Communication no 884/1999*
Présentée par: Mme Antonina Ignatane (représentée par un conseil,
Mme Tatyana Zhdanok)
Au nom de: L'auteur
État partie: Lettonie
Date de la communication: 17 mai 1998 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 juillet 2001,
Ayant achevé l'examen de la communication no 884/1999 présentée
par Mme Antonina Ignatane en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et par l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif
1.1 L'auteur de la communication est Mme Antonina Ignatane, citoyenne lettone
d'origine russe, exerçant la profession d'enseignante, née le 21 février
1943 à Riga. Elle affirme être victime de violations par la Lettonie des
articles 2 et 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
L'auteur est représentée par un conseil.
1.2 Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est
entré en vigueur pour la Lettonie le 14 juillet 1992, et le Protocole
facultatif le 22 septembre 1994.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Au moment des faits, Mme Ignatane était enseignante à Riga. En 1993,
elle avait passé un examen de connaissance de la langue lettone devant
une commission d'attestation, à l'issue duquel on lui a délivré un certificat
d'aptitude linguistique, faisant valoir que sa maîtrise de la langue correspondait
aux critères établis pour la connaissance du niveau 3 (supérieur).
2.2 En 1997 l'auteur était candidate aux élections locales qui devaient
avoir lieu le 9 mars 1997, inscrite sur la liste du Mouvement pour la
justice sociale et l'égalité des droits en Lettonie. Le 11 février 1997,
par décision de la Commission électorale de la ville de Riga, Mme Ignatane
a été radiée de sa liste, en raison d'un avis du Centre de la langue nationale
(CLN), faisant valoir la maîtrise insuffisante de la langue officielle
par la candidate.
2.3 Le 17 février 1997, l'auteur a déposé une plainte devant le Tribunal
central de district contre cet acte de la Commission électorale, l'estimant
illégal. Le Tribunal a transmis d'office l'affaire au Tribunal de première
instance de Riga, qui a débouté l'auteur de sa demande le 25 février 1997.
L'arrêt est entré en vigueur à la date de son prononcé.
2.4 Le 4 mars 1997, Mme Ignatane a déposé une requête contre l'arrêt du
25 février auprès du Président de la Chambre civile de la Cour suprême
de la Lettonie. Ce dernier a refusé de donner suite à sa demande, par
une lettre datée du 8 avril 1997.
2.5 Le 4 mars 1997, l'auteur a également saisi le parquet, par le biais
du Procureur de la République. Le bureau du Procureur a examiné la demande
et le 22 avril 1997 a déclaré qu'il n'y avait pas de raisons pour donner
suite à la plainte, que l'arrêt en cause avait été pris dans le respect
de la loi et n'était pas contraire au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques.
2.6 L'auteur a présenté au Comité la traduction des articles 9, 17 et
22 de la loi électorale du 13 janvier 1994, relative aux élections des
conseils de ville, district, etc. Dans l'article 9 de ladite loi sont
énumérées les catégories de personnes qui ne peuvent pas être nommées
en tant que candidates aux élections locales. Le paragraphe 7 du même
article prévoit que les personnes qui n'ont pas l'aptitude linguistique
requise pour le niveau 3 (supérieur) de connaissance de la langue officielle
ne peuvent pas être candidates. L'article 17 de la même loi dispose que
si une personne, qui n'est pas diplômée d'une école où l'enseignement
s'est déroulé en langue lettone, se présente comme candidate, une copie
de son certificat d'aptitude linguistique du niveau 3 (supérieur) de connaissance
de la langue officielle devrait être attachée à la demande de candidature.
Le conseil de l'auteur explique à cet effet que la copie du certificat
était exigée pour que le CLN puisse procéder à une vérification de son
authenticité et non pas de sa validité.
2.7 L'article 22 prévoit que la Commission électorale qui a enregistré
une liste de candidats est seule compétente pour la modifier, uniquement:
«1) en rayant un candidat de ladite liste si: …
b) les restrictions de l'article 9 de la présente loi s'appliquent
au candidat, …, et que dans les cas prévus dans le paragraphe
1 a, b et c du présent article, un candidat peut
être rayé de la liste sur la base de l'avis de l'institution correspondante
ou d'une décision de tribunal.
