Convention Abbreviation: CCPR
Quatre-vingt-deuxième session
18 octobre - 5 novembre 2004
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques*
- Quatre-vingt-deuxième session -
Communication No. 912/2000
Au nom de: M. Deolall (époux de l'auteur)
État partie: République du Guyana
Date de la communication: 17 août 1998 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er novembre 2004,
Ayant achevé l'examen de la communication no 912/2000, présentée au nom de M. Deolall en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
1.2 Conformément à l'article 86 de son règlement intérieur, le Comité, par l'intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a demandé à l'État partie le 7 février 2000 de ne pas exécuter M. Deolall tant que sa communication serait à l'examen. Aucune réponse de l'État partie à cette demande n'a été reçue.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 M. Deolall a été arrêté le 26 octobre 1993 et inculpé de meurtre le 3 novembre 1993. Le 22 novembre 1995, il a été reconnu coupable de meurtre et condamné à mort par la cour d'assises de Georgetown. Il a fait appel devant la High Court puis devant la cour d'appel. Les moyens avancés en appel devant la cour d'appel étaient les suivants: a) le juge du fond n'avait pas présenté convenablement aux jurés la défense de l'accusé, et b) le juge du fond avait déclaré recevables des preuves qui ne l'étaient pas, à savoir des aveux qui n'auraient pas été spontanés. La cour d'appel a rejeté son recours et le Président de la Cour a confirmé la condamnation à mort le 30 janvier 1997. Selon l'auteur, les recours internes ont ainsi été épuisés. L'auteur fait observer que M. Deolall est dans le quartier des condamnés à mort depuis novembre 1995 et que sa peine aurait dû être commuée.
2.2 Selon l'auteur, M. Deolall a été condamné sur la base d'un seul élément de preuve, les aveux qu'il aurait signés après avoir été brutalisé par les policiers au cours de l'interrogatoire. Si les registres de main courante de la police indiquent que le corps de M. Deolall ne portait aucune marque de violence, il a été révélé au procès que l'intéressé en présentait bien lorsqu'il avait été examiné séparément par trois médecins. Il apparaît à la lecture des comptes rendus d'audience soumis par l'auteur que M. Deolall a été examiné les 30 octobre et 8 novembre 1993. Le docteur Persaud, qui l'a vu le 30 octobre 1993, indique dans son rapport: «L'examen a révélé une légère contusion à la partie inférieure de la région de la fosse iliaque gauche (partie inférieure gauche de l'abdomen).». Le docteur Maynard, qui avait examiné M. Deolall le même jour, a fait la même constatation. Le docteur Joshua Deen, qui l'avait vu le 8 novembre 1993, a indiqué dans son rapport que M. Deolall «présentait des égratignures dans le dos et qu'à son avis elles remontaient à la période du 27 au 31 octobre 1993, soit aux jours précédant les aveux présumés».
2.3 Selon l'auteur, «le frère de M. Deolall, soupçonné du même crime, a été abattu par la police mais n'a jamais été inculpé».
2.4 Le 1er juin 2004, l'auteur a donné de nouvelles informations concrètes sur le déroulement du procès et les conditions de détention.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que son époux a été frappé et brutalisé par les policiers pendant les interrogatoires au commissariat de police.
3.2 L'auteur affirme que M. Deolall est innocent et que son procès n'a pas été équitable.
3.3 L'auteur ajoute que son époux a été contraint de signer des aveux après avoir été frappé par les policiers et que c'est sur cette seule base qu'il a été condamné.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
4.1 Par des lettres datées du 7 février 2000, du 28 février 2001, du 24 juillet 2001, du 8 avril 2004 et du 9 août 2004, l'État partie a été invité à présenter au Comité des informations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité note qu'il n'a toujours pas reçu de réponse et regrette que l'État partie ne lui ait fourni aucun renseignement concernant la recevabilité ou le fond des allégations de l'auteur. Il rappelle qu'il ressort implicitement du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif que les États parties doivent examiner de bonne foi toutes les allégations portées contre eux et communiquer au Comité tous les renseignements dont ils disposent. En l'absence de réponse de la part de l'État partie, il convient d'accorder le crédit voulu aux allégations de l'auteur, dans la mesure où celles-ci ont été suffisamment étayées.
4.2 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.3 Le Comité s'est assuré que la même question n'est pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif.
