Comité des droits de l'homme
Soixante-douzième session
9 - 27 juillet 2001
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4,
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
International relatif aux droits civils et politiques
- Soixante-douzième session
-
Communication No. 930/2000
Présentée par: M. Hendrick Winata et Mme Li So Lan (représentés par
un conseil, Anne O'Donoghue)
Au nom de: Les auteurs et leur fils, Barry Winata
État partie: Australie
Date de la communication: 11 mai 2000 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 juillet 2001,
Ayant achevé l'examen de la communication no 930/2000 présentée par
M. Hendrick Winata et Mme Li So Lan en vertu du Protocole facultatif se
rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été
communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif
1. Les auteurs de la communication, qui est datée du 4 mai 2000, sont Hendrick
Winata, né le 9 novembre 1954, et So Lan Li, née le 8 décembre 1957, tous
deux anciennement de nationalité indonésienne mais actuellement apatrides,
agissant aussi au nom de leur fils Barry Winata, né le 2 juin 1988 et de nationalité
australienne. Les auteurs allèguent que l'expulsion des parents d'Australie
vers l'Indonésie, qui est envisagée, constituerait une violation par l'État
partie de l'article 17, du paragraphe 1 de l'article 23 et du paragraphe 1
de l'article 24 du Pacte. Ils sont représentés par un conseil.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 M. Winata et Mme Li sont arrivés en Australie le 24 août 1985 et le
6 février 1987 respectivement, porteurs lui d'un visa de touriste, elle
d'un visa d'étudiant. Après expiration des visas, le 9 septembre 1985 et
le 30 juin 1988 respectivement, ils sont tous deux restés illégalement en
Australie. C'est dans ce pays que M. Winata et Mme Li se sont rencontrés
et qu'ils ont engagé une relation de fait assimilable à un mariage,
dont ils ont un fils de 13 ans, Barry, né en Australie le 2 juin 1988.
2.2 Le 2 juin 1998, Barry a acquis la citoyenneté australienne de par sa
naissance et sa résidence de dix ans dans le pays. Le 3 juin 1998, M. Winata
et Mme Li ont présenté au Département de l'immigration et des affaires multiculturelles
une demande conjointe de visa de protection, fondée essentiellement sur
l'allégation qu'ils allaient être persécutés en Indonésie à cause de leur
origine chinoise et de leur religion catholique. Le 26 juin 1998, le représentant
du Ministre leur a refusé le visa de protection.
2.3 Le 15 octobre 1998 (1), le représentant à Jakarta de M. Winata
et de Mme Li a introduit auprès de l'ambassade d'Australie une demande d'immigration
dans ce pays, au titre d'un «visa parental de la sous-classe 103». L'une
des conditions d'obtention de ce type de visa (il en est délivré actuellement
500 par an) est que l'intéressé se trouve en dehors de l'Australie au moment
de la délivrance. Selon l'avocat, M. Winata et Mme Li devraient vraisemblablement
attendre plusieurs années avant de pouvoir retourner en Australie avec un
visa parental.
2.4 Le 25 janvier 2000, le Tribunal de contrôle des décisions concernant
les réfugiés, le Tribunal pour les réfugiés, a confirmé la décision du Département
de ne pas délivrer un visa de protection. Le Tribunal, appréciant la qualité
de réfugiés des auteurs uniquement au regard de l'article 1 A(2) de la Convention
relative au statut des réfugiés (modifiée) a jugé que, même si M. Winata
et Mme Li avaient perdu leur nationalité indonésienne à cause de leur longue
absence d'Indonésie, ils n'auraient guère de mal à la recouvrer (2).
Le Tribunal a considéré d'autre part, d'après les informations récentes
en provenance d'Indonésie, qu'il n'était sans doute pas impossible d'être
entraîné dans un conflit racial et religieux dans ce pays, mais que les
perspectives s'amélioraient et qu'en l'espèce la probabilité de persécutions
était très faible. Plus particulièrement, le Tribunal a jugé que sa tâche
se limitait à l'examen du droit qu'avaient les réfugiés à un visa de protection
et qu'il ne pouvait pas prendre en compte la considération plus générale
que constituait la vie de famille en Australie.
2.5 Suivant l'avis juridique qui leur a été donné – selon lequel une
demande de contrôle judiciaire de la légalité de la décision du Tribunal
n'avait aucune chance d'aboutir –, M. Winata et Mme Li se sont abstenus
de faire appel de la décision. Le délai obligatoire et non prorogeable de
28 jours de dépôt de l'appel étant déjà écoulé, M. Winata et Mme Li ne peuvent
plus utiliser cette voie de recours.
2.6 Le 20 mars 2000 (3), M. Winata et Mme Li se sont adressés au
Ministre de l'immigration et des affaires multiculturelles pour lui demander
d'exercer en leur faveur, pour des raisons de nécessité et d'humanité, son
pouvoir d'appréciation non exécutoire (4). Dans cette demande, appuyée
notamment sur les articles 17 et 23 du Pacte, les auteurs évoquaient des
«considérations humanitaires pressantes, telles qu'un préjudice irréparable
et des souffrances durables qui seraient infligés à une famille australienne
s'il n'en était pas tenu compte». Était jointe à la demande une expertise
psychiatrique de deux pages et demie sur les auteurs et sur les conséquences
éventuelles de leur expulsion vers l'Indonésie (5). Le 6 mai 2000,
le Ministre a décidé de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire (6).
Teneur de la plainte
3.1 Les auteurs allèguent que leur expulsion vers l'Indonésie violerait
les droits que garantissent à tous les trois l'article 17, le paragraphe
1 de l'article 23 et le paragraphe 1 de l'article 24.
