Comité des droits de l'homme
Soixante-dix-huitième session
14 juillet - 8 août 2003
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et
politiques
- Soixante-dix-huitième session -
Communication No. 953/2000
Présentée par: Ernst Zündel (représenté par un conseil, Mme Barbara
Kulaszka)
Au nom de: L'auteur
État partie: Canada
Date de la communication: 21 août 2000 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 27 juillet 2003,
Adopte la décision ci-après:
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Ernst Zündel, citoyen allemand né le 24
avril 1939, résidant au Canada depuis 1958. Il se déclare victime d'une violation
par le Canada (1) des articles 3, 19 et 26 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques («le Pacte»). Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits
2.1 L'auteur se présente comme éditeur et militant, ayant défendu le groupe
ethnique allemand contre des allégations fallacieuses d'atrocités relatives
au comportement des Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Sa communication
a pour origine une affaire jugée par le Tribunal des droits de la personne
du Canada, à l'issue de laquelle il a été reconnu responsable au regard
de la loi canadienne sur les droits de la personne d'avoir exposé les Juifs
à la haine et au mépris sur un site Internet connu sous le nom de «Zundelsite».
Il ressort par exemple des documents présentés au Comité par les parties
que l'un des articles de l'auteur affiché sur ce site sous le titre «Did
Six Million Jews Really Die?» («Est-il vrai que six millions de Juifs
sont morts?») conteste le fait que 6 millions de Juifs sont morts pendant
l'Holocauste.
2.2 En mai 1997, après qu'un survivant de l'Holocauste eut porté plainte
contre le site de l'auteur devant la Commission canadienne des droits de
la personne, le Tribunal canadien des droits de la personne a ouvert une
enquête. Au cours des audiences, le 25 mai 1998, le Tribunal n'a pas voulu
autoriser l'auteur à soulever une «exception de vérité» à l'encontre de
la plainte et à prouver que les déclarations publiées sur le «Zundelsite»
étaient véridiques. Le Tribunal n'a pas jugé approprié de débattre de l'exactitude
ou l'inexactitude des déclarations publiées sur le site en question, car
cela «n'aurait fait qu'introduire un bon motif de plus de contretemps, de
coûts et d'injures à la dignité des victimes présumées de ces déclarations».(2)
2.3 Peu de temps après, l'auteur a obtenu de la Tribune de la presse parlementaire
canadienne, organisme non gouvernemental sans but lucratif auquel est confiée
l'administration courante des installations de presse du Parlement canadien,
une réservation pour tenir une conférence de presse le 5 juin 1998 dans
la salle de presse Charles Lynch de l'Édifice du centre, dans l'enceinte
parlementaire. L'auteur répondait selon lui aux conditions à remplir pour
réserver cette salle. Dans le communiqué de presse annonçant la conférence,
daté du 3 juin 1998, l'auteur indiquait qu'il parlerait de la décision provisoire
du Tribunal canadien des droits de la personne, qui avait jugé la vérité
irrecevable comme moyen de défense. Les passages pertinents de ce communiqué
se lisent comme suit:
- Que la vérité n'est pas un moyen de défense;
- Que l'intention n'est pas un moyen de défense;
- Que le fait que les déclarations publiées sont vraies est
sans pertinence!
2.4 Le 4 juin 1998, des adversaires des thèses de l'auteur qui protestaient
contre le fait que celui-ci utilise la salle Charles Lynch s'étant adressés
à plusieurs membres du Parlement et la Tribune de la presse ayant refusé d'annuler
la réservation de la salle, la Chambre des communes a adopté à l'unanimité
la décision suivante: «La Chambre ordonne que Ernst Zündel ne soit pas autorisé
à pénétrer dans les locaux de la Chambre des communes pendant le cours et
jusqu'à la fin de la présente session».
2.5 En conséquence de cette décision, l'auteur n'a pu pénétrer dans l'enceinte
parlementaire et a été empêché de tenir sa conférence de presse dans la
salle Charles Lynch. Il a tenu une conférence de presse informelle sur le
trottoir à l'extérieur de l'enceinte du Parlement.
