Convention Abbreviation: CCPR
Quatre-vingt-et-unième session
5 - 30 juillet 2004
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques*
- Quatre-vingt-et-unième session -
Communication No. 911/2000
Au nom de: L'auteur
État partie: Ouzbékistan
Date de la communication: 28 octobre 1999 (lettre initiale)
Réuni le 6 juillet 2004,
Ayant achevé l'examen de la communication no 911/2000 présentée par M. Abdumalik Nazarov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication,
Adopte ce qui suit:
1.2 Le Pacte et son protocole facultatif sont entrés en vigueur à l'égard de l'Ouzbékistan le 28 décembre 1995.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le matin du 26 décembre 1997, l'auteur, accompagné de son père Sobitkhon et de son frère Umarkhon, se rendait en voiture du Kirghizistan en Ouzbékistan pour voir sa mère. Après avoir passé la frontière, la voiture a été arrêtée en territoire ouzbek par la milice, à Vodil, village de la province du Fergana. Les miliciens ont contrôlé leurs papiers et, sans donner de raison, ont fouillé leur voiture. Bien qu'ils n'aient rien trouvé de suspect, ils ont pris les clefs de la voiture et ont emmené les Nazarov au bureau régional du Ministère des affaires intérieures (MAI), où ils ont été mis en détention. Tout ce qu'on leur a dit, c'est qu'ils faisaient l'objet de soupçons. La voiture a alors été fouillée une deuxième fois en présence des Nazarov, cette fois par des fonctionnaires du MAI, et cette deuxième fouille n'a pas non plus donné de résultat.
2.2 Vers 18 h 30 le 26 décembre 1997, soit 10 heures environ après leur arrestation à la frontière, les Nazarov ont été emmenés dans la cour des bâtiments du MAI, où leur voiture a été à nouveau fouillée. Cette fois un paquet en papier, dont le contenu sentait le chanvre, y a été trouvé sous un tapis. Le tapis était déjà dans la voiture au cours des deux premières fouilles, et il recouvrait alors un outil qui avait maintenant disparu. L'analyse du sac en papier pratiquée le lendemain a révélé qu'il contenait 12 grammes de chanvre. Le 28 décembre 1997, l'auteur a été accusé de possession de stupéfiants avec l'intention de les vendre, délit tombant sous le coup de l'article 276 du Code pénal ouzbek. Il a ultérieurement été aussi accusé d'avoir introduit des marchandises de contrebande en violation du paragraphe 1 de l'article 246 du Code pénal. Le 30 décembre 1997, son père et son frère ont été relâchés.
2.3 Le 27 décembre 1997, les autorités ont fouillé le domicile du père de l'auteur, où elles ont trouvé un grand nombre de formulaires vierges portant l'en-tête d'une organisation dénommée «Comité des musulmans d'Asie». Ces documents ont été identifiés comme appartenant à l'auteur, qui a été accusé de falsification de documents en vertu de l'article 228 du Code pénal.
2.4 L'auteur affirme que les drogues découvertes dans la voiture ne lui appartenaient pas et avaient été placées là par les autorités pour justifier sa mise en détention. Selon lui, les autorités avaient largement eu le temps de le faire, puisqu'elles avaient eu les clefs de la voiture en leur possession pendant plus de 10 heures. Il fait valoir que, si les drogues avaient été dans la voiture depuis le début, elles auraient été trouvées lors de la première fouille, d'autant que le paquet dégageait une forte odeur de chanvre. L'auteur signale qu'il est le plus jeune frère de Sheikh Obidkhon Nazarov, et qu'il a déjà fait l'objet de voies de fait de la part du MAI.
2.5 L'auteur dit que les documents trouvés dans la maison de son père lui avaient été donnés par une personne de connaissance, et qu'il avait simplement l'intention de les utiliser pour emballer des fruits au marché de Tachkent, où il avait un étal. En outre, il déclare que les documents ne sont pas ceux d'un organisme officiel, et ne peuvent donc pas faire l'objet d'une falsification punie par la loi. Il note que la loi ouzbèke ne considère comme un délit que la falsification de documents ayant un caractère officiel, et ayant des conséquences juridiques pour les droits de la personne qui les a en sa possession, ce qui n'était pas le cas des documents en cause.