3.2 Pour ce qui est du droit de ne pas faire l'objet d'immixtions arbitraires
ou illégales dans sa famille (art. 17), les auteurs soutiennent que les
ménages de facto sont admis en droit australien, y compris par les règlements
d'immigration, et qu'il ne fait aucun doute que leurs relations seraient
reconnues à ce titre par les tribunaux australiens. Leurs relations avec
Barry seraient également reconnues par l'Australie comme étant des relations
«de famille». Ils déclarent que l'expertise psychiatrique montre clairement
que leur vie de famille est intense et réelle.
3.3 Les auteurs affirment qu'une expulsion ayant pour effet de séparer un
enfant des parents qui en ont la charge, comme cela se produirait si Barry
devait rester en Australie, est une «immixtion» dans l'unité familiale.
Tout en reconnaissant que l'expulsion de M. Winata et de Mme Li est légale
en droit interne puisqu'elle répond à la loi sur l'immigration, les auteurs
citent l'Observation générale n 16 du Comité, selon laquelle toute immixtion
doit aussi être conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du
Pacte, et raisonnable eu égard aux circonstances particulières.
3.4 Les auteurs déclarent que, s'ils sont expulsés, la seule façon d'éviter
leur séparation d'avec Barry consiste à emmener celui-ci avec eux et à le
réinstaller en Indonésie. Ils affirment cependant que Barry est totalement
intégré dans la société australienne, qu'il ne parle ni indonésien ni chinois
et qu'il n'a aucun lien culturel avec l'Indonésie puisqu'il a passé toute
sa vie en Australie. Selon l'expertise psychologique, «Barry est un garçon
multiculturel, sino-australien du centre de Sydney-Ouest, qui présente ce
que cette culture et cette sous-culture ont de meilleur, qui serait complètement
perdu et courrait un risque considérable si on le projetait ainsi en Indonésie».
D'un autre côté, il serait impensable et gravement préjudiciable de briser
la cellule familiale et de laisser Barry seul à la dérive en Australie,
s'il devait y demeurer et si ses parents devaient retourner en Indonésie.
Dans l'un et l'autre cas, disent les auteurs, l'expulsion serait arbitraire
et contraire à la raison.
3.5 Pour arriver à cette conclusion, les auteurs se réfèrent à la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l'homme qui, lorsqu'elle a à interpréter
l'article 8 de la Convention européenne, analogue à l'article dont il est
question ici, le fait en général de façon restrictive à l'égard de ceux
qui cherchent à entrer sur le territoire d'un État aux fins d'y «fonder
une famille», mais de façon plus libérale quand il s'agit de familles déjà
formées qui se trouvent sur le territoire de l'État. Les auteurs invitent
instamment le Comité à adopter le même point de vue, tout en ajoutant que
le droit consacré à l'article 17 du Pacte est plus fort que celui que vise
l'article 8 de la Convention européenne puisqu'il n'est subordonné à aucune
condition et que le droit à une vie de famille est d'ordre supérieur, sans
que lui soit opposable le droit qu'a l'État d'intervenir dans les affaires
de famille.
3.6 Pour ce qui est des articles 23 et 24, les auteurs ne développent pas
d'argumentation particulière, se contentant de faire observer que l'article
23 est libellé en termes plus vigoureux que l'article 12 de la Convention
européenne, et que l'article 24 traite expressément de la protection des
droits de l'enfant, en tant que tel ou en tant que membre d'une famille.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1 L'État partie affirme que les plaintes des auteurs sont irrecevables
parce que les recours internes n'ont pas été épuisés, parce qu'elles sont
incompatibles avec les dispositions du Pacte et (en partie) parce qu'elles
ne sont pas suffisamment étayées.
4.2 Pour ce qui est du non-épuisement des recours internes, l'État partie
explique que trois voies de recours restent utilement ouvertes aux auteurs.
D'abord, ceux-ci n'ont pas demandé, comme le prévoyait pourtant la loi sur
les migrations, le contrôle par la Cour fédérale (avec les appels éventuels
interjetés par la suite) de la légalité de la décision du 25 janvier 2000
du Tribunal pour les réfugiés. Bien que les délais de présentation de cette
requête soient maintenant écoulés, l'État partie rappelle la décision prise
par le Comité en l'affaire N.S. c. Canada (7), à savoir
que le non-exercice d'un recours dans les délais prescrits signifie que
tous les recours internes n'ont pas été épuisés. Ensuite, les auteurs auraient
pu demander dans le cadre d'un recours constitutionnel le contrôle judiciaire
de la décision par la Haute Cour, qui aurait pu donner pour instructions
au Tribunal pour les réfugiés de reconsidérer l'affaire en droit s'il était
établi qu'il y avait eu erreur sur un point de droit. L'État partie rappelle
que, selon la jurisprudence du Comité, le simple fait de douter du succès
d'un recours n'exonère pas l'auteur de l'obligation de l'exercer. Puisqu'on
ne dispose pas de l'avis juridique donné aux auteurs, selon lequel une demande
de contrôle judiciaire n'avait aucune chance d'aboutir, on ne peut pas considérer
que les auteurs aient démontré de façon convaincante que les recours offerts
n'auraient pas été utiles.
4.3 Enfin, l'État partie fait observer que les auteurs ont demandé des visas
parentaux. Ils auront à quitter le pays pour attendre l'émission des visas
et s'intégrer à la liste d'attente des autres requérants, mais cela ne devrait
pas durer indéfiniment. Barry pourrait vivre avec les auteurs en Indonésie
en attendant les visas, ou poursuivre sa scolarité en Australie.
4.4 Du point de vue de la compatibilité des plaintes avec les dispositions
du Pacte, l'État partie fait valoir que les allégations à l'examen ne peuvent
être mises en correspondance avec aucun des droits reconnus par le Pacte.
