Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 23 octobre 2002,
Adopte la décision ci-après:
DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ
1.1 L'auteur de la communication est M. Emmerich Krausser, citoyen autrichien,
résidant actuellement à Blumenau (Brésil). Il affirme être victime de violations
par l'Autriche des articles 2, 12, 14, 17 et 26 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques. Il n'est pas représenté par un conseil.
1.2 L'Autriche a adhéré au Pacte le 10 décembre 1978. Le Protocole facultatif
est entré en vigueur à son égard le 10 mars 1988.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur s'est marié à une certaine Elvira Krausser le 15 septembre
1978. En novembre 1978, une fille lui est née. Le 25 juillet 1980, le tribunal
pénal d'arrondissement (Bezirksgericht für Strafsachen, Graz) a reconnu
l'auteur coupable de coups et blessures volontaires sur la personne de sa
femme et l'a condamné à une amende ou une peine substitutive de 20 jours
d'emprisonnement. Le pourvoi en révision formé par l'auteur a été rejeté
le 16 mars 1981. Il a déposé diverses plaintes au pénal contre sa femme
et d'autres personnes en 1980 et 1981, mais celles-ci n'ont pas donné lieu
à des poursuites.
2.2 Le 11 mars 1981, le tribunal civil d'arrondissement (Bezirksgericht
für Zivilsachen, Graz) a octroyé la garde de la fille de l'auteur à
sa femme, après que celle-ci eut quitté leur appartement (1). Le
14 mai 1981, le recours formé par l'auteur contre cette décision a été rejeté.
Le 7 juillet 1981, le tribunal d'arrondissement a ordonné l'exécution de
sa décision, c'est-à-dire la remise de l'enfant par l'auteur à sa femme.
Cette décision n'ayant pas été exécutée, la femme de l'auteur a déposé plainte
au parquet contre l'auteur pour soustraction d'enfant mineur à la personne
qui en a la garde (2). La police a interrogé l'auteur le 19 août
1981 à son retour de vacances d'été en Yougoslavie; l'information pénale
a été suspendue le 26 août 1981, ce dont l'auteur a été informé. Le parquet
a repris la procédure le 10 septembre 1981 sur la base de nouvelles informations
communiquées par le tribunal d'arrondissement. Le 6 novembre 1981, le tribunal
de district a ordonné la mise en détention de l'auteur et décerné un mandat
d'arrêt international à son encontre. Au cours de l'automne 1981, l'auteur
et sa fille ont quitté l'Autriche pour le Brésil (3). En août 1982,
la mère de l'auteur a été reconnue coupable de complicité de soustraction
par celui-ci d'un enfant à la personne qui en avait légalement la garde.
2.3 Le 27 novembre 1989, l'auteur a fait une demande de passeport ordinaire
pour tous pays, d'une validité de 10 ans, au consulat d'Autriche à Curitiba
(Brésil). Le 12 février 1990, se fondant sur la loi autrichienne sur les
passeports (Passgesetz 1969) (4) , le consulat a refusé de
délivrer un passeport à l'auteur parce que celui-ci avait quitté l'Autriche
en sachant que des poursuites pénales avaient été engagées contre lui et
dans l'intention de se soustraire à une information pénale. Le 1er mars
1990, le consulat a rejeté la réclamation de l'auteur. Le 18 septembre 1990,
le Ministère fédéral de l'intérieur (Bundesministerium für Inneres)
a rejeté le recours formel (Berufung) de l'auteur sur la base d'informations
reçues par le tribunal pénal de district compétent (Landesgericht für
Strafsachen, Graz) selon lesquelles un mandat d'arrêt international
contre l'auteur (Haftbefehl) était encore en vigueur. Le 29 septembre
1994, la Cour administrative fédérale (Verwaltungsgerichtshof) a
rejeté le pourvoi de l'auteur contre la décision du Ministère fédéral de
l'intérieur au motif qu'il n'avait pas été présenté dans les délais légaux.
