Présentée par: Félix Enrique Chira Vargas-Machuca
Au nom de: L'auteur
État partie: Pérou
Date de la communication: 15 septembre 1997 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 22 juillet 2002,
Ayant achevé l'examen de la communication no 906/2000 présentée
par Félix Enrique Chira Vargas-Machuca en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur et par l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif
1. L'auteur est Félix Enrique Chira Vargas-Machuca, de nationalité péruvienne,
qui se déclare victime d'une violation de la part du Pérou des articles 14
et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Bien
que l'auteur ne le précise pas, la communication pourrait aussi soulever des
questions au regard de l'article 25, alinéa c, et de l'article 2, paragraphe
3, du Pacte. L'auteur est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur était dans la police nationale du Pérou avec le grade de commandant
et occupait le poste de chef de la Brigade des stupéfiants dans la ville
de Trujillo quand, le 2 octobre 1991, M. Aúreo Pérez Arévalo qui avait été
arrêté pour trafic international de stupéfiants, est mort dans les locaux
de la police de San Andrés. D'après l'auteur, le défunt se trouvait sous
la garde et la responsabilité des policiers des Services de la police préventive
(la police administrative) et non pas sous la responsabilité du Département
d'enquête de la Brigade des stupéfiants.
2.2 L'auteur dit qu'après la mort de M. Aúreo Pérez Arévalo, il a déposé
plainte auprès du parquet et du juge d'instruction de la deuxième circonscription
qui se sont immédiatement saisis de l'affaire. Or, dans un rapport du 15
octobre 1991, les Services de conseil juridique de l'état-major général
de la police nationale affirmaient que le juge d'instruction de Trujillo
ne s'était pas saisi de l'affaire parce que le procureur provincial qui
était de service n'avait pas établi le dossier et que, de plus, les faits
montraient que l'affaire relevait de la juridiction administrative et non
pas judiciaire.
2.3 Le 16 octobre 1991, par décision administrative, l'auteur a été démis
de ses fonctions à titre de mesure disciplinaire, après 26 ans de service
(1). Cette décision reposait sur un rapport daté du 8 octobre 1991
qui exposait des conclusions fondées sur un procès-verbal de police lequel,
d'après l'auteur, n'a jamais existé, et sur un deuxième rapport disciplinaire
daté du 16 octobre 1991, dans lequel l'auteur était accusé d'avoir enfreint
l'article 84.C.6 du règlement disciplinaire; or, d'après l'auteur, cet article
vise un cas différent.
2.4 Ce même jour, l'auteur a été arrêté, sans mandat judiciaire et sans
qu'il y ait flagrant délit; il a été conduit à Lima où on l'a obligé à participer
à une conférence de presse. L'auteur affirme que ni la juridiction ordinaire
ni la juridiction militaire ne lui avait imputé la moindre négligence dans
l'exercice de ses fonctions ni la moindre responsabilité pénale ni une autre
infraction pénale, à la suite du décès de M. Pérez Arévalo, raison pour
laquelle il n'a pas été jugé ni condamné.
2.5 Le 25 octobre 1991, les Services de conseil juridique de la Direction
générale de la police nationale du Pérou ont rendu une décision concluant
que l'auteur, en sa qualité de chef de la Brigade des stupéfiants, aurait
dû informer son supérieur hiérarchique de l'arrestation de Aúreo Pérez Arévalo
pour trafic de drogues et ne l'avait pas fait. Toutefois, l'auteur affirme
que dans le rapport de la Direction départementale de la police de Trujillo,
daté du 1er octobre 1991, le supérieur hiérarchique était immédiatement
et dûment informé de l'arrestation des suspects pour trafic de stupéfiants.
De même, par un communiqué daté du 4 octobre 1991, la Direction générale
de la police nationale informait le Ministère de l'intérieur de l'arrestation,
entre autres suspects, de Aúreo Pérez Arévalo.