Selon lui, celui-ci consacre au paragraphe 1 de l'article 12 et à l'article
13 le droit qu'ont les États parties de réglementer l'entrée des étrangers
sur leur territoire. Si les auteurs sont expulsés d'Australie, c'est parce
qu'ils y sont restés illégalement après que leurs visas ont expiré. Le Pacte
ne garantit pas aux auteurs le droit de rester en Australie ou d'y fonder
une famille après y avoir résidé illégalement en connaissance de cause.
4.5 Pour ce qui est du manque d'éléments étayant les allégations, l'État
partie affirme que les auteurs n'ont pas donné assez de preuves du bien-fondé
de leurs griefs au titre du paragraphe 1 de l'article 23 et du paragraphe
1 de l'article 24. Ils prétendent simplement que l'État partie enfreindrait
ces dispositions s'il les expulsait, mais sans donner aucune précision sur
cette allégation. L'État partie dit que la communication ne fait pas apparaître
clairement la nature des griefs, ni les liens qu'il y aurait entre eux et
les pièces produites pour les soutenir. Ces pièces et l'argumentation fournies
portent uniquement sur l'article 17.
4.6 Pour ce qui est du fond de l'allégation de violation de l'article 17,
l'État partie fait valoir d'abord la manière dont il comprend l'étendue
du droit que cet article consacre. À la différence de la disposition correspondante
de la Convention européenne, l'article 17 n'est pas limité aux mesures «nécessaires»
pour atteindre des objectifs fixés: plus souple, il prévoit que ces mesures
doivent être simplement raisonnables et non arbitraires eu égard à l'objectif,
lui-même légitime au regard du Pacte. L'État partie se réfère aux travaux
préparatoires du Pacte, d'où il ressort clairement que l'intention est de
ne pas inutilement limiter les États parties dans leur action par une disposition
énumérant les exceptions à l'article 17 et de laisser aux États la faculté
de déterminer eux-mêmes la manière de donner effet à ce principe (8).
4.7 En l'espèce, l'État partie, qui ne s'oppose pas à ce que les auteurs
soient reconnus comme «famille», affirme que leur expulsion ne serait pas
une «immixtion» dans leur famille et que, de toute manière, elle ne serait
ni arbitraire ni déraisonnable dans les circonstances.
4.8 Pour ce qui est de l'«immixtion», l'État partie répond que si les auteurs
sont expulsés, il ne fera rien pour empêcher Barry de partir avec eux vivre
en Indonésie, où ils pourraient tous continuer de vivre ensemble. Rien ne
donne à penser qu'ils ne pourront pas y mener une vie de famille et le Tribunal
pour les réfugiés a jugé que les auteurs ne courraient aucun danger de persécution.
Les études de Barry seraient certes perturbées dans cette hypothèse, mais
l'État partie soutient que cela ne revient pas à une «immixtion [] dans
la famille» (9). Il fait observer qu'il est courant que des enfants
de tous âges suivent leurs parents quand ceux-ci se réinstallent dans un
nouveau pays pour une raison quelconque.
4.9 L'État partie note que Barry n'a pas d'autres parents en Australie que
son père et sa mère, alors qu'il compte en Indonésie un bon nombre de parents
proches avec lesquels les auteurs ont gardé des relations, ce qui ne peut
qu'être favorable à la vie de famille pour Barry. Selon l'État partie donc,
le Pacte devrait être interprété comme la Convention européenne, non pas
comme garantissant la vie de famille dans tel ou tel pays, mais comme garantissant
simplement une vie de famille effective, quel qu'en soit le lieu.
4.10 Si au contraire Barry devait rester en Australie, ses parents pourraient
lui rendre visite et, de toute manière, rester en relations avec lui. C'est
la situation de pensionnat que beaucoup d'enfants connaissent et cette séparation
physique ne signifie certainement pas la dissolution de la cellule familiale.
En tout état de cause, le choix de l'une ou l'autre option appartient exclusivement
aux parents, il n'est pas la conséquence des actes de l'État partie et ne
représente donc pas une «immixtion». De plus, quelle que soit la décision
qui sera prise, l'État partie ne fera rien pour empêcher les relations familiales
de se poursuivre et de se développer.
4.11 Même si l'on devait considérer que l'expulsion des parents était une
immixtion, l'État partie fait valoir que ce ne serait pas une mesure arbitraire.
Les auteurs sont venus en Australie porteurs de visas de courte durée, en
sachant très bien qu'ils auraient à quitter le pays à l'expiration de ces
visas. Leur expulsion sera l'aboutissement de leur situation de titulaires
de visas expirés - qui, comme ils le savaient, ne les autorisaient qu'à
un séjour temporaire - et de résidents illégaux pendant plus de dix ans
(10). Les lois qui prescrivent l'expulsion dans de telles conditions
sont bien établies et d'application générale. Le régime de l'expulsion n'est
ni capricieux ni imprévisible; il est un moyen raisonnable, et raisonnablement
proportionné, de maîtriser les migrations, objectif légitime selon le Pacte.
4.12 En l'espèce, les auteurs savaient quand Barry est né qu'ils risquaient
de ne pas pouvoir rester en Australie et y élever leur fils. Il n'est pas
établi que des obstacles réels s'opposent à la fondation d'une famille en
Indonésie et les intéressés recouvreront leur nationalité indonésienne s'ils
le demandent. Les auteurs ont fait toutes leurs études en Indonésie, ils
parlent, lisent et écrivent l'indonésien, ils ont travaillé en Indonésie.
Ils seront en mesure d'élever Barry dans un pays dont ils connaissent bien
la langue et la culture, auprès d'autres membres de leur famille. Barry
comprend suffisamment l'indonésien, et la barrière linguistique, s'il en
rencontre une, sera un inconvénient mineur qu'il surmontera d'autant mieux
qu'il est jeune. Il ne serait pas non plus impensable que les auteurs choisissent
de laisser Barry en Australie, où il pourrait rester en relations avec eux
et aurait le bénéfice de toutes les mesures de soutien prévues pour les
enfants séparés de leurs parents.