2.4 Dans l'intervalle, une nouvelle demande de passeport ordinaire a été
rejetée dans toutes les instances. Le 29 septembre 1992, la Cour constitutionnelle
fédérale (Verfassungsgerichtshof) a rejeté une demande d'aide juridictionnelle
présentée par l'auteur aux fins de contester la décision du Ministère fédéral
de la justice indiquant que rien n'autorisait à supposer que la décision
était fondée sur une disposition générale dénuée de valeur légale ou qu'en
appliquant les dispositions légales pertinentes, le Ministère avait commis
une erreur ressortissant au droit constitutionnel. Néanmoins, entre 15 février
1993 et le 2 juillet 1994, l'auteur a déposé neuf autres demandes de passeport;
toutes ont été rejetées. Dans le but d'obtenir un passeport, l'auteur a
également demandé la nationalité brésilienne en mars 1993. Cette demande
a été rejetée sur la base d'informations communiquées par l'ambassade d'Autriche
au Ministère brésilien de la justice selon lesquelles l'auteur était recherché
par les autorités autrichiennes pour infraction pénale passible de plus
d'une année d'emprisonnement.
2.5 Le 9 janvier 1992, l'auteur a demandé à bénéficier d'un avocat au titre
de l'aide juridictionnelle pour faire face aux poursuites pénales engagées
contre lui et réclamer le remboursement des dépenses qu'il aurait à encourir
pour se présenter devant le juge d'instruction en Autriche. Le 2 septembre
1992, le tribunal pénal de district l'a débouté de sa demande aux motifs
qu'un avocat n'était pas nécessaire au premier stade de la procédure et
que l'auteur n'avait pas fourni d'informations suffisamment détaillées sur
sa situation financière. Le 26 avril 1993, une demande d'extrait de casier
judiciaire présentée par l'auteur a été rejetée du fait de l'existence d'un
mandat d'arrêt contre lui, conformément aux lois autrichiennes. Le tribunal
pénal de district a rejeté une nouvelle demande d'aide juridictionnelle
concernant la procédure pénale le 28 janvier 1996.
2.6 Le 27 octobre 1993, le Ministère fédéral de la justice (Bundesministerium
für Justiz) a délivré un sauf-conduit (Geleitbrief) à l'auteur
pour qu'il comparaisse devant le tribunal pénal de district et le mandat
d'arrêt a été suspendu jusqu'au 1er mars 1994. L'auteur ne s'est cependant
pas présenté au tribunal. Le 12 juillet 1994, le Ministère fédéral de la
justice a délivré un autre sauf-conduit valide jusqu'au 1er août 1995. L'ambassade
d'Autriche a délivré un passeport valable un an, jusqu'au 1er septembre
1995. Le 21 août 1995, le tribunal pénal de district a suspendu le mandat
d'arrêt sur la demande des services du parquet (Staatsanwaltschaft beim
Landgericht, Graz). Le 2 octobre 1995, l'ambassade d'Autriche à Brasilia
a délivré un passeport valable jusqu'au 2 octobre 2005. Tous les recours
pendants devant la Cour administrative fédérale (Verwaltungsgerichtshof)
contre les décisions rejetant la demande de passeport de l'auteur ont fait
l'objet d'une suspension de procédure.
2.7 Le 2 juillet 1997, la Cour de l'État (Oberlandesgericht) de Vienne
a débouté l'auteur de sa demande d'aide juridictionnelle aux fins de réclamer
à l'État partie une indemnisation pour faute, au motif que la législation
pertinente (Amtshaftungsgesetz) ne prévoyait pas ce type d'attaque
contre les décisions des tribunaux dans les procédures d'appel. Le 10 septembre
1997, le Département des finances (Finanzprokuratur) a rejeté une
demande d'indemnisation formée par l'auteur du fait, entre autres motifs,
qu'elle était prescrite. Les juridictions compétentes ont également rejeté
des demandes subséquentes d'aide juridictionnelle faites dans le cadre de
la même affaire. Le 26 février 1999, la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof)
a rejeté une demande d'aide juridictionnelle déposée par l'auteur dans le
but de réclamer une indemnisation pour faute de diverses autorités de l'État
partie.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que sa condamnation pour violence conjugale était fondée
sur des éléments insuffisants, ainsi que le montrent les avis d'experts
qu'il a ultérieurement recueillis. D'après lui, le fait que les tribunaux
ne soient pas revenus sur cette décision entraîne une violation du paragraphe
6 de l'article 14 du Pacte. En outre, le parquet a renoncé à enquêter sur
les accusations de déclarations fallacieuses qu'il avait portées contre
les témoins experts entendus au cours du procès. L'auteur se dit victime
d'une discrimination contraire à l'article 26 du Pacte.