Épuisement des recours internes
3.1 L'action intentée par l'auteur contre les partis politiques ayant participé
à l'adoption de la décision unanime lui interdisant de pénétrer dans l'enceinte
du Parlement ainsi que contre certains membres du Parlement, en particulier
parce qu'ils avaient violé sa liberté d'expression (garantie à l'alinéa
b de l'article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés),
a été déclarée sans fondement par la Cour de justice de l'Ontario (Division
générale) le 22 janvier 1999. La Cour a considéré que les partis politiques,
défendeurs en l'espèce, pouvaient être attaqués en effet mais que la plainte
contre des membres du Parlement était à rejeter faute de motif raisonnable.
Elle a soutenu que la Chambre des communes avait exercé son «privilège parlementaire»
en refusant à l'auteur l'entrée dans ses locaux. La condition de nécessité
était satisfaite puisque la décision interdisant l'accès de l'auteur aux
locaux parlementaires était indispensable pour préserver le bon fonctionnement
de la Chambre, son motif étant le souci de sauvegarder la dignité et l'intégrité
du Parlement. La Cour a fait observer que la restriction imposée à la liberté
d'expression de l'auteur ne visait que l'utilisation des locaux de la Chambre
des communes et ne l'empêchait pas d'une manière générale d'exprimer son
opinion.
3.2 Le 10 novembre 1999, la cour d'appel de l'Ontario a rejeté l'appel
de l'auteur, expliquant que la question juridictionnelle qui se posait à
elle était de savoir s'il fallait que la Chambre des communes ait, pour
préserver son bon fonctionnement, la maîtrise de ses locaux, y compris le
pouvoir d'en interdire l'entrée aux personnes de l'extérieur. Il ne s'agissait
pas pour elle de déterminer s'il avait été nécessaire d'exclure l'auteur
de l'enceinte parlementaire, car cela l'aurait amenée à s'interroger sur
le bien-fondé ou le mal-fondé de la décision, ce qui eût réduit à néant
tout «privilège» existant. Comme la maîtrise des lieux était un aspect complémentaire
du bon fonctionnement du Parlement, les tribunaux outrepasseraient les limites
constitutionnelles légitimes s'ils s'avisaient de porter atteinte au privilège
en question. La décision d'exclure l'auteur ne relevait pas d'autre chose
que de ce pouvoir de contrôler l'accès des personnes de l'extérieur à l'enceinte
parlementaire et la plainte de l'auteur portait intégralement sur la question
des privilèges parlementaires; elle avait donc été rejetée à juste titre.
3.3 Le 29 juin 2000, la Cour suprême du Canada a débouté l'auteur de son
pourvoi contre la décision de la cour d'appel de l'Ontario.
Teneur de la plainte
4.1 L'auteur se dit victime d'une violation des articles 3, 19 et 26 du
Pacte puisque le droit de s'exprimer librement lui a été refusé.
4.2 Pour l'auteur, la liberté d'expression garantie à l'article 19 du Pacte
a été violée par la décision de la Chambre des communes l'excluant de l'enceinte
parlementaire et, en particulier, de la salle de presse Charles Lynch. Selon
lui cette décision était discriminatoire et violait les articles 3 et 26
du Pacte puisqu'il remplissait toutes les conditions requises pour réserver
la salle en question, son exclusion étant «le premier cas dans l'histoire
canadienne où une personne est interdite d'accès dans l'enceinte du Parlement
[…] en raison de ses opinions politiques».
4.3 L'auteur affirme qu'il a épuisé tous les recours internes et que la
même affaire n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale
d'enquête ou de règlement.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond de la
communication
5.1 L'État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le
fond de la communication dans une note verbale du 10 août 2001.
5.2 L'État partie conteste la recevabilité de la communication en ce qui
concerne les violations alléguées des articles 3 et 26 du Pacte, estimant
que la plainte est à cet égard insuffisamment motivée. En particulier, l'auteur
n'a pas apporté la preuve qu'il ne pouvait jouir des droits consacrés par
le Pacte dans les mêmes conditions que les femmes au Canada (art. 3) et
que son exclusion de l'enceinte parlementaire était un acte discriminatoire
(art. 26). De plus, l'État partie fait observer que l'auteur n'a pas épuisé
les recours internes en ce qui concerne ces allégations, dans la mesure
où l'action qu'il a intentée ne portait que sur l'allégation selon laquelle
la décision de la Chambre des communes violait sa liberté d'expression garantie
par la Charte canadienne des droits et des libertés.