2.6 D'après l'auteur, la décision du Conseil d'inspection des Services
de la police nationale du Pérou, en date du 16 octobre 1991, qui se fondait
sur les rapports disciplinaires des 8 et 16 octobre 1991 et sur les avis
des Services de conseil juridique de la Direction générale de la police
nationale présentait plusieurs irrégularités constitutives d'une infraction
au règlement du Conseil d'inspection des services, comme des ratures sur
les mentions de l'heure, de la date. De plus, l'auteur n'a pas été avisé
à l'avance de l'audience devant le Conseil d'inspection (2) alors
qu'il allait comparaître en qualité de détenu et avait eu des difficultés
pour préparer sa défense puisqu'il n'avait disposé que de deux minutes pour
exposer son cas, ce qui ne lui avait pas permis de produire des preuves
à décharge.
2.7 Le 30 janvier 1995, l'auteur a formé un recours en amparo auprès
de la troisième juridiction civile de Trujillo pour demander que la décision
suprême de radiation soit déclarée inapplicable. Par une décision du 2 mars
1995, cette juridiction a déclaré la décision inapplicable et a ordonné
que l'auteur soit réintégré dans le service actif de la police nationale
avec le grade de commandant. Le Procureur du Ministère de l'intérieur a
fait appel de cette décision auprès de la première chambre civile de Trujillo,
laquelle a confirmé, le 20 juin 1995, la décision ordonnant la réintégration
l'auteur. Le Procureur a ensuite formé un recours auprès de la chambre constitutionnelle
de la Cour suprême qui, par une décision du 6 décembre 1995, s'est déclarée
incompétente pour connaître du recours. Le 27 décembre 1995, la première
chambre civile de Trujillo a déclaré le recours irrecevable.
2.8 Le 12 janvier 1996, la troisième juridiction civile de Trujillo a ordonné
l'exécution du jugement qu'elle avait rendu le 2 mars 1995, exigeant la
réintégration de l'auteur dans les forces de police avec le grade de commandant.
Le Procureur s'est opposé à cette réintégration en faisant valoir dans un
mémoire en date du 1er février 1996 qu'avant de pouvoir procéder à la réintégration
il fallait suivre une procédure administrative.
2.9 Le 15 février 1996, l'auteur a demandé à la troisième juridiction civile
de Trujillo d'ordonner au Ministère de l'intérieur l'application de la décision
suprême de réintégration dans la police et sa publication au Journal officiel.
Le 23 mai 1996, la juridiction civile a rendu une décision dans laquelle
elle donnait au Ministère de l'intérieur 10 jours pour faire appliquer et
publier la décision de réintégration. Or, le 28 mai 1996, le Procureur de
la police nationale a prononcé la nullité de cette décision, affirmant que
les procédures n'avaient pas toutes été accomplies et qu'il manquait la
signature du Président de la République.
2.10 L'auteur a adressé des notifications certifiées au Ministre de l'intérieur
et au Président de la République, les 8 et 12 août 1996, respectivement,
pour les informer que la décision judiciaire n'avait pas été exécutée. Par
un communiqué du 9 avril 1996, la troisième juridiction civile de Trujillo
a demandé au secrétaire de cabinet du Président où en était la procédure
concernant la demande de confirmation de la décision suprême qui avait été
adressée le 15 février 1996 par le Ministre de l'intérieur au Président
de la République. Le 25 juin 1997, elle a demandé de nouveau au Président
de la République de signer la décision, sans résultat.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que les faits tels qu'il les a exposés constituent
une violation des paragraphes 1 et 2 de l'article 14 du Pacte car le droit
à la présomption d'innocence comme les droits de la défense ont été violés
puisqu'il a été sanctionné et destitué sans avoir été traduit devant un
tribunal compétent et que la procédure administrative a été entachée d'irrégularités.
3.2 L'auteur affirme aussi qu'il y a eu violation de l'article 17 du Pacte
parce que les accusations dont il a fait l'objet ont porté atteinte à sa
réputation, son honneur et son image dans l'exercice de sa fonction de policier,
en particulier après la conférence de presse, qui a compromis ses chances
futures d'avancement au grade de colonel.
