Comité des droits de l'homme
Soixante-treizième session
15 octobre - 2 novembre 2001
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Soixante-treizième session -
Communication no 925/2000
Présentée par: M. Wan Kuok Koi (représenté par un conseil, M. Pedro Redinha)
Au nom de: L'auteur
État partie: Portugal
Date de la communication: 15 décembre 1999 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le: 22 octobre 2001
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1 L'auteur de la communication, datée du 15 décembre 1999, est M. Wan Kuok Koi, ressortissant portugais résidant à Macao, où il purge actuellement une peine d'emprisonnement à la prison de Coloane. Au moment où la communication a été présentée, Macao était un territoire placé sous juridiction chinoise et administration portugaise (art. 292 de la Constitution portugaise). L'auteur de la communication se déclare victime d'une violation de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.
1.2 Le Portugal est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques depuis le 15 septembre 1978 et au Protocole facultatif depuis le 3 août 1983. Le 27 avril 1993, le Portugal a donné notification de l'applicabilité du Pacte à Macao. Il n'en a apparemment pas fait de même concernant l'applicabilité du Protocole facultatif. Le Portugal n'a toutefois formulé aucune réserve ni déclaration excluant l'applicabilité du Protocole facultatif à Macao.
1.3 Au moment où la communication a été présentée, Macao était toujours sous administration portugaise. Le territoire est repassé sous administration chinoise le 20 décembre 1999, soit quatre jours après le dépôt de la communication contre le Portugal.
1.4 Jusqu'au 19 décembre 1999, le statut de Macao était régi par la Loi fondamentale sur le statut de Macao du 15 février 1976 (Loi no 1/76). L'article 2 stipule que le territoire de Macao est doté de la personnalité juridique au regard du droit international public et jouit d'une autonomie administrative, économique, financière et législative dans le cadre de la Constitution portugaise. En revanche, le système judiciaire relevait du système portugais d'administration de la justice. Le statut de Macao au regard du droit international public était également défini dans la déclaration conjointe sino-portugaise de Beijing du 13 avril 1987 (entrée en vigueur le 15 janvier 1998), aux termes de laquelle Macao était un territoire chinois sous administration portugaise, comme cela avait été convenu dès 1976 dans le cadre d'accords secrets. Et de fait, dans la Constitution portugaise du 2 avril 1976, Macao ne figure pas parmi les territoires relevant de la juridiction portugaise, mais est au nombre des territoires sous administration portugaise.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été incarcéré le 1er mai 1998 à la prison de Coloane à Macao parce qu'on le soupçonnait d'avoir été l'instigateur d'une tentative d'attentat dirigée contre le Directeur de la police judiciaire de Macao. Quarante-huit heures plus tard, il a comparu devant le juge chargé des poursuites pénales, qui a estimé qu'il n'existait aucun élément de preuve permettant d'établir que l'auteur était impliqué dans la tentative d'attentat, mais qu'il était soupçonné d'appartenir à une association secrète. En conséquence, il a été placé en détention provisoire.
2.2 En mai 1998, l'auteur a contesté sans succès la légitimité de sa détention devant la Cour supérieure de Macao (Tribunal Superior de Justiça de Macau, qui est l'instance suprême du territoire), et qui, dans un jugement rendu le 21 juillet 1998, a statué que le défendeur appartenait à l'association secrète appelée «14-K, 14 carats».
2.3 Le procès collectif de l'auteur et de neuf autres défendeurs, qui étaient inculpés d'appartenance à une association secrète (crime), s'est ouvert le 27 avril 1999, pour être immédiatement reporté au 17 juin 1999. Le président du tribunal a démissionné et quitté le territoire de Macao. L'auteur fait valoir que, selon la procédure applicable, l'affaire aurait dû être immédiatement renvoyée au suppléant du président, au lieu de quoi un nouveau juge a été dépêché du Portugal à Macao pour y présider la chambre chargée du procès. Ce dernier est d'ailleurs rentré au Portugal immédiatement après la conclusion de la procédure. L'auteur fait valoir qu'une telle façon de procéder était illégale puisqu'elle contrevenait à l'article 31.2 du décret-loi no 55/92/M du 18 août 1992.