5.3 L'État partie ne conteste pas la recevabilité du reste de la communication
mais considère que la liberté d'expression de l'auteur, garantie par l'article
19, n'a pas été violée. Selon lui, bien que la décision de la Chambre des
communes ait eu pour effet d'interdire à l'auteur l'accès à l'enceinte parlementaire,
elle ne l'empêchait pas d'exprimer son opinion à l'extérieur de cette enceinte.
L'État partie fait valoir que l'article 19 n'exige pas des États qu'ils
garantissent à n'importe qui l'accès à n'importe quel endroit où l'intéressé
souhaiterait exercer sa liberté d'expression.
5.4 L'État partie affirme que même si le fait d'interdire l'enceinte parlementaire
à l'auteur devait être considéré comme une restriction à sa liberté d'expression,
cette restriction était justifiée selon le paragraphe 3 de l'article 19
et le paragraphe 2 de l'article 20 du Pacte. La décision d'interdiction
était le résultat de l'exercice légitime du pouvoir législatif que les normes
constitutionnelles confèrent à la Chambre des communes et qui, pour ce qui
est des privilèges parlementaires, répondent à la condition fixée au paragraphe
3 de l'article 19 du Pacte («restrictions […] expressément fixées
par la loi»).(4)
5.5 La restriction imposée à l'auteur avait pour objet de protéger le droit
des communautés juives à la liberté de religion et à la liberté d'expression
ainsi que leur droit de vivre dans une société sans discrimination et était
étayée par le paragraphe 2 de l'article 20 du Pacte (5). Ainsi, le
Comité des droits de l'homme, dans son Observation générale no 11 relative
à l'article 20, (6) a fait remarquer que les interdictions de cette
sorte «sont tout à fait compatibles avec le droit à la liberté d'expression
prévu à l'article 19, dont l'exercice entraîne des responsabilités et des
devoirs spéciaux». Le fait que l'auteur a pendant près de 30 ans répandu
dans le monde entier des documents niant l'Holocauste et les autres atrocités
commises par les nazis contre les Juifs suffit à expliquer pourquoi la Chambre
des communes craignait de voir les locaux parlementaires servir de tribune
pour diffuser des opinions antisémites et la communauté juive exposée de
ce fait à la haine et à la discrimination. L'État partie soutient que la
décision en cause était non seulement justifiée au regard du paragraphe
3 de l'article 19, du paragraphe 2 de l'article 20 et du paragraphe 1 de
l'article 5 du Pacte, mais aussi légalement prescrite en vertu de l'article
4 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes
de discrimination raciale (7), qui impose de prendre des mesures
pour réprimer la diffusion d'idées fondées sur la supériorité et la haine
raciale.(8) Outre le respect de la réputation d'autrui, l'exclusion
de l'auteur des locaux parlementaires avait pour objet la protection de
l'ordre public et de la moralité publique. Puisque la protection des travaux
parlementaires constituait un but légitime d'«ordre public» au sens du paragraphe
3 de l'article 19,(9) la doctrine des privilèges parlementaires et
la manière dont elle a été appliquée en l'espèce sont compatibles avec la
notion d'ordre public. Comme l'antisémitisme est contraire aux valeurs de
tolérance, de diversité et d'égalité que consacrent la Charte canadienne
des droits et libertés et les autres lois nationales relatives aux droits
de l'homme, la décision de la Chambre des communes concourait de surcroît
à la protection de la moralité publique.
5.6 L'État partie soutient que les restrictions imposées à l'auteur étaient
«nécessaires», au sens du paragraphe 3 de l'article 19 du Pacte, pour protéger
les droits de la communauté juive, la dignité et l'intégrité du Parlement
et les valeurs canadiennes que sont l'égalité et la diversité culturelle.