Le fait qu'un candidat: …
8) ne remplit pas les exigences correspondant au niveau 3 (supérieur)
d'aptitude linguistique de la langue officielle, doit être certifié
par un avis du CLN.»
2.8 Enfin, Mme Ignatane rappelle que, suivant les déclarations du CLN lors
du procès, des plaintes relatives à ses aptitudes en letton avaient été
reçues par la commission d'attestation au Ministère de l'éducation. Or,
explique l'auteur, c'est précisément ce ministère qui avait été impliqué
en 1996 dans le conflit très médiatisé autour de la fermeture de l'école
secondaire no 9 de Riga, dont elle était la directrice. L'enseignement dans
cette école était dispensé en langue russe et sa fermeture avait eu un impact
très négatif au sein de la minorité russe en Lettonie.
Teneur de la plainte
3. L'auteur affirme qu'en la privant de la possibilité de se présenter
aux élections locales, la Lettonie a violé les articles 2 et 25 du Pacte.
Observations de l'État partie
4.1 Dans ses observations du 28 avril 2000, l'État partie conteste la
recevabilité de la communication. Il objecte que l'auteur n'a pas épuisé
les voies de recours ouvertes au plan national.
4.2 Il fait également observer que l'auteur n'a pas contesté les conclusions
du CLN, selon lesquelles ses capacités en letton ne seraient pas conformes
au niveau requis pour être candidat aux élections (niveau 3). L'auteur
aurait contesté uniquement la légalité de l'acte par lequel la Commission
électorale l'avait rayée de la liste de candidats. Or, l'État partie estime
les procédures devant le Tribunal comme étant légales et motivées et en
pleine conformité avec la législation nationale, en particulier avec l'article
9, paragraphe 7, et l'article 22, paragraphe 8, de la loi sur les élections
de conseils de ville et de district.
4.3 L'État partie déclare que les dispositions de ladite loi sont conformes
aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
notamment en ce qui concerne l'Observation générale no 25 du Comité des
droits de l'homme relative à l'article 25, suivant laquelle «toutes les
conditions s'appliquant à l'exercice des droits protégés par l'article
25 devraient être fondées sur des critères objectifs et raisonnables».
À cet effet, l'État partie déclare que la participation dans les affaires
publiques exige un haut niveau de maîtrise de la langue officielle, et
que cette condition préalable était raisonnable et basée sur des critères
objectifs, déterminés par les règlements sur la certification d'aptitude
à la langue officielle. Suivant ces règlements, indique l'État partie,
le niveau 3 de maîtrise de la langue officielle est requis pour plusieurs
catégories de personnes, y compris les représentants élus. Le niveau le
plus haut (niveau 3) démontre que la personne est capable de parler couramment
la langue offic0ielle, de comprendre des textes choisis par hasard et
de rédiger des textes dans la langue officielle, en relation avec les
fonctions officielles de la personne.
4.4 L'État partie estime ensuite qu'en ce qui concerne l'état réel de
la maîtrise de la langue du requérant, il ressortait clairement de l'arrêt
de la Cour que, s'il y avait des contestations relatives à la maîtrise
de la langue nationale, on procédait à un examen dans le but d'établir
si les capacités réelles correspondaient au degré attesté par le certificat.
En ce qui concerne le cas d'espèce, l'État partie déclare que des plaintes
ont été reçues par le Ministère de l'éducation et de la science, mettant
en cause la connaissance du letton par la requérante, sans toutefois développer
la question ou en apporter la preuve. Le 5 février 1997, il a été procédé
à un examen, qui a fait apparaître que ses connaissances linguistiques
ne correspondaient pas aux exigences pour le niveau 3. Ensuite la Cour
s'est référée à des preuves matérielles (la copie de l'examen corrigée),
qui avaient été présentées par le CLN pour appuyer ses conclusions quant
à l'aptitude en letton de Mme Ignatane.