2.4 Le procès a été à nouveau reporté au 29 septembre, puis au 11 octobre 1999. Les droits de la défense auraient été violés, en particulier le principe de la présomption d'innocence, que le président aurait enfreint en tenant à plusieurs reprises, et dès la première audience, des propos sur la culpabilité de l'auteur. De plus, on aurait tout d'abord empêché les avocats de la défense d'avoir des contacts avec leurs clients jusqu'à la fin de la phase du procès consacrée aux dépositions des témoins (cette mesure a été levée après que la presse eut protesté). Le barreau de Macao aurait adressé d'urgence une communication au Conseil judiciaire du territoire pour se plaindre des propos du juge,qui avaient été consignés dans le procès-verbal; le juge avait déclaré que les défendeurs étaient «naturellement dangereux» et laissé entendre que les avocats auraient essayé d'intimider les témoins.
2.5 Huit des dix défendeurs, dont l'auteur, ont demandé la récusation du nouveau président, arguant des doutes qu'ils nourrissaient quant à son impartialité; ils se fondaient sur certains propos du juge qu'ils estimaient entachés de préjugés. Mais la Cour supérieure, dans un arrêt du 15 octobre 1999, a rejeté la requête, a refusé de dessaisir le juge en question et a autorisé la poursuite du procès. Une deuxième demande de révocation présentée le 25 octobre 1999 a été rejetée le 29 octobre 1999. Ce même jour, le conseil de l'auteur s'est désisté en faisant valoir, dans un mémoire présenté au greffe, qu'il ne pouvait pas continuer à assurer valablement et efficacement la défense de son client. Suite au désistement du conseil de la défense, le président a commis à la défense de l'auteur un jeune avocat qui avait jusqu'ici assisté au procès, mais a rejeté la demande du nouveau conseil, qui souhaitait une suspension de l'audience afin de prendre connaissance du dossier. Ce nouvel avocat s'étant également désisté, le président a désigné un greffier, puis un second greffier pour assurer la défense de l'auteur; or, ni l'un ni l'autre ne remplissait les conditions minimales requises pour le faire. C'est ainsi que l'auteur a été jugé sans l'assistance d'un avocat et sans avoir la possibilité d'en désigner un autre.
2.6 Le 29 octobre 1999, la récusation du président a été demandée pour la troisième fois, demande qui a été rejetée le 8 novembre 1999.
2.7 Le jugement a été rendu le 23 novembre 1999 en vertu duquel l'auteur a été condamné à 15 ans de réclusion. L'auteur a interjeté appel auprès du tribunal de deuxième instance (Tribunal de Segunda Instância, affaire no 46/2000), qui a examiné cet appel en mars 2000 et rendu son jugement le 28 juillet 2000. Ce jugement a été confirmé en dernier ressort (Tribunal de Ultima Instância) dans un jugement en date du 16 mars 2001.
2.8 L'affaire n'a été soumise à aucune autre procédure internationale d'enquête ou de règlement.
Teneur de la plainte
3. Le conseil invoque de multiples violations de l'article 14: refus du droit à un procès équitable devant un tribunal compétent et impartial, allégation de violation de la présomption d'innocence, allégation de violation des garanties fondamentales de la défense, notamment du droit de l'accusé à l'assistance d'un défenseur et à une représentation adéquate pendant le procès (1).
Observations communiquées par l'État partie et commentaires de l'auteur
4.1 Dans sa réponse du 29 juin 2000, l'État partie invoque l'article 2 de la Loi fondamentale sur le statut de Macao, selon laquelle le territoire jouissait d'un statut autonome et ne relevait pas de la juridiction du Portugal. Il fait valoir qu'alors que l'application du Pacte a été étendue à Macao par le Parlement portugais, par la résolution 41/92 du 17 décembre 1992, aucune résolution en ce sens n'a été adoptée en ce qui concerne le Protocole facultatif.
4.2 L'État partie indique également que le Protocole facultatif ne figure pas dans la liste de traités que le Gouvernement portugais a communiquée au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies en novembre 1999 dans une note concernant les traités pour lesquels la République populaire de Chine avait accepté d'assumer la succession.
4.3 L'État partie cite le texte de l'article premier du Protocole facultatif, en indiquant que Macao n'était pas partie au Protocole. C'est pourquoi il prie le Comité de déclarer la communication irrecevable.
4.4 À défaut, l'État partie demande que l'affaire soit déclarée irrecevable au motif qu'une procédure internationale serait illégitime étant donné que le Portugal n'est plus responsable de Macao.