Comparées aux risques que présentait la conférence de presse envisagée par
l'auteur, aux effets préjudiciables de l'incitation à la haine sur l'ensemble
de la société et à l'impression que l'on aurait eue que la conférence en
question avait l'imprimatur officiel du Parlement ou du Gouvernement,
les restrictions imposées à la liberté d'expression de l'auteur étaient
minimes et, donc, proportionnées. Elles ne visaient qu'un lieu particulier,
l'enceinte parlementaire, à laquelle aucune personne de l'extérieur n'a
librement accès, et ne limitaient pas la liberté qu'avait l'auteur d'utiliser
quelque autre tribune pour se faire entendre, à condition de ne pas dénigrer
la communauté juive dans ses propos.
5.7 L'État partie fait valoir que les privilèges parlementaires (10)
s'inscrivent parmi les conventions non écrites qui font partie de la
Constitution canadienne et qui ont leur origine dans le préambule de la
Loi constitutionnelle de 1867, dans la tradition historique et dans le principe
selon lequel le pouvoir législatif est censé disposer des pouvoirs constitutionnels
qui sont nécessaires à son bon fonctionnement. L'un de ces privilèges de
l'organe législatif consiste à régir ses propres procédures internes. Il
est étroitement lié au droit qu'a le Parlement de réglementer l'accès à
ses locaux et d'en exclure les personnes de l'extérieur. Ces deux privilèges
sont jugés essentiels pour permettre à l'organe législatif de préserver
la dignité, l'intégrité et l'efficacité de ses travaux. L'importance de
ces privilèges a été soulignée par la Cour suprême du Canada dans son arrêt
New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse, dans lequel
elle a déclaré que lorsqu'ils examinent l'exercice par le Parlement de ses
privilèges naturels, «les tribunaux peuvent déterminer si le privilège revendiqué
est nécessaire pour que la législature soit capable de fonctionner, mais
ne sont pas habilités à examiner si une décision particulière prise conformément
aux privilèges est bonne ou mauvaise».(11)
5.8 L'État partie insiste sur le fait que le droit qu'a le Parlement de
maîtriser sans partage son fonctionnement interne – domaine relativement
restreint de l'activité législative – est essentiel pour la sauvegarde
de son indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire.
Soumettre à la révision judiciaire la décision qu'a prise le Parlement d'exclure
de son enceinte une personne de l'extérieur non seulement ferait infraction
au principe de la séparation des pouvoirs mais signifierait de surcroît
que les décisions de cet ordre ne sont pas définitives, ouvrant la porte
aux incertitudes et aux contretemps et empêchant les membres du Parlement
d'accomplir leur important travail législatif. L'État partie affirme que
puisque l'organe législatif est mieux placé que les tribunaux pour déterminer
dans quelles conditions il peut conduire efficacement ses propres travaux,
les tribunaux n'ont pas à se mêler de la manière dont le Parlement exerce
ses privilèges.
5.9 Si, inversement, le Comité devait juger recevable la plainte de l'auteur
au titre des articles 3 et 26, l'État partie contesterait au fond cette
partie de la communication et se réserverait le droit de présenter de nouvelles
observations. Il soutient que l'auteur n'a pas fait l'objet de discrimination,
son exclusion de l'enceinte parlementaire étant compatible avec les dispositions
du Pacte, fondée sur des motifs raisonnables et ayant l'objectif légitime
d'empêcher la diffusion de propos antisémites et de faire respecter les
droits des membres de la communauté juive que garantit le Pacte.
Commentaires de l'auteur
6.1 Dans une lettre du 13 novembre 2001, l'auteur a répondu aux observations
de l'État partie. Il y réaffirme que sa plainte répond à toutes les conditions
de recevabilité. Comme il en a été débouté par les tribunaux pour ce motif
très général que constitue le privilège parlementaire, toute plainte en
discrimination aurait été rejetée pour les mêmes raisons. Il note qu'il
a été argué devant la cour d'appel de l'Ontario que ce privilège très étendu
pourrait donner au Parlement le droit illimité d'agir de façon discriminatoire
contre n'importe quelle personne ou n'importe quel groupe.
6.2 L'auteur soutient que le privilège qu'a le Parlement de réglementer
l'accès à ses locaux n'exonère pas l'organe législatif des obligations internationales
de l'État partie en matière de droits de l'homme, d'autant plus que le Parlement
lui-même a souscrit à ces obligations lors de la ratification du Pacte.