4.13 Le caractère raisonnable de l'expulsion est également attesté par le
fait que les demandes de visa de protection des auteurs ont été jugées au
regard des faits et à la lumière de la loi fixant un régime objectif généralement
applicable et répondant aux obligations internationales de l'Australie,
et que ce jugement a été confirmé en appel. Le moment venu, les demandes
de visa parental seront présentées dans les règles, et il est raisonnable
que ces demandes soient examinées avec celles des autres requérants.
4.14 L'État partie se réfère à la jurisprudence du Comité, qui a conclu
qu'une expulsion ne violait pas l'article 17 (ni l'article 23) lorsque l'intéressé
avait déjà des parents dans l'État d'accueil (11). D'ailleurs, une
considération particulièrement importante consiste à savoir si les personnes
dont il s'agit pouvaient avoir l'espoir légitime de poursuivre leur
vie de famille dans le territoire de l'État concerné. Les décisions de la
Cour européenne confirment cette distinction entre les familles qui résident
légalement dans un État et celles qui y sont en situation irrégulière.
4.15 Dans l'affaire Boughanemi c. France (12) par exemple,
la Cour européenne a jugé l'expulsion compatible avec l'article 8 dans le
cas d'une personne qui résidait en France illégalement et qui y avait même
une famille établie. De la même façon, dans l'affaire Cruz Vara c.
Suède (13), la Cour a jugé que l'expulsion d'immigrants
illégaux était compatible avec l'article 8; même chose pour l'affaire Bouchelka
c. France (14), alors que le requérant était retourné
en France illégalement après son expulsion et y avait fondé une famille
(il avait même eu une fille): la Cour a établi que sa deuxième expulsion
ne constituait pas une violation de l'article 8. À l'inverse, dans l'affaire
Berrehab c. Pays-Bas (15), la Cour a jugé qu'il
y avait eu violation parce que le père d'un jeune enfant avait été expulsé
du pays où cet enfant avait vécu avec son père qui y avait résidé légalement
pendant plusieurs années (16).
4.16 L'État partie soutient donc que l'installation illégale d'une famille
dans un État est une circonstance qui justifie largement le fait que cet
État s'autorise à prendre des mesures qui, si les intéressés avaient résidé
légalement sur son territoire, auraient pu être contraires à l'article 17.
Comme la Cour européenne l'a noté, l'article 8 de la Convention européenne
ne garantit pas à chacun le meilleur endroit pour vivre (17) et un
couple ne peut pas choisir son lieu de résidence simplement en demeurant
illégalement dans un État pour y avoir et y élever un enfant. Il
s'ensuit que les auteurs, qui résident illégalement en Australie
et qui étaient tout à fait conscients qu'ils ne pourraient pas nécessairement
y rester et y élever des enfants, ne peuvent raisonnablement espérer rester
sur le territoire. Comme le veut l'article 17, leur expulsion n'est donc
pas arbitraire.
4.17 Pour ce qui est du paragraphe 1 de l'article 23, l'État partie rappelle
les garanties institutionnelles qu'offre cet article (18). Il affirme
que la famille est une unité sociale fondamentale, dont l'importance est
reconnue implicitement et explicitement: ainsi par exemple, les parents
peuvent demander des visas pour vivre avec leurs enfants établis en Australie
- comme l'ont fait les auteurs eux-mêmes - et ils se voient accorder des
privilèges particuliers par rapport aux autres immigrants. Il faut lire
l'article 23, comme l'article 17, en l'opposant à la faculté qu'a l'Australie
en droit international de prendre des mesures raisonnables pour réglementer
l'entrée, le séjour et l'expulsion des étrangers. Comme le Tribunal pour
les réfugiés a estimé que les auteurs n'étaient pas des réfugiés et qu'ils
ne risquaient pas réellement de subir un préjudice en Indonésie (19),
et comme Barry peut rester en Australie pour poursuivre ses études ou aller
en Indonésie selon le choix que feront les auteurs, la pérennité de la famille
ne serait ni affectée, ni menacée par un retour éventuel.
4.18 Pour ce qui est du paragraphe 1 de l'article 24, l'État partie cite
un certain nombre de mesures législatives et de programmes qui visent expressément
à assurer la protection de l'enfance et à venir en aide aux enfants en situation
de risque (20). L'expulsion d'Australie des auteurs n'est pas une
mesure qui vise directement Barry, qui a la nationalité australienne (seulement
depuis juin 1998) et qui peut à ce titre résider en Australie, quel que
soit l'endroit où se trouvent ses parents. Cette expulsion serait la conséquence
de leur situation d'irrégularité et non de l'incurie de l'État dans son
rôle de protecteur de l'enfance. Quand Barry est né, les auteurs savaient
pertinemment qu'ils risquaient de devoir un jour retourner en Indonésie.
4.19 L'État partie fait valoir que l'expulsion des auteurs ne serait ni
un manquement au devoir de protéger le mineur qu'est Barry, ni une mesure
préjudiciable pour lui. Le représentant du Ministre de l'immigration et
des affaires multiculturelles et le Tribunal pour les réfugiés ont tous
deux jugé tout à fait improbable que les auteurs soient victimes de persécution
en Indonésie et rien n'a été produit qui donnerait à penser que le risque
serait plus grand pour Barry s'il devait y aller avec ses parents.
