Comité des droits de l'homme
Soixante-dixième session
16 octobre - 3 novembre 2000
Annexe
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Soixante-dixième session -
Communication No 947/2000
Présentée par : Barry Hart
Au nom de : L'auteur
État partie : Australie
Date de la communication : 31 janvier 2000 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 octobre 2000,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Barry Hart, citoyen australien, né le
20 août 1935. Il se dit victime de la violation par l'Australie des articles
2 (par. 1, 2 et 3 a)), 14, 17 (par. 1 et 2), 18 (par. 1), 19 (par. 1 et 2)
et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques est entré en vigueur
pour l'État partie le 12 novembre 1980 et le Protocole facultatif s'y rapportant
est entré en vigueur le 25 décembre 1991.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 En 1973, l'auteur s'est rendu de son plein gré à l'hôpital privé de
Chelmsford pour un rendez-vous psychiatrique avec le docteur Herron, spécialiste
des cures de sommeil dans cet établissement. L'auteur affirme que le personnel
de l'hôpital lui a fait perdre involontairement connaissance. Il soutient
qu'au cours des 10 jours qui ont suivi on lui a administré par voie nasale,
sans son consentement, d'importantes quantités de médicaments potentiellement
toxiques (notamment des barbituriques). On l'a également traité par électrochocs
sans lui administrer de décontractants. À la suite de ces traitements, l'auteur
a souffert d'une double pneumonie, d'une pleurésie, d'une thrombophlébite,
d'une embolie pulmonaire et de lésions cérébrales anoxiques. Le 20 mars
1973, l'auteur, souffrant de pneumonie bilatérale et d'embolie pulmonaire,
a été transféré à l'hôpital public de Hornsby, d'où il est sorti le 3 avril
1973. Après sa sortie de l'hôpital, l'auteur a été en proie à différents
troubles : convulsions, hypersensibilité au bruit, spasmophilie, cauchemars,
nausées et excitabilité psychologique perpétuelle. Le diagnostic a établi
qu'il souffrait d'un choc post-traumatique aigu et chronique. L'auteur affirme
que cet état l'aurait rendu de fait incapable de travailler, de sorte qu'il
vit désormais grâce à une pension d'invalidité. Au fil des ans, soutient-il,
ce symptôme s'est exacerbé au point de ne plus être susceptible de traitement.
2.2 L'auteur a porté plainte auprès du tribunal de première instante de
New South Wales en novembre 1976. L'affaire a été renvoyée devant la Cour
suprême de New South Wales en 1979.
2.3 En mars 1980, la procédure civile contre l'hôpital de Chelmsford et
le docteur Herron a commencé à la Cour suprême de New South Wales, en présence
du juge Fisher et d'un jury. L'auteur soutient que le procès a été inéquitable
à de multiples égards. Le juge aurait exclu d'importants éléments de preuve
au motif qu'ils étaient préjudiciables et des pressions indues auraient
été exercées sur le jury pour qu'il rende rapidement un verdict. Les défendeurs
n'ont cité aucun témoin médical à décharge, mais le juge a donné au jury,
en ce qui concernait les éléments de preuve médicaux, des instructions défavorables
au plaignant. L'auteur déclare qu'à l'époque le choc post-traumatique dont
il souffrait n'était pas reconnu comme une maladie. Le juge du fond a éliminé
la possibilité pour le jury de réclamer des dommages-intérêts exemplaires
(ayant valeur punitive) au motif qu'il n'y avait pas de preuve de faute
médicale grave et flagrante qui les justifierait. Le 14 juillet 1980, le
jury a déclaré l'hôpital de Chelmsford coupable de séquestration, et le
docteur Herron coupable de séquestration, de coups et blessures volontaires
et de négligence. Les deux défendeurs étaient condamnés à verser 6 000 dollars
australiens au plaignant pour séquestration, le docteur Herron était condamné
à lui verser 18 000 dollars australiens pour coups et blessures volontaires
et les deux défendeurs devaient lui verser 36 000 dollars australiens à
titre de dommages compensatoires (pour les pertes de revenu passées et futures).
En août 1980, les défendeurs ont fait appel du jugement pour dommages "excessifs",
tandis que l'auteur interjetait lui aussi appel pour dommages-intérêts insuffisants
et non-octroi de dommages exemplaires.