6.3 L'auteur affirme qu'en l'absence de tout moyen politique de s'opposer
au pouvoir de l'État partie, les recours judiciaires étaient la seule voie
qui s'offrait à l'auteur pour contester son exclusion de l'enceinte parlementaire.
6.4 Pour ce qui est de la plainte au titre de l'article 19, l'auteur répète
qu'il satisfaisait aux conditions à remplir pour utiliser la salle de presse
puisque le sujet de sa conférence présentait un intérêt national. La Chambre
des communes avait interdit la salle Charles Lynch à l'auteur pour l'empêcher
d'utiliser une tribune connue pour être sérieuse pour exprimer son opinion
et faire obstacle ainsi à la diffusion de la conférence de presse par la
chaîne câblée d'audience nationale qui couvre les conférences tenues dans
les installations de presse du Parlement.
6.5 Selon l'auteur, rien ne prouvait qu'il avait l'intention d'inciter
à la haine contre le peuple juif pendant la conférence de presse envisagée.
Au contraire, le communiqué de presse expliquait qu'il allait parler de
la décision du Tribunal canadien des droits de la personne selon laquelle
la vérité ne peut être invoquée comme moyen de défense dans une procédure
engagée au titre du paragraphe 13 de la loi canadienne sur les droits de
la personne. Des copies de cette décision avaient été préparées en vue de
leur distribution. L'État partie n'en a pas moins invoqué de manière tendancieuse
le prétexte de la moralité afin d'ajouter cette dimension à l'affaire. L'auteur
insiste sur le fait que depuis qu'il est devenu officiellement résident
au Canada en 1958, il n'a jamais été poursuivi ni condamné pour incitation
à la haine contre le peuple juif. Une condamnation antérieure pour «propagation
de fausses nouvelles» avait été annulée en 1992 par la Cour suprême du Canada,
au motif qu'elle violait le droit constitutionnel de l'auteur à la liberté
d'expression.(12)
Observations supplémentaires de l'État partie
7.1 Dans une note verbale du 30 mai 2002, l'État partie a fourni des renseignements
sur l'interprétation par les tribunaux de la notion de privilège parlementaire
et sur la décision définitive du Tribunal canadien des droits de la personne
dans l'affaire Citron c. Zündel.(13)
7.2 Selon l'article 40 de la loi sur les droits de la personne, un individu
ou un groupe d'individus qui pensent être victimes d'un acte discriminatoire
peuvent déposer une plainte devant la Commission canadienne des droits de
la personne. Sous réserve de certaines conditions de recevabilité, la Commission
est habilitée à enquêter sur la plainte et, si la plainte n'est pas rejetée,
à s'interposer pour rechercher un règlement amiable. Si aucune conciliation
n'est possible, la Commission peut renvoyer la plainte au Tribunal canadien
des droits de la personne, organe quasi judiciaire indépendant habilité
à tenir audience et à régler l'affaire par voie d'ordonnance.
7.3 En juillet et septembre 1996, le Comité du maire de Toronto sur les
relations raciales et communautaires et Sabina Citron, survivante de l'Holocauste,
ont déposé deux plaintes parallèles contre l'auteur, en invoquant le paragraphe
1 de l'article 13 de la loi sur les droits de la personne et en alléguant
qu'en affichant des documents sur son site, l'auteur avait «fait utiliser
un téléphone de façon répétée pour aborder des questions susceptibles d'exposer
les Juifs à la haine ou au mépris». La Commission des droits de la personne
lui ayant renvoyé la plainte pour examen au fond, le Tribunal des droits
de la personne a rendu sa décision définitive le 18 janvier 2002, ordonnant
que l'intimé […] «ou toute autre personne qui agit en son nom ou de
concert avec lui cessent la pratique discriminatoire que constitue l'utilisation
d'un téléphone de façon répétée» pour diffuser des messages du genre de
celui dont le Tribunal est saisi ou les rendre consultables sur le «Zundelsite»,
«ou pour diffuser d'autres messages ayant sensiblement la même forme ou
la même teneur qui sont susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des
personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base de "motifs de
distinction illicite" en contravention du paragraphe 1 de l'article 13 de
la loi canadienne sur les droits de la personne».