4.20 Reprenant l'argumentation présentée au titre de l'article 17 à propos
de l'«immixtion» dans la famille, l'État partie explique qu'aucun obstacle
véritable n'empêcherait Barry de continuer à vivre normalement en Indonésie
avec ses parents. Il conteste l'expertise psychiatrique selon laquelle s'il
partait avec les auteurs, il serait «complètement perdu et courrait un risque
considérable si on le projetait ainsi en Indonésie». Il soutient que si
la perturbation des habitudes de Barry rendra peut-être la transplantation
difficile pour lui au départ, son âge, ses origines multiculturelles (21)
et le fait qu'il comprenne l'indonésien donnent à croire qu'il s'acclimatera
rapidement. Barry pourrait faire de bonnes études en Indonésie, à proximité
physique et affective des auteurs (qui y sont nés, y ont été élevés et y
ont passé l'essentiel de leur vie) et d'autres proches, mais il peut aussi
choisir, comme sa qualité de citoyen australien lui en donne le droit, de
terminer ses études secondaires et d'entreprendre des études supérieures
en Australie. Cette solution entraînerait une séparation d'avec les auteurs,
mais il n'est pas rare que les enfants ne vivent pas avec leurs parents
pendant leurs études secondaires et supérieures; il est même courant pour
les enfants et les jeunes gens des pays de l'Asie du Sud-Est de fréquenter
l'école ou l'université en Australie. Barry, citoyen australien, bénéficierait
de toute la protection de la loi australienne et de la même assistance que
les autres enfants australiens vivant en Australie sans leurs parents.
Observations des auteurs sur la réponse de l'État partie
5.1 Pour ce qui est de la recevabilité de la communication, les auteurs
contestent les affirmations de l'État partie quant à l'épuisement des voies
de recours internes, à l'incompatibilité avec le Pacte et au manque de justification
des griefs.
5.2 Pour ce qui est d'abord de l'épuisement des voies de recours internes,
les auteurs soutiennent que cette obligation signifie que la plainte
dont il s'agit doit être soumise à tous les organes d'État disponibles
avant de l'être au Comité. Les recours dont l'État partie prétend qu'ils
sont encore disponibles ont trait à la procédure applicable aux réfugiés
et à l'appréciation des risques de persécution. Or, la plainte n'a aucun
rapport avec des problèmes propres aux réfugiés, elle concerne l'immixtion
dans la famille que constituerait l'expulsion des auteurs. Les auteurs affirment
donc qu'on ne peut leur demander de poursuivre la procédure sur le terrain
du droit des réfugiés alors que leur plainte porte sur l'unité de la famille.
5.3 Pour ce qui est de la demande conjointe de visa parental, les auteurs
font observer qu'ils auraient à quitter le territoire australien pendant
l'instruction de leur requête et que, même si celle-ci devait aboutir, ils
auraient à passer plusieurs années à l'extérieur avant de revenir en Australie.
En tout état de cause, les statistiques du Département de l'immigration
montrent qu'aucun visa parental n'a été octroyé par les autorités australiennes
à Jakarta entre le 1er septembre 2000 et le 28 février 2001 et que, selon
la moyenne mondiale, il faut près de quatre ans pour en obtenir un. Avec
la polémique politique dont ces visas font actuellement l'objet, ces périodes
d'attente ne feront qu'augmenter, comme l'État partie le reconnaît lui-même
(22). Les auteurs considèrent ces délais comme inacceptables de toute
évidence et manifestement déraisonnables.
5.4 Quant à l'affirmation de l'État partie selon laquelle les allégations
seraient incompatibles avec les dispositions du Pacte, en particulier le
paragraphe 1 de l'article 12 et l'article 13, les auteurs renvoient à l'Observation
générale n 15 du Comité: si le Pacte ne reconnaît pas à l'étranger le droit
d'entrer sur le territoire d'un État partie ou d'y résider, l'étranger bénéficie
de la protection du Pacte, même en ce qui concerne son entrée ou sa résidence,
dans les affaires où se posent, par exemple, des questions relatives au
respect de la vie de famille. Les auteurs considèrent que l'article 13 n'est
pas pertinent à cet égard.
5.5 Les auteurs objectent à l'argument de l'État partie que le grief de
violation du paragraphe 1 de l'article 23 et du paragraphe 1 de l'article
24 n'a pas été étayé. Ils affirment que les faits dont ils ont à se plaindre
relèvent de ces dispositions, outre l'article 17, et soutiennent qu'une
violation de l'article 17 peut également représenter une violation des garanties
institutionnelles consacrées par les articles 23 et 24.
5.6 Sur le fond, les auteurs considèrent que l'argument principal de l'État
partie est que rien n'empêcherait Barry d'aller en Indonésie vivre avec
eux s'ils sont expulsés. Cela est contredit par les éléments d'appréciation
d'ordre psychologique fournis au Ministre et joints à la communication.
Quant à l'idée que Barry pourrait rester (sans surveillance) en Australie
en attendant l'issue de leur demande de retour, les auteurs disent que cette
solution est évidemment irréalisable et qu'elle ne serait pas dans l'intérêt
de Barry. Les auteurs n'ont pas accès aux moyens financiers qui permettraient
à Barry de poursuivre ses études en pension et personne ne pourra le prendre
en charge s'ils sont absents.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Pour ce qui est de l'argument de l'État partie qui affirme que les recours
internes disponibles n'ont pas été épuisés, le Comité constate que les deux
voies de recours offertes pour attaquer la décision du Tribunal pour les
réfugiés sont un niveau de procédure de plus dans le dossier de détermination
du statut de réfugié. Or la plainte dont le Comité est saisi ne concerne
pas la demande initiale des auteurs tendant à obtenir le statut de réfugié,
mais une réclamation distincte, touchant l'autorisation de demeurer en Australie
pour des raisons de famille. L'État partie n'a donné au Comité aucune information
sur les recours offerts pour contester la décision du Ministre de ne pas
autoriser les auteurs à demeurer en Australie pour ce motif. Le traitement
de la demande de visa parental des auteurs, démarche qui les oblige à quitter
l'Australie pendant assez longtemps, ne peut pas être considéré comme une
voie de droit permettant d'attaquer efficacement la décision du Ministre.
