Présentée par: Zébié Aka Bi (représenté par un conseil, Maîtres Joël
Bataille et Jean-Claude Richard)
Au nom de: Le requérant
État partie: Côte d'Ivoire
Décision de la recevabilité: 1er août 1997
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 9 juillet 2002,
Adopte ce qui suit:
DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ
1. Le requérant est M. Zébié Aka Bi, né en Côte d'Ivoire et demeurant en
France. Il se déclare victime de la violation par la Côte d'Ivoire de l'article
25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le requérant
est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1 Le requérant déclare ne pas pouvoir participer aux élections présidentielles
en Côte d'Ivoire, en l'occurrence celle fixée pour le 17 septembre 2000,
à la fois en tant qu'électeur et candidat, suite aux nouvelles dispositions
de l'article 35 de la Constitution et du Code électoral.
2.2 Le requérant explique que par décret no 200-497 du 17 juillet 2000
portant modification du projet de Constitution, le Chef de l'État, le
général Robert Guei a révisé l'alinéa 3 de l'article 35 de la Constitution
relativement aux conditions d'éligibilité du Président de la République
dans les termes suivants: «Il doit être Ivoirien d'origine, né de père
et de mère eux-mêmes Ivoiriens d'origine. Il doit n'avoir jamais renoncé
à la nationalité ivoirienne.». Ces critères d'éligibilité ont également
été repris aux articles 53 et 54 du projet de code électoral. Enfin, ils
ont été approuvés par référendum du 23 juillet 2000 ayant conduit à l'adoption
des projets de constitution et de code électoral.
2.3 Le requérant précise que cette révision constitutionnelle et électorale
est intervenue dans le contexte politique particulier de la Côte d'Ivoire,
à savoir la destitution de l'ancien Président de la République par la
junte militaire désormais au pouvoir et responsable de l'organisation
de la prochaine élection présidentielle.
2.4 En raison des nouvelles dispositions constitutionnelles et électorales,
le requérant soutient être privé, tout d'abord, de la possibilité, en
tant qu'électeur, de voter pour le candidat de son choix qui ne pourrait
se présenter aux élections présidentielles car ne satisfaisant pas aux
critères relatifs à l'ascendance nationale et à la nationalité. De plus,
le requérant attire l'attention sur sa double nationalité, ivoirienne
et française, et affirme que dès lors en raison des critères d'éligibilité
relatifs à la non-renonciation à la nationalité ivoirienne impliquant,
selon lui, de ne pas avoir revendiqué une autre nationalité, il ne peut,
contrairement à son souhait, se présenter lui-même en tant que candidat
aux élections présidentielles.
Teneur de la plainte
3.1 Le requérant conteste les critères instaurés pour les candidatures
aux élections présidentielles dans la mesure où ils constituent une discrimination
à son encontre, contraire à l'article 25 du Pacte.
3.2 Se référant à l'Observation générale no 25 du Comité des droits de
l'homme sur l'article 25 du Pacte, le requérant soutient, d'une part,
que seule la citoyenneté détermine l'octroi de droits politiques, et d'autre
part, que tout citoyen doit jouir de ces droits politiques, sans aucune
distinction, notamment de race, de couleur, de naissance ou de toute autre
situation. Il rappelle, en outre, que seules des restrictions fondées
sur des critères objectifs et raisonnables sont admises. Enfin, il cite
le paragraphe 15 de l'Observation générale no 25, à savoir: «Les personnes
qui à tous égards seraient éligibles ne devraient pas se voir privées
de la possibilité d'être élues par des conditions déraisonnables ou discriminatoires,
par exemple [...] l'ascendance [...]».
3.3 Le requérant estime que la condition d'épuisement des voies de recours
internes doit s'apprécier au regard de l'efficacité et de l'urgence. Il
fait valoir qu'en raison de la légitimité politique et juridique attachée
à l'adoption par référendum des projets de constitution et de code électoral,
aucun recours interne ne pourrait efficacement être exercé à l'encontre
des critères d'éligibilité. Il ajoute que doit être prise en compte la
situation politique de la Côte d'Ivoire, à savoir l'organisation d'élections
présidentielles suite à la prise de pouvoir par l'autorité militaire.
Enfin, le Code électoral stipulant que la liste des candidatures doit
être dressée au plus tard 15 jours avant l'échéance électorale du 17 septembre
2000, le requérant ayant saisi le Comité des droits de l'homme le 27 juillet
2000, met en avant l'urgence de sa communication.
3.4 Le requérant invoque une violation de la part de la Côte d'Ivoire
de l'article 25 du Pacte.
3.5 Le requérant précise que l'affaire n'a pas été soumise à une autre
instance internationale d'enquête ou de règlement.
Observations de l'État partie concernant la recevabilité de
la communication
4.1 Dans ses observations du 7 octobre 2000, l'État partie conteste la
recevabilité de la communication.