4.5 Par ailleurs, l'État partie fait valoir que les recours internes n'ont pas été épuisés puisque aucune décision n'a encore été prise concernant l'appel. L'argument selon lequel les décisions concernant les demandes de récusation du juge président sont finales n'est pas valable, étant donné que l'épuisement des recours internes doit être entendu comme s'appliquant à l'ensemble de la procédure. De plus, la décision en appel ne relèvera pas de la responsabilité du Portugal, puisqu'elle sera prise par un tribunal de la Région administrative spéciale de Macao, qui relève de la juridiction de la République populaire de Chine.
5.1 Dans ses commentaires, datés du 29 septembre 2000, l'auteur fait valoir que le Protocole facultatif est un instrument additionnel au Pacte et que son application à Macao devrait donc être réputée avoir été réglée par la résolution 41/92 du 17 décembre 1992.
5.2 Bien que le territoire soit repassé sous l'administration de la République populaire de Chine le 19/20 décembre 1999, il est clair que les événements en question se sont produits à une époque où le Portugal était responsable de Macao et lié par le Protocole facultatif.
5.3 En ce qui concerne le non-épuisement des recours internes, l'auteur fait valoir qu'il est légitime de séparer les décisions relatives à l'impartialité du juge de celles qui portent sur sa propre culpabilité ou innocence. Il souligne que les violations qu'il invoque ont été commises par un tribunal relevant de la juridiction du Portugal et non par des tribunaux qui relèvent de la juridiction de la République populaire de Chine. De plus, une décision a été prise le 28 juillet 2000 concernant l'appel formé devant le tribunal de deuxième instance.
5.4 Le tribunal de deuxième instance a examiné les allégations de l'auteur, notamment celles selon lesquelles le tribunal ne serait ni compétent ni impartial, le président du tribunal était défavorable aux défendeurs, les principes de la procédure contradictoire et de l'égalité des armes avaient été systématiquement violés (voir arrêt, sect. 1.5.A). Dans son arrêt, la Cour a confirmé la compétence du tribunal de première instance et considéré que les autres allégations de l'auteur touchant des irrégularités de procédure étaient sans fondement. Elle a confirmé que l'auteur était coupable d'appartenance à une société secrète et d'usure, mais la peine a été ramenée à 13 ans et 10 mois. Cette sentence a été confirmée par le tribunal de dernière instance dans son arrêt du 16 mars 2001.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 En ce qui concerne l'application du Protocole facultatif à Macao pendant la période où le territoire était sous administration portugaise, soit jusqu'au 19 décembre 1999, le Comité note que l'État partie a adhéré au Protocole facultatif avec effet au 3 août 1983. Il note en outre que l'application du Protocole ne peut être fondée sur l'article 10 du Protocole facultatif du fait que Macao n'est pas devenue une partie constitutive du Portugal après l'adoption de la nouvelle Constitution en 1976. Il n'est pas possible non plus de tirer une conclusion positive de la résolution 41/92 du Parlement portugais, qui a étendu officiellement le champ d'application du Pacte à Macao, puisque le Pacte et le Protocole facultatif sont des instruments distincts.
6.3 En revanche, le Comité n'est pas d'avis que l'absence de déclaration concernant l'applicabilité du Protocole facultatif rend les dispositions du Protocole inapplicables en l'espèce. Il rappelle la première phrase de l'article premier du Protocole facultatif:
«Tout État partie au Pacte qui devient Partie au présent Protocole reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d'une violation, par cet État partie, de l'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte».
Tous ces éléments sont réunis en l'espèce. Le Portugal est partie au Pacte et au Protocole facultatif et à ce titre a reconnu la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers «relevant de sa juridiction». Les résidents de Macao relevaient de la juridiction du Portugal jusqu'au 19 décembre 1999. En l'espèce, l'État partie a exercé sa juridiction sur l'auteur par l'intermédiaire des tribunaux.
Étant donné que le but du Protocole facultatif est de mieux assurer la mise en uvre des droits énoncés dans le Pacte, l'inapplicabilité de ses dispositions dans toute région relevant de la juridiction d'un État partie ne peut pas être supposée en l'absence d'indication expresse (réserve/déclaration) en ce sens. Or il n'existe aucun acte de cette nature. Par conséquent, le Comité conclut qu'il a compétence pour recevoir et examiner la communication de l'auteur dans la mesure où elle concerne des allégations de violation par le Portugal de l'un des droits énoncés dans le Pacte (2).