3.2 L'auteur ajoute que la procédure judiciaire qui a abouti à la décision
du tribunal d'arrondissement d'octroyer la garde de sa fille à sa femme
contrevenait aux articles 14 (par. 1), 17 et 26 du Pacte. Selon lui, le
rapport du travailleur social et le procès-verbal de la police pris en considération
par le tribunal n'étaient pas fiables et ont été produits sans qu'il ait
eu son mot à dire.
3.3 L'auteur déclare qu'il ne savait pas que des poursuites pénales étaient
engagées contre lui en Autriche lorsqu'il a quitté le pays. Il est parti
pour fuir une injustice permanente. Il avait été licencié après que des
agents de police furent venus le chercher en son absence et, en raison de
sa condamnation antérieure pour violence conjugale, il ne pouvait pas trouver
de nouvel emploi. C'est pourquoi il avait dû quitter l'Autriche. Il affirme
n'avoir été informé de l'information le concernant qu'en février 1996, lorsque
lui a été notifiée la décision du tribunal de district de rejeter sa demande
d'aide juridictionnelle.
3.4 L'auteur indique en outre que sa mère a été condamnée à tort de complicité
de soustraction d'un enfant mineur des mains du parent qui en avait la garde
légale. La procédure intentée contre sa mère était selon lui en contravention
de l'article 14 [par. 1, 2, 3, d), e), f), g)] et de l'article 5 du Pacte.
Sa mère avait reçu en tout et pour tout une instruction primaire en Yougoslavie
et était incapable de comprendre les formules officielles allemandes utilisées
par les tribunaux autrichiens. En outre, elle présentait déjà des déficiences
visuelles et auditives en 1980. L'État partie l'a contrainte à témoigner
contre elle-même en l'interrogeant en l'absence d'un avocat.
3.5 D'après l'auteur, l'ambassade d'Autriche au Brésil connaissait l'adresse
de son domicile et de son lieu de travail dès le mois de décembre 1989 au
moins. Par conséquent, l'État partie était en mesure de demander son extradition
vers l'Autriche ou son inculpation au Brésil. En outre, les autorités autrichiennes
auraient pu l'interroger à tout moment au Brésil depuis 1990. L'auteur prétend
avoir été privé d'une audition publique et présumé coupable sans pouvoir
se défendre, en violation de l'article 14 du Pacte.
3.6 L'auteur précise qu'il avait des problèmes financiers et ne pouvait
rémunérer les services d'un avocat ni se rendre en Autriche à ses frais.
Il joint diverses déclarations d'impôt sur le revenu censées établir sa
situation financière. D'après lui, l'ambassade d'Autriche était parfaitement
au courant de sa situation financière; cela n'a pas empêché les autorités
de l'obliger à retourner en Autriche. L'État partie a violé l'article 12
du Pacte en refusant de lui délivrer un passeport et en l'empêchant de quitter
le Brésil. Du fait qu'il a été traité différemment d'autres personnes se
trouvant dans une situation comparable en Autriche, l'État partie a violé
l'article 26 du Pacte.
3.7 L'auteur affirme par ailleurs qu'il n'a pas été suffisamment tenu compte
de sa situation financière et personnelle par les tribunaux qui ont rejeté
ses demandes d'aide juridictionnelle. Se référant au paragraphe 3 de l'article
2 du Pacte, il soutient qu'il aurait dû pouvoir demander à être indemnisé
des pertes financières encourues par la faute des autorités devant les tribunaux
de l'État partie.
3.8 L'auteur prétend que l'ambassade d'Autriche a communiqué de fausses
informations au Ministère brésilien de la justice lorsque celui-ci a examiné
sa demande de naturalisation. L'État partie aurait fait obstacle à sa naturalisation
au Brésil et, de ce fait, violé l'article 15 de la Déclaration universelle
des droits de l'homme. En outre, les mêmes informations auraient été portées
à l'attention de son employeur, qui l'a licencié en décembre 1994 alors
qu'il n'avait pas réussi à respecter le strict délai qui lui avait été fixé
pour régler ses affaires et recevoir un passeport. L'auteur déclare qu'en
raison des atteintes à sa réputation, il n'a pu retrouver un emploi et ne
peut entretenir sa famille. Il demande à être indemnisé des pertes financières
que lui a causées l'État partie.