4.5 Les conclusions de l'examen ont servi de base pour rayer le nom de
la requérante de la liste de candidats aux élections et ceci était conforme
à la loi en vigueur. La légalité de cette action avait été confirmée successivement
par la Cour suprême et l'Office du Procureur.
4.6 Concernant la contradiction alléguée entre le certificat de la requérante
et les conclusions du CLN, l'État partie note que ces dernières n'avaient
d'effet qu'en ce qui concerne la question de l'éligibilité de la candidate
et en aucun cas n'impliquaient l'invalidation automatique du certificat,
ni pourraient servir de base pour réviser sa convenance, sauf si sa détentrice
n'en décidait autrement.
4.7 L'État partie estime que l'auteur aurait pu intenter deux autres actions.
La première: Mme Ignatane aurait pu demander un nouvel examen linguistique,
comme indiqué par le CLN durant le procès. Cet examen aurait eu pour finalité
de vérifier la convenance du certificat en possession de Mme Ignatane.
La seconde possibilité: l'auteur aurait pu intenter une action judiciaire,
en invoquant la discordance entre son certificat et les conclusions du
CLN, en relation avec ses capacités électorales, ce qui amènerait la Cour
à demander un nouvel examen pour vérifier l'authenticité du certificat.
4.8 Étant donné qu'aucune de ces actions n'a été intentée par l'auteur,
l'État partie estime qu'il n'y a pas eu épuisement des voies de recours
disponibles. L'État partie dénie également l'allégation de discrimination
à l'égard de l'auteur sur la base de ses convictions politiques, étant
donné que toutes les autres personnes sur la même liste ont été maintenues
comme candidates aux élections.
Commentaires de l'auteur aux observations de l'État partie
5.1 Dans ses commentaires, datés du 22 septembre 2000, le conseil reprend
l'argument de l'État partie, selon lequel Mme Ignatane n'a pas mis en
cause la conclusion du CLN que son niveau en letton ne correspondait pas
au niveau maximal, mais a contesté la légalité de la décision de la Commission
électorale de la rayer de la liste de candidats. Le conseil admet que
Mme Ignatane a certes contesté la légalité de la décision de la Commission
électorale, mais que cette décision a été prise exclusivement sur la base
de la conclusion du CLN que le niveau de letton ne remplissait pas les
exigences du niveau de connaissance maximal. En conséquence, déclare le
conseil, l'auteur avait contesté la légalité de la décision de la Commission
électorale de rayer son nom de la liste des candidats car elle avait été
prise sur la base de la conclusion du CLN.
5.2 Le conseil attire l'attention sur les mots utilisés par l'État partie:
«le niveau 3 requis (le plus haut) pour pouvoir être candidat aux élections»,
auxquels on pourrait donner une mauvaise interprétation. Selon le conseil,
il n'existe pas en droit électoral letton de dispositions relatives à
un niveau particulier de connaissance de la langue officielle qui soit
exigé uniquement dans le cadre électoral, mais c'est uniquement dans les
règlements sur la certification de la connaissance de la langue officielle
pour l'emploi que sont indiqués les trois niveaux exigés pour divers postes
et professions, et le certificat d'aptitude linguistique de premier, second
et troisième niveau de connaissance de la langue officielle correspondant
est de portée générale.
5.3 En ce qui concerne l'affirmation de l'État partie selon laquelle la
loi électorale en cause est compatible avec les dispositions du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, comme prévu dans
l'Observation générale sur l'article 25, le conseil déclare que les dispositions
limitatives de l'article 9, paragraphe 7, et l'article 22, paragraphe
8, de ladite loi ne se basent pas sur des critères objectifs et raisonnables,
comme l'Observation générale du Comité des droits de l'homme sur la non-discrimination
l'exige.
5.4 L'article 9, paragraphe 7, de ladite loi prévoit que les personnes
qui n'ont pas l'expérience de la langue officielle, correspondant aux
exigences d'attribution du niveau de connaissance le plus haut (troisième),
ne peuvent pas se présenter comme candidates aux conseils locaux et ne
doivent pas être élues aux conseils. Suivant l'article 22, paragraphe
8, un candidat peut être rayé de la liste si ses capacités linguistiques
ne correspondent pas aux exigences du niveau 3 d'aptitude linguistique
de la langue officielle, après avis rendu par le CLN. Le conseil déclare
qu'en pratique cette provision laisse la possibilité d'un nombre d'interprétations
pratiquement infini et ouvre la porte à des décisions complètement discrétionnaires
et arbitraires.