6.4 Pour ce qui est de la question de l'épuisement des recours internes, l'article 2 du Protocole facultatif est ainsi libellé:
«Sous réserve des dispositions de l'article premier, tout particulier qui prétend être victime d'une violation de l'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte et qui a épuisé tous les recours internes disponibles peut présenter une communication écrite au Comité pour qu'il l'examine.». (Non souligné dans le texte).
Les implications de ces dispositions sont claires. Tant que les recours disponibles en droit interne n'ont pas été épuisés, un particulier qui estime que les droits qui lui sont conférés par le Pacte ont été violés ne peut pas soumettre une communication au Comité. Il incombe par conséquent au Comité de déclarer irrecevable toute communication qui lui est adressée avant que cette condition ait été remplie. Et de fait le Comité a pour pratique de ne pas recevoir une communication quand il apparaît clairement qu'il reste des recours internes disponibles. Ainsi, par exemple, quand il s'agit de plaintes pour violations du droit à un procès équitable, en matière criminelle, le Comité ne reçoit ni n'enregistre la communication quand il est évident que le requérant a fait appel et que la Cour n'a pas encore statué. Malheureusement, on ne peut pas toujours savoir d'après la communication elle-même si des voies de recours internes étaient offertes à l'auteur et dans l'affirmative s'il s'en est bien prévalu. En pareil cas, le Comité n'a pas d'autre solution que d'enregistrer la communication et de se prononcer sur la recevabilité après avoir pris connaissance des observations présentées par l'auteur et par l'État partie sur la question des recours internes. Lorsqu'il étudie la question de la recevabilité des communications au regard du paragraphe 2) b) de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité suit généralement la pratique des autres organes de décision internationaux en cherchant à déterminer si les recours internes sont épuisés au moment de l'examen de la communication (et non pas au moment où elle a été soumise). Cette pratique a pour but d'éviter qu'une communication soit rejetée comme irrecevable alors que pendant le temps écoulé avant que le Comité n'examine la communication, les recours internes auront pu être épuisés; en pareil cas en effet il suffirait à l'auteur de soumettre une nouvelle communication dénonçant la même violation. Il convient toutefois de souligner que cette pratique suppose que le statut juridique de l'État partie n'a pas changé entre le moment où la communication a été soumise et celui où elle est examinée et que, par conséquent, rien ne s'opposerait sur le plan juridique à ce que l'auteur adresse une nouvelle communication concernant la violation alléguée. Lorsque ce n'est pas le cas, la pratique devient incompatible avec les prescriptions du Protocole facultatif.
6.5 En l'espèce, les griefs de l'auteur concernant la compétence du juge spécialement délégué du Portugal comme les plaintes se rapportant à des violations des droits énoncés à l'article 14 du Pacte qui auraient été commises au cours du procès ont été exprimés dans le recours formé devant le Tribunal de Segunda Instância de Macao. La juridiction n'avait pas encore statué au moment du dépôt de la communication. L'arrêt de la juridiction de recours a été rendu le 28 juillet 2000 et celui du Tribunal de dernier ressort le 16 mars 2001, alors que Macao n'était plus administrée par le Portugal. Il s'ensuit que les recours internes n'étaient pas épuisés au moment du dépôt de la communication et que, de ce fait, en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif, l'auteur ne pouvait pas soumettre une communication. Lorsque les recours internes ont été effectivement épuisés, l'auteur ne relevait plus de la juridiction du Portugal et sa communication était irrecevable au titre de l'article premier du Protocole facultatif.
6.6 Il convient en outre de noter que le fait que Macao ne relevait plus de la juridiction du Portugal lorsque les recours formés par l'auteur ont été examinés n'implique en aucune façon que ces pourvois avaient cessé d'être des voies de recours internes qui devaient être épuisées avant qu'une communication puisse être présentée contre le Portugal. Bien que Macao soit devenue une Région administrative spéciale de la République populaire de Chine après le dépôt de la communication, son système juridique et son système des recours en matière pénale sont demeurés inchangés. Il restait donc des voies de recours qui devaient être épuisées quel que soit l'État sous la juridiction duquel le territoire était placé.