3.9 L'auteur mentionne la décision du tribunal pénal de district en date
du 28 février 1996 rejetant sa demande d'aide juridictionnelle et allègue
que le tribunal l'a informé qu'au stade préliminaire de la procédure, il
serait tenu de rencontrer le magistrat instructeur en l'absence d'un avocat
ou du procureur. À l'issue de cette confrontation, le magistrat déciderait
de le mettre ou non formellement en accusation. Selon l'auteur, cette pratique
est contraire au paragraphe 3 g) de l'article 14 du Pacte car il risque
d'être contraint à des aveux au cours de cette confrontation.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond
4.1 Dans une réponse datée du 24 mars 2000, l'État partie affirme que l'auteur
n'a pas épuisé les recours internes disponibles, ce qui rend sa communication
irrecevable. Il indique que l'auteur n'a pas déposé plainte (Bescheidbeschwerde)
devant la Cour administrative fédérale pour contester la légalité des décisions
du Ministère fédéral de la justice dans le délai légal de six mois. Une
telle plainte aurait permis à la Cour d'examiner toute violation des droits
de l'homme et de casser la décision administrative (5). En revanche,
les diverses plaintes de l'auteur n'ont pas abouti parce qu'elles ont été
déposées hors des délais prescrits. Par ailleurs, l'État partie affirme
que la demande de passeport de l'auteur avait déjà été acceptée en septembre
1994, lorsqu'il s'est vu délivrer un passeport valable un an.
4.2 Dans une réponse ultérieure datée du 12 mai 2000 sur la recevabilité
et le fond, l'État partie allègue que l'auteur savait lorsqu'il a quitté
l'Autriche qu'il faisait l'objet de poursuites pénales qui avaient été suspendues.
À la reprise de la procédure, le Procureur a adressé à l'auteur une citation
à comparaître qui a été déposée à son domicile légal et ultérieurement remise
à la poste. L'auteur n'avait pas indiqué aux autorités de l'État partie
qu'il avait quitté son lieu de résidence permanente et selon l'enquête de
police, il séjournait avec l'enfant à son adresse permanente pendant les
week-ends. En conséquence, conformément à la loi autrichienne, la signification
de la notification était réputée faite.
4.3 Dès le 21 août 1990, et par conséquent avant la première décision du
consulat d'Autriche à Curitiba concernant sa plainte relative au refus de
lui délivrer un passeport ordinaire pour tous pays, d'une validité de 10
ans, l'ambassade d'Autriche à Brasilia a informé l'auteur de la possibilité
de lui délivrer un passeport pour une courte période seulement, ce qui lui
permettrait de revenir en Autriche, sous réserve qu'il s'engage par écrit
à comparaître devant les tribunaux. Au lieu de cela, l'auteur a présenté
de nombreuses demandes de passeport à durée de validité normale. En outre,
dans sa décision du 15 avril 1992, le Ministère fédéral de l'intérieur a
expliqué à l'auteur que le rejet de sa demande ne constituait pas une sanction
mais seulement une mesure visant à garantir l'administration de la justice.
4.4 En ce qui concerne le premier sauf-conduit, l'État partie indique que
l'auteur, de son propre fait et alors qu'il avait été cité à comparaître,
ne s'est pas présenté devant le tribunal de district le 28 février 1994.
En ce qui concerne le deuxième sauf-conduit, le tribunal de district avait
informé l'auteur que la date de l'audition pouvait dans une large mesure
être fixée en fonction de sa disponibilité. Comme suite à sa demande, il
a été remis à l'auteur un passeport d'une validité limitée à un an. Malgré
cela, celui-ci ne s'est pas présenté devant le tribunal de district dans
les délais indiqués sur son sauf-conduit.