5.5 Le conseil reprend ensuite la déclaration de l'État partie selon laquelle
on déciderait de procéder à un examen des connaissances linguistiques
d'un candidat aux élections, dans les cas où des plaintes étaient enregistrées
contre lui. Si des plaintes n'étaient pas enregistrées, le CLN devrait
envoyer des avis sur tous les candidats, consistant à une vérification
de l'authenticité de la copie du certificat de letton des candidats. Le
conseil énonce qu'à la suite d'une déclaration non fondée sur l'existence
des plaintes relatives à un candidat, les résultats de l'examen subséquent,
conduit par un seul examinateur qui est inspecteur principal à l'Inspectorat
de la langue officielle, ne peuvent pas être qualifiés comme critères
objectifs. Les pleins pouvoirs attribués à l'inspecteur principal ne sont
pas comparables aux conséquences qu'ils causent, en particulier avec la
disqualification d'un candidat aux élections. Une telle approche visant
à vérifier les connaissances de la langue officielle donne la possibilité,
si nécessaire, d'une disqualification de tous les candidats représentant
une minorité.
5.6 Le conseil indique ensuite les conditions dans lesquelles s'est produit
l'examen. L'auteur était occupée par ses devoirs professionnels en donnant
un cours d'allemand à une classe d'élèves quand ce cours a été interrompu,
et Mme Ignatane a été amenée à faire un travail écrit en letton. L'examen
a été conduit par une inspectrice, en présence de deux témoins qui étaient
des enseignants employés par la même école. Le conseil déclare que dans
de telles circonstances la présence de quelques fautes d'orthographe et
autres, ayant servi de preuve des capacités limitées de l'auteur en letton,
ne devrait pas être prise en considération.
5.7 En outre, concernant l'affirmation de l'État partie suivant laquelle
la participation dans les affaires publiques impliquait un haut niveau
dans la maîtrise de la langue officielle et que cette condition préliminaire
était raisonnable et répondait à des critères objectifs déterminés par
les règlements sur la certification de l'aptitude de la langue officielle,
le conseil indique que ladite condition préliminaire pour être candidat
aux élections locales était déraisonnable. Il n'y aurait pas d'autres
conditions préliminaires pour les candidats en général, notamment en ce
qui concerne leur niveau d'éducation, leur aptitude professionnelle, etc.
La seule condition préalable relative à l'aptitude en letton signifie,
selon le conseil, que les droits d'élire et d'être élu n'étaient pas respectés
et assurés à tous les individus sans distinction du fait de la langue.
Le conseil affirme que pour environ 40 % de la population lettone, le
letton n'est pas la langue maternelle.
5.8 La condition préliminaire relative à la haute maîtrise du letton pour
participer aux élections locales, selon le conseil, ne repose pas sur
des critères objectifs. Toutefois, ceci ne veut pas dire que l'auteur
est d'avis que les critères établis dans les règlements sur la certification
d'aptitude de la langue officielle ne sont pas objectifs. Simplement,
ces critères ne sont pas pris en considération, ajoute-t-il, quand on
dispose (dans le paragraphe 8 de l'article 22 de la loi) qu'un candidat
peut être rayé de sa liste s'il ne remplit pas les exigences correspondant
au niveau 3 (supérieur) d'aptitude en letton et que ceci devrait être
certifié par avis du CLN. Les règlements sur la certification d'aptitude
à la langue officielle prévoient, selon le conseil, que l'aptitude linguistique
était certifiée par une commission d'attestation spéciale, composée d'au
moins cinq spécialistes de la langue. Les règlements décrivent en détail
le processus d'examen et d'attestation, ce qui assure son objectivité
et sa crédibilité. Des certificats de niveau 1, 2 ou 3 sont délivrés avec
une durée de validité illimitée. L'article 17 de ladite loi prévoit que
les candidats, qui n'ont pas obtenu de diplôme d'études secondaires dans
un établissement où l'enseignement s'est poursuivi en letton, devraient
présenter une copie de leur certificat de niveau 3 à la Commission électorale.