2.6 Le 4 mai 1998, l'auteur a été reconnu coupable des délits suivants par le tribunal de première instance du Fergana, qui l'a condamné aux peines suivantes: contrebande (art. 246.1 du Code pénal) - sept ans d'emprisonnement; possession de stupÚfiants sans intention de les vendre (art. 276 du Code pÚnal) - deux ans d'emprisonnement; falsification de documents (art. 228 du Code pÚnal) - deux ans d'emprisonnement. Il a ÚtÚ condamnÚ au total Ó neuf ans d'emprisonnement assorti de travaux forcÚs et de confiscation de biens.
2.7 L'auteur a été débouté par la cour d'appel du Fergana le 15 juin 1998. Il a été également débouté par la Cour suprême de l'Ouzbékistan le 9 septembre 1999.
2.8 L'auteur fait valoir plusieurs irrégularités de procédure en rapport avec son arrestation et son procès. Il dit que lui-même, son frère et son père ont été arrêtés à la frontière sans motif valable, et que leur arrestation était donc contraire à l'article 221 du Code de procédure pénale. Il affirme que cette arrestation n'a été confirmée par l'autorité compétente que le 31 décembre 1997, cinq jours plus tard, soit bien après la limite de 72 heures qu'impose le Code de procédure pénale. À cet égard, selon l'ordonnance no 2 de l'assemblée plénière de la Cour suprême de la République d'Ouzbékistan, datée du 2 mai 1997, les tribunaux ne doivent pas fonder leurs décisions sur des preuves obtenues en violation de la loi.
2.9 En outre, le tribunal n'aurait pas permis à l'avocat de la défense de désigner un expert pour déterminer l'origine géographique du chanvre. La défense avait essayé de prouver que le chanvre avait été produit en Ouzbékistan et non au Kirghizistan, et qu'il venait donc plus probablement des membres de la milice ouzbèke que de l'auteur, qui habitait au Kirghizistan.
Teneur de la plainte
3. L'auteur affirme être victime de violations du paragraphe 1 de l'article 10, des paragraphes 2 et 3 b), c) et d) de l'article 14, ainsi que du paragraphe 1 de l'article 18, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il affirme en outre avoir été arrêté et détenu illégalement et que son procès n'a pas été équitable.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond
4. Malgré les rappels qui lui ont été adressés le 26 février 2001 et le 24 juillet 2001, l'État partie n'a pas fait d'observations sur la recevabilité et le fond de l'affaire.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
5.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2 Le Comité s'est assuré que la même question n'était pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement, comme l'exige le paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif. En ce qui concerne l'épuisement des recours internes, le Comité a noté que, conformément aux renseignements qui lui ont été communiqués par l'auteur, tous les recours internes disponibles ont été épuisés. En l'absence de toute information de la part de l'État partie, le Comité considère que les conditions prévues à l'article 5 b) du Protocole facultatif sont remplies.
5.3 Le Comité relève que les allégations de l'auteur au titre des paragraphes 3 b), c) et d) de l'article 14 ne sont pas étayées par des détails concrets: ainsi, l'auteur ne dit pas s'il a ou non disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense (par. 3 b) de l'article 14). Il ressort de la communication que l'affaire a été jugée sans retard par les juridictions de différents degrés (par. 3 c) de l'article 14). Rien n'indique que l'auteur ait été privé des droits que lui garantit le paragraphe 3 d) de l'article 14. Au contraire, il ressort du dossier que le procès s'est déroulé en présence de l'accusé, et que celui-ci était défendu par un conseil. En conséquence, le Comité conclut que ces allégations n'ont pas été étayées et qu'elles sont donc irrecevables en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
5.4 De même, la communication ne contient aucun renseignement à l'appui des allégations de l'auteur au titre des articles 10 et 18. En particulier, son conseil n'a pas communiqué de renseignements concernant les mauvais traitements que l'auteur aurait subis de la part des représentants de la loi pendant la durée de sa détention. De même, l'auteur n'a pas suffisamment étayé son allégation selon laquelle sa liberté de pensée et de religion a été restreinte. En conséquence, le Comité conclut que ces allégations sont irrecevables en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
5.5 En ce qui concerne les allégations se référant au paragraphe 3 de l'article 9 et à l'article 14, le Comité considère qu'elles sont suffisamment fondées aux fins de la recevabilité et décide de les examiner quant au fond.