4.5 Le 9 août 1995, les services du parquet ont abrogé l'ordonnance de mise
en détention et le mandat d'arrêt parce que ces mesures s'étaient révélées
jusqu'alors inefficaces. Cela supprimait les motifs du refus de délivrance
d'un passeport à l'auteur et celui-ci a pu obtenir un passeport valable
pour une durée de 10 ans. Les plaintes déposées par l'auteur devant la Cour
administrative ont été classées sans suite, la question étant devenue sans
objet.
4.6 S'agissant de la violation présumée du paragraphe 3 de l'article 2 du
Pacte par suite du rejet des différentes demandes d'aide juridictionnelle
aux fins de demander réparation pour faute des autorités, l'État partie
renvoie aux affaires Lestourneaud c. France (6)
et K. L. c. Danemark (7) et soutient que cette
disposition ne peut être violée que conjointement avec l'une des dispositions
de fond du Pacte. En outre, les demandes d'indemnisation formulées par l'auteur
n'étant pas conformes à la législation nationale pertinente, l'octroi d'une
aide juridictionnelle n'était pas requis dans l'intérêt de la justice et
devait donc être refusé par les autorités compétentes.
4.7 En ce qui concerne la violation présumée du paragraphe 2 de l'article
12 du Pacte concernant le refus du consulat d'Autriche de délivrer un passeport
valide pour tous les pays et pour une durée normale de 10 ans, l'État partie
affirme que l'auteur s'est vu offrir un passeport d'une validité limitée
pour qu'il puisse retourner en Autriche. Ce refus ne constituait donc pas
une entrave au droit de l'auteur à la liberté de circulation. Si, toutefois,
le Comité devait en juger autrement, l'État partie affirme que cette entrave
était prévue par la loi, nécessaire au maintien de l'ordre public et conforme
à d'autres droits consacrés par le Pacte et, par conséquent, justifiée au
titre du paragraphe 3 de l'article 12 du Pacte. Cette disposition du Pacte
a été clairement rédigée pour s'appliquer aux mesures visant à garantir
que les poursuites pénales soient menées à bonne fin. L'État partie mentionne
les affaires Gonzales c. Pérou (8) et
Peltonen c. Finlande (9) et ajoute que c'est en fait
l'auteur lui-même qui par son propre comportement a empêché son retour,
notamment en voulant faire supporter par l'État partie les dépenses nécessaires
à cette fin, ce qui n'est pas prévu par le droit interne.
4.8 Le rejet de la demande de passeport, de surcroît, ne violait pas le
droit de l'auteur à la présomption d'innocence garanti par le paragraphe
2 de l'article 14 du Pacte. Comparable à d'autres mesures de coercition
prises dans le cadre d'une information pénale, le refus de délivrance d'un
passeport constitue une mesure préventive, visant à garantir l'administration
de la justice. En ce qui concerne le principe de la séparation des pouvoirs
dans le système constitutionnel autrichien, les autorités administratives
sont incompétentes à examiner les mesures prises dans le cadre d'une procédure
d'information pénale lorsqu'elles se prononcent sur la délivrance d'un passeport.
4.9 Pour ce qui est de la violation présumée du paragraphe 3 d) de l'article
14 du Pacte, l'État partie précise qu'en droit interne autrichien, l'aide
juridictionnelle est accordée aux personnes indigentes si la commission
d'office d'un avocat se révèle nécessaire dans l'intérêt de la justice.
S'agissant de la procédure pénale, il déclare que l'affaire de l'auteur
en était encore au stade préliminaire de l'information, où la présence d'un
avocat n'est pas requise par la loi si bien que la désignation d'un avocat
au titre de l'aide juridictionnelle n'était pas nécessaire dans l'intérêt
de la justice. Quant aux autres procédures engagées par l'auteur, l'État
partie estime qu'une aide juridictionnelle a au moins été accordée dans
le cadre de la procédure portée devant la Cour administrative en ce qui
concerne le recours formé par l'auteur contre la première décision du consulat
d'Autriche à Curitiba rejetant sa demande de passeport. Les demandes d'aide
juridictionnelle ultérieures ont été chaque fois rejetées par la juridiction
concernée après un examen approfondi des conditions d'octroi de l'aide juridictionnelle
et en motivant pleinement la décision prise.