4.2 En premier lieu, l'État partie soutient que la nationalité
ivoirienne du requérant n'est pas prouvée. L'État partie rappelle que
la loi no 61-45 du 14 décembre 1961 sur le Code de la nationalité ivoirienne,
modifiée par la loi no 72-852 du 21 décembre 1972 stipule, en son article
1, alinéa 2, que «La nationalité s'acquiert ou se perd après la naissance
par l'effet de la loi ou par une décision de l'autorité publique prise
dans les conditions fixées par la loi». Par ailleurs, en vertu de l'article
89 de cette loi, la preuve de la qualité d'Ivoirien doit être rapportée
par celui qui prétend avoir la nationalité ivoirienne.
4.3 L'État partie fait valoir qu'à aucun moment, le requérant n'a produit
de pièces pour justifier qu'il est Ivoirien d'autant plus que la naissance
sur le sol ivoirien n'est pas une condition suffisante d'acquisition de
la nationalité ivoirienne.
4.4 L'État partie ajoute que l'article 48 du Code de la nationalité ci-dessus
mentionné stipule que: «Perd la nationalité ivoirienne, l'Ivoirien majeur
qui acquiert volontairement une nationalité étrangère ou qui déclare reconnaître
une autre nationalité.».
4.5 D'après l'État partie, quand bien même le requérant apporterait la
preuve qu'il était Ivoirien, M. Zébié Aka Bi, ayant acquis la nationalité
française le 24 août 1983 en vertu de l'article 135 du Code de la nationalité
française, a perdu la nationalité ivoirienne à compter de cette date,
c'est-à-dire depuis 17 ans.
4.6 L'État partie conclut que le requérant ne relève, dès lors, pas de
la juridiction de la Côte d'Ivoire, et que conformément à l'article premier
du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques, le Comité doit se déclarer incompétent dans
le cas d'espèce.
4.7 En troisième lieu, l'État partie fait valoir que le requérant n'a
pas épuisé les voies de recours internes.
4.8 L'État partie indique que le requérant n'a, à aucun moment, apporté
la preuve qu'il a saisi les juridictions ivoiriennes et épuisé toutes
les voies de recours. De plus, l'État partie souligne que la date du 17
septembre 2000 fixée pour les élections présidentielles est une date erronée
et qui plus est, utilisée par le requérant comme un prétexte pour écarter
les voies de recours internes. L'État partie précise que la date des élections
présidentielles a été reportée au 22 octobre 2000. Or, selon l'État partie,
le requérant n'apporte pas la preuve d'un commencement de saisine de la
juridiction ivoirienne depuis ce report de date. L'État partie explique
que le requérant pouvait saisir le Conseil constitutionnel prévu par la
nouvelle Constitution et dont les attributions sont temporairement exercées
par la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême (1). En outre,
d'après l'État partie, le requérant pouvait saisir, par voie de simple
requête, le Président de la Cour suprême par voie de référé – disposition
prévue en cas d'urgence en vertu de l'article 79 (2) de la loi
no 94-440 du 16 août 1994 déterminant la composition, l'organisation,
les attributions et le fonctionnement de la Cour suprême.
4.9 L'État partie souligne finalement que le requérant n'a pas déposé
sa candidature à la présidence, ce qui constitue un abus du droit de présenter
une communication au Comité.
Commentaires du requérant sur les observations de l'État partie
concernant la recevabilité
5. Dans sa lettre du 10 janvier 2002, le requérant a déclaré «ne pas entendre
répliquer aux observations de l'État partie».
Délibérations du Comité sur la recevabilité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité s'est assuré, comme l'exige le paragraphe 2 a) de l'article
5 du Protocole facultatif, que la même question n'était pas déjà en cours
d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
6.3 Le Comité constate que le requérant n'a produit aucune argumentation
faisant état de ses démarches pour faire valoir ses droits, tant pour
être électeur que candidat à l'élection présidentielle. Le Comité estime
dès lors que le requérant n'a pas démontré sa qualité de victime et que
la communication est donc irrecevable au titre de l'article premier du
Protocole facultatif.
6.4 Dans ces circonstances, il est par conséquent inutile que le Comité
examine les autres arguments relatifs à la recevabilité présentés par
l'État partie.
7. En conséquence, le Comité décide:
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article premier
du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et au requérant.
____________________
[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
communication: M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati,
Mme Christine Chanet, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart
Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, M. Martin Scheinin, M.
Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Patrick Vella et M. Maxwell
Yalden.
Notes
1. Ordonnance no 2000-428 du 9 juin 2000 portant création d'une Chambre
constitutionnelle: art. 1: «Il est créé au sein de la Cour suprême une chambre
spéciale dite "Chambre constitutionnelle" chargée de contrôler et de vérifier
la régularité des opérations du référendum et des élections présidentielle
et législative de l'an 2000»; art. 6: «La Chambre constitutionnelle statue,
conformément aux dispositions en vigueur, sur l'éligibilité des candidats
aux élections présidentielle et législative...».
2. Art. 79: «Dans tous les cas d'urgence, le Président de la Chambre
administrative peut, sur simple requête: a) désigner un expert pour constater
sans délai des faits susceptibles de donner lieu à un litige devant la
Chambre administrative: avis en est immédiatement donné aux défenseurs
éventuels; b) ordonner toutes autres mesures utiles, sans faire préjudice
au principal ni obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative.».