Observations de l'État partie
4.1 L'État partie a fait part de ses observations concernant la recevabilité
le 22 mars 2000 et concernant le fond le 27 juillet 2000.
4.2 L'État partie conteste la recevabilité de la communication et affirme
que, afin d'exécuter le jugement prononçant l'inapplicabilité de la décision
de démettre l'auteur de ses fonctions, le Ministère de l'intérieur avait
pris les mesures voulues pour régler l'affaire et, en vertu de la décision
suprême du 21 août 1997, avait ordonné sa réintégration dans le service
actif en tant que commandant de la police nationale. Par conséquent, d'après
l'État partie, il n'y a pas de victime puisque l'affaire a été réglée.
4.3 De plus, l'État partie considère que la communication constitue un
abus du droit de plainte car elle a été soumise un mois après le prononcé
de la décision suprême réintégrant l'auteur dans ses fonctions.
4.4 En ce qui concerne le fond, l'État partie se contente de reprendre
les arguments avancés pour contester la recevabilité et demande au Comité
de déclarer la communication irrecevable.
Commentaires de l'auteur
5.1 L'auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l'État
partie concernant la recevabilité le 2 décembre 2000 et sur les observations
concernant le fond le 23 janvier et le 15 août 2001.
5.2 L'auteur répond aux arguments avancés par l'État partie pour contester
la recevabilité en expliquant que le 15 février 1996, il a engagé une action
constitutionnelle en exécution devant la troisième juridiction civile de
Trujillo, qui a rendu une décision totalement en sa faveur. La décision
a été ultérieurement renvoyée au Tribunal constitutionnel. Le 2 février
1998, le Procureur du Ministère de l'intérieur a remis au Tribunal constitutionnel
la décision suprême datée du 21 août 1997 par laquelle l'auteur était réintégré
dans ses fonctions. Toutefois, le Procureur a omis de mentionner une décision
ultérieure datée du 27 août 1997, par laquelle l'auteur était arbitrairement
mis à la retraite pour renouvellement des cadres. Ainsi, d'après l'auteur,
tout cela a été un simulacre puisqu'au 2 décembre 2000 (3) il n'avait
toujours pas été réintégré dans le service actif, alors qu'il avait été
radié le 16 octobre 1991.
5.3 Pour ce qui est du fond, l'auteur répond aux observations de l'État
partie et affirme que les décisions suprêmes de mise à la retraite pour
renouvellement des cadres prises par le gouvernement d'Alberto Fujimori
ne respectaient pas les garanties de procédure car elles n'étaient jamais
motivées. Il affirme que la décision du 27 août 1997 n'était pas régulière
parce qu'aucun motif n'était indiqué et que par conséquent la mise à la
retraite était arbitraire.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu de l'alinéa
a du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif, que la
même question n'avait pas été soumise à une autre instance internationale
d'enquête ou de règlement.
6.3 Le Comité note que l'État partie conteste la recevabilité de la communication
au motif que par la décision suprême du 21 août 1997 la réintégration dans
le service actif a été ordonnée, ce qui fait que l'affaire a été réglée.
Toutefois, le Comité relève également que l'auteur insiste sur le fait qu'il
n'a toujours pas été réintégré dans ses fonctions. Dans ces circonstances,
le Comité considère que la communication est recevable en particulier pour
ce qui concerne l'article 25 du Pacte, et doit être examinée quant au fond.
Examen de la question quant au fond
7.1 Le Comité a examiné la communication à la lumière de tous les renseignements
présentés par les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du
Protocole facultatif.
7.2 Le Comité note que l'État partie n'a fourni aucune information concernant
le fond des allégations de l'auteur. En l'absence de réponse de la part
de l'État partie, il convient de donner le crédit voulu aux plaintes de
l'auteur, dans la mesure où elles sont étayées.