Dans le cas d'espèce, l'auteur a présenté une telle copie à la Commission
électorale de Riga. Or, l'avis du CLN, fondé sur le résultat d'un examen,
conduit ad hoc par un seul inspecteur, sur la base de plaintes alléguées
enregistrées au Ministère de l'éducation, n'est pas compatible, suivant
le conseil, avec les exigences des règlements sur l'attestation de la
langue officielle. D'ailleurs, continue-t-il, l'État partie admet que
l'avis du CLN concerne exclusivement la question de l'éligibilité et en
aucun cas n'implique l'invalidation automatique du certificat, ni ne peut
servir de base pour la révision de l'authenticité de ce dernier.
5.9 Enfin, le conseil revient sur l'affirmation de l'État partie selon
laquelle toutes les voies de recours en droit interne n'ont pas été épuisées.
Le conseil rappelle que l'arrêt de la Cour du 25 février 1997, confirmant
la décision du 11 février 1997 de la Commission électorale de Riga, était
définitif et entrait en vigueur au moment de son prononcé. La procédure
spéciale de protestation qui existe contre de telles décisions est bien
la procédure que l'auteur a suivie.
5.10 Le conseil poursuit en indiquant que les recours doivent être non
seulement adéquats et suffisants, mais également devraient permettre en
pratique le rétablissement de la situation contestée. Les recours épuisés
par l'auteur – la procédure spéciale de protestation de la décision
de la Commission électorale – constituent l'unique recours qui aurait
pu permettre l'accomplissement de l'objet de la plainte, c'est-à-dire
autoriser l'auteur à se présenter aux élections pour le Conseil de la
ville de Riga en 1997, en réintégrant son nom sur la liste électorale.
5.11 D'après le conseil, l'État partie se contredit dans ses propos, dans
le sens que, d'un côté, il déclare qu'il ne pouvait pas admettre que les
voies de recours internes avaient été épuisées étant donné qu'aucune des
deux possibilités de recours qu'il énumère pour vérifier l'authenticité
du certificat de l'auteur n'avait été utilisée et, de l'autre, il déclare
que, d'après la communication, l'auteur mettait en cause la légalité de
la décision de la rayer de la liste de candidats, sans remettre en cause
les conclusions du CLN que son niveau en letton ne correspondait pas au
niveau 3 requis. En tout état de cause, chacune des deux procédures énumérées
par l'État partie pour vérifier l'authenticité du certificat de l'auteur
supposait des procédures de plusieurs mois au moins et ceci n'aurait pas
permis à l'auteur de se présenter aux élections de 1997. À cet effet,
le conseil rappelle que la décision d'éliminer l'auteur a été prise 26
jours avant les élections. Les contraintes de temps excluaient toute possibilité
d'entreprendre ultérieurement toute action juridictionnelle autre que
la voie suivie par l'auteur.
Délibérations du Comité concernant la recevabilité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable au titre du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité note que l'État partie conteste la recevabilité de la communication
pour non-épuisement des voies de recours internes, étant donné que l'auteur
n'a pas contesté l'acte par lequel le CLN avait conclu que ses connaissances
ne correspondaient pas au niveau requis, mais a contesté la décision de
la Commission électorale par laquelle on l'avait rayée de la liste. Le
Comité ne peut pas suivre le raisonnement de l'État partie selon lequel
ceci montrait que l'auteur n'avait pas épuisé les voies de recours disponibles,
car à ce moment-là l'auteur était en possession d'un certificat attestant
sa connaissance de la langue officielle au niveau requis, lequel était
valide et légalement établi, ce que d'ailleurs l'État partie ne conteste
pas.