Le Comité ne peut donc suivre l'État partie quand il prétend que la communication
est irrecevable parce que les recours internes n'ont pas été épuisés.
6.3 Pour ce qui est de l'affirmation de l'État partie selon laquelle la
plainte est essentiellement une demande de résidence émanant d'étrangers
en situation irrégulière sur son territoire et, à ce titre, incompatible
avec le Pacte, le Comité fait observer que les auteurs ne demandent pas
simplement le droit de résider en Australie et qu'ils allèguent que les
forcer à quitter le territoire de l'État partie, c'est s'immiscer arbitrairement
dans leur vie de famille. Même si les étrangers en tant que tels ne peuvent
pas avoir le droit de résider dans un État partie, tous les États parties
sont tenus de respecter et de garantir tous les droits que le Pacte reconnaît
à ces étrangers. La plainte assimilant les actes de l'État partie à une
immixtion arbitraire dans la vie de famille des auteurs est une allégation
de violation d'un droit garanti par le Pacte à tout être humain. La plainte
est suffisamment étayée pour être recevable, et elle doit être examinée
au fond.
6.4 Pour ce qui est de l'affirmation de l'État partie selon laquelle l'allégation
de violation du paragraphe 1 de l'article 23 et du paragraphe 1 de l'article
24 n'a pas été étayée, le Comité considère que les faits et les arguments
présentés soulèvent des questions qui se situent au point d'articulation
entre les trois articles. Il lui semble utile, au moment de l'examen au
fond, de s'interroger sur les chevauchements de ces dispositions. Il conclut
que les plaintes au titre de ces articles sont donc suffisamment étayées
pour être recevables.
6.5 Le Comité estime donc que la communication est recevable telle qu'elle
a été présentée et en vient immédiatement au fond. Il a examiné la communication
à la lumière de toutes les informations qui lui ont été données par les
parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
7.1 En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 17, le Comité
note que l'argument de l'État partie selon lequel il n'y a pas «immixtion»
puisque la décision de faire partir Barry en Indonésie avec ses parents
ou de le faire rester en Australie, et, dans ce dernier cas, de provoquer
une séparation physique, relève uniquement du libre arbitre de la famille
et qu'elle ne dépend pas des actions de l'État. Le Comité fait observer
qu'il peut y avoir effectivement des cas dans lesquels le refus de l'État
partie de laisser un membre d'une famille rester sur son territoire représente
une immixtion dans la vie de la famille de cette personne. Mais le simple
fait que l'un des membres d'une famille ait le droit de rester sur
le territoire d'un État partie ne fait pas forcément de l'éviction d'autres
membres de la même famille une immixtion du même ordre.
7.2 Dans l'affaire à l'examen, le Comité considère que la décision de l'État
partie d'expulser deux parents et d'obliger la famille à choisir entre laisser
un enfant de 13 ans, qui a acquis la nationalité de l'État partie pour y
avoir résidé pendant dix ans seul dans l'État partie, ou le prendre avec
eux, doit être considérée comme une «immixtion» dans la famille, à tout
le moins lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, cette mesure entraînerait
des perturbations importantes quelle que soit l'option pour une famille
constituée depuis longtemps. Il y a donc lieu de déterminer si cette immixtion
serait ou non arbitraire et contraire à l'article 17 du Pacte.
7.3 Il est assurément incontestable qu'en vertu du Pacte un État partie
peut exiger, en application de sa législation, le départ de personnes qui
demeurent sur son territoire après l'expiration du permis qui leur a été
délivré. En outre, la naissance d'un enfant ou le fait qu'en application
de la loi cet enfant acquière la nationalité à la naissance ou ultérieurement
ne suffit pas pour rendre arbitraire la perspective d'expulsion d'un parent
ou des deux. Donc les États parties ont une large marge de manuvre pour
appliquer leur politique en matière d'immigration et pour exiger le départ
d'individus qui se trouvent illégalement sur leur territoire. Mais cette
discrétion n'est pas illimitée et peut être exercée arbitrairement dans
certaines circonstances. Dans le cas d'espèce, les deux auteurs se trouvent
en Australie depuis plus de quatorze ans. Leur fils y vit depuis sa naissance
- il y a treize ans - fréquente l'école australienne comme tout autre enfant
et s'est fait ainsi des camarades. Étant donné le nombre d'années qu'il
a passées en Australie, l'État partie doit justifier l'expulsion de ses
parents, en présentant d'autres éléments que la simple mise en uvre de sa
loi sur l'immigration pour éviter que l'expulsion ne soit qualifiée d'arbitraire.
Dans les circonstances particulières, le Comité estime donc que l'expulsion
des auteurs constituerait, s'il y était procédé, une immixtion arbitraire
dans la famille, incompatible avec le paragraphe 1 de l'article 17 du Pacte,
lu conjointement avec l'article 23, à l'égard de toutes les personnes au
nom desquelles la communication est soumise ainsi qu'une violation du paragraphe
1 de l'article 24 du Pacte à l'égard de Barry Winata, qui ne se verrait
pas accorder les mesures de protection que sa qualité de mineur exige.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que l'expulsion des auteurs,
si l'État partie devait y procéder, constituerait une violation de l'article
17 du Pacte, du paragraphe 1 de l'article 23 et du paragraphe 1 de l'article
24.
9. Conformément au paragraphe 3 a de l'article 2 du Pacte, l'État
partie a l'obligation d'assurer aux auteurs un recours utile, qui consisterait
à s'abstenir de les expulser tant que leur demande de visa parental n'a
pas été examinée compte dûment tenu de la nécessité d'offrir à Barry Winata
la protection qu'exige sa condition de mineur. L'État partie est tenu de
prendre des mesures pour éviter que des violations du Pacte ne se reproduisent
à l'avenir dans des situations analogues.
10. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a
reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou
non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est
engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et
relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité
souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements
sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
_____________________
** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal
Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin,
M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer
Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M.
Hipólito Solari Yrigoyen, M. Patrick Vella et M. Maxwell Yalden.
** Conformément à l'article 85 du règlement intérieur, M. Ivan Shearer
n'a pas pris part à l'examen de la communication.
*** Le texte d'une opinion dissidente signée de MM. Prafullachandra Natwarlal
Bhagwati, Ahmed Tawfik Khalil, David Kretzmer et Max Yalden est joint à
la présente décision.
Opinion individuelle de Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Tawfik
Khalil,
David Kretzmer et Max Yalden (dissidente)
1. La question que soulève la communication n'est pas de savoir si la situation
des auteurs et de leur fils suscite la compassion ni si les membres du Comité
pensent que ce serait un geste généreux de la part de l'État partie de les
autoriser à demeurer sur son territoire. La seule question est de déterminer
si l'État partie est légalement tenu par les dispositions du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, de s'abstenir d'obliger les auteurs
à quitter l'Australie. Nous ne pouvons pas souscrire à l'avis du Comité qui
a établi que la réponse à cette question était affirmative.
2. Le Comité fonde ses constatations sur trois articles du Pacte: le paragraphe
1 de l'article 17, lu conjointement avec l'article 23 et l'article 24. Les
auteurs n'ont pas fourni le moindre renseignement sur les mesures de protection
que l'État partie serait tenu d'assurer pour s'acquitter des obligations
qui lui incombent en vertu du dernier article. Dans le monde entier, de
nombreuses familles quittent un pays pour s'installer dans un autre, même
quand ils ont des enfants d'âge scolaire, qui sont bien intégrés dans l'école
d'un pays déterminé. Les États parties sont-ils tenus de prendre des mesures
pour protéger les enfants contre une telle démarche de la part de leurs
parents? Il nous semble qu'affirmer, selon un vague jugement de valeur,
qu'il serait préférable pour un enfant d'éviter une action quelle qu'elle
soit ne constitue pas un motif suffisant pour être fondé à affirmer qu'un
État partie ne s'est pas acquitté de l'obligation faite à l'article 24 d'offrir
à l'enfant les mesures de protection nécessaires. Nous aurions donc conclu
que les auteurs n'avaient pas étayé, aux fins de la recevabilité, leur allégation
de violation de l'article 24 et que cette partie de la communication devait
donc être déclarée irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
3. En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 17, nous contestons
fortement que la décision de l'État partie d'obliger les auteurs à quitter
le territoire constitue une immixtion dans leur famille. Il ne s'agit pas
d'une situation où la décision de l'État partie entraîne inéluctablement
la séparation des membres d'une famille, ce qui peut certainement être considéré
comme une immixtion dans la famille. Le Comité évoque des «perturbations
importantes pour une famille constituée depuis longtemps». Cette expression
apparaît certes dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme mais le Comité n'a pas examiné la question de savoir si elle est
applicable dans le contexte de l'article 17 du Pacte, qui vise une immixtion
dans la famille et non le respect de la vie de famille visé à l'article
8 de la Convention européenne. Il n'est en aucune manière évident que les
actes d'un État partie qui entraîneraient des perturbations dans la vie
d'une famille constituée depuis longtemps supposent une immixtion dans la
famille, si aucun obstacle ne s'oppose au maintien de l'unité de la famille.
Toutefois, nous ne voyons pas la nécessité d'exprimer une opinion définitive
sur la question dans l'affaire à l'examen car, même s'il y a immixtion dans
la famille des auteurs, à notre avis rien ne permet de conclure que la décision
de l'État partie a été arbitraire.
4. Sans développer d'argumentation ni de raisonnement, le Comité affirme
que pour éviter que sa décision ne soit qualifiée d'arbitraire l'État partie
est tenu de présenter d'autres éléments que la simple application de sa
loi sur l'immigration. Il peut effectivement y avoir des cas exceptionnels
où l'immixtion dans la famille est si importante que la décision d'exiger
le départ d'un membre de la famille se trouvant illégalement sur le territoire
serait disproportionnée par rapport à l'intérêt de l'État partie qui cherche
à faire appliquer sa législation sur l'immigration. En pareil cas, il est
possible de qualifier cette décision d'arbitraire. En revanche, nous ne
pouvons pas accepter que le simple fait que des personnes se trouvant illégalement
sur le territoire de l'État partie aient fondé une famille dans cet État
fasse à celui-ci obligation de «justifier l'expulsion des deux parents en
présentant d'autres éléments que la simple mise en uvre de sa loi sur l'immigration,
pour éviter que l'expulsion ne soit qualifiée d'arbitraire». Cette interprétation
adoptée par le Comité implique que les personnes qui se trouvent illégalement
sur le territoire d'un État partie et qui fondent une famille et parviennent
à ne pas se faire prendre pendant suffisamment longtemps acquièrent dans
les faits le droit de demeurer dans cet État. Il nous semble que cette interprétation
ignore les règles du droit international en vigueur qui permettent aux États
de réglementer en matière de séjour et d'entrée des étrangers sur leur territoire.
5. Comme on l'a indiqué plus haut, la décision de l'État partie n'entraîne
en aucune manière la séparation obligatoire des membres de la famille. Il
est peut-être vrai que leur fils aurait des difficultés d'adaptation si
les auteurs devaient retourner avec lui en Indonésie, mais ces difficultés
ne sont pas grandes au point de rendre la décision de l'État partie de les
obliger à quitter le territoire disproportionnée à son intérêt légitime
qui est de mettre en uvre sa loi sur l'immigration. Cette décision ne peut
pas être considérée comme arbitraire et nous ne pouvons donc pas souscrire
à l'avis du Comité, qui a conclu à une violation par l'État partie des droits
consacrés aux articles 17 et 23 du Pacte à l'égard des auteurs et de leur
fils.