4.10 En ce qui concerne la violation présumée du paragraphe 3 g) de l'article
14 du Pacte, l'État partie ajoute que l'auteur n'a pas affirmé qu'il avait
été effectivement contraint de s'incriminer lui-même, mais qu'il a formulé
des craintes quant aux actes de procédures futurs dans le cas où ni le procureur
ni l'avocat de la défense ne sont tenus d'être présents au cours de l'enquête
préliminaire. L'État partie renvoie à l'affaire Aumeeruddy-Cziffra et
19 autres Mauriciennes c. Maurice (10) et estime que l'auteur
n'a pas suffisamment étayé son affirmation selon laquelle le recours à la
force physique ou à la torture au cours de l'audition était plus qu'une
simple possibilité théorique.
4.11 L'État partie déclare en outre que l'auteur n'a pas étayé son affirmation
selon laquelle il y avait eu violation de l'article 17 du Pacte. Dans sa
communication, l'auteur n'a pas dit que l'État partie avait commis des faits
internationaux illicites portant atteinte à son honneur et à sa réputation
sur la base d'allégations mensongères.
4.12 En ce qui concerne la violation présumée de l'article 26 du Pacte,
l'État partie relève que l'auteur a soutenu qu'il ne jouissait pas de la
même protection de la loi que les Autrichiens vivant en Autriche mais n'a
pas précisé la nature de la discrimination dont il se prétendait victime.
En outre, l'auteur n'appuie par aucun élément son affirmation selon laquelle
le refus de délivrance d'un passeport conformément à la législation nationale
pertinente et après examen par les tribunaux était arbitraire. L'État partie
ajoute en ce qui concerne le mandat d'arrêt contre l'auteur que la même
mesure aurait été prise à l'encontre d'une personne résidant en Autriche
et qu'elle aurait pu avoir les mêmes incidences financières et personnelles.
Commentaires de l'auteur
5.1 Dans sa réponse du 25 septembre 2000, l'auteur affirme que tous les
recours juridiques utiles ont été épuisés dans son cas. Il concède qu'un
avocat a été commis d'office dans le cadre de la procédure portée devant
la Cour administrative concernant sa demande de passeport ordinaire du 4
juillet 1994, mais fait observer que cette procédure avait avorté par suite
de la décision en date du 29 septembre 1994 selon laquelle il n'avait pas
respecté les délais de présentation du recours. L'auteur affirme qu'il a
fait appel tant devant la Cour administrative que devant la Cour constitutionnelle
dans les délais prescrits, dès qu'on lui avait notifié la décision de lui
accorder l'aide juridictionnelle. Toutefois, le consulat d'Autriche à Curitiba
n'a pas transmis son pourvoi en temps voulu. Compte tenu de l'affirmation
de l'État partie selon laquelle la Cour administrative avait compétence
pour examiner les violations du Pacte, le refus d'une aide juridictionnelle
le privait arbitrairement des droits énoncés au paragraphe 1 de l'article
14, à l'article 26 et aux paragraphes 2 et 3 de l'article 2 du Pacte.
5.2 L'auteur conteste l'affirmation de l'État partie selon laquelle il avait
été fait droit à sa plainte en lui délivrant un passeport d'une durée de
validité limitée le 16 septembre 1994. Ce passeport lui avait été remis
afin qu'il se présente au tribunal pénal de district et non pas pour être
utilisé sans restriction à des fins professionnelles. À l'époque, une décision
du Ministère fédéral de l'intérieur concernant son dernier recours était
encore pendante. Le fait qu'on ait ultérieurement remis un passeport ordinaire
à l'auteur avait pour seul but de couvrir des actes illégaux et valait reconnaissance
de violations antérieures du paragraphe 2 de l'article 12 du Pacte.
5.3 L'auteur affirme que l'intention de protéger l'ordre public au sens
du paragraphe 3 de l'article 12 du Pacte s'est transformée dans son cas
en une demande d'audition d'un suspect dans le cadre d'une enquête préliminaire.
Selon lui, cet interrogatoire aurait pu avoir lieu au Brésil à n'importe
quel moment. En outre, la restriction de son droit ne répondait pas à des
motifs légitimes et ne constituait pas le moyen le moins coercitif. Si l'on
peut considérer comme un moyen proportionné de refuser un passeport dans
son propre pays à une personne qui y fait l'objet de poursuites pénales,
dans le cas d'espèce, l'auteur a été contraint par l'État partie de revenir
dans son pays pour se soumettre à une information pénale alors même que
cet État partie savait qu'il était dans une situation financière difficile.