6.3 Le Comité note également les arguments du conseil qui affirme que
les recours énumérés par l'État partie n'étaient pas des recours utiles
et que l'État partie n'a ni apporté la preuve que lesdits recours étaient
utiles, ni même contesté ces arguments. Il prend en considération également
la remarque du conseil selon laquelle, de toute manière, les recours énumérés
par l'État partie exigeaient plusieurs mois pour aboutir et leur épuisement
n'aurait pas permis à l'auteur de se présenter aux élections. Le Comité
constate que les commentaires du conseil ont été portés à l'attention
de l'État partie, mais que celui-ci n'a pas répondu. Dans ces circonstances,
le Comité estime que rien ne fait obstacle à la recevabilité de la communication.
6.4 En conséquence, le Comité déclare la communication recevable et décide
de procéder à son examen au fond, conformément au paragraphe 2 de l'article
5 du Protocole facultatif.
Examen quant au fond
7.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises
par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l'article
5 du Protocole facultatif.
7.2 Le Comité doit déterminer si l'État partie a violé les droits que
les articles 2 et 25 confèrent à l'auteur en n'autorisant pas celle-ci
à être candidate aux élections locales tenues en mars 1997.
7.3 L'État partie estime que la participation à la conduite des affaires
publiques exige une très bonne connaissance de la langue officielle de
l'État partie et que la condition d'ordre linguistique à remplir pour
pouvoir être candidat aux élections est par conséquent raisonnable et
objective. Le Comité note que l'article 25 du Pacte garantit à tout citoyen
le droit et la possibilité d'être élu, au cours d'élections périodiques
et honnêtes, sans discrimination fondée sur aucun des motifs énoncés à
l'article 2, y compris la langue.
7.4 Le Comité note que, dans le cas présent, la décision d'un seul inspecteur
prise quelques jours avant les élections, et qui allait à l'encontre de
ce qui avait été attesté quelques années auparavant par le certificat
d'aptitude délivré pour une durée illimitée par une commission d'experts
spécialisés dans la langue lettone, a été suffisante pour servir de base
à la décision de la Commission électorale, par laquelle l'auteur a été
rayée de la liste de candidats aux élections municipales. Il constate
que l'État partie ne conteste pas la validité dudit certificat pour son
utilisation professionnelle par l'auteur, mais qu'il oppose les résultats
de l'examen de l'inspecteur en ce qui concerne la question de l'éligibilité
de l'auteur. Le Comité relève également que l'État partie n'a pas contesté
la déclaration du conseil selon laquelle le droit letton n'envisage pas
de niveaux distincts de maîtrise de la langue officielle pour se présenter
aux élections, mais qu'on applique les niveaux établis et certifiés dans
d'autres cas. Le résultat du réexamen a abouti à empêcher l'auteur d'exercer
son droit de participer à la vie publique, conformément à l'article 25
du Pacte. Le Comité note que le premier examen de 1993 avait été conduit
dans le respect des formes et avait été évalué par cinq experts, alors
que le réexamen de 1997 a été conduit de façon ad hoc et évalué par une
seule personne. Le fait d'annuler la candidature de l'auteur, par suite
du réexamen qui n'a pas été basé sur des critères objectifs et pour lequel
l'État partie n'a pas apporté la preuve qu'il était procéduralement correct,
n'est pas compatible avec les obligations de l'État partie souscrites
au titre de l'article 25 du Pacte.
7.5 Le Comité conclut que Mme Ignatane a subi un préjudice réel en étant
empêchée de se présenter aux élections locales dans la ville de Riga en
1997, parce qu'elle avait été rayée de la liste des candidats au motif
que sa connaissance de la langue officielle était insuffisante. Le Comité
des droits de l'homme considère que l'auteur est victime d'une violation
de l'article 25 du Pacte, lu conjointement avec l'article 2.
8. Conformément à l'alinéa a du paragraphe 3 de l'article 2 du
Pacte, l'État partie a l'obligation d'assurer à Mme Ignatane une réparation
utile. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues
ne se reproduisent pas à l'avenir.
9. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a
reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu
ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte,
il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire
et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le
Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
L'État partie est également invité à rendre publiques les constatations
du Comité.
_______________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
communication: M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet,
M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M.
Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas
Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito
Solari Yrigoyen, M. Patrick Vella et M. Maxwell Yalden.
[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]