6. Avant de conclure, nous souhaitons ajouter qu'il nous semble que, outre
qu'elle ôte tout sens clair aux termes «immixtion dans la famille» et «arbitraire»
employés à l'article 17, la conception du Comité a des incidences fâcheuses.
En premier lieu, elle pénalise les États parties qui ne traquent pas activement
les immigrants illégaux pour les expulser mais préfèrent faire confiance
aux visiteurs et attendre d'eux qu'ils respectent la loi et les conditions
du permis d'entrée qui leur est accordé. Elle pénalise également les États
parties qui n'obligent pas tous les individus à avoir toujours sur eux une
pièce d'identité et à faire la preuve de leur statut chaque fois qu'ils
rencontrent une autorité, étant donné qu'il est assez aisé pour des visiteurs
titulaires d'un visa de durée limitée de rester longtemps sans se faire
repérer sur le territoire de ces États parties. En deuxième lieu, le mode
d'approche du Comité peut donner un avantage injuste aux personnes qui ne
respectent pas la réglementation d'un État partie en matière d'immigration
et préfèrent demeurer illégalement sur son territoire plutôt que de suivre
la procédure offerte aux candidats à l'immigration par la législation de
l'État partie. Cet avantage peut poser un problème particulièrement aigu
quand l'État partie opte pour une politique d'immigration limitée, réglemente
le nombre d'immigrants accepté chaque année, car elle permet aux candidats
à l'immigration de «ne pas attendre leur tour» en demeurant illégalement
sur le territoire de l'État partie.
(Signé) Prafullachandra Natwarlal Bhagwati
(Signé) Ahmed Tawfik Khalil
(Signé) David Kretzmer
(Signé) Max Yalden
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport que le Comité
présente à l'Assemblée générale.]
Notes
1. Selon la chronologie donnée par l'État partie, cette démarche aurait
été faite le 20 octobre 1998.
2. Les auteurs n'ont pas contesté qu'ils n'auraient pas de difficulté à
recouvrer la nationalité indonésienne.
3. Selon la chronologie donnée par l'État partie, cette démarche aurait
été faite le 20 octobre 1998.
4. D'après l'article 417 de la loi sur les migrations, «le Ministre a la
latitude de remplacer une décision du Tribunal des recours administratifs
par une décision plus favorable s'il estime que son intervention sert l'intérêt
général».
5. Cette expertise, qui figure dans le dossier au secrétariat, conclut
à propos de la vie de famille en Australie: i) que Barry est élevé et éduqué
de façon normale, qu'il a «plusieurs amis assez proches», et qu'il comprend
(sans apparemment le parler) l'indonésien; ii) que la cellule familiale
est forte et soudée, selon la tradition chinoise, mais extravertie et fréquentant
des amis d'origines culturelles très diverses au travail, à l'église et
dans le monde. Le rapport évoque aussi des questions propres aux réfugiés
et liées à l'histoire de la famille, mais qui ne font pas l'objet de la
présente communication.
6. Les auteurs ont été officiellement informés de la décision du Ministre
le 17 mai 2000, c'est-à-dire après l'envoi de leur communication au Comité,
le 11 mai 2000.
7. Communication n 26/1978, déclarée irrecevable le 28 juillet 1978.
8. Bossuyt Guide to the «Travaux préparatoires» of the International
Covenant on Civil and Political Rights (1987), p. 347.
9. L'État partie cite la décision de la Commission européenne des droits
de l'homme dans l'affaire Family X c. The United Kingdom
[Décisions et rapports de la Commission européenne des droits de l'homme,
30 (1983)], à savoir que le fait qu'une expulsion empêche un enfant de poursuivre
ses études au Royaume-Uni ne constitue pas une violation du droit au respect
de la vie de famille.
10. Cette période de 10 ans ne comprend pas le temps pendant lequel les
auteurs étaient autorisés à vivre en Australie alors qu'ils cherchaient
à régulariser leur situation.
11. Stewart c. Canada (communication n 538/1993) et Canepa
c. Canada (communication n 558/1993).
12. Cour européenne des droits de l'homme, 1996, 22 EHRR 228.
13. Arrêt du 20 mars 1991 (affaire n 46/1990/237/307).
14. Arrêt du 27 janvier 1997.
15. Cour européenne des droits de l'homme (1988), 11 EHRR 322.
16. L'État partie fait remarquer que dans cette affaire, contrairement
à ce qui se passe en l'espèce, les deux parents se seraient retrouvés
dans deux pays différents s'ils avaient été expulsés.
17. Ahmut c. Pays-Bas (communication n 21702/93, arrêt du
28 novembre 1996).
18. Nowak, UN Covenant on Civil and Political Rights: CCPR Commentary,
NP Engel, 1993, p. 460.
19. La demande de statut de réfugié montre, comme le fait l'État partie,
que M. Winata n'a jamais été arrêté, détenu, emprisonné, interrogé ni maltraité
en Indonésie et que ses biens n'ont jamais été endommagés.
20. Il renvoie à son rapport présenté dans la série des Troisièmes rapports
périodiques que les États parties devaient présenter en 1991, par. 323
à 332 et 1193.
21. L'État partie se réfère à la qualification de Barry («multiculturel
sino-australien») dans l'expertise psychiatrique.
22. L'auteur fournit sur ce point une copie d'un communiqué de presse du
Ministre de l'immigration et des affaires multiculturelles en date du 11
octobre 2000.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]