient impliqués
dans des activités de blanchiment d'argent ou d'autres activités frauduleuses.
2.8 Le Tribunal de première instance a déclaré qu'il n'était pas compétent
pour examiner les allégations contre l'État partie et que la loi sur les
secrets d'État justifiait le projet du recours en réparation contre le
Chef par intérim des Services de sécurité.
2.9 Les auteurs ont fait appel de cette décision devant la Cour de justice
conjointe des Antilles néerlandaises et d'Aruba. Contrairement au jugement
prononcé par le Tribunal de première instance, cette juridiction a statué
que les tribunaux étaient compétents pour examiner une plainte contre
l'État partie. Elle a cependant estimé que les auteurs n'avaient pas démontré
qu'il était certain ou probable que les défendeurs avaient fait preuve
de négligence en permettant la publication du rapport; ces derniers ne
pouvaient donc pas être accusés d'avoir agi en violation de l'article
17 du Pacte.
2.10 Les auteurs n'ont pas contesté la décision cindessus devant la Cour
suprême des PaysnBas car selon un avocat spécialisé dans les appels ils
n'étaient pas fondés pour se pourvoir en appel.
Teneur de la plainte
3.1 Les auteurs affirment qu'en n'empêchant pas la publication d'informations
les concernant contenues dans le rapport confidentiel, l'État partie a
violé les droits qui leur sont reconnus à l'article 17 du Pacte. Ils font
valoir en outre que les directives de l'État partie concernant la classification
des informations confidentielles et le fait qu'au cours de la procédure
sommaire que les auteurs ont engagée le tribunal a exigé d'eux qu'ils
prouvent la négligence de l'État partie constituent une violation de l'obligation
qu'a ce dernier de fournir, conformément au paragraphe 3 de l'article
2 du Pacte, un recours utile contre la violation des droits qui leur sont
reconnus à l'article 17.
3.2 Les auteurs estiment que, par le biais de la procédure sommaire qu'ils
ont engagée, ils ont épuisé les recours internes. Ils reconnaissent cependant
que la législation locale "offre la possibilité d'engager une procédure
civile normale (devant la même instance qui les a déboutés) mais font
valoir qu'une telle procédure peut durer quatre à six ans (du fait des
possibilités d'appel et de cassation)".
Délibérations du Comité
4.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2 Il ressort clairement des éléments présentés par les auteurs que,
dans le cadre d'une procédure sommaire, les tribunaux locaux ne pouvaient
examiner les arguments factuels avancés par les auteurs. De tels arguments
ne peuvent être examinés que dans le cadre d'une action civile normale.
Les auteurs ont reconnu qu'ils n'ont pas entamé de procédure civile normale
contre l'État partie pour obtenir réparation de l'atteinte présumée à
leur honneur et à leur réputation en violation de l'article 17 du Pacte.
En l'occurrence, le Comité ne peut accepter la simple affirmation des
auteurs selon laquelle les procédures de recours internes excéderaient
des délais raisonnables. La communication est donc irrecevable en vertu
du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
5. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de
l'article 5 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur et, pour information,
à l'État partie.
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* Participants: Mr. Abdelfattah Amor, Mr. Nisuke Ando, Mr. Prafullachandra
N. Bhagwati, Ms. Christine Chanet, Lord Colville, Ms. Elizabeth Evatt,
Mr. Eckart Klein, Mr. David Kretzmer, Ms. Cecilia Medina Quiroga, Mr.
Fausto Pocar, Mr. Martin Scheinin, Mr. Hipólito Solari Yrigoyen, Mr. Roman
Wieruszewski et Mr. Maxwell Yalden.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]