2.4 En 1983, l'auteur a porté plainte auprès de la commission d'enquête
du Conseil médical à propos du traitement qu'il avait subi à Chelmsford
et des problèmes connexes découlant du procès de 1980.
2.5 En mars 1986, la commission d'enquête a conclu qu'il y avait une présomption
de faute professionnelle à l'encontre du docteur Herron qui justifiait son
renvoi devant un tribunal disciplinaire. Le docteur Herron a déposé plainte
pour abus de procédure auprès de la Cour d'appel de New South Wales, qui
a renvoyé l'affaire au tribunal disciplinaire. En juin 1986, le juge Ward
du tribunal a estimé qu'il n'y avait eu de la part de l'auteur aucun retard
susceptible de constituer un abus de procédure et il s'est référé à cet
égard aux diverses actions en justice intentées par le plaignant pendant
cette période.
2.6 En septembre 1986, sur requête du docteur Herron, la Cour d'appel de
New South Wales (McHugh Président, Priestley et Street siégeant comme juges)
a suspendu définitivement la procédure disciplinaire, sans se référer à
la décision rendue par le juge Ward, au motif que l'auteur avait commis
un abus de procédure en attendant trois ans avant de porter plainte devant
la commission d'enquête du Conseil médical. En décembre 1986, la Haute Cour
d'Australie a rejeté la demande de pourvoi de l'auteur contre l'arrêt de
la cour d'appel.
2.7 En août 1988, une commission royale d'enquête a été désignée pour enquêter
sur les pratiques à l 'hôpital de Chelmsford, notamment le recours à la
thérapie de la cure de sommeil, et le nombre important de décès survenus
dans cet établissement. La Commission royale a examiné le dossier de l'auteur,
entre autres, en détail. Dans un rapport très critique remis en décembre
1990, la Commission a conclu qu'il y avait eu comportement délictueux et
qu'on disposait d'éléments prouvant des dommages psychologiques graves.
Elle constatait qu'il y avait eu de la part des défendeurs collusion pour
entraver le fonctionnement de la justice, notamment en proférant des menaces
à l'encontre d'un témoin oculaire membre du personnel soignant que le document
contenant le consentement prétendu de l'auteur au traitement était un faux
et qu'ils avaient sciemment menti à propos de ce document falsifié.
2.8 L'auteur déclare qu'en 1993 le diagnostic a établi pour la première
fois qu'il souffrait d'une maladie psychiatrique débilitante. En juin 1993,
la cour d'appel de New South Wales a rejeté la requête du docteur Herron
tendant à ce que l'auteur soit débouté de son appel contre le jugement de
1980 pour manquement de diligence.
2.9 En août 1995, la cour d'appel de New South Wales a examiné le recours
introduit par l'auteur contre le jugement de 1980 pour dommages-intérêts
compensatoires insuffisants et retrait par le juge du fond de la possibilité
pour le jury d'imposer des dommages exemplaires. Il n'a pas été donné suite
à l'appel incident du docteur Herron. Le 6 juin 1996, la cour d'appel de
New South Wales (où siégeaient les juges Priestley, Clarke et Sheller) a
rejeté l'appel, l'auteur étant condamné aux dépens. La cour a jugé notamment
que les rapports sur des examens psychologiques effectués en 1972 mettaient
déjà en évidence "nombre des symptômes" attribués par la suite
au traitement subi à Chelmsford. La cour a estimé que les constatations
de la Commission royale d'enquête, conjointement avec les autres éléments
de preuve, autorisaient seulement à conclure que le docteur Herron, en entente
avec des tiers, avait "eu une conduite répréhensible". Dans l'arrêté
écrit rendu au nom de la cour, le juge Priestley déclarait : "Il ne
me semble pas que les autres éléments avancés par le requérant pour étayer
son appel auraient introduit quoi que ce soit de nouveau par rapport aux
éléments effectivement disponibles lors du procès". La cour a estimé
que le comportement du juge du fond n'était entaché d'aucune irrégularité.