6.7 En conclusion, tout en reconnaissant que, pendant la période où le Portugal exerçait sa juridiction sur Macao après avoir accédé au Protocole facultatif, les particuliers relevant de sa juridiction qui se considéraient comme victimes d'une violation des droits énoncés dans le Pacte étaient habilités à soumettre des communications contre le Portugal, le Comité conclut que la présente communication est irrecevable en vertu de l'article 2 et du paragraphe 2) b) de l'article 5, du Protocole facultatif.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur de la communication.
_____________________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen et M. Maxwell Yalden.
** On trouvera joint au présent document le texte de cinq opinions individuelles, signées de M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rafael Rivas Posada, M. Martin Scheinin et M. Maxwell Yalden.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle de MM. Abdelfattah Amor
et Prafullachandra Natwarlal Bhagwati
(partiellement dissidente)
Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
En ce qui concerne la question de l'application du Protocole facultatif à Macao pendant la période où le territoire était sous administration portugaise, soit jusqu'au 19 décembre 1999, le Comité relève que l'État partie a ratifié le Protocole facultatif, lequel est entré en vigueur à compter du 3 août 1983. L'État partie a ratifié le Pacte avec effet au 15 septembre 1978 mais n'a ratifié le Protocole facultatif qu'environ cinq ans plus tard. De toute évidence le Pacte et le Protocole facultatif sont deux instruments distincts et la ratification du premier n'entraîne pas automatiquement la ratification du second, ce qui explique pourquoi le Protocole facultatif doit être ratifié séparément en tant que traité distinct par l'État partie.
La première question qu'il faut se poser pour déterminer l'applicabilité du Protocole facultatif à Macao jusqu'au 19 décembre 1999 est de savoir si le texte du Protocole facultatif contient une quelconque disposition permettant de supposer que, lorsque l'État partie a ratifié le Protocole facultatif, celui-ci est devenu applicable à Macao en tant que territoire placé sous l'administration de l'État partie. L'article 10 du Protocole facultatif ne peut certes pas être invoqué puisque Macao n'était pas partie constitutive du Portugal. On peut se référer à cet égard à l'article 29 de la Convention de Vienne sur le droit des traités qui dispose que: «À moins qu'une intention différente ne ressorte du traité ou ne soit par ailleurs établie, un traité lie chacune des parties à l'égard de l'ensemble de son territoire.»
Cela dit, les avis divergent sur la question de savoir si l'application d'un traité s'étend automatiquement à ses territoires dépendants ou si cette extension nécessite un acte juridique particulier. Nous pensons qu'il ne serait pas très utile d'entamer un débat sur la question qui est loin de faire l'unanimité parmi les juristes. Quoi qu'il en soit, il nous paraît clair que puisque Macao n'a jamais été une partie constitutive du Portugal, elle ne peut pas être englobée dans le territoire du Portugal et, de ce fait, ne peut pas être liée par le Protocole facultatif en application de l'article 29 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Par conséquent, la ratification du Protocole facultatif par le Portugal n'a pas eu pour effet de rendre cet instrument automatiquement applicable à Macao.
On peut aussi relever que si, contrairement à ce qui est affirmé dans le paragraphe précédent, l'article 29 de la Convention de Vienne sur le droit des traités était applicable, cette disposition vaudrait aussi pour le Pacte qui, dans ce cas, devrait être réputé applicable dès la date de sa ratification par le Portugal. Or, il est incontestable que le Pacte n'est pas devenu applicable à Macao dès le moment de sa ratification par le Portugal. Son application a été étendue au territoire pour la première fois par une résolution adoptée par le Parlement portugais le 17 décembre 1992. Avant cette date, le Pacte n'était pas applicable à Macao; il a fallu la résolution parlementaire du 17 décembre 1992 pour qu'il le devienne. La décision du Parlement d'étendre l'application du Pacte à Macao, le 17 décembre 1992, démontre en outre qu'en tout état de cause le Portugal n'avait pas l'intention, en ratifiant le Pacte, de le rendre applicable à Macao. On peut donc en conclure avec certitude que le Pacte n'est devenu applicable à Macao que le 17 décembre 1992.
Pour revenir sur la question de l'applicabilité du Protocole facultatif à Macao, comme je l'ai déjà précisé, cet instrument n'est pas devenu applicable à Macao à la suite de sa ratification par le Portugal. Il y a à cela une autre raison. Si le Pacte n'est devenu applicable à Macao que le 17 décembre 1992, comment le Protocole facultatif, qui régit exclusivement le mécanisme d'examen des plaintes pour violations des droits énoncés dans le Pacte, aurait-il pu l'être à une date antérieure? Puisque le Protocole facultatif n'est pas devenu applicable à Macao automatiquement du fait de sa ratification par le Portugal, il faut maintenant examiner si son application a été étendue au territoire par la suite.