En outre, le refus de passeport n'était pas conforme aux autres droits énoncés
dans le Pacte, en particulier à l'article 26 et aux paragraphes 1 et 2 de
l'article 14.
Examen de la recevabilité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Eu égard au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif,
le Comité s'est assuré que l'auteur n'avait pas porté son affaire devant
une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
6.3 Eu égard au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif,
le Comité note l'affirmation de l'État partie selon laquelle l'auteur n'a
pas épuisé les recours internes disponibles. Il note que l'auteur a présenté
diverses demandes de passeport ordinaire analogues qui ont toutes été rejetées
par les autorités de l'État partie. Il ressort des archives que l'appel
de la décision concernant la première demande, présentée par l'auteur le
27 novembre 1989, a été rejeté de façon définitive par la Cour administrative
fédérale le 29 septembre 1994 parce qu'il n'avait pas été déposé dans les
délais. Aucune autre décision définitive concernant une autre demande de
passeport ordinaire présentée par l'auteur n'est mentionnée dans les mémoires
des parties. Pour ce qui est des allégations de violation de l'article 12
du Pacte, le Comité conclut que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes
disponibles et que cette partie de la communication est irrecevable en vertu
de l'alinéa b du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.4 En ce qui concerne les plaintes de l'auteur relatives à la décision
prise à l'encontre de sa mère pour avoir été son complice dans la soustraction
de sa fille des mains du parent qui en avait la garde, le Comité rappelle
qu'il ne peut examiner que les requêtes individuelles présentées par les
victimes présumées elles-mêmes ou par leur représentant dûment autorisé.
Il note que l'auteur n'a présenté aucune preuve écrite de son pouvoir d'agir
au nom de sa mère. Il conclut donc que l'auteur n'a pas qualité à ses yeux
à cet égard, au sens de l'article premier du Protocole facultatif.
6.5 S'agissant des affirmations de l'auteur présentées aux paragraphes 3.1,
3.3, 3.5, 3.7, 3.8 et 3.9 ci-dessus, le Comité considère que l'auteur n'a
étayé aucune de ses allégations de violation des dispositions du Pacte aux
fins de la recevabilité. Étant donné qu'il conclut à l'irrecevabilité de
cette partie de la communication en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif,
il n'est pas nécessaire que le Comité examine les autres conditions de recevabilité,
y compris la question de sa compétence ratione temporis.
7. En conséquence, le Comité décide:
a) Que la communication est irrecevable au titre des articles 1 et 2 et
du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur.
______________
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
du Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres dont le nom suit ont pris part à l'examen de la communication:
M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati,
Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed
Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah,
Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M.
Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Patrick
Vella et M. Maxwell Yalden.
Notes
1. Art. 144 du Code civil autrichien (Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch):
«Die Eltern haben das minderjährige Kind zu pflegen und zu erziehen, sein
Vermögen zu verwalten und es zu vertreten; sie sollen bei Ausübung dieser
Rechte und Erfüllung dieser Pflichten einvernehmlich vorgehen. Zur Pflege
des Kindes ist bei Fehlen eines Einvernehmens vor allem derjenige Elternteil
berechtigt und verpflichtet, der den Haushalt führt, in dem das Kind betreut
wird.»
2. Art. 195 du Code pénal autrichien (Strafgesetzbuch).
3. On ne sait ni quand ni où l'auteur a divorcé de sa femme. Il semble
ressortir du dossier que l'auteur s'est marié au Brésil.
4. Par. 1 3) a de l'article 14 de la loi de 1992 sur les passeports (Passgesetz).
5. Art. 131 de la Constitution fédérale; art. 42, par. 2, de la loi sur
la Cour administrative.
6. Affaire no 861/1999, décision du 3 novembre 1999.
7. Affaire no 81/1980, décision du 27 mars 1981.
8. Affaire no 263/1987, décision du 28 octobre 1992.
9. Affaire no 492/1992, décision du 21 juillet 1994.
10. Affaire no 35/1978, décision du 9 avril 1981.