7.4 La loi canadienne de 1985 sur les droits de la personne dispose au
paragraphe 1 de son article 13:
«Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite
sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la
couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial,
la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.».
7.5 Outre la loi sur les droits de la personne, le Code criminel du Canada
contient trois dispositions sur la «propagande haineuse» visant: a) le fait
de préconiser le génocide (art. 318), b) «l'incitation à la haine en un
endroit public» (art. 319, par. 1) et c) le fait de «fomenter volontairement
la haine» (ibid., par. 2).
Délibérations du Comité
8.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
8.2 Comme il est tenu de le faire par le paragraphe 2 a) de l'article 5
du Protocole facultatif, le Comité s'est assuré que la même affaire n'était
pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement.
8.3 En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 3 du Pacte,
le Comité constate que l'auteur n'a rien produit pour étayer des affirmations
qui ne semblent pas correspondre aux intentions dudit article. Par conséquent,
le Comité juge cette partie de la communication irrecevable au regard des
articles 2 et 3 du Protocole facultatif.
8.4 Pour ce qui est de l'allégation de violation du paragraphe 2 de l'article
19 du Pacte, le Comité note que l'État partie ne conteste pas l'affirmation
de l'auteur selon laquelle il a épuisé les recours internes contre la décision
de l'exclure de l'enceinte de la Chambre des communes «pendant le cours
et jusqu'à la fin de la présente session», dont la conséquence a été qu'il
n'a pu tenir la conférence de presse qu'il avait annoncée. En conséquence,
la plainte de l'auteur au titre du paragraphe 2 de l'article 19 du Protocole
facultatif n'est pas irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l'article
5 du Protocole facultatif.
8.5 Toutefois, et bien que l'État partie soit disposé à examiner le fond
de la communication, le Comité considère que la plainte de l'auteur est
incompatible avec les dispositions de l'article 19 du Pacte et par conséquent
irrecevable ratione materiae au regard de l'article 3 du Protocole
facultatif. Bien que le droit à la liberté d'expression, tel qu'énoncé au
paragraphe 2 de l'article 19 du Pacte, s'étende au choix du moyen, il n'équivaut
pas à un droit illimité qu'aurait toute personne ou tout groupe de personnes
de tenir des conférences de presse dans l'enceinte parlementaire ou de faire
diffuser ces conférences de presse autrement. S'il est vrai que l'auteur
avait réservé auprès de la Tribune de la presse parlementaire la salle de
presse Charles Lynch et que cette réservation a été annulée par suite de
la décision, adoptée à l'unanimité par le Parlement, d'interdire à l'auteur
l'accès à l'enceinte parlementaire, l'auteur, note le Comité, est resté
libre de tenir une conférence de presse ailleurs. Le Comité est par conséquent
d'avis, après avoir soigneusement examiné les informations dont il dispose,
que la plainte de l'auteur, fondée sur le fait qu'il n'a pas pu tenir une
conférence de presse dans la salle de presse Charles Lynch, ne relève pas
du droit à la liberté d'expression, protégé par le paragraphe 2 de l'article
19 du Pacte.
8.6 En ce qui concerne enfin l'allégation de violation de l'article 26
du Pacte, le Comité juge cette partie de la communication irrecevable parce
que les recours internes n'ont pas été épuisés comme le prévoit l'alinéa
b du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif. Le Comité
relève dans la plainte déposée devant la cour de justice de l'Ontario que
l'auteur se déclare victime d'une violation de son droit à la liberté d'expression,
garanti au paragraphe b) de l'article 2 de la Charte canadienne des droits
et libertés, sans cependant alléguer une violation de ses droits à l'égalité
reconnus au paragraphe 1 de l'article 15 du même instrument (14).
L'argument de l'auteur selon lequel toute plainte pour discrimination aurait
été rejetée en raison du privilège parlementaire est de pure conjecture
et ne le dispensait pas de chercher à épuiser les recours internes.
9. En conséquence, le Comité décide:
a) Que la communication est irrecevable au titre des articles 2 et 3 et
du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur et, pour information,
à l'État partie.
___________________________
[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du
Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres suivants du Comité ont participé à l'examen de la présente
communication: M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo,
M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael
Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M.