2.10 En avril 1997, la Haute Cour d'Australie (Brennan, Dawson et Toohey
siégeant comme juges) a rejeté la demande de pourvoi de l'auteur, le condamnant
également aux dépens. La cour a estimé que l'auteur n'était pas fondé à
réclamer des dommages exemplaires si longtemps après le procès. L'auteur
fait valoir que la conduite délictueuse visée n'a été mise en évidence par
la Commission d'enquête qu'en 1990 et que depuis lors il était engagé dans
de longues procédures.
Teneur de la plainte
3. L'auteur affirme que l'État a failli à ses obligations en ne soumettant
pas les pratiques de l'hôpital de Chelmsford à des réglementations appropriées
et en ne procédant pas à une enquête suite à la série de plaintes déposées
par le personnel soignant et les inspecteurs de l'administration publique.
L'auteur soutient également que les juges et les magistrats n'avaient pas
eu un comportement impartial à son égard et l'avaient discrédité en raison
de son traitement psychiatrique, en particulier lors du procès de 1980 contre
le docteur Herron. De surcroît, l'auteur soutient que la cour d'appel de
New South Wales aurait omis de prendre en compte des éléments de preuve
pertinents, n'aurait pas relevé que certains faits étaient des inventions
et certains éléments de preuve des faux et aurait rendu des jugements biaisés
et erronés aussi bien en décidant de surseoir à la procédure disciplinaire
en 1986 qu'en rejetant l'appel au fond en 1996. L'auteur affirme que l'État
partie n'a pas su mettre en place des mécanismes de régulation et d'investigation
appropriés pour exercer un contrôle sur les juges et les magistrats. En
outre, les tribunaux ont été incapables de lui accorder des réparations
équitables et suffisantes en dédommagement des sévices et de la torture
psychiatrique qu'il avait subis. L'auteur affirme que les manquements ci-dessus
constituent des violations des articles 2, 14, 17, 18, 19 et 26 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques.
Délibérations du Comité
4.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
4.2 Étant donné que le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l'Australie
le 25 décembre 1991, le Comité n'a pas compétence ratione temporis
pour examiner des allégations ayant trait à des événements survenus avant
cette date, à moins que ceux-ci ne continuent à produire des effets qui
en eux-mêmes constituent une violation du Pacte. Par suite, la plainte de
l'auteur concernant le traitement qu'il a subi à Chelmsford, la procédure
civile contre le docteur Herron et la décision de surseoir à la procédure
disciplinaire contre le docteur Herron rendue par la cour d'appel de New
South Wales - tous événements survenus avant le 25 décembre 1991 - doit
être considérée irrecevable.
4.3 En ce qui concerne la partie de la plainte relative aux arrêts rendus
par la cour d'appel de New South Wales et la Haute Cour d'Australie, le
Comité rappelle que, d'une manière générale, ce n'est pas à lui mais aux
juridictions des États parties qu'il appartient d'apprécier les faits et
les éléments de preuve dans un cas d'espèce, sauf s'il peut être établi
que cette appréciation était manifestement arbitraire ou représentait un
déni de justice. En outre, il n'appartient pas au Comité de réexaminer l'interprétation
du droit interne par les tribunaux nationaux. En l'occurrence, le Comité
note que la cour d'appel de New South Wales et la Haute Cour d'Australie
ont examiné les allégations de l'auteur et, sur la base des éléments de
preuve disponibles, ont refusé d'infirmer le jugement du tribunal de première
instance. Les allégations de l'auteur et les informations dont dispose le
Comité ne permettent pas de conclure que les décisions de la cour d'appel
ou de la Haute Cour étaient manifestement arbitraires ou représentaient
un déni de justice. En conséquence, cette partie de la communication est
irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
4.4 En ce qui concerne les autres allégations de l'auteur, le Comité estime
que celui-ci ne les a pas étayées aux fins de la recevabilité de sa communication.
En conséquence, elles sont également irrecevables en vertu de l'article
2 du Protocole facultatif.
5. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur et, pour information,
à l'État partie.
___________
** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme
Christine Chanet, Lord Colville, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Louis Henkin,
M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari
Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia.
En application de l'article 85 du règlement intérieur du Comité, Mme Elizabeth
Evatt n'a pas participé à l'examen de la communication.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]