Il est certain qu'il n'y a eu aucun acte juridique explicite visant à étendre l'application du Protocole facultatif à Macao. Le seul argument qui pourrait être avancé par l'État partie en faveur de l'applicabilité du Protocole facultatif à Macao est que l'extension de l'application du Pacte au territoire, le 17 décembre 1992, impliquait automatiquement celle du Protocole facultatif. Cet argument n'est pas défendable. Tout d'abord, le Pacte et le Protocole facultatif sont deux instruments distincts. Le premier peut être ratifié sans que le second le soit jamais: la ratification du Pacte n'implique pas la ratification du Protocole facultatif. Si l'argument contraire invoqué par le Portugal était valable, il ne serait pas nécessaire pour un État partie au Pacte de ratifier séparément le Protocole facultatif car la ratification du Pacte entraînerait automatiquement celle du Protocole facultatif. Cependant, il est indiscutable que les États parties ne sont pas liés par le Protocole facultatif tant qu'ils ne l'ont pas ratifié. En l'occurrence, il importe de noter que si l'application du Pacte a été étendue à Macao le 17 décembre 1992 en vertu d'une résolution spéciale votée par le Parlement portugais, cette mesure ne concernait pas le Protocole facultatif. Le Portugal a expressément étendu l'application d'un des deux traités à Macao et non de l'autre. On voit clairement que l'intention du Portugal était de rendre le Pacte applicable à Macao mais non le Protocole facultatif. Cette interprétation est largement étayée par le fait que seul le Pacte - et non le Protocole facultatif - figurait dans la note adressée par le Portugal au Secrétaire général énumérant les traités pour l'application desquels la Chine devait désormais être tenue pour responsable. Il ne me paraît par conséquent faire aucun doute que le Protocole facultatif n'a jamais été applicable à Macao et que, de ce fait, la communication doit être déclarée irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
Certains membres du Comité ont fait valoir qu'en tout état de cause, cette affaire relevait de l'article premier du Protocole facultatif et que, puisque l'auteur relevait de la juridiction du Portugal au moment où la communication a été soumise, le Comité était compétent pour examiner la communication. Cette argumentation présente deux failles. Tout d'abord elle part de l'hypothèse que le Protocole facultatif était applicable à Macao afin de permettre à l'auteur d'invoquer l'article premier de cet instrument pour faire valoir que sa communication est recevable. Mais, comme je l'ai déjà relevé plus haut, le Protocole facultatif n'a jamais été applicable à Macao et, par conséquent, cet argument qui se fonde sur l'article premier ne peut être retenu. Ensuite, pour que l'applicabilité de l'article premier puisse être retenue, il faut que la personne qui se déclare victime d'une violation de ses droits au regard du Pacte soit soumise à la juridiction de l'État partie non seulement au moment où le Comité reçoit sa communication mais aussi au moment où il l'examine. Selon les termes de l'article premier «le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications». Cependant, en l'espèce, au moment de l'examen de la communication par le Comité, l'auteur n'est plus soumis à la juridiction du Portugal parce que la Chine a repris l'administration de Macao le 20 décembre 1999. En conséquence, l'article premier ne saurait être applicable en l'espèce.
En ce qui concerne la question de l'épuisement des recours internes, l'auteur doit, conformément au paragraphe 2) b) de l'article 5, avoir épuisé tous les recours internes disponibles au moment de l'examen de sa communication par le Comité. Ce dernier ne peut pas examiner une communication si l'auteur n'a pas épuisé tous les recours internes. On peut donc en conclure que le moment précis où la question de l'épuisement des recours internes doit être posée est celui de l'examen de la communication par le Comité. Personne ne conteste que maintenant que la communication de l'auteur est en cours d'examen par le Comité, tous les recours internes ont été épuisés. Par conséquent, la communication ne peut pas être déclarée irrecevable au motif que les recours internes n'ont pas été épuisés, en vertu de l'article 5 2) b) du Protocole facultatif.
En conclusion, nous estimons que la communication est irrecevable.
(Signé) M. Abdelfattah Amor
(Signé) Prafullachandra Natwarlal Bhagwati