7.3 En ce qui concerne les allégations de violations des paragraphes 1
et 2 de l'article 14 et de l'article 17 du Pacte, l'auteur affirme que le
droit à la présomption d'innocence a été violé de même que son droit à la
défense parce qu'il a été démis de ses fonctions sans avoir été traduit
devant un tribunal compétent. Le Comité rappelle que le paragraphe 1 de
l'article 14 garantit le droit de toute personne à ce que les contestations
sur ses droits et obligations soient tranchées par un tribunal impartial,
y compris le droit de s'adresser à un tribunal pour des affaires civiles.
À ce sujet, le Comité note que la troisième juridiction civile de Trujillo
ainsi que la première chambre civile de Trujillo ont reconnu que la radiation
de l'auteur avait été illégale et ont rendu les décisions voulues pour qu'il
soit réintégré. Pour cette raison, le Comité considère qu'il n'y a pas eu
violation du droit à une procédure régulière tel qu'il est consacré au paragraphe
1 de l'article 14 du Pacte. Le Comité estime aussi que les juridictions
péruviennes ont reconnu l'innocence de l'auteur et qu'il n'y a donc pas
eu violation du droit énoncé au paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte ni,
pour la même raison, violation de l'article 17 du Pacte.
7.4 Le Comité estime que même si l'auteur ne le précise pas, la communication
soulève des questions au regard de l'alinéa c de l'article 25 relativement
au droit de tout citoyen d'accéder, dans des conditions d'égalité, aux fonctions
publiques de son pays en même temps qu'au regard du droit à ce que les arrêts
et décisions judiciaires soient exécutés. À ce sujet, il prend acte des
arguments de l'auteur qui explique que, malgré la décision suprême datée
du 21 août 1997, il n'a jamais été réintégré dans le service actif et qu'au
contraire une décision suprême a été prise, en date du 27 août 1997, par
laquelle il a été mis à la retraite pour renouvellement des cadres. Étant
donné que l'État partie n'a pas montré que l'auteur avait vraiment été réintégré
dans le service actif et n'a pas précisé non plus à quel grade il se serait
trouvé ni à quelle date il aurait occupé ces fonctions, ce qui aurait été
conforme au droit compte tenu de la décision d'annulation du 2 mars 1995,
le Comité estime qu'il y a eu violation de l'alinéa c de l'article
25 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques estime que les faits dont il est
saisi font apparaître des violations de l'alinéa c de l'article 25
du Pacte, en même temps que du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte.
9. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, le Comité considère
que l'auteur a droit à un recours utile qui doit prendre la forme: a) d'une
réintégration effective dans ses fonctions, à son poste, avec toutes les
conséquences que cela implique, au grade qui lui serait revenu s'il n'avait
pas été révoqué en 1991 ou à un poste similaire (4); b) d'une indemnisation
calculée sur la base d'une somme équivalant au paiement des arriérés de
traitement et de la rémunération qu'il aurait perçue depuis la période où
il a été suspendu de ses fonctions (5). Enfin, l'État partie est
tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas
à l'avenir.
10. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a
reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou
non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est
engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et
relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité
souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements
sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. Il est également
demandé à l'État partie de rendre publiques les présentes constatations.
_____________________
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres suivants du Comité ont participé à l'examen de la présente
communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal
Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin,
M Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer
Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, M. Martin Scheinin,
M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Patrick Vella et M. Maxwell
Yalden.
1. Dans cette décision, l'auteur est déclaré avoir commis des atteintes graves
à la discipline et à la mission de la police en ayant procédé irrégulièrement
à une arrestation dans une affaire de trafic illégal de stupéfiants, à la
suite de laquelle le suspect, Aúreo Pérez Arévalo, avait trouvé la mort.
2. L'auteur ne précise pas la date à laquelle cette audience a eu lieu.
3. Date des commentaires de l'auteur concernant la recevabilité.
4. Voir les constatations du Comité au sujet de la communication no 630/1995,
Abdoulaye Mazou c. Cameroun, par. 9, et de la communication
no 641/1995, Gedumbé c. République démocratique du Congo.
5. Voir les constatations au sujet des communications no 422/1990, 423/1990
et 424/1990 Adimayo M. Aduayom, Sofianou T. Diasso et Yawo S. Dobou
c. Togo, par. 9.