4.4 M. Deolall a fait appel de sa condamnation et a été débouté. En l'absence d'argument à l'appui de la thèse inverse, le Comité considère que M. Deolall a épuisé les recours internes. (2)
4.5 Le Comité note que la communication a été soumise avant que le Guyana ne dénonce le Protocole facultatif, le 5 janvier 1999, et n'y adhère de nouveau en formulant une réserve quant à la compétence du Comité pour examiner les communications concernant des condamnations à la peine de mort. Il en conclut que cette dénonciation n'affecte en rien sa compétence. Le Comité ne voit aucun motif qui pourrait le conduire à déclarer la communication irrecevable et procède à son examen sur le fond.
Examen au fond
5.1 L'auteur affirme que M. Deolall a subi des mauvais traitements quand il était interrogé par les policiers et qu'il a été contraint de signer des aveux, allégation qui soulève des questions au titre des paragraphes 1 et 3 g) de l'article 14 et de l'article 6 du Pacte. Le Comité renvoie à ses décisions antérieures selon lesquelles le libellé du paragraphe 3 g) de l'article 14 en vertu duquel toute personne «a droit à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable» doit s'entendre comme interdisant toute contrainte physique ou psychologique, directe ou indirecte, des autorités d'instruction sur l'accusé, dans le but d'obtenir un aveu, et réitère qu'il est implicite dans ce principe que l'accusation doit prouver que les aveux ont été faits sans contrainte. (3) En l'espèce, le Comité relève que le témoignage des trois médecins qui ont déclaré au procès que M. Deolall présentait des lésions, évoqué au paragraphe 2.2 ci-dessus, ainsi que la déclaration de M. Deolall lui-même semblent corroborer l'allégation selon laquelle ces mauvais traitements se sont bien produits au cours des interrogatoires de police, avant que l'intéressé ne signe ses aveux. Dans les instructions données au jury, la Cour a clairement indiqué que si les jurés concluaient que M. Deolall avait été frappé par la police avant de passer aux aveux, même si les coups avaient été légers, ils ne pourraient accorder aucune valeur à de tels aveux et devraient acquitter l'accusé. Toutefois, la Cour n'a pas précisé aux jurés qu'ils devraient avoir la conviction que l'accusation avait réussi à établir que les aveux étaient spontanés.
5.2 Le Comité réaffirme que, de manière générale, il ne lui appartient pas d'examiner ou d'apprécier les faits et les éléments de preuve présentés à une juridiction nationale. En l'espèce toutefois, le Comité est d'avis que les instructions données au jury soulèvent une question au titre de l'article 14 du Pacte, étant donné que l'accusé avait pu apporter un commencement de preuve montrant qu'il avait été maltraité et que la Cour n'a pas averti le jury qu'il incombait dès lors à l'accusation de prouver que les aveux avaient été spontanés. Cette erreur constituait une atteinte au droit à un procès équitable garanti par le Pacte ainsi qu'au droit de M. Deolall à ne pas être forcé de témoigner contre lui-même ou de s'avouer coupable, à laquelle il n'avait pas été remédié en appel. Le Comité conclut par conséquent que l'État partie a commis une violation des paragraphes 1 et 3 g) de l'article 14 du Pacte à l'égard de M. Deolall.
5.3 Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, la condamnation à la peine capitale à l'issue d'un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées constitue, en l'absence de toute autre possibilité de faire appel de cette sentence, une violation de l'article 6 du Pacte. (4) En l'espèce, étant donné que la condamnation à mort a été prononcée en dernier ressort sans que le droit à un procès équitable, consacré par l'article 14 du Pacte, ait été respecté, force est de conclure que le droit protégé par l'article 6 du Pacte a également été violé.
6. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l'article 6 et des paragraphes 1 et 3 g) de l'article 14 du Pacte.
7. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu d'assurer à M. Deolall un recours utile, sous la forme d'une mise en liberté ou d'une commutation de peine.
8. En adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y a eu ou non violation du Pacte. Conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
_________________________
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]
** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la présente communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari-Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood, M. Roman Wieruszewski et M. Maxwell Yalden.
1. Le dossier ne contient aucune information sur le lieu de détention.
2. Le Guyana n'est pas soumis à la procédure de recours de la section judiciaire du Conseil privé.
3. Berry c. Jamaïque, communication no 330/1988, constatations adoptées le 4 juillet 1994 et Nallaratnam Singarasa c. Sri Lanka, communication no 1033/2001, constatations adoptées le 21 juillet 2004.
4. Voir Taylor c. Jamaïque, communication no 705/1996; Levy c. Jamaïque, communication no 719/1996.