Hipólito Solari Yrigoyen, Mme Ruth Wedgwood, M. Roman Wieruszewski et M.
Maxwell Yalden.
Notes
1. Le Pacte et le Protocole facultatif sont tous deux entrés en vigueur pour
l'État partie le 19 mai 1976.
2. Tribunal canadien des droits de la personne, Citron c. Zündel,
décision provisoire, 25 mai 1998.
3. La typographie est celle du communiqué original.
4. L'État partie se réfère à une conclusion du même ordre du Comité des
droits de l'homme dans l'affaire Gauthier c. Canada, communication
no 633/1995, constatations adoptées le 7 avril 1999 (CCPR/C/65/D/633/1995,
5 mai 1999), par. 13.5.
5. À ce propos, l'État partie renvoie à la jurisprudence du Comité, Ross
c. Canada, communication no 736/1997, constatations adoptées le 18
octobre 2000 (CCPR/C/70/D/736/1997, 26 octobre 2000), par. 11.5, et Faurisson
c. France, communication no 550/1993, constatations adoptées le 8
novembre 1996 (CCPR/C/58/D/550/1993, 16 décembre 1996), par. 9.6.
6. Comité des droits de l'homme, dix-neuvième session (1983), Observation
générale no 11, relative à l'interdiction de la propagande en faveur de
la guerre et de tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse (art.
20), adoptée le 29 juillet 1983, par. 2.
7. Cet article 4 se lit comme suit: «Les États parties condamnent toute
propagande et toutes organisations qui s'inspirent d'idées ou de théories
fondées sur la supériorité d'une race ou d'un groupe de personnes d'une
certaine couleur ou d'une certaine origine ethnique, ou qui prétendent justifier
ou encourager toute forme de haine et de discrimination raciales; ils s'engagent
à adopter immédiatement des mesures positives destinées à éliminer toute
incitation à une telle discrimination ou tous actes de discrimination, et,
à cette fin, tenant dûment compte des principes formulés dans la Déclaration
universelle des droits de l'homme et des droits expressément énoncés à l'article
5 de la présente Convention, ils s'engagent notamment:
a) À déclarer délits punissables par la loi toute diffusion d'idées fondées
sur la supériorité raciale ainsi que tous actes de violence, ou provocation
à de tels actes, dirigés contre toute race ou tout groupe de personnes d'une
autre couleur ou d'une autre origine ethnique, de même que toute assistance
apportée à des activités racistes, y compris leur financement;
b) À déclarer illégales et à interdire les organisations ainsi que les
activités de propagande organisée et de tout autre type d'activité de propagande
qui incitent à la discrimination raciale et qui l'encouragent et à déclarer
délit punissable par la loi la participation à ces organisations ou à ces
activités;
c) À ne pas permettre aux autorités publiques ni aux institutions publiques,
nationales ou locales d'inciter à la discrimination raciale ou de l'encourager.».
8. L'État partie rappelle que selon la Recommandation générale XV du Comité
pour l'élimination de la discrimination raciale «l'interdiction de la diffusion
de toute idée fondée sur la supériorité ou la haine raciale est compatible
avec le droit à la liberté d'opinion et d'expression» (Recommandation générale
XV, relative à la violence organisée fondée sur l'origine ethnique (art.
4), adoptée le 23 mars 1993, par. 4).
9. L'État partie se réfère aux constatations du Comité des droits de l'homme
dans l'affaire Gauthier c. Canada, communication no 633/1995,
constatations adoptées le 7 avril 1999 (CCPR/C/65/D/633/1995, 5 mai 1999),
par. 13.6.
10. En droit constitutionnel canadien, la notion de «privilèges» s'entend
des pouvoirs légaux du Parlement.
11. Cour suprême du Canada, New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse
[1993], 1 R.C.S., p. 384 et 385.
12. Voir Cour suprême du Canada, R. c. Zündel [1992], 2 R.C.S.,
p. 731 à 844.
13. Tribunal canadien des droits de la personne, Citron c. Zündel,
décision du 18 janvier 2002.
14. Ce paragraphe se lit comme suit: «La loi ne fait acception de personne
et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et
au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment
des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique,
la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.».