Examen quant au fond
6.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif. Il note avec préoccupation que l'État partie n'a pas fourni de renseignements pour faire la lumière sur les questions soulevées dans la communication. Il rappelle que le paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif exige des États parties qu'ils examinent de bonne foi toutes les allégations présentées contre eux et fournissent au Comité tous les renseignements utiles dont ils disposent. Si l'État partie ne coopère pas avec le Comité sur les questions soulevées, il convient d'accorder le crédit voulu aux allégations de l'auteur dans la mesure où celles-ci ont été étayées. Le Comité note que l'auteur a fait des allégations précises et détaillées concernant son arrestation et son procès, et que l'État partie n'y a pas répondu.
6.2 En ce qui concerne le paragraphe 3 de l'article 9, l'auteur note que son arrestation a été confirmée par l'autorité compétente le 31 décembre 1997, cinq jours après sa mise en détention, sans qu'il ait été, semble-t-il, présenté devant un juge ou une autre autorité judiciaire. De toute façon, le Comité ne considère pas qu'un délai de cinq jours puisse être considéré comme «le plus court délai» envisagé au paragraphe 3 de l'article 9. (2) En conséquence, à défaut d'explications de l'État partie, le Comité considère que la communication fait apparaître une violation du paragraphe 3 de l'article 9 par l'État partie.
6.3 L'auteur prétend encore que l'État partie a violé l'article 14, et il signale un certain nombre de circonstances qui, selon lui, démontrent manifestement son innocence. Le Comité, rappelant sa jurisprudence, relève que c'est aux juridictions des États parties, et non à lui-même, qu'il appartient de manière générale d'examiner ou d'apprécier les faits et les éléments de preuve, sauf s'il est établi que la conduite du procès ou l'appréciation des faits et éléments de preuve ont été manifestement arbitraires ou ont constitué un déni de justice. Toutefois, en l'espèce, l'auteur soutient que l'État partie a violé l'article 14 du Pacte, en ce que le tribunal n'a pas fait droit à sa demande tendant à nommer un expert pour déterminer l'origine géographique du chanvre, ce qui aurait pu constituer un élément de preuve déterminant dans le procès. Le Comité a noté à cet égard que le tribunal, dans la décision qui lui a été soumise, a rejeté la demande sans justifier ce refus; en l'absence de toute explication de la part de l'État partie, le Comité estime que ce refus est contraire au principe du respect de l'égalité entre l'accusation et la défense dans la présentation de preuves. Le Comité décide par conséquent que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l'article 14 du Pacte.
7. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits qui lui ont été communiqués font apparaître des violations du paragraphe 3 de l'article 9 et de l'article 14 du Pacte.
8. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, le Comité considère que l'auteur doit disposer d'un recours utile sous la forme d'une indemnisation et d'une libération immédiate.(3)
9. En adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte et, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.
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[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement, en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]
** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood et M. Roman Wieruszewski.
1. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l'Ouzbékistan le 28 décembre 1945.
2. Voir par exemple la communication no 852/1999, Borisenko c. Hongrie, 14 octobre 2002, à propos de laquelle le Comité avait considéré qu'une durée de trois jours ne constituait pas le «plus court délai».
3. Voir par exemple Gridin c. Fédération de Russie, communication no 770/1997, constatations adoptées le 20 juillet 2000.